Les Amours de Tristan/Texte entier

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Les Amours de Tristan
Les Amours de TristanP. Billaine, A. Courbé.

A

MONSIEVR

MONSIEVR

LE COMTE

DE NANÇAY.



Monsievr,

C’eſt auec beaucoup de raiſon que ie vous offre ces Vers d’amour, puis qu’il y en a vne partie que vous auez treuuez dignes de conſeruer en voſtre memoire : & d’autres que vos propres paſſions ont fait produire ; puis j’oſe dire que vous honorez de voſtre eſtime depuis vn aſſez long-temps celuy qui les a composez. S’il vous plaiſt que voſtre nom les deffende, MONSIEVR, ils n’auront point à craindre en allant par le monde, les Monſtres que leurs pareils y rencontrent : L’Enuie n’aura garde de les oſer attaquer, en les voyant marcher ſous la protections des Vertus, & des Graces qui vous accompagnent : Elle eſt auiourd’huy trop bien perſuadée de la grandeur de voſtre merite, pour ne porter pas de reſpect aux choſes que vous auoüez. Si voſtre modeſtie me permettoit de repreſenter icy vos excellentes qualitez, ie ferois voir comme vous auez paſsé pour vne Merueille de la Nature dés voſtre plus tendre ieuneſſe, ſoit par l’eclat d’vn Eſprit qui ſçait démeſler en vn moment les choſes les plus difficiles ; ſoit par les effets d’vne memoire ſans pareille, ſoit par vne grace à vous expliquer, qu’on n’obtient guere bien du Ciel. Ie dirois combien, cette noble audace qui s’eſt toûjours ſi glorieuſement conſeruée en ceux de voſtre Maiſon, vous rend amoureux des perils & vous fait auancer auec ardeur, partout où l’honneur vous appelle : Enfin, MONSIEVR, i’aprendrois aux Etrangers vne verité qui eſt cogneuë de toute la France : C’eſt qu’il y a peu de Seigneurs en ce Siecle qui ſoient accomplis comme vous eſtes ; Et que c’eſt dignement que vous portez l’Illustre nom de la CHASTRE & que vous marchez ſur les pas de ces fameux Anceſtres qui par vne ſi longue ſuite d’années ont merité qu’vne des plus belles & des plus importantes charges de la Cour, fuſt comme annexée à leur fidelité. Mais MONSIEVR, ie m’imagine que ie bleſſe voſtre retenuë, encore que ie ne face que toucher legerement à voſtre gloire : ie ſçay que vos loüanges vous font peine, bien qu’elles ſoient auſſi veritables que la paſſion que i’ay de vous teſmoigner que ie ſuis,


MONSIEVR,


Voſtre tres-humble, & tres-obeyſſant ſeruiteur,


TRISTAN l’Hermite.

AVERTISSEMENT.



VOicy des premiers productions de mon eſprit, & des effets de ma jeuneſſe : Il faut que le Printemps pouſſe des fleurs, auant que l’Automne produiſe des fruits. C’eſt vn ordre de la Nature qui ſe rencontre dans le cours de nôtre vie, comme dans celuy de l’année. Auſſi ie vous donne ces ouurages qui ſont faits ſeulement pour plaire, attendant que i’en mette d’autres au jour, qui puiſſent plaire & profiter tout enſemble. Cela fera voir, que pour reparer la perte du temps que i’ay employé à écrire ſur des matieres vaines & fragiles, i’ay mis aumoins quelque loiſir en des trauaux plus vtiles & plus ſerieux : Cependant voyez ces Vers, où ne les voyez pas ; & les chargez ſelon vôtre gouſt, de loüanges ou de cenſures ; pour moy ie vous en diray librement mes ſentimens : Comme ie ne ſuis plus dans l’humeur de tirer aucune gloire de l’eſtime qu’on fait de mes erreurs ; auſſi ne me piquay-ie guerre des deffauts qu’on y remarque. Apres tout, quelle honte y a-t’il de n’exceller pas a bien eſcrire ſur des matieres ou l’on ne peut reüſſir raiſonnablement, ſans faire pareſtre qu’on a perdu la raiſon ?

LE PRÉLVDE,
SONNET.


 

IE n’eſcry point icy l’embrazement de Troye,
Ses larmes, ſes ſouspirs, & ſes cris éclatans,
Ny l’effroy qui ſaiſit ſes triſtes habitans
Lors que des Grecs vainqueurs ils ſe virent la proye.

I’y dépeins ſeulement les pleurs dont ie me noye,
Le feu qui me conſume, & les deuoirs conſtans
Qu’auecque tant de ſoing i’ay rendus ſi long temps
À celle dont l’orgueil au ſepulcre m’enuoye.

Außi ie n’atten pas que le bruit de mes vers,
Portant ma renommée au bout de l’Vniuers,
Eſtande ma memoire au delà de ma vie :

I’en veux moins acquerir d’honneur que d’amitié,
Les autres ont deſſein de donner de l’enuie,
Et le point où i’aſpire eſt de faire pitié.

Aux conqverans


Ambitieux.



SONNET.



VOVS que l’Ambition diſpoſe à des efforts
Que n’oſeroit tanter vn courage vulgaire :
Et qui vous conduiriez iuſqu’au ſeiour des morts
Afin d’y rencontrer de quoy vous ſatisfaire.

Voulez vous butiner de plus riches treſors
Que n’en ont tous les lieux que le Soleil eſclaire ?
Sans courir l’Ocean, ny rauager ſes bors,
Venez voir ma Princeſſe, & taſchez de luy plaire :

Vous pourriez conquerir, s’il plaiſoit au Destin
Les terres du Couchant, les climats du matin,
Et l’Iſle dont la Roſe eſt la Reine de l’onde :

Vous pourriez aſſeruir l’Eſtat des fleurs de Lys,
Vous pourriez impoſer des loix à tout le Monde,
Mais tout cela vaut moins qu’vn baiſer de Philis.

L'Excusable Erreur.

SONNET


QUE l'obiect est diuin qui s'eſt fait mon vainqueur !
Qu'il a de iugement, qu'il a de cognoiſſance !
Amour, auec raiſon ie benis ta puiſſance
D'auoir ſi bien graué ſon image en mon cœur.

Bien qu'elle ait ordonné que ie viue en langueur
Auec tant de contrainte, & ſi peu de licence ;
I'oſe meſme auoüer que i'aime ſa rigueur,
Puis que ſa cruauté garde ſon innoncence.

Philis est ſans exemple, & qui sçait les clartez
Dont ſes rares uertus releuent ſes beautez,
Ne ſçauroit limiter l'honneur qu'on luy doit rendre.

Si ie l'adore außi, pardonnez moy grands Dieux,
En vn pareil ſujet on ſe peut bien meſprendre,
Il n'est rien icy bas qui vous reſſemble mieux.


160

LES TOVRMENS agreables.

SONNET.



QUE ie trouuve de gloire & d’heur en ma diſgrace !
Quelque ſecret ennuy qui m’outrage ſi fort,
De quelque empeſchement dont m’afflige le Sort,
Et de quelque rigueur dont Philis me menace.

Encore que mes feux ne fondent point ſa glace,
Mourant pour ſon ſujet, i’auray ce reconfort
Qu’il ſera mal-aisé qu’vne plus belle mort
Puiſſe iamais punir vne plus belle audace.

Pour le moins ma meurtriere a mille qualitez,
Elle a mille vertus, elle a mille beautez,
Et mille doux appas dont la force eſt extréme.

On l’eſtime à ſon teint la Courriere du iour,
Quand on l’entend parler, c’eſt Minerue elle meſme,
Et lors qu’elle ſouſrit, c’eſt la Mere d’Amour.


LE DESPIT corrigé.

SONNET


C'EST trop long temps combattre vn orgueil inuincible
Qui braue ma constance, & ma fidelité.
Ne nous obſtinons plus dans la temerité
De vouloir aborder ce roc inacceßible.

Tournons ailleurs la voile, & s’il nous eſt poßible
Oublions tout à fait ceſte ingrate Beauté,
Ne pouuans conceuoir qu’auecque laſcheté
Tant de reſſentimens pour vne ame inſenſible.

Mais que dis tu mon cœur ? aurois tu conſenty
Au perfide deſſein de changer de party,
Seruant comme tu fais vn obiect adorable ?

Non, non, celle que i’aime eſt d’vn trop digne prix,
Et tout autre Sujet n’est pas meſme capable
De faire des faueurs qui vaillent ſes meſpris.


LA NEGLIGENCE auantageuſe.

SONNET.


IE ſurpris l’autre iour la Nymphe que i’adore,
Ayant ſur vne iupe vn peignoir ſeulement ;
Et la voyant ainſi l’on eust dit proprement
Qu’il ſortoit de ſon lict vne nouuelle Aurore.

Ses yeux que le ſommeil abandonnoit encore,
Ses cheueux autour d’elle errans confusément
Ne lierent mon cœur que plus estroictement,
Ne firent qu’augmenter le feu qui me deuore.

Amour, ſi mon Soleil bruſle dés le matin,
Ie ne puis eſperer en mon cruel deſtin
De voir diminuer l’ardeur qui me tourmente.

