Les Amours de Tristan/Les vains efforts
LES VAINS EFFORTS.
ON Ame, deffend toy du deſir aueuglé
Qui d’vn mouuement déreiglé
Souz des fers eſclatans te veut rendre aſſeruie ;
Et d’vn ſage conſeil reiette le poiſon
Qui pourroit nous oster la vie
Nous ayant osté la raiſon.
Conſidere qu’Amour auecque des apas
Nous veut déguiſer mon treſpas
En t’offrant en victime aux plus beaux yeux du Monde :
Et qu’entrer au Dedale où tu vas t’égarant
Eſt vouloir s’embarquer ſur l’Onde
Quand le naufrage eſt apparant.
Celle qui tient ma vie & ma mort en ſes mains
Rebute les vœux des Humains
Comme indignes deuoirs dont ſa Grandeur s’irrite ;
Et l’on ne peut ſans crime aimer en ſi haut lieu
Si ce n’eſt qu’auec le merite
On ait la naiſſance d’vn Dieu.
Bornons donc nos deſirs, & croyons ſagement
Tout ce que nostre iugement
Peut apporter d’vtile au ſoin qui nous poſſede :
Eſtouffons au berceau ces penſers amoureux,
Et par vn ſi cruel remede
Euitons vn mal dangereux.
Mais, ô laſche Conſeil, de qui la trahison
Me veut tirer d’vne priſon
Que mon ambition prefere à cent Couronnes ;
En vain par la terreur tu m’en croy dégager ;
Va t’en glacer d’autres perſonnes
Qui s’eſtonnent pour le danger.
De moy, nulle raiſon ne ſçauroit m’empeſcher
De ſeruir vn obiect ſi cher :
Le peril qui s’y trouue augmente mon courage.
Et ſi dans ce deſſein ie trouue mon Cercueil
Ma vie au moins en ce naufrage
Fera bris contre vn bel eſcueil.
Encore que mes ſoins m’attirent ſon meſpris
Ma foy ne ſera point ſans prix.
Et i’auray de la gloire auec de la diſgrace ;
Car on dira touſiours en parlant de mon ſort,
Daphnis eut vne belle audace,
Et mourut d’vne belle mort.