Les Académies de province au travail

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C.-M. Savarit
Les Académies de province au travail
Revue des Deux Mondes7e période, tome 13 (p. 209-213).
LES ACADÉMIES DE PROVINCE
AU TRAVAIL

À la suite de notre étude sur le réveil des Académies de province, on nous a dit : « Pourquoi ne faites-vous pas connaître à vos lecteurs les travaux de ces compagnies qui, répandues sur tout le sol français, expriment d’une manière durable l’un des aspects les plus vrais du visage de la Grande Nation ?… »

Nous reconnaissons volontiers que les provinces n’ont pas ces courtes passions, ces engouements presque sans objet qui voilent le visage réel de Paris et celui de la France. Elles ne reçoivent pas la visite des nombreux étrangers qui peuplent notre capitale et qui participent à sa vie apparente, elles ne connaissent pas l’excitation des myriades de « déracinés » qui accourent de tous les coins de notre sol vers l’éclat et l’aventure de la grande ville, la fièvre de millions d’hommes rassemblés sur quelques kilomètres carrés.

Mais ce cordial accueil de l’étranger, cette confiance dans la fraternité humaine, ce goût de l’aventure et du rassemblement, ce sont encore de vieilles qualités françaises inscrites à toutes les pages de notre histoire. Paris n’est en cela comme en toutes choses que la résultante de la France.

Comment la capitale amplifie-t-elle les qualités et les défauts de noire race jusqu’à les rendre parfois méconnaissables, au moins en apparence, c’est ce que l’examen des travaux des Académies et Sociétés savantes de nos provinces pourrait peut-être nous révéler. *

Mais ces travaux sont si nombreux, si constants, si consciencieux dans les centaines de compagnies où l’on travaille que nous ne pouvons songer un instant à en donner une analyse : au reste, beaucoup de ces travaux, et non des moindres, ont un intérêt purement local.

Ce que nous pouvons y découvrir, cependant, ce sont les grands courants de recherches ou d’opinions réfléchies, les vues d’avenir, qui, dans le calme et la fermeté de nos provinces, entraînent et guident notre Pays, peut-être plus sûrement et plus efficacement que beaucoup de délibérations parisiennes.

La province apparaît ainsi comme un grand crible de raison et de réflexion où sont jetés pêle-mêle tous les projets fiévreux de la capitale ; elle ne relient et ne donne force de vie qu’à ceux qui sont conformes aux instincts essentiels et aux intérêts profonds de la nation.


Si nous ouvrons les derniers mémoires d’une Académie comme celle de Dijon, qu’y trouvons-nous ? D’abord une remarquable étude de M. Joseph Billioud sur « Les États de Bourgogne aux XIVe et XVe siècles, » d’après les archives locales et régionales. Et cette étude, un véritable volume, ne sera pas seulement très précieuse pour l’histoire du duché de Bourgogne, mais pour l’histoire des « États généraux » dans la France entière. L’histoire locale ou régionale apparaît ainsi comme apportant une forte contribution à l’histoire générale de notre pays.

Il en est de même d’une étude du général R. Duplessis à la même Académie sur la « Fête de la Confédération des Gardes nationales de l’ancienne province de Bourgogne » ; du travail de l’abbé Uzureau, de la Société des Antiquaires de l’Ouest, sur « le Schisme de la Petite Église en 1804, » qui menaça, dans nos provinces de l’Ouest, l’application du Concordat ; d’une lecture de M. Adrien Marcel à l’Académie de Vaucluse, « Molière à Avignon ; » du discours de réception de M. Abel Monnot à l’Académie de Besançon, « Rousseau à Besançon ; » d’une étude du Dr Ledoux à la même Académie, « l’Avant-dernière maladie de Napoléon Ier ; » des travaux de M. Gauchery, aux Antiquaires du Centre, sur « la Maison de Jacques Cœur. » Nous pourrions citer dans le même sens les travaux des Académies de Bordeaux, de Rouen, de Toulouse, de Marseille et de presque toutes nos compagnies provinciales, qui, par un labeur sans arrêt, apportent les plus précieux matériaux à l’histoire générale de la France.