Dieux ! quelle eſt la Beauté qui cauſe ma langueur ?
Plus elle eſt negligee, & plus elle eſt charmante,
Plus ſon poil eſt eſpars, plus il preſſe mon cœur.


LES CHEVEUX blonds.

SONNET.


FIN or de qui l’eſclat eſt ſans comparaiſon,
Clairs rayons d’vn Soleil, douce & ſubtile trame
Dont la molle estenduë a des ondes de flame
Où l’Amour mille fois a noyé ma raiſon.

Beau poil voſtre franchiſe eſt vne trahison ;
Faut-il qu’en vous monſtrant vous me cachiez Madame ?
N’eſtoit-ce pas aſſez de captiuer mon Ame,
Sans retenir ainſi ce beau corps en priſon ?

Mais, ô doux flots dorez, voſtre orgueil ſe rabaisse,
Souz la ſeuerité d’vne main qui vous preſſe,
Vous allez comme moy perdre la liberté.

Et i’ay le bien de voir vne fois en ma vie
Qu’en liant le beau poil qui me tient arreſté,
On oſte la franchiſe à qui me l’a rauie.


LA BELLE malade.

SONNET.


AMOVR ie t’auertis qu’vne fieure cruelle
Eſt preſte d’enuoyer Phillis dans le tombeau,
Et c’eſt vn bruit commun que tu vas perdre en elle,
Tout ce que ton Empire eut iamais de plus beau.

La neige de ſon corps ſe reſoût toute en eau ;
Tempere ſon ardeur du doux vent de ton aiſle,
Et luy ſerrant le front auecque ton bandeau,
Hauſſe de ton carquois le cheuet de la belle.

Mais s’il faut que la mort vienne pour l’aſſaillir
Amour, fais qu’elle puiſſe heureuſement faillir,
Change ſon dard funeste en vn doux traict de flame.

Afin qu’executant vn coup ſi hazardeux,
Lors qu’elle percera le beau sein de Madame
Penſant perdre vne vie, elle en conſerve deux.


À DES CIMETIERES.

SONNET.


SEIOVR melancolique, où les ombres dolentes
Se pleignent chaque nuict de leur aduerſité,
Et murmurent touſiours de la neceßité
Qui les contraint d’errer par les tombes relantes.

Oſſemens entaſſez, & vous pierres parlantes
Qui conſeruez les noms à la poſterité ;
Repreſentans la vie & la fragilité,
Pour cenſurer l’orgueil des Ames inſolentes.

Tombeaux, paſles teſmoins de la rigueur du Sort,
Où ie viens en ſecret entretenir la mort
D’vne Amour que ie voy ſi mal recompenſee :

Vous donnez de la crainte & de l’horreur à tous :
Mais le plus doux obiect qui s’offre à ma penſee
Est beaucoup plus funeſte & plus triſte que vous.


LA IALOVSIE mal fondée.

SONNET.



TELLE qu’eſtoit Diane alors qu’imprudemment
L’infortuné Chaſſeur la voyoit toute nuë,
Telle dedans vn bain Dorinde s’eſt tenuë,
N’ayant le corps veſtu que d’vn moite Element.

Quelque Dieu dans ces eaux caché ſecretement,
A veu tous les appas dont la belle eſt pourueüe :
Mais s’il n’en auoit eu ſeulement que la veüe
Ie ſerois moins jaloux de ſon contentement.

Le traiſtre, l’inſolent, n’eſtant qu’vne eau verſee,
L’a baiſee en tous lieux, l’a touſiours embraſſee ;
I’enrage de colere à m’en reſſouuenir.

Cependant cét obiect dont ie ſuis idolatre,
Durant tous ces excés n’a fait pour le punir
Que donner à ſon onde vne couleur d’albaſtre.


POVRTRAIT D’VNE rare beauté.

SONNET.



PENSER audacieux, pourray-ie t’exprimer,
Pourray-ie executer ce que tu me propoſes,
Et dépeindre en ces vers tant d’adorables choſes
Que l’Enuie elle meſme eſt contrainte d’aimer ?

Amour aßiſte moy, commençons à former
Son viſage de lys & ſa bouche de roſes,
Où dans vn double rang des perles ſont écloſes,
Qui n’ont iamais paré les Nymphes de la mer.

Faiſons ce teint de neige, & compoſons de flame
L’eſclat de ſes beaux yeux, de ces Rois de mon Ame,
Par qui l’Astre du iour ſe verroit effacer.

Dieux ! le pourtrait d’Iris eſt ſi beau qu’on l’admire :
Mais la Nature en elle a voulu ſurpaſſer
Tout ce qu’on peut penſer, & tout ce qu’on peut dire.


APPREHENSION d’vn Départ.

SONNET.



ON me vient d’auertir que tu t’en vas d’icy
Iris diuin obiect dont mon Ame est rauie,
Qu’vne Ayeule eſt malade, & qu’vn pieux ſoucy
À te rendre auprés d’elle auiourd’huy te conuie.

Peux tu bien conſentir à me laiſſer ainſi ?
S’il faut que ce départ ſoit ſelon ton enuie,
Comme il eſt reſolu mon treſpas l’est außi,
Et le mal de l’abſence acheuera ma vie.

Quoy tu ne me dis rien dans ces extremitez ?
Ah ! par ceſte froideur mes iours sont limitez,
Adieu donc, ô Beauté d’inſenſible courage ;

Puis que ma paßion ne t’en peut diuertir,
Nous ferons à meſme heure vn different voyage,
Mon Ame est comme toy toute preſte à partir.


PLAINTE À l’Amour.

SONNET.



TOY qui de mon erreur es l’aueugle complice,
Enfant né dans le crime, & dans la trahiſon,
Puis que ta violence a ſi peu de raiſon
Ie veux dire tout haus quelle est ton iniustice.

Amour, tu veux que i’aime vne belle priſon,
Et tu m’y viens geſner d’vn eternel ſupplice,
Me nourriſſant touſiours d’vn ſi cruel poiſon
Que pour m’en déliurer ie cherche vn precipice.

Celle dont les appas ont engagé mon cœur,
Traite mes paßions auec tant de rigueur
Que ſur moy ſa colere à tous propos eſclate ;

Et tout ce qui l’oblige à tant de cruautez,
C’eſt que mes ſentimens pour loüer ceſte ingrate
Meſpriſent auiourd’huy les plus rares Beautez.


L’AVIS CONSIDERABLE.

SONNET.



SOVRCE de mes tourmens, obiect inexorable,
Dont les ieunes appas triomphent de mon cœur,
Ô cruelle Siluie, il eſt bien miſerable
Qui tombe entre les mains d’vn inſolent vainqueur !

Inſenſible ſujet qui ris de ma langueur ;
Et te mocquant de voir vn mal incomparable,
Fais vanité de ioindre vne extréme rigueur
À l’extréme Beauté qui te rend adorable.

Si tu traictois ma flame auec moins de meſpris
Tu pourrois t’aſſeurer que bien toſt mes eſcrits
Te rendroient immortelle en deſpit de l’Enuie.

Quel bien retires tu de cét excés d’orgueil ?
Il abrege ta gloire en abregeant ma vie,
Et te priue d’vn Temple en m’ouurant le cercueil.


LA BELLE EN DUEIL.

SONNET.



QVE vous auez d’appas belle nuict animee !
Que vous nous apportez de merueille & d’Amour :
Il faut bien confeſſer que vous estes formee
Pour donner de l’enuie & de la honte au iour.

La flame eſclate moins à trauers la fumee
Que ne font vos beaux yeux ſouz le funeſte atour,
Et de tous les mortels, en ce ſacré ſeiour,
Comme vn celeſte Obiect vous estes reclamee.

Mais ce n’est point ainſi que ces Diuinitez
Qui n’ont plus ny de vœux ny de ſolemnitez,
Et dont l’Autel glacé ne reçoit point de preſſe.

Car vous voyant ſi belle, on penſe à voſtre abord
Que par quelque gageure où Venus s’intereſſe,
L’Amour s’est déguiſé ſouz l’habit de la Mort.


L’HUMEUR INGRATE.

SONNET.



PAR la malignité d’vne Estoille inconnuë
Dont le pouuoir s’applique à me tyranniſer ;
En adorant Philis, ie m’en fay meſpriſer,
Et plus mon feu s’accroiſt, plus le ſien diminuë.

S’il faut qu’à s’augmenter ſa froideur continuë,
À l’enuy de l’ardeur qui me vint embraſer :
Ie ne croy pas iamais en auoir vn baiſer,
Ny luy voir ſeulement vne main toute nuë.

Apres tant de ſouſpirs & de pleurs reſpandus,
Apres tant de loiſirs & de pas deſpendus
Voila ce que remporte vne amour ſi fidelle :

Et ſon ingrate humeur me reduit à tel point
Que mon dernier ſecret, pour me faire aimer d’elle,
Est de faire ſemblant que ie ne l’aime point.


L’AME INSENSIBLE.

SONNET.



Ô Fierté ſans exemple ! ô rigueur ſans ſeconde !
À quel mal-heur, ô Dieux, m’auez vous deſtiné,
Et quel crime ay-ie fait pour me voir condamné
À me plaindre touſiours ſans que l’on me reſponde ?

