Les Aliénés, les Asiles, Bicêtre/01

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LES
ALIÉNÉS A PARIS

I.
LA POSSESSION AUTREFOIS, — LA FOLIE AUJOURD’HUI.

Les études que nous avons consacrées à l’administration municipale de la Ville de Paris ont fait connaître les établissemens que l’assistance publique réserve aux malades, aux infirmes, aux enfans trouvés, aux vieillards indigens; poursuivant l’examen de cette organisation hospitalière, nous arrivons à une catégorie d’individus qui tiennent à la fois du malade et de l’infirme, auxquels on a dû affecter des maisons spéciales qui participent de l’hôpital et de l’asile, car on y peut rester temporairement ou toujours, selon que le mal est transitoire ou incurable : il s’agit des aliénés.

Il est nécessaire de bien connaître le mécanisme de la loi qui, tout en les protégeant, garantit la société, de visiter les magnifiques hospices récemment ouverts et expressément construits pour les aliénés, d’indiquer à quel traitement rationnel ces malheureux sont assujettis, et de tracer le rôle de la science aliéniste; mais, avant d’aborder les notions pratiques, il convient de revenir au point de départ de cette science, qui semble toute nouvelle, de voir le long obscurcissement dont elle a été enveloppée pendant tant d’années, de raconter comment elle en est sortie à la fin du siècle dernier, et d’expliquer brièvement quelles lamentables erreurs l’humanité a commises dans l’appréciation de cette maladie matérielle qui se manifeste par des désordres de l’intelligence, et qu’en langage vulgaire on nomme la folie. Nous n’en mesurerons que mieux les progrès que notre époque a réalisés dans le domaine de la charité et de la science expérimentale.


I.

Lorsque l’on étudie l’histoire de l’aliénation mentale, on reste surpris de voir que les prescriptions de douceur, adoptées universellement aujourd’hui, ont été formulées très nettement par les maîtres de la science médicale aux premiers temps de l’ère chrétienne. Arétée de Cappadoce recommande de n’user, pour maintenir les maniaques furieux, que de liens très flexibles et très souples, car « les moyens de répression employés brutalement, loin de calmer la surexcitation, ne font que l’exaspérer. » Galion le premier déclare que le trouble des facultés de l’entendement provient d’une lésion des organes de la pensée, qui sont situés dans le cerveau. Les formes de folie qui doivent plus tard envoyer tant de malheureux à la mort sont connues, et un Marcellus de Séide décrit en assez méchans vers les souffrances des malades qui, poussés par leur délire, courent la nuit dans les bois, s’assoient sur les tombeaux et hurlent comme des chiens en regardant la lune; pour le poète, ce sont des hommes atteints de lycanthropie; pour le moyen âge, ce sont des loups-garous, et le bûcher les attend. Il ne faut point croire pourtant que dans ces temps reculés la thérapeutique était irréprochable et conforme au sage esprit d’observation dont plus d’un médecin faisait preuve. Alexandre de Tralles recommande sérieusement de porter un morceau de peau arrachée au front d’un âne ou un clou enlevé à un vaisseau naufragé, et de boire du vin auquel on aura mêlé la cendre d’un manteau de gladiateur blessé. À cette époque (560), les potions deviennent des philtres, les remèdes sont des charmes; la magie, qui bientôt envahira tout, pénètre la science qu’elle va remplacer; elle s’établira si victorieusement, aidée par l’amour naturel de l’homme pour le merveilleux, que du temps de Montaigne elle durera encore[1].

Paul d’Égine, cent ans plus tard, semble échapper aux ténèbres envahissantes et se guider encore par la lueur du raisonnement. Parlant des frénétiques, il reprend les idées d’Arétée et demande que les liens rendus nécessaires par la violence désordonnée de leurs mouvemens instinctifs soient disposés de manière à ne jamais leur causer la moindre irritation. Il attache à cela une grande importance, il insiste, il se répète. « On doit toujours employer avec eux la douceur et jamais la force; autant que possible, il faut dissimuler, masquer la saveur désagréable des médicamens qu’on leur fait avaler. » C’est la dernière trace d’intelligence, d’observation, d’esprit pratique que l’on rencontre; on dirait que les médecins vont partager la folie des maniaques. Non-seulement l’aliéné ne sera pas un malade, il ne sera même plus un homme, ce sera une sorte d’animal farouche et redouté, moitié bête et moitié démon ; dans l’horreur qu’il inspire, on le dira possédé de Satan et on le jettera au feu. Lorsque le progrès des mœurs aura fait comprendre l’inanité de ces rêveries cruelles, on se contentera de l’enchaîner comme un fauve dangereux, et il faudra que l’humanité attende onze siècles avant que Philippe Pinel, — le grand Pinel, — vienne affirmer avec audace contre tous, par une expérience publique, la sagesse des principes posés par Paul d’Égine et par Arétée de Cappadoce.

Le moyen âge fut une époque d’effondrement : tout disparaît dans le gouffre sans fond de la scolastique et de la démonologie; la médecine n’est plus qu’une série de pratiques superstitieuses; telle plante est bienfaisante, si elle est cueillie à la lune nouvelle, et sera mortelle, si elle est cueillie à son déclin. C’est le règne de la sorcière; la vieille Hécate, dont le culte dans certaines contrées durera jusqu’aux premiers jours de la renaissance, gouvernera le monde. La science, l’art, la littérature, ont sombré dans ce grand naufrage; il n’y a plus que guerres, batailles, pestes et famines; on doute d’un Dieu que l’on invoque en vain, et l’on se donne à Satan. La croyance au diable était générale; le monde était un enfer. Or la science dit et l’expérience prouve que les idées ambiantes sont saisies par les aliénés avec une rapidité extraordinaire et un ensemble en quelque sorte épidémique. Nous l’avons vu de nos jours : selon que la France est gouvernée par un roi, un empereur, un président, les malades atteints de la monomanie des grandeurs affirment qu’ils sont le président, l’empereur ou le roi; lors de la loterie du lingot d’or, nos asiles étaient pleins de pauvres gens qui croyaient l’avoir gagné; à l’heure qu’il est, de fort honnêtes femmes fatiguent les médecins de la Salpêtrière, de Sainte-Anne, de Vaucluse, de Ville-Évrard, en leur jurant qu’elles sont des pétroleuses, et des hommes d’un patriotisme irréprochable racontent en pleurant qu’ils ont guidé les Prussiens sur les hauteurs de Sedan. Il n’y a donc rien que de naturel dans cette possession diabolique qui étreignit le moyen âge et dura si longtemps, jusqu’en plein XVIIIe siècle (procès de la Cadière, 1731). Les populations, énervées par les avanies incessantes des gens de guerre, réduites par les privations de toute sorte à un état d’effroyable anémie dont on peut voir la preuve et suivre la trace sur les maigres statues accrochées au flanc de nos cathédrales, ne regrettant rien du passé et n’espérant rien de l’avenir, n’étaient que trop disposées aux maladies mentales, et, ne comprenant rien aux troubles étranges dont elles étaient la proie, elles ne pouvaient expliquer cet état morbide qu’en l’attribuant à l’intervention du diable. Celui-ci avait bon dos, et pendant près de cinq cents ans il porta le poids de la folie et des exorcismes.

Tout y prêtait d’ailleurs, on voyait des démons partout : ubique dœmon. Les adeptes d’une secte religieuse crachaient, toussaient, se mouchaient sans cesse pour rejeter les diables qu’ils avaient avalés. La tradition est restée dans les habitudes populaires; on dit : Dieu vous bénisse! à ceux qui éternuent; c’est un démon qui s’évade. Nul n’échappait à ces croyances : un prieur se faisait garder jour et nuit par 200 hommes d’armes qui frappaient l’air de leurs épées, afin de couper en deux les démons qui oseraient s’approcher de lui; c’étaient de purs esprits cependant : qu’importe? on espérait les effrayer, peut-être les anéantir. Encore quelque temps, et l’on ira plus loin dans l’absurde; on les citera à comparaître en personne devant les tribunaux ecclésiastiques ou à donner pouvoir. Singulière et douloureuse époque! les possédés et les exorcistes étaient aussi fous les uns que les autres, car ils étaient tous de bonne foi.

Les idées philosophiques ou plutôt religieuses qui dominaient alors aidaient encore à ces conceptions délirantes et leur donnaient un point d’appui. L’homme était double : d’un côté la chair, matière terrestre, apte aux péchés qui s’y acharnent, destinée aux vers qui l’attendent à l’heure de son inéluctable dissolution, de l’autre l’âme, émanation directe de la Divinité, pur esprit qui ne doit que traverser cette vallée de misères pour aspirer, pour atteindre aux ineffables splendeurs des régions célestes. Les livres saints n’ont-ils pas dit : « La poudre retourne à la poudre, l’esprit remonte à Dieu, qui l’a créé? » Le corps n’est que l’habitacle de l’âme, temple ou caverne, selon que l’éternelle invisible se garde à Dieu ou se donne au démon. C’est donc sur l’esprit seul qu’il faut agir lorsque l’esprit est malade, puisqu’il est régi par des lois spéciales, qu’il a une destinée particulière et qu’il n’a de commun avec la matière qu’une juxtaposition momentanée. C’était s’éloigner singulièrement du galiénisme et de cette doctrine, si sage pour un médecin, de soigner à la fois l’âme et le corps. On poursuivait, il faut le reconnaître, un idéal de pureté qui ne manque pas de grandeur; à force de vouloir élever, sublimer l’esprit, on en arriva non-seulement à mépriser, mais à briser la matière; voyant en elle toutes les causes de révoltes qui poussaient au mal, on voulait l’anéantir à force de jeûnes, de macérations, de privations de toute sorte. Il se produisit alors un fait pathologique qu’on n’avait pu prévoir et qu’on ne sut reconnaître : la matière surmenée, émaciée, amoindrie, perdit son équilibre et rendit l’esprit malade. Cette théorie de la séparation de l’homme en deux parties non-seulement distinctes, mais adverses, eut un résultat bien plus grave : elle pénétra la science, qui la reçut toute faite comme une tradition respectée, et elle pesa sur la thérapeutique, qu’elle neutralisa pendant des siècles; quand Broussais la combattit vers 1828, on cria au blasphème, et on l’accusa de « saper les bases » de toute société civilisée. Non, les facultés de l’esprit ne sont point indépendantes, elles sont soumises aux affections de la matière, à laquelle elles sont liées. Les travaux de Claude Bernard ne peuvent aujourd’hui laisser aucun doute à cet égard; il suffit de prendre une forte dose de sulfate de quinine pour perdre momentanément la mémoire, et d’avaler du haschich pour devenir absolument fou pendant un temps plus ou moins long. Qui donc oserait soutenir aujourd’hui que le parfum d’une fleur peut être malade sans que la fleur soit malade elle-même? Rien dans cette vérité scientifique, appuyée sur une série d’observations éclatantes, ne peut blesser le spiritualisme le plus rigoureux, ni infirmer les destinées de notre âme immortelle.

