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Les Amours (Ovide)/Traduction Séguier/05

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Traduction par Ulysse de Séguier.
(p. 17-19).

ÉLÉGIE II

Description du triomphe de l’Amour


Oh ! d’où vient que ma couche ainsi me paraît dure
Que mon manteau glisse en tous sens ?
D’une nuit sans sommeil pourquoi cette torture
Et les douleurs que je ressens ?
Si l’Amour m’éprouvait, je le saurais peut-être…
M’afflige-t-il à mon insu ?
Oui, c’est cela : mon cœur, dont s’empare le traître,
Saigne du trait qu’il a reçu.

Céderai-je, ou faut-il qu’en luttant je l’irrite ?
Cédons au poids, pour l’adoucir.
J’ai vu croître le feu, quand un souffle l’excite,
Sans excitant le feu mourir.
Les coups épargnent moins le bœuf au joug rebelle
Que les bœufs prompts à s’y ranger ;
Pour un coursier rétif la main est plus cruelle :
Qu’il vole, et le mors est léger.
Ainsi des cœurs altiers : Cupidon les foudroie,
Mais il épargne ses amis.
Eh bien ! je le confesse, Amour, je suis ta proie !
Vers toi je tends mes bras soumis.
Grâce ! ma voix t’implore, entre nous plus de guerre ;
Vainqueur, il sied de pardonner.
Accouple, orné de fleurs, les oiseaux de ta mère ;
Mars a son char à te donner.
Parais alors, guidant le divin attelage,
Au bruit d’unanimes bravos.
De jeunes prisonniers seront ton entourage
Dans ce triomphe sans rivaux.
Moi-même je viendrai, traînant, docile esclave,
Ma blessure et mes nouveaux fers.
Pudeur et Conscience, et quiconque te brave,
Suivront de chaînes recouverts.
Tout frémira de crainte. À genoux, Rome entière
Criera : « Triomphe ! » à pleine voix.
Enfin t’escorteront Baisers, Erreur, Colère,
Ces complices de tes exploits.

Des hommes et des Dieux tu leur dois la conquête ;
Sans eux quel serait ton pouvoir ?
Mais Vénus te contemple, et du ciel sur ta tête
Va laisser des roses pleuvoir.
Toi, paré de rubis aux cheveux, sur les ailes,
Pressant ton char d’azur et d’or,
Si je te connais bien, que de flèches mortelles
Tu lanceras partout encor !
Vainement tu voudrais des dards moins homicides ;
Ils brûlent même au sein des eaux.
Tel fut Bacchus dans l’Inde : à lui pareil, tu guides,
Au lieu de tigres, des oiseaux.
Puis donc que j’ai ma place en ton sacré cortège,
Use envers moi des droits acquis.
Vois César, ton parent  : vainqueur, sa main protège
Ceux qu’autrefois elle a conquis.