Les Altérations de la personnalité (Binet)/21

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Félix Alcan (p. 312-323).


CONCLUSION


Le moi est une coordination. — Opinion de M. Ribot. — Le rôle de l’association des idées dans la constitution du moi. — Les limites de la conscience.

I


Depuis que la psychologie tend à se séparer de la littérature et de l’art oratoire, et à devenir une science positive, elle attache surtout de l’importance aux petits faits bien observés, et elle relègue au second plan les théories brillantes. On ne sera donc pas étonné de ne pas trouver dans le dernier chapitre d’un livre sur la personnalité une théorie personnelle à l’auteur sur la nature de la personnalité. Notre conclusion sera un simple rappel des faits, et une réunion des interprétations éparses que ces faits nous ont suggérées, à mesure que nous les décrivions.

Cherchons d’abord à condenser en quelques lignes la substance de ce livre. Depuis le commencement jusqu’à la fin, nous avons toujours considéré le même phénomène, la pluralité de consciences chez un individu. Nous disons conscience, nous ne disons pas personnalité, parce que conscience désigne simplement une collection de phénomènes psychologiques conscients et réunis ensemble, tandis qu’on ne doit donner le nom de personnalité à cette collection que lorsqu’elle acquiert un haut degré de développement et que l’idée du moi se produit ; bien que la limite soit difficile à tracer entre les deux — précisément parce qu’il s’agit moins d’une différence de nature que d’une différence de degré — il est clair que les mouvements très simples provoqués chez une personne normale pendant un état de distraction (voir p. 217) sont le signe d’une sous-conscience, tandis que dans les mêmes conditions, et avec les mêmes procédés, on peut provoquer souvent chez une hystérique hypnotisable une sous-personnalité.

Ces consciences et personnalités multiples se distinguent les unes des autres par deux faits principaux, le caractère et la mémoire ; ce sont là les signes qui permettent de dire qu’il y a dans un individu, à un moment donné, deux, trois personnalités, ou même un plus grand nombre. Le caractère tiré de la mémoire est le plus précis, car il permet non seulement de distinguer les personnalités, mais encore de ramener à une même personnalité plusieurs états de conscience séparés par le temps.

Nous avons étudié d’abord la succession régulière de deux ou plusieurs personnalités chez un même individu, dans les somnambulismes naturels et les somnambulismes provoqués. L’alternance des conditions prime et seconde, dont chacune a sa mémoire et son caractère, présente une régularité presque schématique, qui prépare l’esprit à bien comprendre les phénomènes plus délicats qui se produisent, lorsque les consciences et personnalités, au lieu de se succéder, coexistent. Dans ce cas, le signe auquel on reconnaît la pluralité des consciences n’est point fourni par la mémoire, mais par la conscience elle-même. La mémoire, du reste, n’est qu’une forme de la conscience : c’est la conscience des choses passées. Ici, la conscience d’une partie des choses présentes est supprimée. Le sujet, placé dans l’état A, n’a point conscience d’un certain groupe de phénomènes constituant l’état B, qui coexiste avec l’état A, de même que dans les cas de personnalités successives, le même sujet, placé dans un état A, ne conserve point la mémoire, ou conscience rétrospective, de l’état B, qui s’est écoulé.

Les consciences et personnalités coexistantes s’observent chez les hystériques dans les états d’anesthésie, et on peut les provoquer et les développer quelque peu, en faisant naître un état de distraction. Nous avons étudié l’étendue des consciences secondaires, les phénomènes élémentaires de répétition et d’adaptation qu’elles représentent, puis leur vie indépendante, leur écriture spontanée, leur suggestibilité, la finesse de leurs perceptions ; nous nous sommes attaché à déterminer avec soin leurs points de contact avec la conscience principale, et nous avons vu que des associations multiples peuvent se faire entre elles ; une idée appartenant à une conscience peut suggérer une autre idée dans l’autre conscience ; bien plus, deux consciences peuvent collaborer à une œuvre commune ; mais si, dans tous ces cas, elles se mélangent à un certain point de vue, elles restent cependant distinctes, car le moi de l’état A n’a point conscience du moi de l’état B.

