Les 73 Journées de la Commune/030
XXX.
Diantre ! je ne suis pas sans éprouver quelque inquiétude. Le nouveau décret de la Commune met sérieusement en danger les gens qui ont le malheur de ne pas vivre avec leurs concierges sur le pied de la plus amicale affection, ou qui ont eu des mots avec le commissionnaire du coin. Copions l’article 1er de ce farouche décret :
« Toute personne prévenue de complicité avec le gouvernement de Versailles sera immédiatement décrétée d’accusation et incarcérée. »
Peste ! nous n’y allons pas de main morte ! Il est clair que le premier scélérat venu — à qui, il y a sept ans, j’aurais refusé de prêter cent sous — peut aller rendre visite au citoyen Rigault et lui affirmer que j’ai des relations suivies avec le gouvernement de Versailles ; immé- diatement on m’incarcère. Car, remarquez-le bien, il n’est pas requis que la complicité avec « les traîtres » soit prouvée. Il suffit que l’on en soit prévenu pour aller contempler l’azur du ciel à travers les barreaux de la Conciergerie. D’ailleurs, que signifient ces mots : « complicité avec le gouvernement de Versailles ? » Tout dépend de la manière dont on voudra entendre les choses. Je ne suis pas bien sûr d’être innocent. Tel que vous me voyez, j’ai salué assez fréquemment un honnête garçon — je dis : honnête, parce que j’espère que ces notes ne tomberont pas sous les yeux du délégué à la préfecture de police — avec un honnête garçon qui, à l’heure où j’écris ceci, est bien capable, le gredin ! de dîner à l’Hôtel des Réservoirs, à Versailles, en compagnie d’un ou plusieurs membres de l’Assemblée nationale. Vous comprenez maintenant que je ne sois pas tranquille du tout ! connaître un homme qui connaît des députés, cela constitue — ou je suis indigne de vivre sous le gouvernement paternel de la Commune — une belle et bonne complicité avec les hommes de Versailles. Je crois que je n’agirais que prudemment en m’esquivant de Paris dans un sac à charbon, comme l’a fait hier un de mes amis, ou de toute autre façon folâtre. Et voilà ce que c’est que de saluer des gens compromis !