Aux peines que ie prens ie ſeme deſſus l’onde,
Et flattant les beaux yeux qui m’ont empoiſonné
Ie ne puis eſmouuoir vn courage obſtiné
D’vne amour qui pourroit eſbranler tout le Monde.

Pleuray-ie inceſſamment, on ſe rit de mes pleurs,
Monſtray-ie mes ſoucis, on les prend pour des fleurs,
Contay-ie mon ardeur, on ne croit point ma flame.

Et lors que i’ay la Terre & les Cieux pour teſmoins,
Qu’auec le plus d’excés on outrage mon ame,
C’eſt quand on fait ſemblant qu’on y penſe le moins.


LES REMEDES INVTILES.

SONNET.



CHEF d’œuure ſans exemple, où l’Art & la Nature
Ont employé leur ſoin ſi liberalement,
Toy qui par tes ſecrets peus ſi facilement
Conduire tes amis loin de la ſepulture.

De Lorme, ie t’implore en ma triſte auanture :
Ie ſuis dedans le ſein bleßé cruellement,
Et tout ce que j’ay fait pour mon ſoulagement
N’a rien fait iuſqu’icy qu’irriter ma bleſſure.

Ie ſens dans mes humeurs vn grand feu s’embraſer :
Trauaillé de douleurs ie ne puis repoſer,
Et n’eſpere plus rien qu’en ton ſçauoir extreſme.

Mais que peux-tu fournir qui ſerue à ma langueur ?
Las ! i’ay le cœur atteint, & tu m’as dit toy meſme
Qu’il n’eſt point de remede aux bleſſures du cœur.


LE CABALISTE.

SONNET.



ESPRIT qu’on voit briller de clairtez eminentes,
Toy qui de l’Vniuers connois chaque reſſort,
Et qui ſçais la vertu, la force, & le rapport
Des Cieux, des Elemens, des pierres & des plantes.

Obſeruant la Nature aux formes inconstantes,
Tu lis tous les decrets que minute le Sort,
Et peus haster le cours, ou reculer la mort
De tout ce que le Monde a de choſes viuantes.

Mais quoy, ne m’apprens rien qui me face enrichir,
Qui me conſerue ieune, ou me puiſſe affranchir,
De la flame, de l’eau, de la peſte ou des armes.

S’il faut que mon humeur ait pour toy des appas,
Seulement, cher Timandre, enſeigne moy des charmes
Qui m’empeſchent d’aimer ce qui ne m’aime pas.


LES VAINES IMPRECATIONS.

SONNET.



SEXE ingrat & leger, deffaut de la Nature
Sans foy, ſans iugement, & ſans election,
Qui changes en vn iour cent fois d’affection,
N’aimant que par caprice, & que par auanture.

Afin que ma vangeance égale mon iniure
Ie veux ainſi que toy ſuiure ma paßion,
Et décrier ſi fort ton imperfection
Qu’elle ſoit detestable à la Race future.

Mais quel tranſport t’égare ? vne rare Beauté
Que tu nommes ta Reine & ta Diuinité,
T’impoſe la douceur dans le ſang & la flame.

Vn Romain dont l’Histoire a ſes traits embellis,
Fit grace à tout vn peuple en faueur d’vne femme,
Fay grace à tout vn ſexe en faueur de Philis.


LA VANGEANCE.

SONNET.



OLIMPE, en me quittant, vous m’auez fait plaiſir ;
De bon cœur ie rens grace à voſtre ingratitude,
Puis qu’elle m’a tiré de ceste ſeruitude
Où i’auois trop perdu de peine & de loiſir.

Vn plus digne ſujet arreſtant mon deſir,
Me donne plus de ioye & moins d’inquietude ;
Et quand i’en receurois vn traictement plus rude,
C’est le plus beau deſtin que ie voudrois choiſir.

Vne choſe m’afflige en ſeruant ceſte Belle,
C’eſt que la cognoiſſant, ieune, chaſte, & fidelle,
Auecque des appas qui peuuent tout rauir ;

Ie voy que ie ne puis offrir à ſa puiſſance
Que ceſte meſme foy dont ie vien de ſeruir
La meſme Perfidie, & la meſme Inconſtance.


L’INNOCENTE TROMPÉE.

SONNET.



CETTE ieune Beauté dont ie fais tant d’estime,
Et que Daphnis adore auec tant de raiſon ;
Cét obiect ſans deffauts, & ſans comparaiſon,
Qui n’a pas vn penſer qui ne ſoit legitime.

Amaranthe est trahie, ô deteſtable crime !
Et ſans s’apperceuoir de ceſte trahiſon,
De la main d’vn Barbare elle prend du poiſon,
Et s’auance à ſa perte innocente victime.

Celuy qui la trahist, m’en a dit le ſecret,
Ie n’en puis voir le cours ſans mourir de regret,
Et ie pers mon Amy s’il faut que ie le die.

Mais il ſe faut reſoudre en ceste extremité,
Car mes reſſentimens par vne perfidie
La doiuent aſſeurer de ma fidelité.


LE DESPIT SALUTAIRE.

SONNET.



DESPIT altier Enfant d’vn deſdain rigoureux
Dont on fait vanité lors qu’on me deſeſpere ;
Vien rompre d’vn grand coup les fers d’vn mal-heureux,
Et te rends dans mon Ame außi fier que ton Pere.

Oſtons nous d’vn ſentier inégal & pierreux,
Où l’on ne trouue en fin qu’vne longue miſere ;
Les Roſes qu’on y void dont i’estois amoureux,
Couurent de leur eſlcat vne noire vipere.

Souz vn aimable teint, ceſte ieune Beauté
Loge l’ingratitude auec la cruauté
Pour geſner ſes Amans d’vn eternel martyre.

De moy, qui n’aime point les longs ſujets de pleurs,
Quand ie voy qu’vn ſerpent ſouz des fleurs ſe retire,
I’abhorre à meſme temps le ſerpent & les fleurs.


LA PLAINTE ESCRITE DE SANG.

SONNET.



INHVMAINE Beauté dont l’humeur inſolente,
En meſpriſant mes vœux, ſe rit de ma langueur,
Ie veux conuaincre icy ton ingrate rigueur
Par les vifs argumens d’vne raiſon ſanglante.

Ces vers ſont de ma flame vne preuue euidente,
Et tous ces traits de pourpre en font voir la grandeur :
Cruelle, touche les pour en ſentir l’ardeur,
Ceſt eſcriture fume, elle est encore ardante.

Voy nâger dans le ſang mes eſprits deſolez ;
Pour appaiſer ta haine ils ſe ſont immolez
D’vne deuotion qui n’eut iamais d’exemple.

Et ſi prés de mon cœur il en eſt demeuré
C’eſt afin ſeulement de conſeruer le Temple
Où ton diuin Portrait est touſiours adoré.


LE RESPECT TYRANNIQUE.

SONNET.



IL n’eſt point de tourment pareil à mon martire,
Vn Obiect tout Diuin me force à l’adorer ;
Et le voulant ſeruir, ie voy que ie deſire
Des honneurs qu’vn mortel ne doit pas eſperer.

Qu’est-ce qu’en ma douleur ie puis deliberer,
Lors que traictant mon Ame auec vn meſme Empire,
L’Amour & le reſpect de peuuent endurer
Que ie cele mon mal, ny que ie l’oſe dire ?

Dans les extremitez de ceſte paßion
Dont l’ardeur est eſgale à la diſcretion,
Appren moy ma Raiſon, quel conſeil ie dois ſuiure ?

Sans eſpoir de ſecours ie ſouffre nuict & iour,
Et quand ie veux mourir, ie ſuis contraint de viure
De crainte que ma mort parle de mon amour.


LE VOL TROP HAUTAIN.

SONNET.



C’EST trop d’oſer aimer vne Diuinité,
Gardons de ſouſpirer parmy la violence ;
Il faut que mon reſpect par vn profond ſilence
Reſponde à la grandeur de ma fidelité.

Obiect digne & charmant, mais plein de cruauté,
I’ay ſeruy ſans eſpoir, ie meurs ſans repentance,
Et l’on peut me nommer vn Phenix en conſtance
Que prend pour ſa victime vn Soleil en beauté.

Ô merueille d’Amour, produite pour ta gloire
Dont tu dois pour le moins conſeruer la memoire
Si tu n’es obligee à regretter mon Sort.

Ie donne tous mes ſoins, & n’en veux rien attendre,
On n’a point ſceu mon mal, & ie me trouue mort,
On n’a point veu ma flame, & ie ſuis tout en cendre.


LA FATALITÉ D’AMOUR.

SONNET.



COMMENT, ie l’aime encore, & ne puis me diſtraire
D’obſeruer tous les iours ſa grace & ſes appas ?
Ô cruelle influence à mon bon-heur contraire
Qui me forces d’aimer ce qui ne m’aime pas !

Puiſque de ma raiſon le conſeil ſalutaire
N’a pas eu le pouuoir d’en destourner mes pas ;
Il faut à la faueur d’vne mort volontaire
S’affranchir d’vn tourment pire que le treſpas.

Sortons, ſortons par là de ceſte ſeruitude,
Où la beauté s’accorde auec l’ingratitude
Pour chercher de la gloire à nous faire du mal.