Nous nous sommes proposé enfin d’établir une relation entre les successions de personnalités et leurs coexistences. Nous avons vu que le personnage somnambulique, qui, dans les expériences d’hypnotisme et dans les accès spontanés de somnambulisme, prend un remarquable développement, peut se conserver en partie pendant l’état de veille, et que c’est précisément lui qui est le personnage subconscient que nous avons étudié dans les états d’anesthésie et de distraction : mille preuves nous ont été fournies de son identité, et la meilleure est toujours celle de la mémoire ; le moi somnambulique connaît toutes les pensées du personnage subconscient de l’état de veille (p. 137) et le moi subconscient connaît celles du moi somnambulique (p. 76). Ce point étant pleinement démontré, nous avons examiné les relations complexes du personnage somnambulique avec la conscience normale des sujets, considérés au moment où ils exécutent certaines suggestions de nature complexe : rappelons simplement nos études sur l’hallucination et l’anesthésie systématique qui nous ont montré que le moi somnambulique intervient incessamment pour assurer la réalisation d’une suggestion, qui se fait sans que la conscience normale puisse se rendre compte de rien.

En résumé, nous avons vu se produire, soit chez des malades, soit chez des sujets en expérience, un véritable émiettement de consciences ; et de temps en temps, souvent avec l’aide d’un peu de suggestion, une de ces consciences a pu atteindre la dignité d’une personnalité véritable.

La personnalité de nos sujets d’observation et d’expérience nous a paru comparable à un édifice compliqué et fragile, dont le moindre accident peut renverser une partie ; et les pierres détachées de l’ensemble deviennent, chose curieuse, le point de départ d’une nouvelle construction qui s’élève rapidement à côté de l’ancienne. Ce dernier trait, sans être spécial à l’hystérie, ni même présent chez tous les hystériques, est cependant bien caractéristique des études précédentes.

Il ne faut pas, cependant, exagérer le rôle des personnages subconscients, et étendre sans discernement les conclusions des études précédentes à la vie normale. Le fait primitif, nous l’avons dit, ce ne sont point les personnalités secondaires, c’est la désagrégation des éléments psychologiques ; ce n’est qu’après coup, et souvent par dressage, par suggestion, que ces éléments épars s’organisent en personnalités nouvelles. Ce second temps du phénomène est distinct et indépendant du premier, et probablement beaucoup moins fréquent, surtout chez les individus normaux ; on ne saurait admettre que tous les états qui se produisent en nous sans que nous en ayons conscience, appartiennent à d’autres personnages, et que par exemple, lorsque nous regardons un objet, les sensations vagues que nous envoient les autres objets dans la vision indirecte sont accaparées par des personnalités secondaires, tapies en quelque sorte derrière notre conscience personnelle ; ces sensations indistinctes restent, à notre avis, simplement disséminées. Pour tout dire, trois propositions principales résument les faits précédents :

1o Des éléments qui entrent normalement dans la constitution de notre moi peuvent être en état de désagrégation ;

2o Une conscience ne cesse pas d’accompagner ces éléments, bien que notre moi en perde conscience ;

3o Parfois, dans des conditions exceptionnelles, pathologiques ou expérimentales, ces éléments s’organisent en personnalités secondaires.

Cette dernière circonstance, si peu générale qu’elle soit, étant possible, présente cet intérêt d’éclairer la nature de notre moi et son mode de formation. Voici comment.

Nous sommes faits de longue date, par les habitudes du langage, par les fictions de la loi, et aussi par les résultats de l’introspection, à considérer chaque personne comme constituant une unité indivisible. Les recherches actuelles modifient profondément cette notion importante. Il paraît aujourd’hui démontré que si l’unité du moi est bien réelle, elle doit recevoir une définition toute différente. Ce n’est point une entité simple, car s’il en était ainsi, on ne comprendrait pas comment, dans des conditions données, certains malades, exagérant un phénomène qui appartient sans doute à la vie normale, peuvent manifester plusieurs personnalités distinctes ; ce qui se divise doit être formé de plusieurs parties ; si une personnalité peut devenir double ou triple, c’est la preuve qu’elle est un composé, un groupement, une résultante de plusieurs éléments. L’unité de notre personnalité adulte et normale existe bien, et personne ne songerait à mettre sa réalité en doute ; mais les faits pathologiques sont là qui prouvent que cette unité doit être cherchée dans la coordination des éléments qui la composent.