Toute altération de l’esprit est consécutive d’une altération de la matière, c’est là un principe absolu dont il ne faut jamais dévier lorsqu’on veut apprécier sainement les maladies mentales, et c’est pour n’avoir pas connu ce principe que les temps antérieurs au XIXe siècle ont fait fausse route et ont été entraînés à des cruautés sans pareilles. Il n’était point prudent, en ces jours d’ignorance, d’essayer de combattre la folie, et l’on y courait risque de la vie. Deux Gascons entreprenans, ermites de Saint-Augustin et cherchant fortune, avaient promis de guérir ce qu’on appelait « l’occupation » de Charles VI ; ils lui firent boire des philtres où l’on avait mêlé des perles fines réduites en poudre; sur ce malheureux atteint de délire mélancolique entrecoupé de stupeur et d’accès furieux, ils prononcèrent des paroles magiques qui demeuraient inutiles, car elles étaient neutralisées, disaient-ils, par les sortilèges et les incantations du barbier royal. Cette comédie dura quelque temps, et finit mal pour les deux principaux acteurs; ils furent dégradés en place de Grève par l’évêque de Paris, promenés par les rues, décapités, coupés en morceaux, et les lambeaux de leurs corps furent accrochés aux portes de la ville (1399). Il n’y a pas que le pauvre roi de France qui soit fou ; l’heure approche où cette étrange épidémie nerveuse, la danse macabre, passion furieuse qui fait danser frénétiquement, va entraîner le monde surmené ; pour les Allemands, c’est la danse de Saint-Wit ; pour nous, c’est la danse de Saint-Guy ; pour les Hollandais, c’est la danse de Saint-Jean ; pour les Italiens de la Pouille et des Calabres, du XIVe au XVIIIe siècle, c’est le tarentisme, la danse de la tarentule ; pour jumpers du Monmouthshire, ce sera vers 1785 un hommage rendu à Dieu en souvenir de David, qui dansa devant l’arche ; pour les médecins, c’est tout simplement la choréomanie, affection nerveuse bizarre, facilement contagieuse par sympathie, et qui très souvent s’allie à la manie religieuse. Les voyageurs qui de nos jours encore ont assisté aux exercices des derviches hurleurs et des derviches tourneurs dans quelque grande ville de l’Orient, ou pendant l’une des fêtes de l’islamisme, n’en douteront pas. Au XVe siècle, la folie a eu sur les destinées de notre pays une influence extraordinaire ; elle nous perdit et nous sauva. Le délire de Charles VI conduisit au traité de Troyes qui livrait la France à l’Angleterre ; les hallucinations de Jeanne d’Arc rejetèrent hors du territoire l’élément étranger qui s’y était implanté.

À ce moment, nul savant ne s’occupe-t-il de l’aliénation mentale et n’indique-t-il une méthode pour la combattre ? Celui qui en parle aurait mieux fait de se taire. Jacob Sylvius recommande de frapper les fous, et de ne leur adresser que des paroles de violence. Pour reconnaître la phrénésie, qui est un « érysipèle intérieur du cerveau, » il indique un procédé fort simple : appliquer sur la tête de la craie délayée dans de l’eau ; là où la pâte séchera là est le siège du mal. Ce n’est pas par de tels moyens qu’on pouvait remédier à ces affections mentales, qui se répandent avec le caractère d’épidémie et envahissent des pays entiers. — Vers 1435, on découvre tout à coup que les habitans du pays de Vaud adorent le diable, lui jurent obéissance et se nourrissent de nouveau-nés non encore baptisés. La torture aida singulièrement aux aveux de ces démonolâtres, et les bûchers flambèrent si bien que la contrée devint déserte. Dans les dépositions citées par Nider dans son Mallens maleficorum, on voit apparaître pour la première fois cette fameuse graisse des sorcières qui plus tard aura tant d’importance dans les procès pour cause de magie, onguent diabolique dont il suffit de se frotter le soir pour être initié à tous les mystères des royaumes inférieurs et pour assister aux fêtes du sabbat. Il est certain que la médecine des « bonnes femmes n’était fort en vogue à cette époque, que les plantes abortives étaient connues, et qu’on n’ignorait pas que certaines solanées troublent l’imagination jusqu’à donner le délire et à produire la folie artificielle. Ce que tout le monde sait aujourd’hui était alors un secret qu’on se transmettait en tremblant à l’oreille; le datura stramonium, la belladone, la mandragore, plantes vénéneuses, mortelles à haute dose, consolantes à dosage modéré, stupéfiantes ou excitantes selon le tempérament particulier de celui qui en fait usage, ont dû être employés pour amener l’esprit à des hallucinations dont le souvenir gardait tous les caractères de la réalité.

Ce fut un prêtre, docteur en Sorbonne, nommé Édelin, qui le premier osa publiquement prêcher en Poitou, 1453, que toutes les saturnales diaboliques pour lesquelles on envoyait tant de gens au bûcher et à la potence n’étaient que des rêveries maladives, fruits du sommeil ou d’un cerveau dérangé, et qu’il était cruel de faire périr ces innocens, dont le seul crime consistait à être dupes de leur imagination mal réglée. Plus tard, en 1520, l’exorciste Grillandus, inquisiteur à Arezzo, ne craindra pas non plus de déclarer que la plupart des sabbats sont imaginaires, que des personnes faibles, nerveuses, sujettes à agir la nuit pendant leur sommeil, croient y assister quoiqu’elles n’y aient jamais mis le pied. Édelin, qui voulut ramener la justice de son temps à quelque humanité pour les malheureux, parut avoir plaidé sa propre cause. Appelé à s’expliquer sur sa théorie, qui alors était considérée comme attentatoire à tout état social, il fut frappé d’aliénation mentale, avoua qu’un bélier noir qu’il possédait n’était autre que Satan. Il ne fut point brûlé : son supplice fut plus long et ne se termina qu’avec sa vie; on le condamna à un in pace perpétuel, à être emmuré, comme on disait alors. Par suite de la maladie dont il fut atteint, Édelin passa pour avoir été l’avocat du diable. Monstrelet raconte en détail l’épidémie de démonolâtrie qui en 1459 s’empara d’une notable partie des habitans d’Arras, surtout des femmes, et qui se termina, comme toujours, par des auto-da-fé. Le chroniqueur semble ne pas trop croire à toutes ces rondes sataniques et à l’intervention directe du diable, car il dit le mot tout net, le vrai mot que nous dirions aujourd’hui : « pour cette folie furent prins plusieurs notables gens de la dicte ville d’Arras et aussi aultres moindres gens, femmes folieuses et aultres. »

Au XVIe siècle, on brûle littéralement partout, et l’on n’épargne même pas les malheureux qui sont reconnus pour être des fous avérés. L’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la France, sont la proie du démon, nul n’échappe à ses tentations : dans le château de Wartbourg, le diable apparaît à Luther et lui révèle le mystère sacrilège des messes privées; Pic de La Mirandole est témoin des visions de Savonarole, et Mélanchthon interroge des spectres qui lui répondent. Hélas! un des plus grands hommes que l’humanité ait produits, un homme qui fut aux temps modernes ce qu’Hippocrate fut aux temps anciens, Ambroise Paré, ne trouve pas dans sa haute raison, dans son expérience, assez de force pour résister à la contagion de ces idées fausses; lui aussi il croit à la possession, aux pactes, aux sorts par lesquels les associés du diable peuvent porter préjudice à la santé et à l’entendement des gens qu’ils poursuivent de leurs maléfices ; il énumère « les cacodémons, les coquemares, les gobelins, les incubes, les succubes, les lutins; » il dit que souvent « on les voit transmuer en boucs, asnes, chiens, loups, corbeaux, chat-huans et crapaux. » — « Ceux qui sont possédés des démons parlent divers langages incognus, font trembler la terre, esclairer, tonner,... soulèvent en l’air un chasteau et le remettent en place, fascinent les yeux. » Si Ambroise Paré en était là, que penser des autres? Tous les démonolâtres qui aujourd’hui vivent en si grand nombre dans nos asiles d’aliénés, tous les théomanes, les mélancoliques avec hallucinations, examinés par lui, eussent été reconnus possédés, sorciers, inspirés par Satan, et eussent grossi le nombre de tant de pauvres malades victimes des préjugés de l’époque.

Il y a cependant au milieu de ces rêveries une observation bonne à recueillir et dont la science a pu tirer parti : le diable prend volontiers différentes formes d’animaux. Les hallucinations de cette nature ne sont pas rares chez les aliénés, surtout chez les alcooliques : ils voient souvent des serpens ramper vers eux, et ils éprouvent alors des angoisses qu’il est difficile de calmer; pour peu que le malade soit enclin à la théomanie, ce qui est fréquent, pour peu qu’il croie au diable, ce n’est plus l’immonde reptile qui s’avance, c’est le souple tentateur, celui qui s’enroula autour de l’arbre de la science, qui offrit la pomme fatale; c’est le génie même de la révolte et de la perdition, celui à qui rien n’a résisté, l’ennemi de Dieu, le plus fort, l’invincible auquel il faut obéir au prix de la damnation éternelle. Chaque jour dans nos asiles, dans nos maisons de santé, les médecins sont témoins de phénomènes semblables, et j’ai vu plus d’une mélancolique agitée, ne pouvant expliquer les deux volontés adverses qui se heurtaient en elle, s’écrier qu’elle était la proie du démon et demander un prêtre, afin d’être exorcisée. Pour les convaincre à jamais de la réalité de leurs fausses sensations, pour généraliser leur délire partiel, pour rendre celui-ci incurable, il suffirait de les environner d’un appareil religieux imposant, spécialement préparé pour elles, car chez ces pauvres malades, battues par des tempêtes nerveuses dont on ne soupçonne pas la violence, on évoque les démons lorsque l’on tente de les chasser. Si l’on faisait faire un seul exorcisme dans la cour des agitées de Sainte-Anne ou de la Salpêtrière, toutes les folles qui en auraient été témoins seraient possédées le lendemain. Des divers genres de folie, la démonomanie est celui qui se provoque et se propage le plus facilement par l’exemple.

Fernel est un savant de premier ordre, ses livres de médecine sont ingénieux, son calcul déterminant la grandeur de la terre le fait immortel ; Bodin fat un grand jurisconsulte : ni l’un ni l’autre ne sont plus sages qu’Ambroise Paré. Dans les hallucinés de sorcellerie, loin de reconnaître des malades, ils ne voient que des coupables indignes d’indulgence et qui tous, sans distinction, méritent le dernier supplice. Ces hommes si sagaces, si instruits, semblent ignorer que dès le XIIIe siècle Bacon a formulé le principe de la méthode expérimentale en disant : non fingendum, non excogitandum, sed inveniendum quid natura faciat, aut ferat. Bodin est convaincu jusqu’à la fureur; son livre de la Démonomanie des sorciers est l’œuvre d’un exaspéré. Après des autorités si imposantes, nul n’est plus à citer; on dirait que toute vérité a été close, emmurée aussi dans l’in pace où mourut Édelin. Il ne faut donc pas s’étonner si, dans la petite Lorraine, un juge se vante d’avoir brûlé 800 sorcières en seize ans, et si, dans la seule ville de Genève, on en brûla 500 en trois mois. Il y a un mot cruel à dire, mais qui n’est que trop juste : c’était la mode.

Ce fut de Westphalie que vint la première lueur, du petit pays de Clèves. Un médecin nommé Wier[2] prit toutes ces superstitions corps à corps, et fut en réalité l’ancêtre fondateur de la pathologie mentale. Il savait sur quel terrain il marchait et à quelle forte partie il pouvait avoir affaire; aussi, procédant avec une extrême prudence, il débute par faire la part belle aux opinions du temps. Il divise les démons en catégories distinctes, définies, suppute leur nombre et l’évalue à plusieurs millions. S’étant mis à l’abri par l’orthodoxie de cette démonstration scientifique, il entre en matière et déclare que, puisque le diable est coupable, c’est lui qu’il faut punir. Quant aux sorcières, aux possédés, ce sont des malades, il vaut mieux les guérir que les brûler. Il a vécu avec les fous, ceci n’est point douteux, il les a étudiés attentivement, et la plupart de ses observations sont tellement précises que la science actuelle n’aurait rien à y reprendre. On accuse le diable d’introduire magiquement dans l’estomac de ses adeptes des fragmens de fer, des os, des cailloux, — il prouve que les aliénés ont parfois une invincible tendance à avaler tout ce qu’ils rencontrent, surtout les corps brillans, — il affirme que les loups-garous se mentent à eux-mêmes lorsqu’ils prétendent se changer en fauves pour courir la nuit, — il soutient que les stryges, ces sorcières mangeuses d’enfans, s’abusent lorsqu’elles racontent leurs horribles repas. La preuve qu’il donne est si simple qu’elle eût dû frapper tous les esprits qui n’étaient point systématiquement prévenus : les morts qu’on dit avoir été déterrés sont dans leurs tombeaux, on peut le vérifier ; les enfans qu’on dit avoir été dévorés sont vivans, les voilà; on n’a qu’à prendre une sorcière, l’attacher sur un lit, la faire garder à vue; si elle s’endort, elle n’en soutiendra pas moins qu’elle a été au sabbat, et cependant son corps n’aura point quitté le matelas sur lequel il est fixé. Wier dit courageusement le nom de la maladie nerveuse et mentale dont ces malheureux souffrent tellement qu’ils essaient très fréquemment d’y échapper par le suicide, c’est l’hystéro-démonopathie. Que répondit-on à cette démonstration péremptoire? Que Satan est le malin, que les morts paraissent être dans leurs tombeaux, que les enfans dévorés paraissent vivans, que la sorcière paraît présente sur le lit où elle a été garrottée; mais que ce ne sont là que des apparences suscitées par le diable, propres à tromper les yeux des ignorans, à raffermir l’impiété des incrédules, et qu’en réalité les morts ont été déterrés, les enfans mangés, et que la sorcière a été au sabbat.