Et ceſſant de mourir d’vne mort continuë,
Allons voir ſi l’Enfer eſt vn ſupplice égal
À celuy d’vne amour qui n’est point reconnuë.


L’ABSENCE ENNUYEUSE.

SONNET.



QVE le mal de l’abſence eſt cruel aux Amans !
Et qu’il rend mon humeur melancolique & noire !
Pour moderer mes maux ou mes reſſentimens :
Dieux, rendez moy Phillis, ou m’ostez la memoire.

Les obiects les plus doux me ſont des monumens
Depuis que ceſte Belle a repaßé la Loire ;
Et i’eſprouue depuis de ſi cruels tourmens,
Que ſans les reſſentir, on ne les ſçauroit croire.

I’eſperois en voyant ce bel Astre d’Amour,
Qu’à iamais ſa clarté me donneroit le iour :
Mais elle est à mes yeux pour long temps éclipſée :

Et i’apprehende bien d’auoir vn Sort pareil
Au ſort des habitans de ceſte Mer glacee
Qui demeure ſix mois ſans reuoir le Soleil.


LES SECRETTES CONSOLATIONS.

SONNET.



ENCORE que ie pleure, & bien que ie ſouſpire,
Ce n’eſt pas que mon cœur plaigne ſa liberté :
Puis-ie la regretter ſeruant vne Beauté
Dont les moindres faueurs valent mieux qu’vn Empire ?

Ie deſpite l’Enuie, & les traits qu’elle tire,
Ma conſtance & ma foy brauent ſa cruauté ;
Et par quelques rigueurs dont ie ſois tourmenté,
La Palme glorieuſe eſt iointe à mon martyre.

Quoy que d’vn vieux ialoux l’artifice ait produit,
I’entretiens en ſecret Orante iour & nuit :
Mais, que ſa chaſteté n’en ſoit point offenſee.

Ie luy parle ſans ceſſe & la vois en tous lieux,
Car touſiours mon amour fait faire à ma penſee
L’office de ma langue, & celuy de mes yeux.


LE DESPART FORCÉ.

SONNET.



TYRAN qui de ma vie abſolument diſpoſes,
Honneur tu m’as bien tost preßé de m’en aller ;
Cependant tout le bien qu’ailleurs tu me propoſes,
Eſt vn mal dont mon cœur ne ſe peut conſoler.

Faut-il donc s’eſloigner de tant de belles choſes
Pour acquerir vn bruit qui n’eſt rien que de l’air ?
Et pour ſuiure la guerre abandonner des Roſes
Que les plus beaux Lauriers ne ſçauroient égaler ?

Mais, Amour, qui te dis le Monarque des Ames,
Toy qui dans ſes beaux yeux tout couronné de flames
Te maintiens en l’eſtat d’vn Vainqueur triomphant,

Souffres tu que l’honneur trauerſe mon enuie,
Et que ſur ce deſpart, Mars te traite en Enfant,
Toy qui l’as deſarmé mille fois en ta vie ?


L’AMANTE SOVPÇONNEUSE.

SONNET.



VOVS dont la chere Image erre deuant mes yeux,
Et que ie voy touſiours de ceux de la penſée ;
Vous diuertiriez vous quand ie pleure en ces lieux,
Beaux lieux, triſtes teſmoins de ma gloire paßée ?

Amour le plus cruel & le plus grand des Dieux,
D’vne ſecrete peur rend mon Ame glacée ;
C’eſt que ſans redouter la iuſtice des Cieux
Par quelque changement vous l’ayez offencée.

S’il faut qu’il ſoit ainſi, Daphnis, ie veux mourir,
Ie n’ay plus de deſir que celuy de courir,
Ou vers vne riuiere, ou vers vn precipice.

Car vn deſtin barbare à ma fidelité
Veut que par trop d’amour i’eſprouue le ſuplice
Que par trop peu de foy vous auez merité.


LES TRISTES CONSIDERATIONS.

SONNET



PVISQVE par mes deuoirs, inhumaine Siluie,
Voſtre rigueur s’irrite auec tant de tranſport,
Apres tant de deuoirs, ie voy bien que ma mort
Sera le triſte prix de vous auoir ſeruie.

Ie veux bien contenter voſtre cruelle enuie,
Et finir d’vn beau coup vn ſi funeſte Sort,
Eſteignant deuant vous par vn dernier effort,
Le feu de mon amour, & celuy de ma vie.

Mais, helas ! ie crains bien qu’vn ſouuenir ſi beau
Me perſecute encore au delà du tombeau,
Pourſuiuant mon eſprit ſur les riuages ſombres ;

Et qu’vn eſloignement m’afflige deſormais,
Car de vous penſer voir en l’Empire des Ombres,
Les Aſtres comme vous n’y deſcendent iamais.


LES VAINES DOVCEVRS.

SONNET.



IE n’ay plus de relaſche au ſoucy qui me ronge,
Depuis que ma Philis s’eſloigna de ces lieux ;
Si ce n’est que la nuict il m’arrive qu’en ſonge
Ce bel Aſtre d’Amour ſe preſente à mes yeux.

Alors dans les douceurs où ceſte erreur me plonge,
Ie croy que des Enfers ie monte dans les Cieux :
Et ie renoncerois à la gloire des Dieux
Si ma felicité n’eſtoit point vn menſonge.

Philis en vn moment par vn charme ſi doux
Se iette entre mes bras malgré tant de ialoux,
Et tant d’empeſchemens qui ſont ſi difficiles.

Sommeil dont la bonté merite des Autels,
Si les biens que tu fais n’eſtoient point ſi fragiles
Tu ſerois le plus grand de tous les Immortels.


LA FAVSSE PERSVASION.

SONNET.



OLINDE, vos appas ont enchanté mes ſens,
Vos beaux yeux ont versé du poiſon dans mon Ame,
Et vos honteux regards ſont des traicts innocens
Contre qui la Raiſon ne ſçait point de Dictame.

Les Dieux qui ſont ialoux des peines que ie ſens
Bruſlent pour vous là haut d’vne ſecrete flame,
Et comme eux vous auriez des vœux & de l’encens
Si vous n’eſtiez point ſourde alors qu’on vous reclame.

Perdez pour voſtre honneur ces inhumanitez,
Ayez ceſte douceur qu’ont les Diuinitez
Qui ne s’offencent point voyant qu’on les adore.

Que ie n’implore point en vain voſtre ſecours,
Et qu’il ne ſoit pas dit qu’vne nouuelle Aurore
Ait voulu preſider à la fin de mes iours.


LA BEVEVË.

SONNET.



VOVS vous trompez mes yeux, elle n’est pas ſi belle
Que vous la dépeigniez à ma credulité :
Comparant la peinture auec la verité,
Ie puis vous accuſer d’vn rapport infidelle.

Faites donc deſormais meilleure ſentinelle,
Employez à garder ma chere liberté ;
Et ne vous troublez plus de voir vne Beauté
Dont le trompeur eſclat ſurprend à la chandelle.

Reuoyant cét Obiect à la clarté du iour,
Vous portez ma raiſon à bannir cét amour
Qui par vostre ſurpriſe en mon cœur fit retraite :

Et dans l’heureux estat où mes ſens ſont remis,
Mes penſers font ainſi qu’vne troupe deffaite,
Qui ſoudain ſe rallie & bat ſes ennemis.


LES DELIRES.

SONNET.



IE ſuis preſt à mourir, voicy mon dernier iour ;
Ie ne voy plus Philis, & le Ciel que i’implore
Pour comble de mal-heurs veut adiouſter encore
La chaleur de la fieure à celle de l’Amour.

Alors que le Soleil prepare ſon retour,
Et que les prez ſont pleins des larmes de l’Aurore,
Quelque fois en dormant ie me trouue au ſejour
Où vient de s’en aller la Beauté que i’adore.

Surpris en la voyant par ceste douce erreur,
Moy qui n’apperçois plus que des obiects d’horreur,
Et dont les triſtes yeux ne s’ouurent plus qu’aux larmes.

Ie croy que du treſpas i’ay reſſenty l’effort,
Et que tant de beautez, de graces, & de charmes
Sont les felicitez qu’on trouue apres la mort.


LES SONGES FVNESTES.

SONNET.



CETTE nuict en dormant d’vn ſomme inquieté,
I’ay touſiours combattu de tristes réfveries,
La clarté d’vn tiſon dans vne obſcurité
M’a fait à l’impourueu paroistre des Furies.

Prés de moy la Diſcorde, & l’Infidelité
Monſtroient leur violence en mille barbaries,
Et de ſang eſpandu, par tout leur cruauté
Soüilloit l’argent de l’onde, & l’eſmail des prairies.

Troublé de ces horreurs ie ne ſçay que penſer
Si ce n’eſt que le Ciel me veuille menacer
De quelque changement en l’ame de Siluie.

Songe, Phantoſme affreux, noir ennemy du iour,
Parle moy ſi tu veux de la fin de ma vie :
Mais ne m’anonce point la fin de ſon amour.


POVR LA BELLE ESCLAIRÉE.

SONNET.



QVE voſtre diligence à mes vœux est contraire,
Vous qui ſur ma Phillis, veillez inceſſamment :
Conſiderez vn peu qu’il n’est pas neceſſaire
D’eſclairer vn Soleil qui luit ſi viuement.