Cette vérité, l’ancienne psychologie n’avait pas peu contribué à la faire oublier, non seulement par ses hypothèses sur la nature du moi qu’elle tenait pour une entité distincte des phénomènes de conscience, supérieure à ces phénomènes et ne participant pas à leurs changements incessants — mais encore par la méthode d’analyse qu’elle appliquait aux états de conscience. On sait que pour les anciens psychologues, tous ces états de conscience si nombreux, si variés, si nuancés, qui composent la vie mentale sont ramenés à des facultés de l’esprit. Il y aurait une faculté de mémoire, une faculté de raisonnement, une faculté de perception, une faculté de volition. Cette terminologie, qui a été critiquée avec raison, a eu le désavantage de faire supposer l’existence de certaines entités imaginaires ; on a cru qu’il existait une mémoire, une volonté, et ainsi de suite. Nous ne nous laissons plus duper aujourd’hui par cette terminologie trompeuse ; nous n’admettons plus que par commodité de langage l’existence de la mémoire ; nous savons que ce qu’il y a de réel et de vivant chez un individu, ce sont des actes de mémoire, c’est-à-dire de petits événements particuliers et distincts ; l’ensemble de ces événements peut bien recevoir un nom particulier, mais ce terme n’ajoute rien à la connaissance du phénomène ; et tous ces actes de mémoire locaux, spéciaux sont si bien distincts qu’on peut voir, dans certains cas pathologiques, toute une catégorie de mémoires qui disparaissent, tandis que d’autres restent intactes ou à peu près. C’est ainsi qu’une personne peut perdre la seule mémoire des choses visuelles, des formes par exemple ou des couleurs, et conserver la mémoire verbale, qu’elle est même obligée d’utiliser pour remplir les lacunes de l’autre mémoire. Bien plus, la perte de mémoire peut être localisée, spécialisée à ce point qu’on a vu des personnes ne plus savoir lire l’imprimé et conserver l’aptitude à lire la musique[1]. Toutes ces dissociations de la mémoire sont aujourd’hui bien connues, et nous dispensent d’insister sur les autres formes de dissociation. Ce qu’il faut principalement retenir de tout ceci, c’est que ce que nous appelons notre esprit, notre intelligence est un groupement d’événements internes, extrêmement nombreux et variés, et que l’unité de notre être psychique ne doit pas être cherchée ailleurs que dans l’agencement, la synthèse, en un mot la coordination de tous ces événements.

Telle est l’idée générale que M. Ribot a nettement formulée en terminant son remarquable ouvrage sur les Maladies de la personnalité. « L’unité du moi, au sens psychologique du mot, c’est, dit-il, la cohésion, pendant un temps donné, d’un certain nombre d’états de conscience clairs, accompagnés d’autres moins clairs, et d’une foule d’états physiologiques qui, sans être accompagnés de conscience, comme leurs congénères, agissent autant qu’eux. Unité veut dire coordination. » Ces lignes ont bientôt dix ans de date ; elles ont été écrites à une époque où l’on ne connaissait pas encore, dans le détail, toutes les observations des personnalités multiples que nous avons cherché à résumer dans ce livre. On peut dire que les faits nouveaux en démontrent pleinement la justesse.


II


Pouvons-nous faire un pas de plus ? Pouvons-nous dire comment le composé mental qui représente le moi se construit avec ses éléments ? Sur ce point, les recherches nouvelles apportent un supplément d’information, qui, pour être négatif, n’en a pas moins une grande valeur. Nous insisterons d’autant plus que nous tenons surtout à indiquer l’état actuel, et peut-être momentané, de la question.

