Les Amours de Lancelot du Lac/33

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Plon-Nourrit et Cie (2p. 100-101).


XXXIII


Le lendemain, de bonne heure, elles retournèrent à la prairie aux arbrisseaux, accompagnées de quelques pucelles, et la reine dit à la dame de Malehaut qu’elle chérirait ce lieu à toujours. Puis elle se mit à louer Galehaut de son mieux, déclarant qu’il était le plus sage et le plus noble des chevaliers, et qu’elle lui conterait la nouvelle amitié qui s’était nouée entre elles deux, et qu’il en aurait grande joie. Plus tard, quand Galehaut fut venu voir le roi, elle le tira à part et lui demanda s’il aimait d’amour dame ou demoiselle.

— Dame, nenni.

— Savez-vous pourquoi je vous demande cela ? Puisque j’ai accordé mes amours à votre volonté, je veux que vous placiez les vôtres à la mienne, et c’est en une dame belle, sage et courtoise, qui est haute femme et riche d’honneur : elle a nom la dame de Malehaut.

— Dame, répondit Galehaut, vous pouvez faire de moi ce qu’il vous plaira.

Alors la reine appela la dame de Malehaut et lui dit :

— En nom Dieu, je veux donner votre cœur et votre corps : êtes-vous prête à faire ma volonté ?

L’autre, qui était sage, répondit que oui. Et la reine, les prenant tous deux par la main, dit à Galehaut :

— Sire chevalier, je vous donne à cette dame comme vrai ami loyal de cœur et de corps.

Puis à la dame :

— Dame, je vous donne à ce chevalier comme vraie amie et loyale de toutes vraies amours.

Tous deux l’accordèrent, et la reine voulut qu’ils échangeassent un baiser. Après quoi ils avisèrent aux moyens de se voir tous les quatre, et rendez-vous fut pris pour la même nuit dans le pré aux arbrisseaux.

Lorsqu’ils s’y trouvèrent, sachez qu’il y eut entre eux moins de paroles que de baisers ; et de même les nuits suivantes. Mais il advint que messire Gauvain se trouva guéri et que le roi voulut partir. Il pria Galehaut de venir avec lui ; mais celui-ci répondit qu’il ne pouvait, ayant fort à faire en ses îles lointaines. Et cette même nuit fut la dernière pour les quatre amants.

Ici finit le livre des amours de Lancelot du Lac.

Grâces à Dieu et à la Vierge Marie.