Prenez plus de repos pour mon contentement,
Ne vous en tenez pas ſi prés qu’à l’ordinaire ;
Et ſouffrez qu’en ſecret ie luy parle vn moment
Puiſque c’eſt le ſeul bien qui me peut ſatisfaire.

De grace, laiſſez nous l’vſage de la voix ;
Ces charmantes beautez qui me donnent des loix
Ne ſont pas des ſujets qu’on doiue ainſi contraindre.

Dieux ! auec vostre ſoin qui me vient trauerſer,
Et dont vous m’empeſchez auiourd’huy de me plaindre,
Vous deuiez empeſcher ſes yeux de me bleſſer.


L’AMANT EN LANGVEVR.

SONNET.



EN ces tristes deſerts, où s’areſte la Cour,
I’entretiens voſtre Image au doux bruit des fontaines ;
Et me plains de l’abſence aux ſablons d’alentour
Qui n’ont pas tant de grains que mon cœur a de peines.

Puis vous ayant offert à chaque heure du iour
Des ſouſpirs, des penſers, & des paroles vaines,
Ie coniure vn pinceau qui des tourmens d’Amour
Vous fera voir en moy des marques bien certaines.

Vous direz, Amaranthe, en voyant mon portrait,
Que c’eſt celuy d’vn autre, & qu’il n’a pas vn trait
De ceux que ſur mon teint vous auez veu parestre :

Mais ie ſuis ſi changé par nos communs ennuis,
Qu’à bien parler außi ce n’est pas me cogneſtre,
Que de me recogneſtre en l’estat où ie ſuis.


LE BAIN EMPOISONNÉ.

SONNET.



QVE le bon-heur eſt grand à quoy tu me deſtines ?
Agreable preſent des Nimphes d’vn ruiſſeau,
Bain qui viens de ſeruir de lict & de berceau,
De ſeiour & d’habit à cent beautez diuines.

Mais, que ie ſens icy de flames intestines,
Ô Merueille funeste ! ô prodige nouueau !
Amour en vn braſier a conuerty ceſte eau,
Et ces Roſes pour moy ſe changent en eſpines.

Ô Cieux ! que ce remede eſt pris mal à propos !
Ie rencontre vn ſupplice en cherchant du repos,
Tant le ioug eſt cruel où le Deſtin me lie.

Ie trouue dans ce bain mille pointes de fer,
Et ce qui fut naguere vn Ciel pour Roſelie,
Dés que i’y ſuis entré n’eſt plus rien qu’vn Enfer.


LA PITIÉ CRVELLE.

SONNET.



PVisqu’on ne peur rien voir d’eſgal à ta beauté,
Et que le Ciel t’a faite außi fiere que belle ;
Prend ce poignard, Clorinde, & par ta cruauté
Donne de ta clemence vne preuue nouuelle.

Fais vn acte au iourd’huy d’vne Diuinité
Sans faire de contrainte à ton humeur cruelle ;
Et monstrant ta douçeur dans l’inhumanité,
Gueris d’vn coup mortel vne atteinte mortelle.

Ah Perfide ! tu crains de me preſter ta main ;
Tu ne penſerois pas faire vn acte inhumain
D’afranchir mon eſprit d’vne peine ſi grande :

Ô Dieux ! l’ingrat Obiect pour qui ie meurs d’amour
Me refuſe vne mort quand ie la luy demande,
Pour m’en faire ſouffrir plus de mille en vn jour.


LE BAISER.

SONNET.



MES Eſcrits à iamais, Amour, te beniront,
Puiſque par ta faueur i’amolis cette ſouche ;
Pour le prix d’vn Laurier que ie mis ſur ſon front
Yris me fit baiſer les roſes de ſa bouche.

Qu’elle plongea mon Ame en de felicitez !
Que ce reſſouuenir est doux à ma penſée !
Et ſi ie dépeignis de belles veritez,
Que mon inuention fut bien recompenſée !

Ô Diuine merueille, il faut bien que mes Vers
Portant vostre loüange au bout de l’Vniuers,
Vous façent adorer des plus rares perſonnes :

Vous les recognoiſſez trop liberalement ;
Vous donnez des threſors, vous donnez des Couronnes,
Et ſi vous ne donnez qu’vn baiſer ſeulement.


LES MEDECINS TEMERAIRES.

SONNET.



VOYANT deſſouz vn Ciel ma Clorinde en langueur,
Mille Amours deſolez pleurent de ſon martire,
S’entrediſans tout bas, que la meſme rigueur
Qui change ſes beautez, deſtruira leur Empire.

Aprochez, Medecins, & veillez vn peu dire
Si cette eſmotion doit tirer en langueur :
Si vous estes ſçauants vous le pourrez bien dire
Selon le batement & du poulx & du Cœur.

Mais quoy ? vous abuſez de voſtre priuilege ;
C’est trop vous arreſter deſſus ces monts de neige,
De qui le feu ſecret bruſle tous les humains.

Il vous eſt bien permis d’approcher de ſa couche,
Mais non pas de tenir plus d’vn inſtant vos mains
En des lieux où des Rois voudroient mettre la bouche.


LES TRAVAVX INVTILES.

SONNET.



IE perds pour trop aimer l’vſage du ſommeil,
Ie gouste peu de ioye auec beaucoup de peine :
Aux deſſeins que ie fais ie ſeme ſur l’arene
Et mon eſpoir ſe fond comme neige au Soleil.

Touſiours de ma raiſon i’abhorre le Conſeil
Pour ſuiure obſtinément la voix d’vne Sereyne :
Et bleßé dans le cœur d’vne atteinte inhumaine
De crainte d’en guerir, i’en oste l’appareil.

Ma crainte & mes deſirs aux atteintes preſſantes,
Sont de meſme que l’Hydre aux teſtes renaiſſantes
S’acharnans ſur mon Ame auecque cruauté.

Mais vne amour ſi rare & ſi bien teſmoignée,
Touche ſi peu l’eſprit d’vne ingrate Beauté,
Que mon trauail reſſemble aux toilles d’Araignée.


LE TALISMAN.

SONNET.



TIRANT cette beauté, ce chef-d’œuure des Cieux,
Bonart s’acquiſt ſans doute vne immortelle gloire ;
Puiſque rien ne pouuoit la repreſenter mieux,
Fors les traits dont Amour l’a peinte en ma memoire.

Voila l’aimable tour de ſon beau ſein d’yuoire,
Voila ſon poil, ſon teint, ſa bouche & ſes beaux yeux,
Ces yeux dont les regards ſans deſſein m’ont fait boire
Vn poiſon preferable au doux nectar des Dieux.

Ô celeſte faueur ! aßiſté de vos charmes,
Ie puis bien m’expoſer à la fureur des armes,
Sans que du mauuais ſort i’aprehende les loix.

Beau portraict qu’Angelique à mes deſirs octroye,
Vous m’eſtes auiourd’huy ce que fut autre-fois
L’image de Minerue à la ville de Troye.


L’AGONIE MORTELLE.

SONNET.



ACHEVE moy de grace ô belle fugitiue,
Adouçis par vn meurtre vn pire traitement,
Pourquoy veux tu ſi fort haſter ton partement ;
N’aprehende tu point que mon ombre te ſuiue ?

Tu me quittes, barbare, & tu faits la craintiue
D’vn ſujet que ta haine enuoye au monument ;
Tu faits la pitoyables & tu veux que ie viue
Apres m’auoir cent fois bleſſé mortellement.

Dieux, inſpirez quelqu’vn qui parle à la Iuſtice :
Le crime eſt euident, il faut qu’on la puniſſe ;
Ainſi que mon treſpas, le ſien eſt reſolu.

Mais la pourſuitte eſt vaine, & l’ingrate me braue,
Car elle ſçait fort bien qu’vn Tyran abſolu
N’eſt iamais recherché de la mort d’vn Eſclaue.


LES AGREABLES PENSÉES.

SONNET.



MON plus ſecret conſeil & mon doux entretien,
Penſers, chers confidens, d’vne amour ſi fidelle,
Tenez moy compagnie & parlons d’Yſabelle
Puiſqu’auiourd’huy ſa veuë eſt mon ſouuerain bien.

Repreſentez-la moy, dites moy s’il eſt rien
D’aimable, de charmant & de rare comme Elle :
Et s’il peut iamais naiſtre vne fille aſſez belle
Pour auoir vn Empire außi grand que le ſien.

Vn cœur ſe peut-il rendre à de plus belles choſes ?
Ses yeux ſont de Saphirs & la bouche de Roſes
De qui le vif eſclat dure en toute ſaiſon.

Ô que ce reconfort flatte mes réfveries !
De voir comme les Cieux pour faire ma priſon
Mirent des fleurs en œuure auec des pierreries.


TREPIDATION d’Amour.

SONNET.



DIVINS Obſervateurs de ma fidelité,
Et de l’humeur de celle à qui ie rends ſeruice ;
Celestes, ie crains bien que l’inegalité
Face à tant de vertus, reprocher quelque vice.

S’il eſt rien de funeſte en ma natiuité,
Que ie rende l’eſprit par vn cruel ſuplice ;
Que la foudre m’accable, ou qu’vn peuple irrité
Me iette en ſa fureur dans quelque precipice.