Cependant un peu de clarté se fait : la science va se débarrasser peu à peu de la gangue où elle est enfermée depuis si longtemps. C’est l’heure des grandes entreprises; l’imprimerie multiplie la pensée, le Nouveau-Monde vient de se révéler, la réforme essaie d’épurer une religion qui retombe au paganisme, Galilée sent la terre se mouvoir sous ses pieds, et Keppler ouvre le ciel. On peut croire que le diable va enfin rentrer aux abîmes, que la loi du Dieu de douceur et de pardon va régner, que la maladie ne sera plus traitée comme le crime ; vaine espérance ! Les femmes de la famille Médicis ont envahi la France, suivies d’une armée d’astrologues, de nécromanciens, de médecins, disciples de Locuste, de diseurs de bonne aventure et de chercheurs de l’élixir de longue vie. C’est le temps des maléfices, des sortilèges, des envoûtemens. Quelque déconsidérées qu’elles fussent par les esprits sérieux de l’époque, ces sottises n’étaient point disposées à mourir; avant de disparaître, elles allaient bouleverser la France et se donner en spectacle comme des farces de tréteaux qui auraient un dénoûment sinistre.

Le grand siècle, le siècle de Richelieu[3] et de Louis XIV, est sous ce rapport aussi insensé que les précédens jusqu’au jour où Colbert, outré de dégoût par tant de niaiseries impitoyables, défend d’évoquer les affaires de sorcellerie. Trois histoires de possession, dont le souvenir est resté dans toutes les mémoires, occupent les premières années du XVIIe siècle, celle de la terre de Labourd en 1609, celle des ursulines d’Aix en 1611, celle des ursulines de Loudun , de 1632 à 1639; les noms de Gauffridi et d’Urbain Grandier ont été popularisés par le théâtre et par le roman; ce furent de véritables épidémies hystériques[4] qui saisirent des femmes vivant en groupe ou près les unes des autres, qui les entraînèrent à de fausses sensations, à des hallucinations de l’ouïe, du toucher et de la vue, qui les agitèrent de transports nerveux excessifs et qu’exaspérèrent jusqu’à la fureur les cérémonies violentes, les objurgations, les pompes religieuses, l’affluence des curieux, l’importance subitement acquise par les malades et la frénésie des exorcistes. Que dans ces tristes procès, qu’il est inutile de raconter, la jalousie du cloître contre l’église, des ordres anciens contre les ordres nouveaux, ait joué quelque rôle, que des prêtres peu scrupuleux aient abusé de l’état morbide de ces malheureuses, comme on le vit clairement un siècle plus tard dans le lamentable procès de la Cadière, on n’en peut guère douter; mais le fait acquis, réel, scientifique n’en subsiste pas moins : on était en présence d’une affection névropathique se communiquant par sympathie. Ces femmes que l’on accusait d’être des possédées ou des fourbes n’étaient ni fourbes ni possédées, elles étaient malades. Elles brisaient tout, elles déployaient une force, une adresse surhumaines, qu’on ne savait attribuer qu’à l’intervention du malin; elles passaient des heures à regarder le soleil sans baisser les yeux ; elles aboyaient comme des chiennes. On ignorait que, dans leurs crises, les névropathiques sont doués d’une agilité et d’une vigueur dont rien ne peut donner idée. Les agitées de Sainte-Anne, prises dans le gilet de force et mises dans les loges de sûreté, coupent avec leurs dents les treillages en fil de fer qui garnissent les fenêtres ; à Bicêtre, il y a peu de temps, un aliéné se débarrasse de sa camisole et démolit sa cellule, qui est en pierres de taille. Actuellement deux pensionnaires de Bicêtre restent des heures entières les yeux fixés sur le soleil, sans que le plus léger tressaillement de la face puisse faire soupçonner qu’ils sont impressionnés par ce flot de lumière ardente ; leur pupille est tellement rétrécie qu’elle est presque invisible, elle ressemble à celle des mangeurs d’opium. Quant à la manie aboyante, c’est un mal fort connu : on l’appelait jadis la maladie de Laïra ; le fils du grand Condé aboyait si fort que l’on s’imaginait qu’il se croyait changé en chien. C’est une simple affection nerveuse qui n’implique nullement une altération des facultés de l’esprit ou de la volonté ; une femme peut rester femme du monde, être fort entendue à ses affaires, et aboyer du matin au soir. Du reste, l’hystérie est la maladie protée par excellence, elle prend toutes les formes, on dirait qu’elle fait effort pour se déguiser afin de n’être pas reconnue. Aussi, chez les pauvres filles du Labourd et de Loudun, elle varie incessamment ses aspects, et, toutes les fois qu’elle revêt une apparence nouvelle, c’est un nouveau diable que l’on découvre ; quand on a nommé Belzébuth, Belphégor, Astaroth, Léviathan et cent autres, quand on a épuisé tout le vocabulaire de la démonologie, on découvre encore des démons jusqu’alors inconnus ; à Loudun, c’est Alumette d’impureté ; à Aix, c’est Verrine qui obéit à Gauffridi, prince des magiciens. Verrine n’était point seul, car Michaelis, un des exorcistes employés dans cette affaire, déclare avoir chassé six mille cinq cents démons et plus du corps d’une des possédées.

Il est un fait connu aujourd’hui et scientifiquement démontré, que les démonophobes avaient remarqué et qu’ils ont exploité au profit de leur croyance. Dans tous les procès, on voit que le premier soin des exorcistes est de rechercher minutieusement sur le corps des possédées et des sorciers ce que l’on appelait alors la marque du diable. On pensait qu’en prenant possession au sabbat de la créature qui se donnait à lui Satan la touchait, et que l’endroit où le doigt crochu avait posé restait insensible à toujours. On bandait les yeux de l’accusé, on le mettait nu, et à l’aide d’une longue aiguille enfoncée dans les chairs on cherchait la place maudite qui le faisait à la fois esclave et maître du démon. Cette place, il faut le dire, on la trouvait très souvent, surtout chez les femmes. Dans cette affection à laquelle je laisserai son mauvais nom gênérique d’hystérie, l’insensibilité complète d’un membre, d’une partie du corps, de toute la surface cutanée n’est pas rare ; c’est ce que l’on nomme l’analgésie. Le plus souvent l’analgésie n’atteint qu’un point étroitement circonscrit qu’on a parfois quelque peine à découvrir, et le peu d’étendue de ce point en fait bien la marque du doigt satanique.

Les mélancoliques et les lypémaniaques qui se mordent, se déchirent, se frappent, s’arrachent les cheveux, ne ressentent aucune douleur ; elles sont en cela semblables aux chiens enragés, qui peuvent mordre une barre de fer rouge sans donner le plus léger signe de souffrance; j’ai moi-même enfoncé de fortes épingles dans le bras des malades sans réussir à éveiller leur attention[5]. Il n’y a pas de jour où des faits analogues ne se produisent dans les asiles d’aliénés. Le sceau du diable, qui faisait triompher les exorcistes, qui leur faisait dire : Satan est là, était une preuve de plus, une preuve irrécusable que tous ces pauvres êtres, si cruellement torturés au nom d’une foi qui se trompait à force de vouloir rester orthodoxe, auraient dû être mis à l’hôpital, couchés dans de bons lits, baignés souvent, saturés d’opium et distraits de leurs pensées morbides par tous les moyens possibles.

On pourra s’étonner de ces épidémies mentales qui sévissaient jadis, et dont maintenant on croit qu’il ne reste plus trace[6]. Toute maladie non soignée ou surexcitée par les moyens que l’on emploie à la combattre tend toujours à se répandre et à se généraliser. Si aujourd’hui la ville de Paris lâchait les sept mille aliénés qu’elle traite et nourrit dans ses asiles spéciaux, il est fort probable qu’on croirait à la folie contagieuse. N’oublions pas trop ce qui vient de se passer : qu’est-ce donc que le dernier épisode de la commune si ce n’est un accès de pyromanie épidémique et furieuse? A l’époque dont je parle, la vie de couvent, la monotonie enfantine des exercices imposés, la claustration, furent pour beaucoup dans cette sorte d’énervation maladive et troublante qui devint si générale qu’elle porte un nom dans l’histoire, la possession des nonnains. Depuis longtemps on avait signalé l’acedia, la maladie des cloîtres qui trouble l’esprit et pousse au suicide. Les ursulines d’Aix, celles de Loudun, d’autres congrégations de femmes dans la Picardie et les Flandres, en furent atteintes, mais bien plus encore les religieuses de Saint-Louis de Louviers (1642), auxquelles toute l’affaire d’Urbain Grandier avait été racontée par le grand pénitencier d’Evreux, qui l’avait suivie aux côtés de Laubardemont. La principale héroïne de cette lugubre histoire s’appelait Madeleine Bavent ; il faut lire sa confession[7].

Jamais cas pathologique ne fut mieux déterminé; c’est la mélancolie accompagnée d’hallucinations, d’illusions du sens du toucher et d’une invincible attraction vers le suicide. Les mouvemens involontaires, les syncopes, les constrictions de l’œsophage, le gonflement du corps, l’impérieux besoin de dire des grossièretés, les gestes indécens, les postures extra-humaines si complaisamment décrites par le capucin Bosroger qui servait d’exorciste, prouvent, sans doute possible, que la folie seule causait tous les phénomènes dont on s’effrayait. Le parlement de Rouen s’en mêla; on déterra le cadavre d’un prêtre qui la nuit venait tourmenter les religieuses, et on le brûla en grande cérémonie. L’église et la justice rivalisèrent de zèle et de sottise; mais on ne guérit personne. La pauvre Madeleine jetée dans un cul de basse fosse, comme bouc émissaire de tous les péchés de la communauté, essaya de se tuer et, quatre heures durant, se tourna et se retourna dans le ventre un long clou qu’elle y avait enfoncé. A cela seul, en dehors de toutes autres preuves, on peut la reconnaître pour une malade frappée d’hystéro-mélancolie. En effet, dans cet horrible mal, — le plus horrible qui existe, — l’amour de la mort est abstrait; tous moyens sont bons pour mourir, les malades déjouent toute surveillance à force d’astuce, de persistance, de volonté, et il est rare qu’elles n’arrivent pas à mettre leur projet à exécution. Si on les interrompt au milieu d’une tentative de suicide, si on les retire de l’eau, si on coupe la corde dont elles s’étranglent, si on les arrache de dessous les roues d’une voiture, on ne trouve pas une pulsation de plus à leurs artères, pas un frémissement, pas l’apparence d’une émotion ; elles restent impassibles et ne témoignent rien que la contrariété d’avoir été sauvées et le désespoir de vivre encore. Une mélancolique aujourd’hui guérie, et qui avait trouvé moyen de s’ouvrir la gorge à l’aide d’un couteau qu’elle avait volé, me disait : J’eus alors l’ineffable volupté de me couper le cou et de voir couler mon sang.

