Les Amours de Tristan/La belle mal-heureuse

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Les Amours de TristanP. Billaine, A. Courbé (p. 107-109).


LA BELLE MAL-HEUREUSE.

STANCES.



CHARMANTE & celeſte Beauté,
Que voſtre eſtat est déplorable,
Par quelle eſtrange cruauté
Viuez vous ainſi miſerable ?
Las ! ie me plains de vos douleurs,
   Et pleure de vos pleurs.

Vous dévriez rauir mille Amants,
Auoir à ſouhait toutes choſes,
Briller d’Or & de Diamants,
Ne marcher que deſſus des roſes,

Et gouſter ſelon vos deſirs
   Mille amoureux plaiſirs.

Cependant vn mary ialoux,
Qui de voſtre bonté ſe iouë,
Ne faict non plus d’estat de vous
Que de quelque maſſe de bouë ;
Luy de qui l’esprit & le corps
   Ont de mauuais reſſorts.

Sans qu’il oſe vous outrager,
Qu’il vous veille & qu’il vous ſoupçonne
Il peut aſſez vous affliger
Par les deffauts de ſa perſonne,
Auprés d’vne ieune Beauté
   C’eſt vn mort infecté.

Il n’a rien de vif que la voix
Qu’il n’applique qu’à vous déplaire :
Voyez vn peu quel mauuais choix
On vous a conſeillé de faire.
Vostre ſort euſt eſté plus beau
   D’eſpouſer le Tombeau.

Sans obſeruer ſon entretien :
Vous penſiez eſtre aſſez heureuſe
Prenant vn homme auec du bien,
Et lors vous rendit amoureuſe,

L’or plus faict pour nous eſbloüir
   Que pour nous reſioüir.

Le bien n’eſt qu’vn ſujet d’ennuy
Pour les ames qui ſont auares,
Les Dragons außi bien que luy
Poſſedent des Threſors bien rares,
Comme luy viuans ſans raiſon,
   Et ſouflans du poiſon.

De moy ie ne le puis celer,
Soupirant ſoubs ſa tyrannie,
Vous ne ſçauriez vous conſoler
De ſa faſcheuſe compagnie,
Qu’en prenant vn Amant diſcret,
   Qui ſoit ſage & ſecret.