Que la Terre s’eſcroulle & s’ouure ſur mes pas,
Qu’vn grand embraſement auance mon treſpas,
Qu’vn fleuue débordé promptement m’engloutiſſe.

Mais ne permettez pas, ô iustes immortels !
Que par vn changement, Clorinde me trahiſſe,
Et perde le reſpect qu’on doit à vos Autels.


INQVIETUDES.

STANCES.



D'Où vient qu’vn penſer indiſcret
M’entretien touſiours en ſecret
D’vn ſujet qui m’eſt ſi contraire :
Et conuaincu de trahiſon,
Ne sçauroit iamais ſe diſtraire
De me preſenter du poiſon ?

Quel doux & cruel mouuement
Veut rendre ainſi de mon tourment
Mes volontez meſmes complices ?
Et flatant de nouueaux deſirs
Souz l’apparance des delices,
Me déguiſe les desplaiſirs ?

Apres tant de regrets confus,
Et tant d’aiguillons apperceus
Souz le trompeur eſclat des Roſes,
Suis-ie bien aſſez mal-heureux,
Pour permettre aux plus belles choſes
De me rendre encore amoureux ?

Apres tant de viues douleurs,
Apres tant de ſang & de pleurs
Que i'ay verſez deſſus ma flame ;
Auray-ie l'indiſcretion
De liurer encore mon Ame
Au pouuoir de ma paßion ?

Ô prudente & forte Raison !
Qui m'as tiré d'vne priſon
Où ie reſpandois tant de larmes ;
Ie n'ay recours qu'à ta bonté,
Veille encore prendre les armes
Pour deffendre ma liberté.

I'apperçois deſia mon treſpas
Couuert des innocens appas
Que Philis ſçait mettre en vſage ;
Philis, ce chef-d'œuure des Cieux,
Qui n'a de dovceur qu'au viſage,
N'y d'amour que dans ſes beaux yeux.

Ô ! Raiſon, celeste flambeau
Acheue vn ouurage ſi beau :
Mais quoy, tu perds ceſte victoire,
Et mal-gré tes ſages propos,
L'obiect qui regne en ma memoire
Vient encore troubler mon repos ?

RESOLVTIONS d’aimer.

STANCES.



PVIS qu’Amour dans ſes yeux ne ſe peut éuiter,
      Ie ne ſçauraois plus reſister ;
Car ie ne trouue pas de gloire à me deffendre,
        Ny de honte à me rendre.

Qu’elle ait de la pitié, qu’elle ait de la rigueur,
      Philis est Reine de mon cœur ;
C’est inutilement que ma raiſon s’oppoſe
        Aux loix qu’elle m’impoſe.

Vouloir vaincre l’ardeur qu’elle ſçait allumer,
      Et ſe diuertir de l’aimer,
Seroit vouloir en vain, d’vne erreur obstinee
        Vaincre ſa deſtinee.

Seruons la donc mon Ame, & ſans plus differer,
      Faiſons nous autant admirer
Par la fidelité de noſtre obeïſſance,
        Qu’elle par ſa puiſſance.

Ie connois ſon humeur, & ſçay que ſa beauté
      Se plaiſt dans vne cruauté
Qui ſe mocque touſiours des ſoupirs & des larmes
        Que font naiſtre ſes charmes.

Mais toute ceſte glace augmente mon ardeur,
      Et pour conſeruer leur odeur
Il eſt bien à propos que des Roſes diuines
        Ne ſoient point ſans eſpines.

Quand les difficultez irritent nos deſirs,
      Nous en gouſtons mieux les plaiſirs ;
Et la Palme que donne vne victoire aiſee
        Eſt touſiours meſpriſee.

Puis que pour de grands prix on fait de grands efforts,
      Il faut bien que pour des treſors
Qui pourroient ſatisfaire à la plus belle enuie,
        I'auanture ma vie.

Que s'il ne me ſuccede auecque du bon-heur,
      Pour le moins i'auray cét honneur
D'attaquer vn rampart que d'vn effort vulgaire
        On n'eſbranleroit guere.

I'auray ce reconfort, y trouuant mon cercueil,
      D'aborder le plus bel eſcueil
Contre qui les deſſeins du plus digne courage
        Puiſſent faire naufrage.

Il n'eſt rien de viſible à la clarté du iour
      Qui ne ſoit ſenſible à l'Amour ;
Les arbres les plus durs à trauers leur eſcorce
        En reſſentent la force.

Il n'eſt point de ſujet aimé parfaictement
      Qui n'en ait du reſſentiment ;
Et ceſte ardeur celeſte auec des traicts ſi rares
        Charme les plus barbares.

C'eſt cela qui me flatte, & me fait eſperer
      Que celle que i'oſe adorer
Ne s'obstinera pas à deffendre ſon ame
        D'vne ſi douce flame.

Auant que de ma mort ſes beaux yeux ſoient teſmoins,
      Ie luy veux rendre mille ſoins,
Qui meſme au ſentiment des ingrates perſonnes,
        Soient du prix des Couronnes.


LE MESPRIS.

STANCES.



NE te ris plus de mes douleurs
Perfide ſujet de mes pleurs,
Ingrate cauſe de mes plaintes :
Tu ne fais plus mes deſplaiſirs,
Mes triſteſſes ny mes ſouſpirs,
Tu ne me donnes plus d’atteintes,
Et pour toy ie n’ay plus de craintes,
D’eſperances, ny de deſirs.

Mon eſprit abhorre ta loy,
Tu m’as trop engagé ta foy,
Et me l’as trop ſouuent fauſſee :
Ie ſeray ſage à l’aduenir,
Ma peine commence à finir,
Toute mon ardeur eſt paſſee,
Et ie deffens à ma penſee
De m’en faire plus ſouuenir.

Ie pourrois auec raiſon
Punir ta laſche paßion,
Et te noircir d'vn iuste blaſme :
Mais ie commence à negliger
Le ſoin de te deſobliger,
Car cet obiect est trop infame
Pour n'effacer pas de mon Ame
La volonté de me vanger.

Penſers, mon aimable entretien,
Ne me repreſentez plus rien
Des charmes de ceſte cruelle :
Ne me venez point abuſer,
Ne me venez point excuſer
Les deffauts de ceſte Infidelle,
Et ne me parlez iamais d'elle
Si ce n'eſt pour la meſpriser.


L’AMANT SECRET.

STANCES



DOVCE & paiſible nuict, Deïté ſecourable,
      Dont l’empire eſt ſi fauorable
À ceux qui ſont laſſez des longs trauaux du iour :
Chacun dort maintenant ſous tes humides voiles,
Mais mal-gré tes pauots, les eſpines d’Amour
M’obligent de veiller auecque tes Estoiles.

Tandis qu’vn bruict confus regne auec la lumiere,
      Ma paßion est priſonniere ;
Ie crains d’eſtre apperceu, i’ay peur d’estre eſcouté :
Il faut que ie me taiſe, & que ie dißimule,
Mais ſous ton cours muet ie prens la liberté
D’entretenir les feux de celuy qui me bruſle.

Ie dirois qu’auiourd’huy leur fatale puiſſance
      Auroit trahy mon innocence,
Et forcé mon eſprit d’aimer ſi hautement ;
N’eſtoit qu’en ſi beau lieu mon ame eſt enchainée,
Qu’on peut à voir mes fers iuger facilement
Que i’aime par raiſon plus que par deſtinée.

I'adore, ie l'aduouë, vne Beauté diuine
      De qui la celeſte origine
Condamne mes deſirs de trop d'ambition :
Mais quoy ? de quelque erreur dont ſon eſprit m'accuſe,
Ses appas ſont ſi doux, que iamais paßion
Ne fut ſi temeraire & ſi digne d'excuſe.

Sa bouche & ſes beaux yeux ont des traicts indomptables
      Et des charmes ineuitables,
Il n'eſt rien de ſi doux, il n'est rien de ſi fort,
Ô Dieux ! qu'il m'eſt ſenſible en touchant ſa loüange
De n'auoir en mes maux que le ſeul reconfort
De ſeruir vn Tyran qu'on prendroit pour vn Ange.

Mais que ce dur glaçon qu'elle porte dans l'Ame,
      Reſiſte touſiours à ma flame,
Et que plus ie la prie elle m'exauce moins :
Ie luy veux conſeruer vne ardeur ſi fidelle
Ne deuſſay-ie obtenir iamais rien de mes ſoins
Que la ſeule faueur de mourir aupres d'elle.

Cependant mille voix dont ma fin m'est predite
      M'annoncent qu'il faut que ie quitte
Cét Obiect que ie ſers avec ſi peu de fruit,
Destin, veille ceſſer de me faire la guerre,
Et monstre ta clémence à dißiper vn bruit
Qui m'eſt außi mortel qu'vn eſclat de Tonnerre.


LES LOVANGES DV VERT.

STANCES.



IE veux eſleuer iuſqu’aux Cieux
Vn Obiect qui plaiſt aux beaux yeux
Que les miens trouuent adorbales :
Et monſtrer auecque raiſon
Qu’entre les couleurs agreables
Le vert eſt ſans comparaiſon.