Pour les hommes qui, dans les siècles passés, avaient à s’occuper de ces tristes affaires, les tentatives de suicide, loin de les éclairer sur l’état intellectuel des prétendues possédées, étaient la confirmation de leurs idées erronées. Selon eux, Madeleine Bavent avait plusieurs fois cherché à se tuer, non point parce qu’elle voulait se débarrasser d’un mal insupportable, mais parce qu’elle était harcelée par le remords de s’être donnée au diable et d’avoir eu commerce avec un prêtre sorcier enterré depuis plusieurs mois. Ainsi tout ce qui aurait dû éclairer ces consciences aussi obtuses qu’exaltées semblait les obscurcir encore plus.

Pendant que cette lugubre affaire se déroulait en Normandie, au milieu d’une population épouvantée, devant des ecclésiastiques qui n’y comprenaient rien, en présence de juges qui croyaient sérieusement aux démons et qui en avaient peur, la science ne resta pas muette ; elle fut très sagace, très courageuse, et parla haut. Un médecin, Yvelin, ayant charge de chirurgien chez la reine-mère, déclare qu’il n’y a là nulle possession diabolique, qu’il y a simplement un cas de pathologie, que c’est affaire de science et non point de religion ; il dit le mot dont on usait à l’époque : ce sont des lunatiques. Cette lutte du bon sens contre la passion n’empêche pas le parlement de Rouen de faire déterrer un cadavre, qu’on brûla, d’envoyer un vivant au bûcher, de condamner la pauvre Madeleine à la réclusion perpétuelle et d’ordonner la fermeture du couvent de Louviers (1647). La parole d’Yvelin ne fut pourtant pas inutile. Les cœurs finirent par se soulever contre tant de brutalités qui, à force de se refuser à tout bon sens, devenaient criminelles. En 1670, à La Haye-Dupuis, un procès de sorcellerie dans lequel il fut affirmé, sous la foi du serment, qu’on avait vu un rat parler à un enfant de dix ans, est évoqué devant le parlement de Normandie ; plus de 500 individus furent impliqués dans cette affaire, et 17 furent condamnés à mort. Louis XIV cassa l’arrêt ; le parlement regimba et fit des remontrances en citant les saintes Écritures, Grégoire de Tours, les pères de l’église, tous les docteurs ès-exorcismes, Boguet, del Rio, Llorente, Delancre ; il rappela les « bien-jugés » antérieurs, les condamnations suivies de supplices, et affirma son droit de frapper à mort les coupables du crime de sortilège, « qui détruit les fondemens de la religion et tire après soi d’étranges abominations. » Le roi tint bon, ordonna de cesser les poursuites commencées contre d’autres prévenus, et par ce fait mit fin à des persécutions que rien ne justifiait. Il n’en resta pas là, et deux ans plus tard, en 1672, Colbert lui fit signer la célèbre ordonnance qui interdit aux parlemens d’évoquer dorénavant les procès pour cause de sorcellerie. Les bûchers furent éteints; mais, faute de savoir que la démonomanie est une maladie et non un crime, plus de 20,000 individus avaient expié dans les flammes le tort d’être atteints d’aliénation mentale.

Là se ferme l’époque que l’on peut appeler l’ère thaumaturgique de la folie, et l’ère de la répression commence. Nul hôpital pour recevoir les fous, nulle maison pour les soigner, on les enferme où l’on peut, dans les couvens quand ils sont tranquilles, dans les prisons quand ils sont agités; on les enchaîne, on les frappe, ils croupissent sur la paille, on va les voir pour satisfaire une curiosité malsaine, on les excite pour en rire. Les gens qui se piquent de beaux sentimens ne se gênent guère pour s’en amuser. La phrase qui revient si souvent dans les lettres de Mme de Sévigné, et dont Coulanges fit une chanson : « les voyez-vous? — non; — ni moi non plus, » — est une allusion plaisante, mais cruelle, à une pauvre folle détenue dans une communauté religieuse, et à laquelle on rendait visite pour s’en divertir. Il restait bien des choses à faire encore pour arriver à l’idée si simple de soumettre ces malheureux à un traitement scientifique, mais du moins ils gardaient la vie sauve et n’avaient plus à redouter la surexcitation des exorcismes. Les parlemens et le clergé firent un suprême effort pour ressaisir le redoutable pouvoir que Louis XIV leur avait sagement enlevé. A Aix, où le parlement de Provence avait conservé bon souvenir du procès de Gauffridi, on voulut tout à coup évoquer une nouvelle affaire de possession (1731), affaire très triste, d’une moralité douteuse, et dans laquelle on vit qu’un vieux prêtre avait étrangement abusé d’une pauvre fille hystérique, visionnaire, théomane et souvent hallucinée. La fille, qui se nommait la Cadière, était fort à plaindre et tout à fait innocente; on la renvoya dos à dos avec son confesseur. Il n’y eut là nulle terreur, nul appareil trop violent, tout sombra dans le ridicule : on chansonna les deux coupables, on se moqua des parlementaires et des prêtres; nul n’y gagna, ni la justice, ni la religion.

Cet exemple ne fut pas perdu. Lorsque les jansénistes appelans de Paris furent atteints de délire, d’extases, de névropathie, lorsque les scènes du cimetière de Saint-Médard firent croire à quelques bonnes femmes que le diable recommençait à faire des siennes, on se contenta de simples mesures de police pour empêcher le scandale de devenir une cause de trouble public. Pendant dix ans (1731-1741), on laissa les convulsionnaires se mettre en croix à domicile, se jeter la tête en bas, se marcher mutuellement sur la poitrine et se donner des coups de bûche sur l’épigastre, à la grande joie de La Condamine, qui était très friand de pareils spectacles; l’on ne brûla personne, et, faute de persécution, l’épidémie cessa d’elle-même. L’apaisement est fait : les parlemens déclarent, en 1768, que les possédés ne sont que des malades; Cagliostro aura toute facilité pour évoquer le diable et le mettre en rapport avec le cardinal de Rohan ; Mesmer pourra réunir tous les nerveux autour de son fameux baquet, personne ne s’en occupera, ni les gens du roi, ni le clergé, ni la police. Encore quelque temps, et le seul exorcisme qu’on emploiera contre les diables récalcitrans sera la douche de Charenton.

La science n’est pas restée oisive; pendant que la justice humaine se désarmait enfin contre les aliénés, elle essayais de formuler des principes qu’on pût appliquer à leur guérison. En Suisse, en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, en Italie, en France, un mot d’ordre semble avoir été donné ; Plater, Willis, Boerhave, Fleming, Fracassini, Morgagni, Boissier de Sauvages, Lieutaud, Lorry, décrivent avec soin les différens phénomènes de pathologie mentale qu’ils ont étudiés ; mais, lorsqu’il s’agit d’indiquer le traitement à suivre, ils font presque tous fausse route, car le point de départ est erroné.

C’était le temps où régnait sans partage la fameuse théorie de l’humorisme¸ en vertu de laquelle tous nos maux proviennent de nos humeurs, sang, lymphe, bile,etc.; l’homme était plus ou moins malade selon que l’humeur peccante était à un degré plus ou moins haut de crudité ou de coction. Donc deux remèdes universels qui devaient suffire à tout, la purgation et la saignée. Molière, avec ses Diafoirus, n’a rien exagéré, il suffit de lire les lettres de Guy Patin pour s’en convaincre[8]. La folie violente résidait dans le sang, la folie triste résidait dans la bile, la folie gaie résidait dans les sucs de la rate. On saignait, on purgeait jusqu’à blanc, et les malades ne s’en trouvaient pas mieux.

Le grand révolutionnaire en l’espèce, celui dont les travaux devaient avoir une influence si féconde sur la thérapeutique, fut Baglivi, qui créa réellement la physiologie expérimentale. Mort à 38 ans, en 1707, il avait eu le temps de formuler sa théorie du solidisme, qui renversait l’humorisme, car il établit que les parties solides du corps sont la cause morbifique et que les fluides ne sont atteints que secondairement. Les œuvres de Baglivi étaient peu connues en France; ce fut un jeune médecin, nommé Philippe Pinel, qui en donna une édition complète en 1788. Le traducteur fut un réformateur, au sens absolu du mot, et c’est à lui que les aliénés doivent de ne plus être traités comme des bêtes féroces. C’était un homme d’une sagacité incomparable, observateur profond, très persistant dans sa volonté, timide jusqu’à la gêne, jusqu’à la maladresse, dévoré de l’amour de l’humanité et très courageux au besoin, ainsi qu’il le prouva pendant la terreur, en cachant des proscrits à Bicêtre et en faisant tous ses efforts pour sauver Condorcet; c’était une âme sensible dans la grande acception du terrain si sottement prodigué à cette époque. En 1791, il publia son Traité médico-philosophique de l’aliénation mentale, et à la fin de 1792, par l’influence de Cousin, de Thouret et de Cabanis, il était nommé médecin en chef de Bicêtre.

Ce qu’était Bicêtre à cette époque, on ne peut se le figurer; c’était la renfermerie du moyen âge dans ce qu’elle avait de plus hideux; c’était à la fois une geôle, une maison de correction, un pénitencier, un hôpital; assassins, débauchés, malades, indigens, idiots, gâteux, vivaient pêle-mêle dans la plus affreuse promiscuité; d’un seul mot, c’était un cloaque. Les aliénés, comme bêtes dangereuses, étaient tenus à part, enfermés dans des cabanons de six pieds carrés qui ne recevaient d’air et de jour que par le guichet dont la porte était percée; les planches du lit, garnies d’une botte de paille renouvelée tous les mois, étaient scellées dans la muraille; les rapports du temps disent que ces loges étaient des glacières. Enchaînée par le milieu du corps, portant des fers aux pieds et aux mains, nus pour la plupart, grelottant dans cette atmosphère humide, ne recevant ni soin ni médicament, les malades étaient dans un état de fureur permanente, injuriaient les curieux qui venaient les voir en partie de plaisir, se ruaient sur leurs gardiens dès que ceux-ci osaient ouvrir la porte, essayaient de se briser la tête contre les murs et réussissaient souvent. C’est en présence de ces misérables que Pinel se trouva.

