Les Amoureuses/Les Bottines

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LES BOTTINES


…Ce bruit charmant des talons qui

résonnent sur le parquet : clic ! clac ! est
le plus joli thème pour un rondeau.

Gœthe, Wilhelm Meister.


I


 
Moitié chevreau, moitié satin,
Quand elles courent par la chambre,
            Clic ! clac !

Il faut voir de quel air mutin
Leur fine semelle se cambre.
          Clic ! Clac !

Sous de minces boucles d’argent,
Toujours trottant, jamais oisives,
          Clic ! clac !
Elles ont l’air intelligent
De deux petites souris vives.
          Clic ! clac !

Elles ont le marcher d’un roi,
Les élégances d’un Clitandre,
          Clic ! clac !
Par là-dessus, je ne sais quoi
De fou, de railleur et de tendre.
          Clic ! clac !



II



En hiver au coin d’un bon feu,
Quand le sarment pétille et flambe,
          Clic ! clac !
Elles aiment à rire un peu,
En laissant voir un bout de jambe.
          Clic ! clac !

Mais quoique assez lestes, — au fond,
Elles ne sont pas libertines,
          Clic ! clac !
Et ne feraient pas ce que font
La plupart des autres bottines.
          Clic ! clac !


Jamais on ne nous trouvera,
Dansant des polkas buissonnières,
          Clic ! clac !
Au bal masqué de l’Opéra,
Ou dans le casino d’Asnières.
          Clic ! clac !

C’est tout au plus si nous allons,
Deux fois par mois, avec décence,
          Clic ! clac !
Nous trémousser dans les salons
Des bottines de connaissance.
          Clic ! clac !

Puis quand nous avons bien trotté,
Le soir nous faisons nos prières,
          Clic ! clac !
Avec toute la gravité
De deux petites sœurs tourières.
          Clic ! clac !



III



Maintenant, dire où j’ai connu
Ces merveilles de miniature,
          Clic ! clac !
Le premier chroniqueur venu
Vous en contera l’aventure.
          Clic ! clac !

Je vous avouerai cependant
Que souventes fois il m’arrive,
          Clic ! clac !
De verser, en les regardant,
Une grosse larme furtive.
          Clic ! clac !


Je songe que tout doit finir,
Même un poème d’humoriste,
          Clic ! clac !
Et qu’un jour prochain peut venir
Où je serai bien seul, bien triste,
          Clic ! clac !

Lorsque, — pour une fois,
Mes oiseaux prenant leur volée,
          Clic ! clac !
De loin, sur l’escalier de bois,
J’entendrai, l’âme désolée :
          Clic ! clac !