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Les Œuvres et les Hommes/Les Philosophes et les Écrivains religieux (1860)/Pascal

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Les Œuvres et les Hommes
Amyot, éditeur (1re partie : Les Philosophes et les Écrivains religieuxp. 179-191).


PASCAL[1]


Les Pensées de Pascal et l’Étude littéraire de M. Havet ne sont point une publication nouvelle. Elles datent de 1832. A cette époque, les travaux sur Pascal de MM. Cousin, Sainte-Beuve, Nisard, Vinet, etc., etc., avaient éclaté, et, sans prétendre les résumer, cette publication les étreignit tous, comme idées, en un bloc consistant et très-ferme, pour le compte d’une édition spéciale, faite avec soin sur les textes confrontés et le rétablissement du sens de Pascal, si longtemps obscurci et mutilé ! Quoique pleine de choses connues déjà, l’Étude de M. Havet ne fut pas cependant uniquement la concentration énergique et habile de ce qui avait été dit précédemment dans le courant de cette moitié de siècle. M. Havet se permit d’avoir aussi son opinion sur Pascal. Il se permit d’avoir de la pénétration souvent, — plus souvent de la solidité. J’oserai même dire que, dans l’état actuel de la pensée du dix-neuvième siècle sur Pascal, personne n’est encore allé plus avant que M. Havet dans ce clair-obscur étonnant, — plus étonnant que celui de Rembrandt, — qui s’appelle l’âme et le génie de Pascal. En vivant longtemps dans l’étude de ce grand esprit, M. Havet a fait amitié, je ne dirai pas avec ces ténèbres, — comme disait M. Augustin Thierry de sa cécité, — mais avec cette profondeur agitée, et s’il n’a pas toujours découvert ce qu’il nous y montre, il a parfois ajouté à ce qui déjà y avait été découvert. Qu’elles appartinssent donc à lui ou à d’autres, les opinions qui donnent la vie à son Étude sur Pascal, et qui n’ont été jusqu’ici dépassées par aucune vue nouvelle, méritaient l’attention d’une Critique, qui a bien le droit de se demander si ce sont là les derniers mots qu’on puisse dire sur Pascal, et s’il y aura même jamais un dernier mot à dire sur cet homme qui fait l’effet d’un infini, à lui seul !

Pascal, en effet, a été plus retrouvé, plus restauré, plus raconté que jugé de ce jugement définitif et suprême qui donne la raison suffisante d’un homme ; il a produit plus d’étonnement que d’admiration encore, et presque plus de frayeur que d’étonnement. Les critiques à classification et à catégories, les nomenclateurs qui croient aux familles d’esprits, ont été complètement déroutés par ce grand Singulier, sceptique et dévot, géomètre et poète, l’ordre et le désordre, qui se battent contre sa tête avec son cœur. Ils n’ont rien compris ou du moins ont compris peu de chose à ce Solitaire, plus solitaire que tous les solitaires de Port-Royal dont il faisait partie, car jamais la règle et la communauté de doctrine et de foi n’empêchèrent qu’il ne fût seul, éternellement seul, sur la montagne de son esprit. Hélas ! il y resta jusqu’à son dernier jour, tenté comme le Sauveur Jésus, aussi sur la montagne ; et son tentateur, à lui, fut son propre génie, affamé de ce que les sciences de la terre n’ont jamais donné : la certitude ! On l’a si peu compris, que les uns le traitèrent comme un philosophe aberrant, et lui firent la petite leçon philosophique ; les autres comme un chrétien trébuchant dans le jansénisme, et lui firent la petite leçon religieuse, quand il eût mieux valu montrer les causes si particulières et presque organiques de ce jansénisme de Pascal. En somme, tout cela fut assez pitoyable. Chacun, avec son petit lumignon, ne montrait, en tournant alentour, qu’un point isolé du Sphynx énorme qui, du fond de l’ombre, où il était aux trois quarts plongé, semblait défier tous ces porteurs de bobèche ! Nulle lumière, en effet, ne s’était coulée autour de lui pour l’embrasser dans la beauté entière de sa forme étrange, et ne le simplifiait, en nous l’éclairant dans son irréductible unité et malgré ces incohérences de surface, cet homme, cet être plutôt que cet homme, qui fut encore autre chose qu’un grand géomètre, un grand sceptique, un grand dévot ! Mais quoi ?… C’est ce qu’il fallait dire, et c’est là ce qu’on n’a point dit !