Dans la Nosologie de Cullen, dont il avait donné une traduction en 1785, il avait lu que, « s’il faut modérer les emportemens des fous, il ne faut le faire qu’avec une extrême douceur; que les chaînes sont barbares, les irritent, rendent le mal incurable ; qu’on les immobilise, sans danger pour eux, à l’aide d’une camisole étroite dont les manches sont attachées l’une à l’autre ; qu’il convient de laisser aux malades toute la liberté compatible avec leur état, et qu’il est bon de les isoler de leur milieu habituel. » C’est de là, sans nul doute, que lui vint l’idée première de la réforme qu’il sut accomplir; mais il y fut singulièrement aidé par un humble fonctionnaire dont le nom est oublié aujourd’hui, car il l’a absorbé dans sa propre gloire. Il rencontra à Bicêtre un homme du peuple, de formes un peu rudes, de cœur généreux, sorte de bourru bienfaisant qu’on appelait Pussin ; c’était un simple surveillant spécialement chargé du service des aliénés, service fort pénible auquel il avait, de son autorité privée, associé sa femme. Pussin, sans avoir pris l’avis de personne et sans qu’on l’eût remarqué, expérimentait depuis longtemps le système que Pinel allait inaugurer. Il accompagna le médecin en chef dans sa première visite; les fous hurlaient et se démenaient comme d’habitude. Pinel dit à Pussin : « Quand ils deviennent trop méchans, que faites-vous? — Je les déchaîne. — Et alors? — Ils sont calmes! » L’expérience venait au secours d’une théorie préconçue, et lui donnait une force extrême. Pinel, après avoir étudié ses malades avec soin, déclara que son intention était de déferrer tous les aliénés qui lui avaient été confiés. Couthon fut délégué à Bicêtre, moins pour assister à un spectacle intéressant que pour vérifier si l’on ne cachait pas quelque « aristocrate » dans les cabanons. — En entendant les cris de ces pauvres êtres, il dit à Pinel : « Il faut que tu sois fou toi-même, pour vouloir déchaîner ces animaux-là. » La scène eut un caractère théâtral qui se ressent de l’époque. Il y avait depuis douze ans, dans les cabanons, un homme redouté entre tous, ancien soldat aux gardes, nommé Chevingé, qui, atteint d’alcoolisme, avait été conduit à Bicêtre et enchaîné comme les autres fous. Il était évidemment guéri, mais sa fureur ne cessait pas; sa force herculéenne lui avait permis de briser plusieurs fois ses fers, de jeter bas sa porte d’un coup d’épaule, et les gardiens qui s’étaient chargés de le réintégrer dans sa fosse avaient été à moitié assommés par lui. Pinel, après lui avoir fait une courte allocution, le délivra le premier et le chargea d’aller enlever les chaînes des autres malades, en lui disant qu’il a confiance en lui, et qu’il le prend désormais à son service. Ce fut en pleurant que Chevingé obéit à l’ordre qu’il venait de recevoir; on peut imaginer la joie de ces malheureux, qui se sentaient les membres libres, qui pouvaient aller respirer au grand air après une si dure, une si étroite réclusion. Chevingé fut en effet le domestique de Pinel, et son dévoûment ne se démentit jamais; dans les jours de disette, lorsqu’on ne pouvait presque plus se procurer d’alimens, il allait dans la nuit à Paris, et chaque matin il rapportait à son maître le repas quotidien. Il était si parfaitement doux et bon que, lorsque Pinel fut marié et père, il en fit, — ceci est littéral, — une bonne d’enfans.

De même que Colbert avait clos l’ère thaumaturgique, Pinel venait de fermer l’ère de la répression exclusive; l’ère de la thérapeutique allait enfin s’ouvrir. Après tant de combats, la victoire restait au bon sens, à l’observation, à l’humanité. Parlant de ceux que pendant si longtemps on a brûlés, on a enchaînés et maltraités, Pinel dit : Ce sont des malades; grande parole et de portée incalculable, qui aura un jour une influence déterminante sur la science médico-légale. Esquirol les classe, définit leur mal et dit : Pour apprendre à les guérir, il faut vivre avec eux. Ferrus les rend au travail; il prouve que l’aliéné peut encore faire acte de civilisation, et qu’en étant utile aux autres il devient utile à lui-même. Pendant que la France pose ainsi les bases morales de l’aliénisme, Roller, créant en Allemagne un établissement modèle, réunit autour de ses malades tout ce qui peut les rappeler à la vie normale, et démontre, par sa longue et constante pratique, que l’opium et ses dérivés ne sont point seulement des caïmans précieux, mais qu’ils constituent le moyen curatif le plus héroïque que l’on puisse employer pour combattre, pour vaincre les troubles de l’esprit. C’est par ces hommes que la science aliéniste a été fondée : d’autres sont venus qui ont développé leurs prémisses et fécondé leur doctrine; mais ceux-là ont été les maîtres, les bienfaiteurs, et à ce titre l’humanité leur doit une reconnaissance éternelle.


II.

Chacun s’empressa de célébrer ce qu’on nomma justement la grande action de Pinel, et l’on prétend que les chaînes tombèrent, comme par enchantement, des bras de tous les fous séquestrés en France. Ceci est singulièrement exagéré. Une circulaire du ministre de l’intérieur, en date du 16 juillet 1819, signale avec sévérité l’état misérable dans lequel on laisse les aliénés en province. Abandonnés dans des loges souterraines, sans lumière et sans air, leur sort n’avait point été modifié : on renouvelait à peine la paille qui servait de litière aux fous tranquilles; quant aux agités, ils couchaient sur la terre nue ou sur le pavé ; leurs gardiens, toujours armés de gourdins, de nerfs de bœuf, se faisaient précéder par des chiens bouledogues lorsqu’ils entraient dans les cellules. L’autorité compétente ne ménageait pas ses prescriptions : elle recommandait, elle ordonnait de substituer partout, en cas de nécessité rigoureuse, l’usage de la camisole de force à celui des chaînes ; mais il faut croire qu’on ne l’écoutait guère, car en 1843 le docteur Dagron, actuellement directeur-médecin de l’asile de Ville-Évrard, envoyé en inspection dans la maison de Fontenay-le-Comte (Vendée), trouve quinze femmes et vingt hommes nus, enchaînés dans les loges.

Néanmoins un principe avait été posé, et il fallait en déduire les conséquences. Pour la séquestration des aliénés, on se heurtait à chaque pas contre des difficultés sans cesse renaissantes, car la matière n’était réglée que par des arrêtés de police ; de plus aucun établissement spécial n’avait été construit pour les abriter, ils étaient emprisonnés dans les hospices et plus souvent encore confondus avec les criminels dans les maisons de détention. Un tel état de choses appela enfin l’attention du gouvernement. En 1835, une enquête permit de constater officiellement les abus dont les aliénés avaient à souffrir et les besoins qu’il était urgent de satisfaire. Un premier projet de loi présenté le 6 janvier 1837 ne fut pas accueilli avec faveur; il fut remanié, communiqué aux conseils-généraux qui donnèrent leur avis motivé, et ne devint loi que le 30 juin 1838; une ordonnance royale du 18 décembre 1839 en détermina la portée et l’application. Les décrets du 25 novembre 1848, du 18 janvier 1852, du 20 mars 1856, établirent un service d’inspection générale pour les maisons d’aliénés et réglèrent l’organisation intérieure des asiles. La loi de 1838, excellente dans ses dispositions fondamentales, fonctionna sans encombre et à la satisfaction des intéressés pendant une vingtaine d’années; puis tout à coup, sans motifs sérieux, elle fut attaquée et battue en brèche avec une violence excessive; on parla de séquestrations arbitraires, de dénis de justice, de lettres de cachet, et l’on rajeunit de vieilles calomnies plus ridicules encore que méchantes. De cette question des aliénés, qu’on n’aurait jamais dû soulever, car elle avait été résolue avec un grand souci de la justice, on fit une arme d’opposition quand même, sans réfléchir qu’on incriminait d’un seul coup deux administrations pleines de bon vouloir envers les malheureux et un corps médical qui a donné trop de preuves d’intégrité pour ne pas mériter d’être à l’abri du soupçon. Le résultat a été funeste, car, pendant que tous les intéressés, si injustement accusés, cherchaient à mettre leur responsabilité à couvert, c’est l’aliéné, c’est le malade qui a pâti.

On s’est servi d’un mot à l’aide duquel il est facile de passionner les esprits en France ; sur tous les tons on a parlé de la liberté individuelle. La liberté individuelle est sacrée, elle est à la fois la sauvegarde du citoyen et celle de l’autorité; mais elle ne doit être protégée qu’à la condition expresse de ne point porter atteinte à la liberté collective : or il n’y a pas de fou, si paisible, si éteint, si déprimé qu’il soit, qui à un moment donné, sous l’influence subite d’une impulsion irrésistible, ne puisse devenir un danger public. Chaque jour, les journaux racontent, en blâmant l’autorité de son défaut de vigilance, les malheurs causés par des aliénés qu’on croyait inoffensifs ou guéris. Les plus habiles, les plus savans peuvent s’y laisser prendre, à plus forte raison les ignorans, qui sont nombreux en pareille matière.

Pinel rapporte « l’observation » d’un maniaque enfermé à Bicêtre; des mandataires d’une section voisine vinrent, pendant la révolution, faire une perquisition dans les salles réservées aux aliénés; le malade interrogé par eux leur parut jouir de la plénitude de ses facultés, on le prit pour une victime du « pouvoir liberticide, » et on l’emporta en triomphe pour le rendre à la vie commune. A peine cet homme raisonnable avait-il dépassé la porte de l’hospice, qu’il s’empara d’un sabre, tomba sur ses libérateurs et en éventra quelques-uns. C’était d’habitude un fou très calme ; le passage sans transition d’un mode de vivre à un autre avait suffi pour déterminer chez lui un accès furieux.

Récemment un fait moins grave s’est passé dans un de nos asiles municipaux : un fou était si tranquille, si aimable, de si bonne compagnie, qu’il jouissait d’une liberté relative considérable; il se promenait dans tout l’établissement sans contrainte, et allait fort souvent chez le directeur, qui aimait à causer avec lui. Un soir, dans le salon de la direction, une glace énorme placée au-dessus d’une cheminée se détacha tout à coup de la muraille et tomba, — fort heureusement il n’y avait personne près du foyer. — Après enquête faite, on eut la preuve que la glace avait été descellée, inclinée légèrement sur le marbre par le fou paisible, qui guettait en riant l’effet que produirait sa « bonne plaisanterie. » Je cite ces deux épisodes, et je pourrais sans peine en citer des milliers de cette nature.

On a fait grand bruit autour de certains procès dont le souvenir est dans toutes les mémoires; on sait aujourd’hui à quoi s’en tenir sur ces prétendues séquestrations arbitraires : l’opinion publique et les tribunaux en ont fait justice; mais il faut bien savoir que les preuves d’intelligence données par un individu ne démontrent nullement qu’il n’ait été, qu’il ne soit fou. On peut écrire un mémoire, faire un plaidoyer remarquable, accumuler avec une habileté consommée toute sorte d’argumens en faveur de sa capacité mentale, adresser des pétitions aux autorités législatives, et n’en avoir pas moins été un malade dont l’état pathologique a exigé impérieusement un séjour plus ou moins long dans un asile. On peut être un écrivain de beaucoup de talent et n’avoir aucun équilibre dans la raison ; on peut passer par trois formes successives d’aliénation, par l’hypocondrie d’abord, ensuite par la mélancolie, enfin par la manie de se croire persécuté, et être un homme de génie; les Confessions et la biographie de Jean-Jacques Rousseau sont là pour l’affirmer. On ne doit donc pas conclure de l’intelligence déployée, dans un moment donné, à l’intégrité des facultés de l’esprit, ce serait s’exposer à commettre des erreurs graves qui seraient préjudiciables et à l’individu et à la société. En fait de séquestrations arbitraires, l’occasion a été propice pour les faire connaître depuis deux ans; les tribunaux sont ouverts à toute réclamation, les journaux s’empresseraient d’accueillir les plaintes; je ne crois pas qu’on en ait formulé. Pour être impartial, il convient de dire que ce sont là de ces lieux-communs que l’on répète volontiers sans y attacher grande importance et sans en connaître la valeur. J’ai regardé de près dans cette question; des masses de documens scientifiques et administratifs ont passé entre mes mains[9]. Je ne connais qu’une séquestration arbitraire, une seule. Elle date des premiers temps du consulat. Bonaparte, trouvant pour la quatrième fois sur sa table de travail deux livres infâmes envoyés par leur auteur, écrivit : « Enfermez le nommé de Sades comme un fou dangereux. » L’ordre fut exécuté. Parmi ceux qui ont eu le courage de feuilleter les ouvrages de cet homme atteint de satyriologie, qui donc oserait dire que, tout arbitraire qu’elle fût dans la forme, cette séquestration n’ait pas été méritée?

