Les Amoureux (Verhaeren)

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Les Blés mouvantsGeorges Crès et Cie (p. 131-133).
LES AMOUREUX


 
Lété, lorsque les longs dimanches
Tintaient dans les clochers nombreux,
Tu écoutais tes amoureux,
La belle fille aux fortes hanches.

Et le premier chantait :
« Ah, si ton cœur était
La plus frémissante des feuilles
Qu’avec joie et danger l’on cueille

À la cime de la forêt,
Dès le matin, dès l’aube blanche,
D’arbre en arbre, de branche en branche
Je monterais. »

Et le second chantait :
« Ah ! si ton cœur était
Le caillou d’or et de lumière
Qui brille au fond de la rivière,
Dussent m’entortiller les rêts
Que mille herbes y entrecroisent,
Jusques au fond de l’eau sournoise
Je plongerais. »

Un autre encor chantait :
« Ah ! si ton cœur était
Le fruit que sa splendeur exile
Là-bas, en mer, au fond d’une île,

Parmi les vénéneux marais,
Avec ma ferveur vagabonde,
Vers les confins mêmes du monde,
Je partirais. »

Et tes lèvres riaient d’un beau rire charnu,
Mais ne répondaient guère,
Et sans rien dire, au bout de ton pied nu,
Dans la lumière,
Tu balançais ton sabot clair.