Eh bien ! pour notre compte et dans la mesure de nos forces, c’est ce que nous voulons essayer de dire aujourd’ hui. Nous ne voulons imiter personne, ni Voltaire, dont les remarques sur Pascal ne sont qu’un verre d’eau claire dans lequel il y a de petites raisons qui ressemblent à des animalcules ! ni M. Cousin, ce Cartésien constitutionnel pour qui 1828 dure toujours et qui, à propos de Pascal, bon Dieu ! établit le plus grotesque des rapports entre le scepticisme philosophique et l’opposition politique qui n’est pas constitutionnelle ; ni même M. Sainte-Beuve, meilleur à imiter cependant, car, du moins, celui-là est humain sous sa littérature et recherche les influences de la vie dans les révélations de la pensée ! Pour nous, là n’est point la question. Pour nous il s’agira bien moins ici des œuvres de Pascal et de sa valeur comparative ou absolue que de son entité, — que de ce qui le fait Pascal, — ce prodige ou ce monstre, comme on voudra, — mais, quel que soit le mot qu’on choisisse, la créature d’exception, jusqu’à lui inconnue, qui s’appelle Pascal, et même Blaise Pascal ! Blaise, un nom de niais, accolé par le hasard, le roi des insolents et des ironiques, à cet autre nom de Pascal que la gloire devait faire un jour tellement resplendir !


Ainsi nous prions instamment qu’on ne l’oublie pas. Nous n’avons point à prendre la hauteur intellectuelle de Pascal. Nous voulons seulement indiquer quelle fut sa vraie réalité, — qu’on nous passe le mot, quoiqu’il ait l’air d’un pléonasme. D’ailleurs, quand on regarde à la lettre même de ses œuvres, Pascal n’est pas si grand qu’on l’a cru pour une Critique qui n’est pas gâtée par cette admiration traditionnelle que lui, le plus fier de tous les génies, méprisait. Comme mathématicien, en effet, il fut pour les méthodes anciennes contre les méthodes nouvelles, dont il méconnut la portée, ce qui lui mérita peut-être que Voltaire le mît, comme géomètre, très-au-dessous de Condorcet. Comme écrivain, opérant sur une langue qu’il n’inventa pas, quoiqu’on l’ai dit, car nous avons un si effroyable besoin de flatter que nous finissons par flatter la gloire, il imita Montaigne, et l’imitateur ne fit pas oublier l’imité. Sans Montaigne et sans un sentiment dont nous allons parler tout à l’heure, Pascal n’aurait jamais été que l’écrivain des Provinciales, ce chef-d’œuvre qui ne serait pas si grand, si les Jésuites étaient moins grands et moins haïs, Les Provinciales, où le comique de cet immense Triste, qui veut plaisanter, consiste dans une ironie, répétée dix-huit fois en dix-huit lettres, et dans cet heureux emploi de la formule : mon révérend père, qui — puisqu’on parlait à un jésuite — n’était pas extrêmement difficile à trouver !

Mais, encore une fois, Pascal, l’immortel phénomène, n’est pas là. Avant de dire ce qu’est un homme, il faut bien dire ce qu’il n’est pas. Le Pascal profond n’est pas plus dans son initiative scientifique que dans l’originalité de sa langue littéraire. Ce n’est point là qu’il faut chercher la caractéristique, l’élément générateur de son génie. Ce qui distingue Pascal, ce n’est pas la force de sa raison, car souvent il voit faux ; ce n’est pas non plus la pureté de sa foi, car souvent elle est troublée. Un pas de plus du côté où il marche, c’ est dans l’hérésie qu’il tomberait ! Non ! ce qui le crée Pascal ; ce qui lui fait, par l’accent seul, une langue à lui à travers celle de Montaigne, dont il a les tours et dont il s’assimile les qualités ; ce qui lui donne une originalité incomparable entre tous les esprits originaux de toutes les littératures, et le fait aller si loin dans l’originalité que parfois il rase l’abîme de la folie et donne le vertige, c’est un sentiment, — un sentiment unique, un sentiment assez généralement méprisé par le superficiel orgueil des hommes, — et ce sentiment, c’est la peur !

