Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/LeQuartLivre/61

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Alphonse Lemerre (Tome IIp. 484-486).

Comment Gaster inventa les moyens d’avoir & conserver Grain.

Chapitre LXI.



Ces Diables Gastrolatres retirez, Pantagruel feut attentif à l’estude de Gaster le noble maistre des ars. Vous sçavez que par institution de Nature Pain avecques ses apennaiges, luy a esté pour provision adiugé & aliment, adioincte ceste benediction du ciel que pour Pain trouver & guarder rien ne luy defauldroit, Dès le commencement il inventa l’art fabrile, & agriculture pour cultiver la terre, tendent à fin qu’elle luy produisist Grain. Il inventa l’art militaire & armes pour grain defendre, Medicine & Astrologie avcques les Mathematiques necessaires pour Grain en saulveté par plusieurs siècles guarder : & mectre hors les calamités de l’air : deguast des bestes brutes : larrecins des briguans. Il inventa les moulins à eau, à vent, à bras, à aultres mille engins, pour Grain mouldre & reduire en farine. Le levain pour fermenter la paste, le sel pour luy donner saveur, (car il eut ceste congnoissance, que chose on monde plus les humains ne rendoit à maladies subiectz, que de Pain non fermenté, non salé user) le feu pour le cuyre, les horologes & quadrans pour entendre le temps de la cuycte de Pain creature de Grain.

Est advenu que grain en un pays defailloit, il inventa art & moyen de le tirer d’une contrée en aultre. Il par invention grande mesla deux espèces de animans. Asnes & Iumens pour production d’une tierce, laquelle nous appellons muletz bestes plus puissantes, moins delicates, plus durables au labeur que les aultres. Il inventa chariotz & charettes pour plus commodement le tirer. Si la mer ou rivière ont empesché la traicte, il inventa basteaulx, gualères, & navires (chose de laquelle se sont les Elemens esbahiz) pour oultre mer, oultre fleuves, & rivières naviger, & de nations barbares, incongneues, & loing separées Grain porter & transporter.

Est advenu depuys certaines années que la terre cultivant il n’a eu pluye à propous & en saison, par default de laquelle Grain restoit en terre mort & perdu. Certaines années la pluye a esté excessive, & nayoit le Grain. Certaines aultres années la gresle le guastoit, les gens l’esgrenoient, la tempeste le renversoit. Il ià davant nostre venue avoit inventé art & moyen de evocquer la pluye des Cieulx seulement une herbe decouppant commune par les praeries, mais à peu de gens congneue, laquelle il nous monstra. Et estimoys que feust celle de laquelle une seule branche iadis mectent le pontife Iovial dedans la fontaine Agrie sus le mons Lycien en Arcadie on temps de seicheresse, excitoit les vapeurs, des vapeurs estoient formées grosses nuées : les quelles dissolues en pluye toute la region estoit à plaisir arrousée. Inventoit art & moyen de suspendre & arrester la pluye en l’air, & sus mer la faire tomber. Inventoit art & moyen de aneantir la gresle, supprimer les vens, destourner la tempeste, en la manière usitée entre les Methanensiens de Trezenie.

Aultre infortune est advenu. Les pillars & briguans desroboient Grain & Pain par les champs. Il inventa l’art de bastir villes, forteresses, & chasteaulx pour le reserrer & en sceureté conserver. Est advenu que par les champs ne trouvant Pain entendit qu’il estoit dedans les villes, forteresses, & chasteaulx reserré, & plus curieusement par les habitans defendu & guardé, que ne feurent les pommes d’or des Hesperides par les dracons. Il inventa art & moyen de bastre & desmolir forteresses & chasteaulx par machines & tormens bellicques, beliers, balistes, catapultes, des quelles il nous monstra la figure, assez mal entendue des ingenieux Architectes disciples de Vitruve : comme nous a confessé Messere Philebert de l’Orme grand architecte du roy Megiste. Les quelles quand plus n’ont proficté obstant la maligne subtilité, & subtile malignité des fortificateurs, il avoit inventé recentement des Canons, Serpentines, Couleuvrines, Bombardes, Basilics, iectans boulletz de fer, de plomb, de bronze, pezans plus que grosses enclumes, moyenant une composition de pouldre horrificque, de laquelle Nature mesmes s’est esbahie, & s’est confessée vaincue par art : ayant en mespris l’usaige des Oxydraces, qui à force de fouldres, tonnoires, gresles, esclaires, tempestes vaincoient, & à mort soubdaine mettoient leurs ennemis en plain camp de bataille. Car plus est horrible, plus espoventable, plus diabolique, & plus de gens meurtrist, casse, rompt, & tue : plus estonne les sens des humains : plus de muraille demolist un coup de Basilic, que ne feroient cent coups de fouldre.