Lors que le Monde fut produit
La premiere fois que la Nuit
Quitta ſa place à la lumiere ;
Entre mille rares beautez
Le vert fut la couleur premiere
Dont les yeux furent enchantez.

Le vert est l’ame des deſirs,
Et l’auant-coureur des plaiſirs
Que le doux Printemps nous apporte
Lors que la Terre eſt en dueil,
Lors que la Terre paroiſt morte
Le vert la tire du cercueil.

C'est le ſimbole de l'eſpoir,
Dont la puiſſance nous fait voir
Le beau temps au fort de l'orage :
Et par qui nous ſommes flattez,
Quand nous portons nostre courage
À vaincre des difficultez.

Amour y trouue tant d'attraits
Qu'il en eſmaille tous les traits
Dont il bleſſe les belles Ames :
Et croit que ſans ceſte couleur
La violence de ſes flames
N'auroit ny plaiſir ny douleur.

La belle Iris ſe faiſant voir
Du coſté qu'il vient à pleuuoir
Durant les Saiſons les plus chaudes,
Doit ſon plus aimable ornement
Au vert eſclat des Eſmeraudes
Qui brillent en ſon vestement.

Le vert par ſes rares vertus
Releue les cœurs abbatus,
Et reſioüit les yeux malades ;
Oubliant mille appas diuers,
La plus charmante des Nayades
Se vante d'auoir les yeux vers.

La Roſe la Reine des fleurs,
Sur qui l'Aurore eſpand des pleurs
De ialouſie & de colere :
En naiſſant ſur vn arbriſſeau
N'auroit pas la grace de plaire
Si le vert n'eſtoit ſon berceau.

Au iugement des bons eſprits,
Le vert emportera le prix
Sur les couleurs les plus nouuelles.
Ce qu'eſt la Rose entre les fleurs,
Ce qu'est Philis entre les Belles,
Le vert l'eſt entre les couleurs.


SVR LA COLERE DE PHILIS.

STANCES.



BELLE Philis obligez moy
De me faire ſçauoir pourquoy
Mes ſoins vous mettent en colere,
Car ie ne puis me figurer
Ce que i’ay fait pour vous deſplaire,
N’ayant fait que vous adorer.

Sans doute c’eſt ma paßion
Qui cauſe ceſte auerſion
Que m’exprime voſtre ſilence :
Voyez quel eſtrange ſuccez,
On me hait auec violence
Pource que i’aime auec excez.

Ô Dieux ! quelle iniuſte rigueur
Pour vous auoir donné mon cœur,
I’ay donc merité voſtre haine :
Et i’ay failly pour vous offrir
Ce que la beauté d’vne Reine
Auroit eu peine à s’acquerir.

Apres vn fauorable accueil
Mes deuoirs trouuent trop d'orgueil
En des graces toutes diuines.
Ô belle cauſe de mes pleurs !
Que de ſerpens, & que d'eſpines
Eſtoient cachez deſſous ces fleurs.

Dés lors que les Astres ialoux
Firent naiſtre voſtre courroux,
La mort fut toute mon enuie ;
Car i’ay conceu depuis ce iour
Le meſme deſdain pour ma vie
Que vous auez pour mon amour.


LE DESESPOIR.

STANCES.



CELLE que i’ay placée entre les Immortels,
Et que ma paßion maintient ſur les Autels,
La perfide a payé ma foy d’ingratitude :
Aux traits de ſa rigueur ie ſers touſiours de blanc
Et ſon meſpris n’ordonne à mon inquietude
Que des ſouſpirs de flame, & des larmes de ſang.

Encore que mes vers déguiſans ſon orgueil
Par de ſi beaux efforts la ſauuent du cercueil,
La faiſant adorer de l’un à l’autre Pole ;
L’inhumaine qu’elle est, ſe rit de mon treſpas.
Et me pouuant guerir d’vne ſeule parole,
Fait meſme vanité de ne la dire pas.

Puiſque d’vn ſi beau ioug ie ne puis m’affranchir,
Et que tous mes deuoirs ne peuuent la fleſchir,
Par vn dernier effort contentons ſon enuie :
Ceſſons d’estre l’Obiect de tant de cruautez,
Et ſortans de ſes fers en ſortant de la vie,
Teſmoignons vn courage égal à ſa beauté.

Affreuſe Deïté, Démon paſle & deffait,
Qu’on n’inuoque iamais qu’en vn tragique effet,
Où l’unique ſalut eſt de n’en point attendre.
Deſeſpoir ie t’inuoque au fort de mes malheurs,
Par ton ſecours fatal vien maintenant m'apprendre
Comment on doit guerir d’incurables douleurs.

Auance toy, de grace, ô fantoſme inhumain !
Fais vn traict de pitié d’vne barbare main,
Et produis mon repos en finiſſant ma vie ;
Ie ne redoute point ce funeste appareil :
Car ne pouuant plus voir les beaux yeux de Sylvie
Ie ne veux iamais voir la clarté du Soleil.

Ah ! ie te voy venir accompagné d’horreur,
La triſteſſe, l’ennuy, la rage, & la fureur
N’enuironnent ton corps que de fer & de flame,
Tu tiens de l’Aconit & portes au coſté
Le poignard qui finiſt les regrets de Pirame,
Et celuy dont Caton ſauua ſa liberté.

Sur vn ruiſſeau de ſang qui coule ſous tes pas,
L’image du deſpit, & celle du treſpas
Brauent le ſort iniuste, & la rigueur indique ;
Et me monstrant les maux que ie dois eſprouuer,
La honte & la colere à l’enuy me font ſigne
Qu’il faut que ie me perde afin de me ſauuer.

Mourons pour ſatisfaire à l’inhumanité
De ce cruel eſprit qui tire à vanité
De trahir mon amour & ma perſeuerance :
Monſtrons à cette ingrate en forçant ma priſon,
Qu’en des extremitez où manque l’Eſperance
On ne manque iamais de fer ou de poiſon.

Ainſi diſoit Terſandre en regardant les Cieux,
Mille triſtes hiboux paſſoient deuant ſes yeux,
Faiſant autour de luy mille plaintes funebres :
Il tenoit vn poignard pour ouurir ſon cercueil,
Et la nuict deſployant ſa robe de tenebres,
N'attendoit que ſa mort pour en prendre le deuil.


CONTRE L’ABSENCE.

STANCES.



LA Terre dans ſes tremblemens,
La Mer en ſes débordemens,
Mais en ſa plus grande licence ;
Toutes les matieres de pleurs,
Et tous les plus cruels mal-heurs
Qui font ſouſpirer l’innocence ;
Au prix de maux que fait l’abſence,
Ne ſont rien que ieux & que fleurs.

Des douleurs qu’on ſouffre en aimant,
La peine de l’eſloignement
Se peut ſeule nommer extréme ;
On peut trouuer du reconfort
Aux autres iniures du Sort :
Mais ſe diuiſer de ſoy-meſme,
Et viure loin de ce qu’on aime
Il vaudroit autant eſtre mort.

L’abſence apporte vne langueur
Qui deſchire par ſa rigueur
Le tyſſu des plus belles trames ;
Elle applique nos ſentimens
À des geſnes & des tourmens
Pires que le fer & les flames ;
Elle bleſſe toutes les Ames
Et fait mourir tous les Amans.

À ſa faueur, les enuieux
En leurs deſſeins malicieux
Ont la facilité de nuire :
Et l’amour reduit aux abois,
Qui ſans mouuement & ſans voix,
Inceſſamment pleure & ſouſpire,
Impuiſſant parmy ſon Empire
Laiſſe enfraindre toutes ſes loix.

D’vn penſer laſche & pareſſeux
On voit le merite de ceux
Dont on ne voit plus les viſages :
Et durant ces ſoins languiſſans,
Les Riuaux, de deuoirs preſſans
Corrompans les meilleurs courages,
Font ſur mille faux teſmoignages
Condamner les pauures abſans.

Ainſi deux merueilles des Cieux
Ne m’ayant plus deuant leurs yeux,
M’ont effacé de leur memoire :
Et c’eſt ainſi que ſans raiſon
Ô rigueur ſans comparaiſon !
Par vne humeur volage ou noire,
Vn ſecond Pilade fit gloire
De me faire vne trahiſon.

Peut-eſtre meſme que l’obiect
Qui ſert de celeſte ſujet
À mes plus diuines loüanges :
Philis que ie viens d’adorer,
Auiourd’huy ſans conſiderer
Que ie la mets au rang des Anges,
Me met au rang des plus eſtranges
Qu’elle ſe puiſſe figurer.

Poßible qu’au deſceu de tous,
Prés d’elle quelque eſprit ialous
M’a rendu de mauuais offices :
Et que ſon eſprit inconstant
Ne trouuant plus rien d’important
Dans mes plus excellens caprices ;
A fait au feu des ſacrifices
De ces vers qu’il eſtimoit tant.

Mais, ô diſcours qui ſans reſpect
Ne tends qu’à me rendre ſuſpect
Ce que i’aime, & ce que i’honore ;
Par quelle noire inuention
Viens tu choquer ma paßion
Dans vn estat que l’on déplore,
Pour me faire paſlir encore
D’vne iniuste apprehenſion ?