Mais tout ce qui est intense est magnifique dans ce monde sans énergie ; et d’ailleurs, la peur, ce n’est pas la lâcheté ! « Quel est le lâche qui n’a jamais eu peur… ? » disait Ney, le brave des braves. La peur de Pascal était digne de son âme et de son esprit. Elle pouvait exister sans honte, car c’était la peur du seul être avec lequel on puisse bien n’être pas brave ; c’était la peur de Dieu ! Je n’ai point à examiner si cette peur, qui était pour l’âme immatérielle de Pascal ce que serait une hypertrophie pour nos cœurs de chair, était légitime ou exagérée, mauvaise ou salutaire ; si elle avait le droit philosophique ou religieux d’exister, ou si elle n’était pas plutôt un manque d’équilibre et un égarement dans des facultés toutes-puissantes. Je me contente de la constater, car elle me suffit pour expliquer le Pascal sans égal, le Pascal des Pensées. Cette sublimité qu’on rencontre en ces quelques pages inachevées, et qui n’ont aucun modèle, quant à l’inspiration qui les anime, cette sublimité qui n’existait plus depuis les effarements de quelques Prophètes, je la trouve en Pascal, dans la peur de Dieu et de sa justice, la plus grande peur de la plus grande chose qui pût exister dans la plus grande âme, l’âme de Pascal, que j’appelais plus haut : « A elle seule tout un infini ! »

Et il fallait qu’elle fût grande, en effet, cette âme, pour être plus forte que l’esprit dont elle était accompagnée : car, cet esprit, elle l’a vaincu, elle l’a emporté hors de la science et hors du monde, comme un lion emporte un enfant ! Là, dans le désert, le saint désert, comme disaient ces anachorètes, la terrible lionne l’a foulé aux pieds, déchiré, déchiqueté, et elle a répandu autour d’elle ses lambeaux saignants avec une fureur de mépris dont vous pouvez juger encore, car ces lambeaux, ce sont les Pensées de Pascal. Débris grandioses auxquels les articulations manquent : mais quel prodigieux organisme ne font-ils pas supposer ? L’ivresse de la terreur, d’une terreur sans bornes, a pu seule donner à l’âme d’un homme la force de briser un esprit pareil, car l’âme et l’esprit sont adéquats chez Pascal. C’est même la raison, par parenthèse, qui m’a toujours empêché de croire qu’eût-il vécu plus longtemps et n’eût-il pas eu dans le cœur le néant de tout, qui empêche de rien achever, Pascal eût pu élever à la religion le monument que l’on regrette, non que l’ordonnance d’un beau livre ne fût dans les puissances de ce grand esprit de déduction et de géométrie, mais la peur fait trembler la main et dérange les combinaisons de l’artiste, tandis que la terreur, tout le temps qu’elle ne vous glace pas, fait pousser le cri pathétique ; et le cri pathétique chez l’écrivain, c’est l’expression ! ce n’est plus l’art, c’est le génie !