Une vérité importante se dégage de toutes nos études psychologiques : c’est que l’association des idées est impuissante à expliquer la genèse d’une personnalité, ou d’une simple synthèse de phénomènes. Rappelons quelques-uns des faits qui nous l’ont déjà bien prouvé. Les sujets qui partagent leur existence dans deux conditions mentales différentes, peuvent, dans l’une de ces conditions, ne point se souvenir des événements qui se rattachent à la seconde. La perte de souvenir est si nette qu’une personne vue pendant une des conditions n’est point reconnue dans la seconde, et le médecin est obligé d’être présenté deux fois pour être connu par les deux personnalités. C’est assez dire que le mécanisme habituel de la mémoire cesse de fonctionner. Un objet, qui dans un état A suggère une série de souvenirs, ne suggère plus rien dans l’état B ; c’est cependant le même objet, et d’autre part la série de souvenirs n’est pas détruite, puisque le retour de l’état prime leur permettra d’être évoqués ; c’est le mécanisme du rappel qui est atteint. De même, les expériences de suggestion qui font revivre à une personne une époque antérieure de sa vie ramènent des souvenirs oubliés pendant l’état normal, c’est-à-dire des souvenirs que les lois ordinaires de l’association sont incapables de faire revivre. Ces lois d’association sont par conséquent soumises à des influences supérieures, qui tantôt leur permettent d’agir, tantôt les suspendent. À elles seules, les associations ne suffisent point à former une synthèse, et ce n’est pas en associant les uns aux autres des événements psychologiques qu’on peut réussir à expliquer la formation d’une personnalité.

Dans des conditions d’expérience un peu différentes, plusieurs existences psychologiques coexistent chez un même individu, et des idées appartenant à une des consciences suggèrent d’autres idées à l’autre conscience. C’est ainsi que lorsqu’on provoque l’écriture automatique la conscience principale pense à un mot, et la conscience secondaire écrit le mot ; l’association des idées n’est point suspendue, elle opère entre deux consciences ; mais, par un fait assez singulier, les deux consciences restent chacune dans ses limites ; notamment la conscience A ne sait rien des idées et des mouvements qu’elle a provoqués dans le domaine de la conscience B. Ce fait d’expérience nous montre sous un jour nouveau l’impuissance des associations à expliquer la formation d’une synthèse ; l’intelligence ne se compose pas seulement d’un automatisme d’images et de mouvements, puisque là où cet automatisme se poursuit régulièrement, une conscience peut s’arrêter, et une personnalité trouve sa limite.

Tout ceci confirme pleinement les idées théoriques si intéressantes que M. Paulhan a récemment développées sur l’activité des éléments de la pensée[2]. M. Paulhan a réduit quelque peu le rôle attribué aux associations d’idées et montré que ces associations ne sont que des ouvrières au service d’influences supérieures qui les dirigent.

Si ce n’est pas l’association d’idées qui est le ciment de la personnalité, c’est-à-dire qui réunit en faisceau des phénomènes multiples et leur donne l’unité, on peut penser que ce rôle est dévolu à la mémoire. On a longuement insisté sur la mémoire, comme facteur de la personnalité ; on a même plutôt exagéré son rôle qu’on ne l’a diminué. Pour beaucoup de philosophes la mémoire serait le fondement unique de notre identité personnelle. Les observations que nous avons rapportées confirment-elles cette opinion ?

Nous avons vu des personnalités se succéder chez un même individu physique ; nous les avons vues aussi coexister ; ce qui a fait leur séparation, c’est tout d’abord l’état de la conscience ; telle personnalité, avons-nous remarqué, n’a point conscience de tout un groupe de phénomènes psychiques intelligents ; ce groupe ne fait donc pas partie de cette personnalité ; l’absence d’une conscience unifiante est ce qui nous permet de dire qu’il y a là deux personnalités et non une seule ; la perte de conscience prend, dans certains cas, la forme matérielle de l’anesthésie ; dans d’autres cas, c’est une distraction, c’est-à-dire une perte de conscience légère et fugitive. Or, la perte de conscience conduit à la perte de mémoire ; c’est le même phénomène, avons-nous dit souvent, car la mémoire n’est pas autre chose que la conscience rétrospective ; l’amnésie continue donc l’anesthésie ; et de même que l’anesthésie est la barrière séparant des personnalités coexistantes, l’amnésie est la barrière qui sépare les personnalités successives. Tous les faits que nous avons étudiés tendent à montrer que la mémoire ou d’une façon plus générale la conscience est un facteur de la personnalité.