Nous n’avons pas besoin de dire qu’on retrouve la même unanimité dans l’élaboration de l’histoire archéologique de notre pays, dans l’établissement de sa protohistoire et de sa préhistoire, les matériaux de ces sciences étant présents dans les vieux monuments ou enfouis dans les ruines et sous le sol de toutes nos provinces.

Mais cette collaboration est peut-être plus précieuse encore pour le développement de l’histoire sociale de notre Patrie. Les travaux de nos compagnies provinciales, favorisés souvent par une bonne conservation des archives, abondent dans cet ordre d’idées. Voici, à l’Académie du Var, une excellente étude de M. Jacques Parés sur « les billets de confiance, — complément des assignats, — de la municipalité de Toulon, » et, du même auteur, des documents très curieux sur « l’aurore du journalisme à Toulon au XVIIIe siècle. »

La Société des Antiquaires de l’Ouest nous fournit deux travaux très consciencieux de M. C. Richard : « Une tentative de fabrication d’armes à Châtellerault en l’an II, » et de M. P. Raveau : « L’Agriculture et les classes paysannes dans le Haut-Poitou au XVIe siècle. » L’Académie de Besançon vient de couronner une remarquable étude de M. Courroye sur « la Société et les idées sociales en Franche-Comté, en 1789. » Enfin le baron Perrier, — de l’Académie de Marseille, — nous dit ce qu’était « Un amateur d’art d’autrefois. »


Nous ne pouvons analyser aujourd’hui les belles publications archéologiques, comme celles de M. E. Morel, à l’Académie de Lyon : « Famagouste » de Chypre, et « les monuments de Samarcande, » ni les poèmes, comme ceux de M. Émile Ripert que publie l’Académie de Marseille, ni les travaux de géographie, comme « un des résultats géographiques de la mission Tilho, » par M. Henry, à l’Académie de Montpellier, qui, comme celle de Bordeaux, reste, par ses nombreux travaux scientifiques, fidèle à ses origines-.

Nous ne pouvons que signaler le caractère particulier des études des Académies de nos provinces frontières, Lille, Metz, Nancy, Chambéry, Pau, etc., qui, en contact quotidien, avec les civilisations voisines, s’attachent plus particulièrement à nous en faire connaître les développements scientifiques, politiques ou sociaux. Ce sont de grandes fenêtres ouvertes sur la réalité extérieure, et qui sont singulièrement précieuses à une nation peut-être trop repliée sur elle-même.

Nous tenons surtout, en ce premier essai, à montrer l’esprit pratique, le dévouement à la prospérité nationale qui animent la plupart de nos compagnies provinciales. Voici d’abord, à l’Académie de Dijon, une belle étude du baron L. Thénard, petit-fils du célèbre chimiste sur « la Synthèse de l’ammoniaque. » Ce n’est pas seulement un excellent exposé des procédés Haber et Claude, mais encore une remarquable étude de vulgarisation sur le rôle de l’azote dans la production agricole d’un pays comme le nôtre, qui pourrait, par l’étendue et la fertilité de ses terres, être l’un des fournisseurs de blé de l’Europe occidentale.

Ce rôle prépondérant de la terre dans notre France, les compagnies de province, même quand elles n’ajoutent pas à leur titre celui de Société d’Agriculture, le sentent beaucoup mieux que nos assemblées parisiennes. Presque toutes se préoccupent du problème capital du retour à la terre. Nombre d’entre elles, comme celles de Limoges, de Tours, — sur un remarquable rapport de M. Auguste Chauvigné, — s’occupent activement des besoins agricoles et décernent des récompenses aux familles les plus attachées au sol natal.