Le génie donc, mais le génie de l’expression et du sentiment, voilà la supériorité nette (reina netta !) de Pascal ! Quelque pénétrant qu’il soit, il est plus pénétré, il est plus éloquent encore. Dans ce livre qui saigne, ce n’est pas la pensée qui domine, c’est le pathétique ! La pensée qui circule dans ces Pensées est bientôt dite, et c’est toujours la même pensée. « Rien de certain, rien qui se démontre, la philosophie radicalement impuissante, la raison, sotte, Dieu donc et Dieu, c’est-à-dire Jésus-Christ », tel est le fond : mais la forme et plus que la forme, — car, au point de vue extérieur, cette forme, c’est Montaigne, Montaigne, c’est l’écorce du style dé Pascal, — mais l’âme inouïe qui circule dans tout cela, qui passe à travers ce fond de si peu d’invention et cette forme de tant de mémoire, voilà le Pascal en propre, voilà l’originalité qu’on n’avait pas vue et qu’on ne reverra peut-être jamais ! Quoiqu’il y ait là de bien grandes images qui frappent le front, les yeux et l’esprit comme une main, ce qui est plus beau que l’image encore, l’image, d’un physique si puissant, c’est l’accent, l’intime accent. Jamais il n’en fut de plus tragique, de plus amer, de plus angoissé, de plus méprisant, quand, du pied de la Croix, cette grande âme qui souffre la passion de la raison humaine se retourne vers le monde, et aussi de plus humble, quand, du monde, au contraire, elle se retourne vers la Croix !

Telle est la beauté des Pensées. Ce n’est pas la partie des Pensées qui veut fonder, qui essaie de construire, qui raisonne enfin, qui est la plus sublime en Pascal, c’est la partie qui tremble, crie et doute, a horreur de douter, doute encore et s’épouvante de son doute vis-à-vis de la seule clarté qu’il y ait pour elle, l’épouvantante clarté de Dieu ! Effrayant génie que Pascal ! a dit Chateaubriand. Ah ! il eût dû dire effrayé ! car l’effroi qu’il ressent est encore plus terrible que celui qu’il cause. C’est l’épouvante jusqu’à la poésie de l’épouvante ! Oui, sous les lignes brisées de ce grand dessin géométrique qu’on aperçoit encore en ces Pensées, comme le plan interrompu d’une Pompéï quelconque après le tremblement de terre qui l’a engloutie, il y a une poésie, une poésie qu’on ne connaissait pas avant Pascal, dans son siècle réglé et tiré à quatre épingles ; la poésie du désespoir, de la foi par désespoir, de l’amour de Dieu par désespoir ! une poésie à faire pâlir celle de ce Byron qui viendra un siècle plus tard, et de ce Shakespeare qui est venu un siècle plus tôt ! Pascal, en effet, c’est le Hamlet du catholicisme, un Hamlet plus mâle et plus sombre que le beau damoysel de Shakespeare, mais c’est tout à la fois le poëme et le poëte ! C’est un Hamlet, mort à trente ans passés, qui n’eut pas d’Ophélie, qui cause aussi, et dans quelle langue, grand Dieu ! avec la tête de mort que les solitaires mettent auprès de leur crucifix, et qui, s’il se rejette, comme l’autre Hamlet, en arrière devant le trou de la tombe, c’est qu’au fond il voit l’enfer, que l’autre Hamlet n’y voyait. pas !

Ainsi, c’est un poëte, en définitive, que Pascal. C’est le poëte de la peur qui a écrit ce grand mot caractéristique de son âme : « Le silence des astres m’épouvante ! » C’est un poète qui a dévoré, dans sa flamme, le géomètre, le philosophe, et même le sceptique qui était en lui, et de cette cendre il a fait jaillir sa poésie ! Poésie naïve s’il en fut, celle-là, car elle ne se sait pas poésie, et quand elle le saurait, elle ne s’en soucierait pas ! Chose prodigieuse ! dans une doctrine qui touche par un seul point à celle de Calvin, mais qui y touche, Pascal a su être un grand poète. Or le calvinisme éteint tout, excepté l’enfer. C’est la seule orthodoxie qu’il ait gardée. Eh bien ! l’enfer a été la source de la formidable poésie de Pascal. C’est par le sentiment, même quand il est inexprimé, de cette poésie terrible, plus que par sa roulette, plus que par un pamphlet toujours populaire, plus que par tout ce qu’il a fait jamais, qu’il est resté le dominateur des esprits, et même de ceux qui lui sont rebelles : car on a répondu, bien ou mal, à toutes ses raisons, et, malgré l’accablante expression de son génie, l’intelligence humaine n’est pas vaincue, mais ses sentiments emportent tout, et ceux-là qu’il n’a pu convaincre de ce qu’il croit, il les a emportés par la beauté de ce qu’il écrit, et ils conviennent qu’ils sont emportés ! Qui sait, du reste ? peut-être n’y a-t-il pas d’autre manière de mettre les pieds sur ces deux révoltés tenaces, le cœur de l’homme et son esprit !