Pour bien connaître les fous, il faut avoir vécu avec eux ; cette dure obligation a été dans ma destinée, j’en puis donc parler avec quelque expérience. On se les figure ordinairement tout autres qu’ils ne sont; en ceci comme en tant de choses, le théâtre et le roman ont perverti nos idées. On s’imagine volontiers que le fou est un être qui n’a plus une lueur de raison, qui divague sur tout sujet, qui pleure quand il devrait rire, rit quand il devrait pleurer, prend les nuages pour des éléphans, ne se rend compte de rien et ne sait même pas où il est. Un tel homme se rencontre évidemment, le délire général existe : il y a dans les asiles plus d’un malade dont on peut dire qu’il a réellement perdu la connaissance de soi-même et des autres, la notion de l’espace et du temps; mais le cas le plus ordinaire est le délire partiel, et l’on se trouve alors en présence d’un monomaniaque, c’est-à-dire d’un individu qui peut causer raisonnablement de toutes choses, excepté d’une seule, sur laquelle l’insanité éclate immédiatement et presque toujours avec violence. J’ai eu sous les yeux un travail manuscrit composé de quatre forts volumes in-4o, c’est le résumé, avec commentaires, de tout ce qui a été écrit sur la folie par les auteurs grecs, latins, allemands, anglais, italiens et français. Cette œuvre, remarquable de lucidité, de méthode, de composition, a été faite par un pensionnaire de Charenton ancien magistrat, homme très sage, très instruit, très doux, qui parfois et tout à coup se voyait chargé par des escadrons de cavalerie lancés sur lui au galop. Il en ressentait une angoisse qui déterminait invariablement un accès de fureur.

Non-seulement le théâtre et le roman nous ont donné des idées erronées sur la folie réelle, mais ils ont accrédité dans la foule ignorante et crédule cette sottise des séquestrations arbitraires. Il n’y a pas à discuter le point de départ du dramaturge et du romancier; c’est un droit absolu pour chacun d’eux de prendre tel sujet qui lui convient, dans la vie, dans le code, dans l’histoire, où bon lui semble, — il suffit qu’un fait lui paraisse admissible pour qu’il puisse, s’il le veut, l’introduire dans son livre ou le mettre à la scène; c’est là un élément romanesque, rien de plus, et il n’a d’autre valeur que celle du mérite littéraire avec lequel il est présenté au public; mais que des esprits sérieux se soient laissé prendre à ces fictions, c’est ce qu’il est difficile d’admettre, surtout en présence de la loi de 1838, contre laquelle se sont accumulées tant de préventions, et qui s’est au contraire appliquée à donner des garanties multiples à la liberté individuelle.

Les lois sont les instrumens à l’aide desquels la société se protège contre les instincts naturels de l’homme ; or la folie est, le plus souvent, le retour aux instincts animaux, aux désirs impérieux, aux impulsions invincibles, au meurtre, au vol et au reste. Il était donc d’un intérêt social supérieur d’isoler les malades atteints de ce genre d’affection, de les mettre dans l’impossibilité de nuire aux autres et à eux-mêmes; mais il fallait éviter à tout prix qu’abusant d’un emportement momentané, d’une bizarrerie d’esprit, d’une irritabilité de caractère, on n’arrivât à faire séquestrer des personnes de raison saine qu’on aurait pu avoir un intérêt quelconque à faire disparaître en les enfermant. Aussi la loi de 1838, qui est à la fois loi d’assistance et loi de sécurité, a-t-elle entouré l’entrée d’un malade dans un asile de toutes les précautions imaginables et y fait-elle concourir des autorités différentes qui se contrôlent mutuellement. La loi distingue deux genres de placemens : le placement volontaire et le placement d’office. Pour opérer le premier, il est nécessaire d’être muni d’un certificat de médecin qui n’est point parent de l’aliéné et qui n’appartient pas à l’établissement où celui-ci demande son admission. Le directeur doit constater l’identité du malade, celle de la personne qui l’amène, et prévenir immédiatement le préfet de police. On a renoncé, en ce qui touche les asiles publics, à ce genre de placement, ce qui est fort regrettable, car les formalités à remplir pour le placement d’office sont plus longues et par conséquent préjudiciables aux malades.

Dès 1844, le conseil-général de la Seine, sur la proposition de M. de Rambuteau et d’après l’avis du conseil général des hospices, a cherché à restreindre le nombre des placemens volontaires, qui, croyait-on, aidaient à l’encombrement des maisons de Bicêtre et de la Salpêtrière, seules ouvertes à la folie. En 1850, la mesure paraît devenir générale; mais on avait beau repousser les placemens volontaires, les cas de séquestrations indispensables ne diminuaient pas, et dès lors la préfecture de police s’est vue dans la nécessité d’intervenir, par les placemens d’office, en faveur des aliénés dont l’état mental ou l’indigence exigeaient impérieusement l’entrée dans un asile municipal et gratuit. C’est ainsi que ce mode de placement s’est développé, et aujourd’hui c’est par le seul intermédiaire de la préfecture de police que les fous trouvent un abri et des soins. Un certificat médical, une demande d’admission signée par des parens ou des amis du malade, un procès-verbal rédigé par le commissaire de police du quartier habité par l’aliéné, relatant les faits de notoriété publique et reproduisant l’interrogatoire qu’il a fait subir à celui-ci, sont les premières pièces exigées. Conduit à une infirmerie spéciale, l’aliéné est examiné par un médecin délégué qui donne son opinion motivée; dirigé sur l’asile désigné, il y est reçu par le médecin résidant qui le « vérifie » et, s’il le trouve égaré d’esprit, signe son billet d’entrée. Ainsi, pour qu’une séquestration arbitraire ait lieu, il faut que les parens qui formulent la demande, que le médecin qui donne le premier certificat, que le commissaire de police qui rédige le procès-verbal, que le médecin de l’infirmerie spéciale, que le médecin résidant de l’asile, se soient tous au préalable concertés, qu’ils soient des coquins ou des ignorans; c’est là une démonstration par l’absurde qui aurait dû suffire à ramener les esprits les plus prévenus.

Il se présente pourtant dans une ville aussi populeuse que Paris tel cas si subit, si impérieux, qu’il faut négliger toute formalité et agir au plus vite. Un fou laissé en liberté est pris d’accès furieux, il court dans les rues, armé, et se jette sur les passans; une mélancolique trouve la vie insupportable, la mort lui apparaît comme un bonheur suprême, et pour rendre ses enfans heureux elle essaie de les égorger ; ce cas spécial se produit très fréquemment. La loi d’assistance devient alors loi de sécurité, et, agissant en son nom, le commissaire de police expédie immédiatement le malade à l’asile le plus voisin. C’est ce qu’on nomme le placement d’urgence. Il en est d’une autre sorte, provoqués par les médecins d’hôpitaux. Lorsqu’un malade donne des signes d’aliénation et trouble le repos des salles, il leur suffit d’un certificat pour le faire diriger sur Sainte-Anne ; souvent, en pareilles circonstances, on commet des erreurs de diagnostic et l’on prend pour une affection mentale ces accès de délire et d’incohérence qui suivent ou accompagnent quelques maladies aiguës, telles que la pneumonie et la fièvre typhoïde.

Dans tous les cas, le directeur de la maison où le malade a été reçu doit dans les vingt-quatre heures aviser le préfet de police et lui faire parvenir toutes les pièces à l’appui, lesquelles sont réunies et forment un dossier particulier pour chaque aliéné. Lorsque le placement a eu lieu d’urgence, le préfet de police délègue un médecin qui se transporte à l’asile, interroge, examine le malade et fait un rapport qui conclut au maintien ou à la levée de la séquestration. De plus chaque directeur est tenu d’avoir un registre sur lequel sont relatés les nom, prénoms, âge, qualité, domicile, état civil de l’aliéné : on y ajoute la date de l’entrée et les observations médicales; ce registre doit être communiqué aux médecins de l’asile, aux inspecteurs, aux magistrats chargés des inspections trimestrielles, aux délégués de la préfecture de police, aux parens qui ont provoqué la séquestration. Ce n’est pas tout; dans les trois jours qui suivent l’entrée d’un malade dans l’asile, on doit en donner avis au procureur de la république de l’arrondissement, et, s’il y a lieu, au procureur de la république du domicile de secours[10], en notifiant le nom de la personne placée et le nom de la personne qui a effectué le placement. Quinze jours après l’admission et ensuite tous les six mois, un rapport médical constatant l’état du malade est adressé au préfet de police. Toute réclamation émanant d’un aliéné doit être expédiée sans délai par le directeur au représentant de l’autorité qui en est l’objet; le préfet peut ordonner la sortie, le président du tribunal le peut aussi, même malgré l’opposition du préfet : que le malade soit guéri ou non, sa sortie peut toujours être obtenue par les membres de sa famille; mais dans ce cas, si le médecin déclare, après examen, que l’état mental du malade est de nature à faire courir des dangers à la sécurité publique, le préfet peut prendre un arrêté en vertu duquel l’aliéné est maintenu en séquestration jusqu’à ce qu’il ait acquis un degré d’amélioration qui lui permette de rentrer sans péril dans la société. Si cet arrêté paraît excessif aux intéressés, ceux-ci ont toujours le droit d’en appeler au tribunal, qui, réuni en chambre du conseil, prononce sur le différend immédiatement et en dernier ressort. Toutes ces prescriptions sont suivies à la lettre sous peine d’un emprisonnement de cinq jours à un an et d’une amende de cinquante francs à trois mille francs, ainsi qu’il est dit au titre III, art. 41 de la loi du 30 juin 1838.

Telle est dans son ensemble cette loi préservatrice qui a été attaquée avec tant d’acrimonie sans qu’on ait pu cependant citer un seul fait sérieux, scientifiquement constaté, qui ait porté témoignage contre elle. Après l’avoir discréditée au sénat, au corps législatif, dans la presse périodique, par des brochures, on a demandé qu’elle fût abrogée et remplacée par une autre loi dont le projet a été déposé le 21 mars 1870 par MM. Gambetta et Magnin. L’exposé des motifs déclame plutôt qu’il ne prouve. Les aliénés y deviennent des victimes sacrifiées à la sécurité publique, on y parle de machinations criminelles, et l’on y lit textuellement : « Qui sait si l’on ne craint pas, en ébranlant l’édifice de 1838, d’y trouver le crime sous chaque pierre ? » Il n’y a là en somme que beaucoup d’emphase et une médiocre rhétorique. Les signataires du projet, qui, je crois bien, n’en sont que les endosseurs, récusent les médecins, comme intéressés, récusent les magistrats, sans doute comme incompétens, et veulent qu’un jury spécial, tiré au sort, composé de six membres, décide en plein tribunal s’il est opportun ou non de prononcer l’internement d’un individu présumé aliéné; celui-ci serait défendu par un avocat ou par un avoué. Donc débat contradictoire en présence du fou, après interrogatoire d’icelui, plaidoyer, réplique, résumé, déclaration solennelle des jurés. En vérité l’on croit rêver quand on lit de pareilles élucubrations !

Sans parler ici des suites qu’un tel débat pourrait avoir sur plus d’un cerveau égaré, on peut affirmer que ce mode de procéder est vicieux entre tous, et qu’il entraînerait des erreurs déplorables. Il faut être dans une ignorance absolue de ce que c’est qu’un fou pour ne pas savoir que le monde extérieur, l’objectif qui exerce sur certains aliénés une action surexcitante, produit au contraire chez beaucoup d’autres une sorte de compression qui les rappelle à eux-mêmes et leur donne toutes les apparences de la raison. Il y a alors répercussion du moral sur le physique, comme dans les crises aiguës, dans le délire, dans les hallucinations de toute sorte, il y a répercussion du physique sur le moral. Tel individu qui chez lui, dans son milieu habituel, maison, appartement ou cabanon, s’abandonne à des accès de fureur qui sont plus forts que sa volonté, demeurera calme, paraîtra sensé, trompera l’observateur le plus sagace, si vous le placez en présence de lieux qu’il ne connaît pas, de gens qu’il n’est pas accoutumé à voir, d’un spectacle qui l’étonne et le maintient. C’est ainsi que les aliénés deviennent tranquilles et aptes à tout comprendre dans les premiers jours de leur entrée dans un asile. Un jury qui ne sera pas composé d’aliénistes et d’hommes spéciaux se laissera facilement abuser par les malades les plus violens, car ceux-ci sont presque toujours les plus dissimulés. En dehors de leurs crises, du point précis qui fait surgir la divagation, beaucoup d’aliénés sont gens avec lesquels on peut causer de omni re scibili. Des hommes fort intelligens y ont été pris et ont donné à rire. M. de Villèle reçut un jour la visite d’une femme qui lui exposa, avec un entraînement de langage et un charme inexprimables, certaines idées sur le rôle de la presse dans les gouvernemens constitutionnels. Le ministre, ébloui de tant d’esprit et de logique, entre dans les idées de son interlocutrice, lui fait des promesses pour la création d’un journal dans lequel elle aura la haute main, parle en conseil du projet qu’il va mettre à exécution, et y renonce avec peine lorsqu’on lui démontre, pièces en main, qu’il a eu affaire à une aliénée !