À Tours, M. Vavasseur, président de la société, dit fort justement :

« Vous qui, si sagement, êtes fidèles au bon sol de France, faites effort pour inculquer autour de vous, à vos collaborateurs et à vos enfants, l’amour de notre si belle industrie ; montrez-leur que c’est encore aux champs, malgré les heures dures qu’on y traverse, qu’on trouve le plus de quiétude, le plus de santé robuste, de satisfaction morale et d’indépendance. Attachez-les à vos fermes, à vos maisons champêtres, en rendant vos habitations plus confortables, plus gaies. Dites-leur de se méfier des mirages dangereux des grandes villes. Faites ressortir qu’au travail des champs, on conserve toujours une belle et robuste santé et la sûreté des lendemains.

« Donnez à vos ouvriers, par le perfectionnement de votre outillage, toutes les facilités possibles de production et faites en sorte d’appliquer, dans vos exploitations, les méthodes les meilleures, afin d’intensifier votre production, tout en maintenant la qualité de vos produits.

« En réalisant ce programme, vous aurez bien mérité de votre petite patrie, notre jolie Touraine, et du pays tout entier. »


La ferme, le village ne seront attachants, comme le dit M. Vavasseur, qu’autant que les habitations y seront « plus confortables, plus .gaies. » Or notre Parlement, depuis une vingtaine d’années, à côté de tant de lamentables lois de circonstance, a voté tout un ensemble de mesures excellentes pour améliorer l’hygiène des villages, construire des maisons à bon marché, notamment pour les ouvriers et les familles nombreuses, créer des bains-douches communaux, des jardins ouvriers, améliorer les exploitations agricoles existantes, constituer et conserver le bien de famille (loi Ribot.) Toute cette législation repose sur de larges subventions de l’État, des départements et des communes et sur des prêts plus larges encore et à très faible intérêt.

Malheureusement, cette législation n’est pas encore assez connue. Et c’est avec grand plaisir qu’on voit certaines de nos Académies s’attacher à la faire mieux comprendre, à la faire entrer dans la pratique quotidienne de leurs régions par la simple exposition des magnifiques résultats obtenus.

C’est ainsi qu’à l’Académie de Dijon, M. Deslandres, doyen de la Faculté de droit, et l’un des premiers protagonistes de la maison à bon marché, vient d’exposer, sous le titre : « Le Crédit immobilier populaire de Dijon, » les heureux résultats de cette institution, qui, en quelques années seulement, a réalisé, sans aucune perte, 171 prêts s’élevant à la somme de 1 027 986 francs pour la construction ou la réparation de 155 maisons, l’agrandissement de 8 immeubles, l’achat de 6 terrains.

Bien faire connaître nos meilleures lois ou nos meilleures institutions privées, comme celle des nouvelles « Caisses de compensation familiales, » voilà une besogne d’autant plus importante que c’est sur ces lois ou institutions que repose l’avenir de notre pays.

La famille établie dans une maison saine, sur son bien même petit, avec les moyens d’élever sainement ses enfants, c’est la base même de la repopulation de notre France, problème vital qui préoccupe vivement nos Académies, comme celles de Lyon, de Grenoble, de Nancy, de Rouen, de Lille, « question des questions », comme il a été dit à l’Académie française, « unique problème, » comme disent tous les démographes, car avec les hommes plus nombreux, c’est la puissance de travail et d’invention, le nombre des usines, l’énergie de colonisation, le nombre des consommateurs et des contribuables, c’est-à-dire toutes les vraies sources de la prospérité, qui rentrent dans notre pays.

Cette première esquisse des travaux de nos Académies de province ne serait pas complète, si nous n’y signalions une excellente élude du Dr Jules Régnault, à l’Académie du Var, sur « l’Organisation de la vie nationale. » L’auteur y préconise, sur la base solide des institutions ou des sociétés déjà existantes, un régionalisme prudent, avec une coordination plus grande des connaissances, des moyens et des buts.

Dans le calme de nos provinces, qui permet de mieux réfléchir et de mieux prévoir, cette grande question de l’organisation nationale préoccupe plusieurs de nos Académies. Elles sentent plus ou moins distinctement que la paix ne sera gagnée que par plus de discipline sociale, c’est-à-dire plus d’obéissance aux éternelles lois du travail, de l’initiative, du savoir, de la collaboration et de l’ordre.


C.-M. Savarit.