Les Amours de Tristan/Soupçon
SOVPÇON.
RANTE, ie veux auoüer,
Que i’ay ſujet de me loüer
Des bons mouuemens de voſtre Ame,
Qui fit aſſez d’eſtat de moy,
Pour vouloir reſpondre à ma flame
Sans auoir recogneu ma foy.
Ie vous ſuis vrayment obligé
De ne m’auoir point engagé
Parmy des longueurs inhumaines,
Et de n’auoir voulu ſauuer
Tant de deuoirs & tant de peines
Dont vous me pouuiez eſprouuer.
Vostre amour, dont ie fus rauy,
Me paya ſans auoir ſeruy
Par vne grace fort inſigne ;
Mon cœur bien au vif la reſſent,
Et du moins ſi ie n’en ſuis digne
Ie n’en ſuis pas meſcognoiſſant.
Mais ie me plains en vous aimant,
D’aperceuoir qu’vn autre Amant
S’attende à des faueurs pareilles ;
Et que voſtre facilité
Preste vos yeux, & vos oreilles
Contre voſtre fidelité.
Vous ſçauez que ce fut ainſi
Que ie vous appris le ſoucy
Dont mon Ame eſtoit trauerſée ;
Voſtre ſexe estant inconſtant,
Vne peur m’entre en la penſée,
Qu’vn autre en vienne faire autant.
Apprehendant cela pour vous
Ie n’ay pas ce chagrin ialoux
De qui l’on blaſme les caprices ;
Car ie crains moins pour mon bon-heur
Bien que vous ſoyez mes delices,
Que ie ne crains pour vostre honneur.
Ie ſerois pourtant bien faſché
Que vostre eſprit ſe fuſt taché
D’vn ſi noir & ſi laſche crime ;
Et que perdant tout vostre prix,
Ayant eſté dans mon eſtime,
Vous entraßiez dans mon meſpris.