Et c’est aussi par là qu’il vivra toujours, le Pascal des Pensées. Rien n’est plus immortel qu’un poëte, que la grandeur de sentiment qui fait les poëtes et les héros, car les héros sont aussi des poëtes, les poëtes de l’action ! Les Sciences vieillissent : bonnes femmes qui radotent en nous parlant de leur éternelle jeunesse. Les Philosophies se succèdent. Je ne veux pas dire que Descartes ne soit plus, mais il est bien changé ; on en a fait un universitaire. Quel aplatissement ! S’il revenait au monde, il se trouverait un peu verdi dans la mirette de M. Cousin. Après Kant, d’ailleurs, après Schelling, après Hegel, il faut convenir que, même sans M. Cousin, l’homme du cogito serait un peu terni. Mais Pascal, lui, le Pascal des Pensées, n’a pas, comme on dit, pris un jour. Toute une armée de géomètres a passé pourtant sur le géomètre du dix-septième siècle et planté plus loin que la place où il était tombé l’étendard de la découverte ! Le jansénisme s’en est allé en fumée avec les autres poussières d’un siècle écroulé, et, jusqu’en ce beau livre des Pensées, il s’est trouvé de vastes places qui maintenant font trou dans le reste, comme dans un tableau écaillé. La foi religieuse a pâli. La croyance au surnaturel, qui était le seul naturel pour Pascal, a diminué dans les esprits, retournés vers l’en-bas des choses. Il y a donc tout un Pascal de mort dans Pascal. Mais il y en a un autre qui ne mourra pas, c’est le poëte des Pensées ! c’est le poëte, qui est par-dessous tous ces raisonnements, tous ces doutes, toute cette syllogistique désespérée, toute cette algèbre de feu qui cherche l’inconnue et ne la trouve jamais, et qui, comme un phénix effrayé, aveuglé par les cendres du bûcher où il s’est consumé lui-même, se sauve tout à coup dans le ciel !

Du reste, on l’a traité en poëte, allez ! Le dix-huitième siècle, qui avait bien ses raisons pour ne pas aimer la poésie, l’a assez insolemment toisé du bas de sa prose, de sa raison et de sa froideur ! Un Jésuite l’avait appelé athée, ce Pascal qui tue l’intelligence sous Dieu ; des philosophes l’appelèrent visionnaire. Ils en firent un malade et ils inventèrent même une petite légende d’abîme qu’il voyait incessamment ouvert à ses pieds, et cette légende, qui rapetissait Pascal, a eu crédit longtemps, et c’est un poëte, c’est M. Sainte-Beuve, qui, impatienté, l’a mise à la fin en pièces, l’autre jour !

Poltron qui avait peur du diable ! Voilà comme on traduisait cette terreur sainte du Dieu irrité et jaloux qui féconda Pascal et en fit un poëte incompréhensible aux pousseurs d’alexandrins de tragédie ! Voltaire, Voltaire, qui se croyait avec raison plus philosophe que poëte, eut les pitiés les plus impertinentes pour Pascal. Dans ces remarques dont j’ai parlé et dans lesquelles il fait tour à tour le joli cœur et le Tartuffe :

« Ne mettons point, dit-il d’un ton protecteur, de capuchon à Archimède. » « Êtes-vous fou, mon grand homme ? » lui dit-il encore en se déboutonnant, familier et maraud ! S’il l’était, c’était de cette folie dont il faut avoir trois quarts avec un seul quart de raison, pour être un homme de génie, disait M. Royer-Collard et cette folie-là, avec ses trois quarts de raison, Voltaire ne l’avait pas !

Devant la Postérité et cette partie de la Postérité qui aime les grands poëtes, Voltaire n’aura jamais l’honneur d’avoir été, en toute sa vie, une seule minute, fou comme Pascal !


  1. Les Pensées de Pascal, précédées d’une Étude littéraire, par M. Havet.