Est-ce le seul ? Nous ne le croyons pas, et nous nous élevons, avec M. Ribot, contre les auteurs qui veulent faire de la mémoire le seul fondement de la personnalité. La preuve que cette opinion est exagérée, c’est que dans certaines conditions, une personne peut, tout en gardant la conscience et la mémoire de certains de ses états, les répudier, les considérer comme étrangers à sa personnalité. La somnambule observée par M. Pitres se rappelle, comme c’est la règle, les événements de son état de veille, mais ne se les attribue pas ; elle parle de la personne éveillée comme d’une personne étrangère, et l’appelle l’autre. Même langage chez le personnage subconscient de l’état de veille, qui n’est du reste qu’un personnage somnambulique ; il parle à la troisième personne du moi normal, qu’il connaît bien, et l’appelle l’autre. D’autres exemples, nombreux et démonstratifs, pourraient être empruntés aux ouvrages des aliénistes.

Tout ceci montre qu’une seule mémoire peut embrasser différents états sans que ces états soient considérés par l’individu comme faisant partie d’une seule personnalité. Le jugement qui unifie ces états ne se produit pas. L’individu ne les reconnaît pas tous pour siens, il n’y retrouve pas la marque de sa personnalité. Pourquoi ? Nous ne le savons pas au juste, et nous ne pouvons faire que des conjectures. Sans doute, il y a une manière de sentir et d’agir qui est propre à chacun de nous ; nous avons nos affections, nos goûts et nos désirs ; nous avons même notre façon de percevoir, de juger, de raisonner, en un mot de penser ; le somnambule en se représentant la période d’existence de son état de veille n’y retrouve ni les sentiments ni les pensées ni les actes de la vie somnambulique ; malgré la mémoire qui les unit, une scission se fait entre ces deux parties d’une même existence, et la somnambule arrive à cette conclusion : ce n’est pas moi qui ai fait tous ces actes qu’on me rappelle, ce n’est pas moi qui porte ce nom par lequel on me désigne, c’est une autre.

Il reste à indiquer la plus importante conclusion de ces études. Nous voulons parler des limites de la conscience. On a admis souvent jusqu’ici que la conscience détermine elle-même ses limites, et que là où elle cesse il n’y a plus que des processus physiologiques. L’activité nerveuse de chacun de nous serait donc de deux espèces : l’une lumineuse, consciente d’elle-même ; l’autre aveugle, dépourvue de conscience et réduite à des changements matériels qui s’accompliraient dans les cellules et les fibres composant les centres nerveux. On a même fait mainte hypothèse sur ces points, et il est inutile de rappeler les théories de Carpenter, de Maudsley et de Huxley sur la cérébration inconsciente. Nous en avons du reste déjà dit quelques mots. Il y a lieu, semble-t-il, de reviser ces théories, qui ne sont rien moins que définitives. Un grand nombre de théories physiologiques ou psycho-physiologiques sont devenues insensiblement classiques, sans avoir jamais pu justifier de preuves suffisantes ; à force de les répéter, on leur a donné de l’autorité ; il en est ainsi pour le schéma bien connu de l’activité nerveuse, qui ne repose sur aucune donnée histologique, et qui est même démenti par les faits histologiques récents ; il en sera de même, nous en avons la présomption, pour l’hypothèse de la cérébration inconsciente.

Cette hypothèse ne repose que sur le témoignage de la conscience, et ce témoignage doit être tenu pour fort suspect. Nous avons dit que l’oubli est souvent purement relatif, vrai seulement d’une condition mentale particulière, et non pour une condition mentale différente ; nous avons vu également que l’inconscience n’existe qu’au regard d’une certaine personnalité, et cesse pour une autre synthèse de phénomènes. En un mot, il peut y avoir chez un même individu, pluralité de mémoires, pluralité de consciences, pluralité de personnalités ; et chacune de ces mémoires, de ces consciences, de ces personnalités ne connaît que ce qui se passe sur son territoire. En dehors de notre conscience, il peut se produire en nous des pensées conscientes que nous ignorons ; fixer la nature, l’importance, l’étendue de ces consciences nous paraît impossible pour le moment ; il se peut que la conscience soit le privilège de certains de nos actes psychiques ; il se peut aussi qu’elle soit partout dans notre organisme ; il se peut même qu’elle accompagne toutes les manifestations de la vie.


FIN

  1. Psychologie du raisonnement, chap. I.
  2. L’activité mentale et les éléments de l’esprit, Paris, 1889.