Si la loi de 1838 est appelée à subir de nouveau une discussion législative, il est à désirer, dans l’intérêt des aliénés, qu’elle en sorte avec une consécration éclatante qui, sans mettre fin à des insinuations malveillantes, permettra du moins de continuer l’emploi de mesures dont on s’est jusqu’à présent bien trouvé. On pourra néanmoins, pour donner satisfaction à ce que l’on appelle l’opinion publique, y introduire une modification qui n’en compliquera pas le mécanisme et ne le modifiera pas essentiellement. Plusieurs commissions extra-parlementaires se sont occupées de cette question, qui, comme l’on dit, est à l’ordre du jour. La Société de législation comparée a réuni des hommes graves, magistrats, spécialistes, et elle les a interrogés ; notons en passant qu’à la question posée par le président : avez-vous eu occasion de constater des cas de séquestration arbitraire? il a toujours été répondu : non. L’opinion à peu près unanime des personnes éminentes appelées à émettre un avis a été qu’il serait bon de nommer une commission permanente composée de médecins, de magistrats, de notaires, qui seraient chargés d’aller visiter les aliénés, de les interroger et de faire rapport à l’autorité qui en a charge. Une telle commission serait inoffensive, et peut être créée facilement. Je vais plus loin, il ne serait pas mauvais qu’un des membres de la commission de permanence et un des substituts du petit parquet fussent délégués pour assister les médecins de la préfecture de police dans l’examen des aliènes enfermés à l’infirmerie spéciale; on n’en arrêterait pas un fou de moins, on ne ferait pas une séquestration arbitraire de plus; mais, en ajoutant cette garantie aux précautions que la loi de 1838 a déjà édictées, on dégagerait la responsabilité du médecin aliéniste.

Les adversaires de la loi ne se contentent pas d’incriminer le mode de placement, ils en arrivent à condamner l’isolement qui est imposé aux aliénés, dans leur intérêt et dans l’intérêt d’autrui. C’est cependant le moyen thérapeutique le plus efficace que l’on ait encore découvert; le changement d’état et de milieu, la rupture des habitudes prises, l’éloignement des parens, trop souvent disposés à mettre en action les rêveries d’un cerveau malade « pour ne pas le contrarier, » suffisent seuls, dans bien des cas, à ramener un calme relatif dans les esprits surexcités.

Il faut généraliser les fous, et l’on y arrive aisément par la discipline d’un régime uniforme; lorsqu’ils restent dans leur famille, ils sont individualisés outre mesure, on leur obéit, on va au-devant de leurs désirs; voyant que leurs chimères sont écoutées, ils ne font aucun effort pour se reprendre à la réalité. Plus ils se sentent loin des leurs, plus ils essaient de se dominer pour s’en rapprocher. Willis raconte que dans l’établissement qu’il avait fondé en Angleterre les malades étrangers guérissaient plus vite que les autres en raison même de l’isolement bien plus complet où l’éloignement de leur pays et souvent leur ignorance de la langue les avaient placés. Il est un fait irréfutable qu’on a bien souvent constaté : les malades qui ont été guéris dans une maison de santé, et qui sont atteints par une rechute, courent d’eux-mêmes et au plus vite dans l’établissement où déjà ils ont été soignés, tant ils comprennent le bienfait de cette vie pénible, il est vrai, douloureuse parfois au-delà de toute expression, mais qui du moins discipline l’âme, soigne le corps, neutralise les tentatives de suicide, empêche les crimes et peut ramener à la raison.

Veut-on savoir où la séquestration, dans le mauvais sens du mot, se produit le plus fréquemment? Dans la famille. Au début de la maladie, on a voulu garder l’aliéné, on l’a entouré de soins; par suite d’un sentiment de honte mal entendu, par économie peut-être, on a rejeté loin la pensée de le déposer dans un de ces établissemens spéciaux, où les malades trouvent de larges jardins et des soins appropriés. On s’est lassé de voir que l’on n’arrivait à aucun résultat, on a perdu patience devant l’irritabilité d’un pauvre être que tout exaspère, on l’a rudoyé, maltraité, on l’a relégué dans un coin; pour qu’il ne pût nuire, on l’a attaché à un fauteuil fixé à la muraille, dans quelque réduit obscur de la maison. On lui jette une nourriture insuffisante, comme à un chien; on dit : Il est si méchant, au lieu de dire : Il est si malade! S’il crie, on le bâillonne; il croupit dans ses ordures, dans sa vermine, et d’une créature vivante, qui peut-être aurait guéri si on l’eût confiée en temps opportun à des aliénistes, on fait un je ne sais quoi qui remue encore, qui ne peut pas mourir et qui n’a plus rien d’humain. Je n’exagère pas; les cours d’assises ont jugé plus d’un de ces drames domestiques, et combien sont restés ignorés et ont eu un dénoûment qu’on n’ose se figurer !

Dans l’asile, tout se passe en plein jour; le préfet de police par ses délégués, les magistrats, les médecins, y regardent à toute heure, et rien de semblable, rien d’approchant ne peut s’y produire. Les malades y sont respectés, soignés, traités avec une extrême bienveillance. Toute injure échappée aux infirmiers est immédiatement punie par l’expulsion. Il y a peu de temps, à l’établissement de Vaucluse, un gardien qui venait d’être maltraité par un fou en accès furieux s’oublia jusqu’à donner un soufflet à celui-ci ; on ne se contenta pas de le chasser, il fut appréhendé par les gendarmes dans l’asile même, traduit en police correctionnelle et condamné à quinze jours de prison. Le directeur qui avait provoqué ces mesures sévères sait qu’il n’a fait que son devoir; on n’a pas plus le droit de frapper un fou qu’on n’a le droit de frapper un phthisique : l’un et l’autre sont des malades. L’asile est en outre un lieu de protection pour les intérêts des aliénés; là ils sont défendus contre les testamens antidatés, contre les donations entre-vifs, les contrats de ventes dérisoires, et tous autres actes analogues que trop souvent la cupidité des familles arrache à leur raison vacillante. Sous ce rapport, la loi de 1838 est incomplète; à force de vouloir protéger la personne même du malade, elle a oublié de protéger suffisamment ses biens. Dans la semaine de l’admission même, un administrateur devrait être nommé pour gérer les biens de l’aliéné et pour veiller à ce qu’il reçoive des soins en rapport avec son état de fortune. Plus d’un malade rentrant chez lui après avoir été guéri a trouvé ses biens dilapidés par une femme prodigue, par des enfans insoucians, par des parens avides qui ont le préjugé populaire et absurde que la folie est un mal incurable. Plus d’un homme riche de 30,000 ou 40,000 livres de rente a été placé au début dans des maisons où l’on payait 6,000 fr. par an; la pension a diminué, elle est tombée à 3,000 francs, puis à 1,200 fr., et enfin le malheureux a été poussé dans un asile public pendant que sa famille vivait grassement de son revenu, qu’elle aurait dû consacrer à son traitement et à son bien-être. Il y a longtemps que Falret a demandé que les aliénés fussent assimilés aux absens.

Il est une prescription de la loi qu’on a laissée longtemps et qu’on laisse encore en souffrance. L’article 24 dit expressément : « Dans les lieux où il n’existe pas d’hospices ou d’hôpitaux, les maires devront pourvoir au logement des aliénés, soit dans une hôtellerie, soit dans un local loué à cet effet. Dans aucun cas, les aliénés ne pourront être ni conduits avec les condamnés ou les prévenus, ni déposés dans une prison. » En 1869, un ouvrier fut subitement frappé d’un accès de folie aiguë dans une petite ville du département de l’Eure ; en attendant qu’il pût être conduit à l’établissement d’Évreux, il fut déposé à la prison. Le fait en lui-même n’a rien de grave, le malade était seul, enfermé, et il reçut tous les soins nécessaires; mais il est toujours mauvais de manquer au texte précis d’une loi. C’est cependant ce que nous avons vu à Paris depuis 1838 jusqu’au 1er janvier 1872. Faute d’un local quelconque dans lequel on pût provisoirement isoler les aliénés qu’on amenait chaque jour à la préfecture de police, celle-ci, qui ne tient pas les cordons de la bourse et qui, en matière de dépenses, est toujours obligée d’attendre le bon plaisir du conseil municipal, en était réduite, malgré ses incessantes réclamations, à faire interner les fous au dépôt. Elle les séparait avec soin des prévenus, elle réservait pour eux ses meilleures cellules; mais elle n’en donnait pas moins cet exemple singulier d’une administration spécialement chargée de veiller à la stricte exécution de la loi, et qui y manquait la première d’une façon flagrante. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi; cet état provisoire, qui n’a duré que trente-quatre ans (c’est peu en France, où le définitif seul est transitoire), a pris fin récemment.

La reconstruction du Palais de Justice et de la préfecture de police avait amené la réédification du dépôt, sorte de geôle d’attente où l’on enferme momentanément les criminels, les prévenus, les vagabonds, en attendant qu’ils soient dirigés sur les prisons désignées. On y a annexé une infirmerie indépendante, ayant une entrée spéciale, un service particulier, et que surveille un employé du bureau de la préfecture, exclusivement chargé de tout ce qui concerne les aliénés. La loi est exécutée dans sa lettre et dans son esprit : les fous sont là chez eux, sans communication possible avec la population roulante du dépôt. Des cellules réservées aux aliénés occupent le rez-de-chaussée, où s’ouvrent aussi le cabinet du médecin délégué et celui de l’employé. C’est triste, propre et froid. Un gardien se promène incessamment devant les cellules, dont le guichet est toujours entre-bâillé. Il veille à ce que les aliénés ne se blessent pas dans leurs mouvemens furieux, il leur donne à boire, et ne répond guère à leurs divagations; il me disait qu’il aimait mieux avoir vingt fous à garder qu’une seule folle. Au premier étage, un dortoir de sept lits est destiné aux infirmes qu’on envoie à Saint-Denis ou à Villers-Cotterets; un autre dortoir également de sept lits est consacré aux enfans qu’on doit conduire à l’hospice des enfans assistés. Une pharmacie suffisamment approvisionnée permet de donner les premiers soins aux malades, qui trouvent aussi des bains dans une salle voisine. L’ouverture de cette infirmerie est un véritable bienfait. Autrefois l’aliéné, amené d’abord au dépôt, était conduit au bureau central des hôpitaux, au parvis de Notre-Dame; là il était examiné, et on constatait son état mental. Si l’employé, mû par ce sentiment de commisération qui est comme fonctionnel chez la plupart des agens de la préfecture de police, n’avait pas libellé d’avance toutes les paperasses nécessaires, le pauvre diable était réintégré au dépôt, où l’on préparait les pièces administratives qui doivent le suivre, assurer son identité et le faire admettre dans l’établissement désigné. Toutes ces formalités, lentes, pénibles, qui trop souvent aidaient à satisfaire la curiosité brutale du public, ont été supprimées. On sort de l’infirmerie pour aller directement à l’asile.

Les fous ne manquent pas à Paris. Sans compter ceux qui ont cherché dans les asiles l’abri ou la guérison, il y en a plus d’un qui court les rues, et il ne faudrait pas chercher longtemps dans nos souvenirs pour y retrouver le type de ces « originaux, » qui étaient de véritables aliénés. Nos contemporains n’ont point oublié cet Italien qui portait un nom prédestiné, car il s’appelait Carnovale; il sortait toujours vêtu d’un costume éclatant, couvert de rubans de toutes couleurs, et souvent il soulevait, d’un air respectueux, l’énorme chapeau de général dont il se coiffait; c’est qu’il venait de rencontrer un mort illustre, Dante, Pétrarque, le Tasse, Machiavel, Laurent de Médicis ou Paul Farnèse, que seul il avait le privilège de reconnaître. Il vivait honnêtement, chastement, dans une mansarde de la rue Royale, où il entassait les légumes qui composaient exclusivement sa nourriture pythagoricienne; il variait peu le menu de ses repas : six mois de pommes de terre, six mois de haricots blancs; il ne s’en portait pas plus mal et sortait parfois la nuit pour aller rendre un culte à deux ou trois gros arbres qu’il connaissait, et qui servaient de demeure momentanée à des nymphes de théâtre qu’il avait aimées au temps de sa jeunesse. Il était connu de tout Paris, et souvent, à cause de son costume emphatique, il était pris pour un marchand d’eau de Cologne, ce qui lui causait un chagrin profond dont on avait quelque peine à le consoler; bon musicien du reste, il gagnait en donnant des leçons de chant de quoi suffire aux très modestes nécessités de son existence. On se souvient aussi de cet homme du monde, — j’entends du meilleur, — spirituel, intelligent, caustique, causeur de verve intarissable, qui, lorsqu’il avait une course pressée à faire, prenait tous les fiacres qu’il rencontrait, et se livrait à bien d’autres folies. Si l’on cherchait bien aujourd’hui, on trouverait facilement des excentricités publiques analogues à celles-ci, et qui résultent d’un défaut manifeste de pondération dans les facultés mentales.

Sans entrer dans des détails qui appartiendraient à un travail exclusivement scientifique, sans parler non plus de cette vie à outrance de Paris, qui débilite le système nerveux en le surexcitant, on peut constater une cause qui s’accentue chaque jour davantage et qui produit des perturbations mentales passagères d’abord et d’une violence excessive, puis chroniques et enfin permanentes. Cette cause redoutable, qu’il faudrait combattre par tous les moyens possibles, c’est l’alcoolisme, dont le docteur Jolly entretenait déjà l’Académie de médecine en 1866. Le péril signalé s’est aggravé et décuplé par les circonstances douloureusement exceptionnelles que Paris a traversées depuis deux ans; il constitue aujourd’hui une sorte de péril social pour lequel ou ne saurait trop se hâter de chercher le remède. La période d’investissement et celle de la commune ont eu à cet égard une influence désastreuse sur la population ouvrière; pendant le siège, elle buvait plus qu’elle ne se battait, et sous la commune, on lui donnait à boire pour qu’elle allât se battre. À ces deux époques, dans l’espace de neuf mois, Paris a absorbé, en vins et en alcools, cinq fois l’équivalent d’une consommation annuelle. On arrive promptement ainsi au delirium tremens; nous en avons la preuve par les ruines entassées par l’accès de pétrolomanie alcoolique dont Paris, qui semble déjà l’avoir oublié, ne se relèvera pas de sitôt. Plus d’une des brutes qui ont ordonné d’incendier notre ville avait passé par les établissemens d’aliénés, et y retournera; plus d’un des malheureux qui leur ont obéi s’y trouve actuellement.

Ce n’est point leur faute si l’infirmerie spéciale nouvellement ouverte n’a pas été dévorée par les flammes, ils ont fait ce qu’ils ont pu pour la détruire : les pierres de taille ont résisté et les aliénés malades trouvent du moins un lieu tranquille où ils peuvent attendre l’heure d’être envoyés à l’asile qui les attend. Là on ne les nomme ni des fous, ni des aliénés; tant que le médecin ne s’est pas prononcé sur leur état, on les appelle des présumés; présumés atteints d’aliénation mentale. Il en vient beaucoup; deux cent un dans le seul mois de mai dernier, c’est-à-dire six et demi par jour. Sur ce nombre, deux seulement ont été reconnus sains d’esprit; c’étaient fort probablement deux ivrognes qu’une nuit de calme avait momentanément rappelés à la raison; on peut supposer qu’ils sont revenus dans le mois de juin. Chaque jour, un des deux médecins spécialistes commissionnés par la préfecture de police se rend à l’infirmerie, il prend connaissance des dossiers envoyés par le commissaire et reçoit les malades isolément, l’un après l’autre. J’ai assisté à cette visite, et il ne fallait pas une grande perspicacité pour deviner l’état mental des pauvres êtres qui ont défilé devant moi; mais il n’en est pas toujours ainsi, et souvent la science tâtonne longtemps pour arracher à l’âme le secret de sa perturbation. Le certificat médical est immédiatement rédigé et remis au délégué du bureau des aliénés, qui le transcrit sur le registre des entrées[11].

C’est la préfecture de police qui envoie ses agens, toujours vêtus en bourgeois pour cette circonstance, chercher les malades chez eux, elle les soustrait, autant que possible, à l’indiscrétion publique et paie la voiture qui les amène à l’infirmerie. Il se produit alors un fait constant. Lorsque l’aliéné est dans son domicile, il est condamné presque invariablement à la curiosité railleuse et malsaine de ses voisins : on s’amuse de lui, et parfois on ne craint pas d’exciter son délire ; dès qu’on le voit emmené, emporté parfois, on n’éprouve plus pour lui qu’un sentiment de profonde commisération, on dit : Le pauvre homme! on l’arrête, il n’était pas méchant cependant; s’il fait du mal aux autres, c’est parce qu’il a perdu la tête. Et le malade laisse un souvenir douloureux dans le cœur de ceux pour qui la veille encore il n’était qu’un objet de risée. L’infirmerie ne chôme pas. Du Ier janvier au 1er juillet 1872, 1085 présumés y ont passé; 107 reconnus indemnes ont été immédiatement rendus à la vie commune; 12, qui offraient des accidens pathologiques particuliers, ont été expédiés dans les hôpitaux ordinaires; 966 ont été envoyés dans les asiles ; à ce dernier chiffre, il faut ajouter 198 placemens d’urgence faits par les commissaires de police en vertu de l’article 19 de la loi du 30 juin 1838, et nous aurons ainsi un total de 1,164 aliénés fournis en six mois par Paris, pour les seuls établissemens publics, ce qui équivaut, par jour, à 6. 72.

Lorsque la visite du médecin est terminée, quand toutes les pièces administratives ont été préparées et signées par qui de droit, les aliénés sont introduits dans une voiture divisée en plusieurs cellules capitonnées, de façon à éviter tout accident et à empêcher les maniaques ou les mélancoliques de se briser la tête contre des surfaces résistantes. L’employé chargé spécialement du transfèrement des malades monte sur le siège et les accompagne lui-même à l’asile Sainte-Anne, où cesse la mission de la préfecture de police et où vont commencer celle de l’assistance publique et celle de la science.

Dans une prochaine étude, nous essaierons de dire en quoi consiste cette double mission.


MAXIME DU CAMP.

  1. « Le choix mesme de la pluspart de leurs drogues est aulcunement mystérieux et divin : le pied gauche d’une tortue, l’urine d’un lézard, la fiente d’un éléphant, le foye d’une taulpe, du sang tiré soubs l’aile droite d’un pigeon blanc; et pour nous aultres choliqueux (tant ils abusent desdaigneusement de notre misère) des crottes de rat pulvérisées et telles autres singeries qui ont plus le visage d’un enchantement magicien que de science solide. » Montaigne, Essais, livre II, chap. 37.
  2. Ses œuvres complètes ont été imprimées à Amsterdam en 1560.
  3. Le cardinal de Richelieu pourrait figurer dans cette étude à titre de fou, si l’on en croit la princesse Palatine, qui a écrit, en date du 5 juin 1716 : « Le cardinal de Richelieu, malgré tout son talent, a eu de grands accès de folie; il se figurait quelquefois qu’il était un cheval; il sautait alors autour d’un billard en hennissant et en faisant beaucoup de bruit pendant une heure et en lançant des ruades à ses domestiques; ses gens le mettaient ensuite au lit, le couvraient bien pour le faire suer, et quand il s’éveillait, il n’avait aucun souvenir de ce qui s’était passé. » Lettres de Madame, duchesse d’Orléans, édit. Brunet, t. Ier, p. 240.
  4. Il faut bien s’entendre sur les mots, afin d’éviter toute confusion. Les gens du monde donnent généralement au mot hystérie une acception qu’il ne comporte pas et le confondent avec l’érotomanie et la nymphomanie. Ces vocables désignent trois affections nervoso-mentales parfaitement distinctes. L’hystérie est produite par un manque d’équilibre dans le système nerveux, par un affaiblissement des grands nerfs; c’est un délire partiel, triste, théâtral avec propension excessive au suicide; elle participe de la mélancolie et de la lypémanie d’Esquirol; Roller l’appelle la mélancolie agitée, et Moreau (de Tours) la nomme la folie névropathique. L’érotomanie est l’amour platonique dégénéré en aberration, c’est l’amour de don Quichotte pour Dulcinée. La nymphomanie, pour les femmes, le satyriasis pour les hommes, est le déchaînement des passions sensuelles et bestiales dans ce qu’elles ont de plus violent.
  5. Un aliéné, à l’aide d’un morceau de verre, se coupe la peau du front et se fait au ventre une incision oblique de 15 centimètres de longueur; il affirme n’avoir ressenti aucune douleur. Un autre saisit une poignée de charbons ardens, et il faut lui ouvrir la main de force; un troisième introduit sa tête dans un poêle allumé et se brûle horriblement la tête; on lui fait remarquer qu’il n’a même pas crié, il répond: Pourquoi aurais-je crié? je ne souffrais pas. (Moreau de Tours, la Physiologie morbide, 406 et passim.)
  6. Ces épidémies sont très réelles, et ont apparu de siècle en siècle avec une sorte de périodicité. La forme en a varié depuis le féroce jusqu’au simple absurde, mais elle n’en indiquait pas moins une maladie des organes de l’entendement : au XVIe siècle, l’hystéro-démonopathie, au XVIIe la possession des nonnains, au XVIIIe les convulsionnaires de Saint-Médard, le vampirisme de Pologne et de Hongrie, au XIXe les tables tournantes et l’évocation des morts.
  7. Histoire de Madeleine Bavant, religieuse du monastère de Saint-Louis de Louviers, avec sa confession générale et testamentaire, Paris, in-4o ; Legentil, 1652.
  8. Bordeu, qui fut un homme d’infiniment d’esprit et qui exerça la médecine dans le milieu du XVIIIe siècle, essaie de réagir contre cette déplorable manie d’affaiblir les malades outre mesure en les saignant sans discrétion; il dit : « J’ai vu un moine qui ne mettait point de terme aux saignées; lorsqu’il en avait fait trois, il en faisait une quatrième par la raison, disait-il, que l’année a quatre saisons, qu’il y a quatre parties du monde, quatre âges, quatre points cardinaux. Après la quatrième, il en faisait une cinquième, car il y a cinq doigts dans la main; à la cinquième il en joignait une sixième, car Dieu a créé le monde en six jours. Six! il en faut sept, car la semaine a sept jours, comme la Grèce a sept sages; la huitième sera même nécessaire, parce que le compte est plus rond; encore une neuvième : quia numero Deus impare gaudet ! »
  9. J’avais préparé cette étude avant l’incendie du Palais de Justice, de la préfecture de police et de l’Hôtel de Ville.
  10. Le domicile de secours s’acquiert par un an de séjour; loi du 24 vendémiaire an II, titre V, art. 4.
  11. Très souvent des aliénés sont amenés à la porte de l’infirmerie en fiacre par leurs parens et par des agens, qui ont choisi l’heure de la visite du médecin pour éviter au malade le séjour dans les cellules d’attente.