Philis n’a iamais imité
Ces cœurs dont l’inegalité
Reſſemble à celle de la Lune,
Et de qui les penſers errans
Apres l’intereſt ſouspirans,
D’vne laſcheté ſi commune
Pour la differente fortune
Ont des viſages differents.

Ce ſeroit fort mal raiſonner
Que de la vouloir ſoupçonner
Des deffauts d’vn ſexe infidelle :
Si l’on en croit mille bontez,
Et mille rares qualitez,
Qui ſont d’vne marque immortelle,
Les ſentimens de ceste Belle
Sont diuins comme ſes Beautez.


CONSOLATION À IDALIE,
Sur la mort d’vn parant.

STANCES.



PVIS que vostre Parant ne s’eſt pû diſpenſer
De ſeruir de victime au Demon de la guerre :
C’eſt ô belle Idalie, vne erreur de penſer
Que les plus beaux Lauriers ſoient exempts du Tonnerre.

Si la Mort connoiſſoit le prix de la Valeur,
Ou ſe laiſſoit ſurprendre aux plus aimables charmes,
Sans doute que Daphnis garanty du mal-heur,
En conſeruant ſa vie eut eſpargné vos larmes.

Mais la Parque ſubiecte à la fatalité,
Ayant les yeux bandez, & l’oreille fermée,
Ne ſçait pas diſcerner les traits de la Beauté,
Et n’entend point le bruit que fait la Renommée.

Alexandre n’eſt plus, luy dont Mars fut ialous,
Ceſar eſt dans la tombe außi bien qu’vn infame,
Et la noble Camille, aimable comme vous,
Eſt au fond du cercueil ainſi qu’vne autre femme.

Bien que vous meritiez des deuoirs ſi conſtans,
Et que vous paroißiez ſi charmante & ſi ſage,
On ne vous verra plus auant qu’il ſoit cent ans,
Si ce n’eſt dans mes Vers qui viuront dauantage.

Par vn ordre eternel qu’on void en l’Vniuers
Les plus dignes obiects ſont freſles comme verre,
Et le Ciel embelly de tant d’Astres diuers,
Dérobe tous les iours des Astres à la Terre.

Si tost que nostre eſprit raiſonne tant ſoit peu
En l’Auril de nos ans, en l’âge le plus tendre,
Nous rencontrons l’Amour qui met nos cœurs en feu,
Puis nous trouuons la Mort qui met nos corps en cendre.

Le Temps qui ſans repos, va d’vn pas ſi leger,
Emporte auecque luy toutes les belles choſes :
C’est pour nous auertir de le bien ménager,
Et faire des bouquets en la ſaiſon des Roſes.


LE PROMENOIR DES DEVX AMANS.

ODE.



AVPRES de ceſte grotte ſombre
Où l’on reſpire vn air ſi doux,
L’Onde lutte auec les Cailloux,
Et la lumiere auecque l’ombre.

Ces flot laſſez de l’exercice
Qu’ils ont fait deſſus ce grauier,
Se repoſent dans ce Viuier
Où mourut autre-fois Narciſſe.

C’eſt vn des miroirs où le Faune
Vien voir ſi ſon teint cramoiſy
Depuis que l’Amour l’a ſaiſy
Ne ſeroit point deuenu iaune.

L’ombre de ceste fleur vermeille,
Et celle de ces ioncs pendans
Paroiſſent eſtre là dedans
Les ſonges de l’eau qui ſommeille.

Les plus aimables influences
Qui raieuniſſent l’Vniuers,
Ont releué ces tapis vers
De fleurs de toutes les nuances.

Dans ce bois ny dans ces montagnes
Iamais Chaſſeur ne vient encor :
Si quelqu’vn y ſonne du Cor
C’eſt Diane auec ſes Compagnes.

Ce vieux Cheſne a des marques ſainctes ;
Sans doute qui le couperoit
Le ſang chaud en découleroit,
Et l’arbre pouſſeroit des plaintes.

Ce Roßignol melancolique
Du ſouuenir de ſon mal-heur,
Taſche de charmer ſa douleur,
Mettant ſon hiſtoire en muſique.

Il reprend ſa note premiere
Pour chanter d’vn art ſans pareil
Sous ce rameau que le Soleil
A doré d’vn traict de lumiere.

Sur ce Freſne deux Tourterelles
S’entretiennent de leurs tourmens,
Et font les doux appointemens
De leurs amoureuſes querelles.

Vn iour Venus auec Anchiſe
Parmy ſes forts s’alloit perdant,
Et deux Amours en l’attendant,
Diſputoient pour vne ceriſe.

Dans toutes ces routes diuines
Les Nymphes dancent aux chanſons,
Et donnent la grace aux buiſſons
De porter des fleurs ſans eſpines.

Iamais les vents ny le tonnerre
N’ont troublé la paix de ces lieux,
Et la complaiſance des Dieux
Y ſourit touſiours à la Terre.

Croy mon conſeil, chere Climene,
Pour laiſſer arriuer le ſoir
Ie te prie allons nous aſſoir
Sur le bord de ceſte fontaine.

N’oy tu pas ſouſpirer Zephire
De merueille & d’amour attaint,
Voyant des Roſes ſur ſon teint
Qui ne ſont pas de ſon Empire ?

Sa bouche d’odeur toute pleine
A ſoufflé ſur noſtre chemin,
Meſlant vn eſprit de Iaſmin
À l’Ambre de ta douce haleine.

Panche la teste ſur ceste Onde
Dont le Criſtal paroist ſi noir,
Ie t’y veux faire apperceuoir
L’obiect le plus charmant du monde.

Tu ne dois pas estre eſtonnée
Si viuant ſous tes douces loix,
I’appelle ces beaux yeux mes Rois,
Mes Astres & ma Deſtinée.

Bien que ta froideur ſoit extreſme,
Si deſſous l’habit d’vn garçon
Tu te voyois de la façon,
Tu mourrois d’amour pour toy meſme.

Voy mille Amours qui ſe vont prendre
Dans les filets de tes cheueux ;
Et d’autres qui cachent leurs feux
Deſſous vne ſi belle cendre.

Ceſte troupe ieune & folastre
Si tu penſois la deſpiter,
S’iroit ſoudain precipiter
Du haut de ces deux monts d’Albaſtre.

Ie tremble en voyant ton viſage
Flotter auecque mes deſirs,
Tant i’ay de peur que mes ſouſpirs
Ne luy facent faire naufrage.

De crainte de ceste auanture,
Ne commets pas ſi librement
À cét infidele Element
Tous les Treſors de la Nature.

Veux-tu par vn doux priuilege
Me mettre au deſſus des Humains ?
Fay moy boire au creux de tes mains
Si l’eau n’en diſſout point la neige.

Ah ie n’en puis plus, ie me paſme,
Mon Ame eſt preſte à s’enuoler,
Tu viens de me faire aualer
La moitié moins d’eau que de flame.

Ta bouche d’vn baiſer humide
Pourroit amortir ce grand feu,
De crainte de pecher vn peu
N’acheue pas vn homicide.

I’aurois plus de bonne fortune,
Careßé d’vn ieune Soleil
Que celuy qui dans le ſommeil
Receut des faueurs de la Lune.

Climene ce baiſer m’enyure,
Cét autre me rend tout tranſy ;
Si ie ne meurs de cestuy-cy
Ie ne ſuis pas digne de viure.


PROMESSE À PHILLIS.

STANCES.



CELESTE Obiect de mes deſirs,
Prenez vous à mes deſplaiſirs
Si ie n’eſcris à voſtre gloire ;
Les violences du mal-heur
Ne m’ont point laißé de chaleur,
Et m’ont rendu l’humeur ſi noire
Que ie ne trouue en ma memoire
Que des Images de douleur.

Außi toſt que ie me reſous
À prendre la plume pour vous
Dans la veine la plus puiſſante ;
Mille triſtes reſſentimens
S’oppoſent à ſes mouuemens,
Mon ardeur deuient languiſſante,
Et ie m’apperçois que i’enfante
Des ſouſpirs pour des complimens.

Mais ne croyez pas que ce dueil
Me conduiſe dans le cercueil
Auant que ie vous en deffende :
Et que ma froide volonté
Reconnoiſſe voſtre bonté
D’vne ingratitude ſi grande
Que ie vous dérobe vne offrance
Que ie dois à voſtre beauté ?

L’ennuy qui me fait ſouſpirer
Se puiſſe touſiours empirer
Par de plus ſenſibles outrages,
Et iamais la rigueur du Sort
Ne me laiſſe trouuer de port ;
Si le plus beau de mes ouurages,
Ne vous laiſſe des teſmoignages
D’vn deſſein qui me plaist ſi fort.

Et dés que mes ſens appaiſez,
Treuueront des vers plus aiſez
Et des lumieres moins communes ;
S’il vous plaiſt de les auoüer,
Ie promets de vous les voüer
Ceſſant les plaintes importunes
Que ie fais de mes infortunes,
Pour commencer à vous loüer.


Dans le plus tranquille loiſir
Que ma veine puiſſe choiſir,
Ie dois vous rendre cét hommage :
Mais ie veux ſi bien vous tirer
Que l’on ſoit forcé d’admirer
Les traits de voſtre belle Image ;
Et que la plus ialouſe rage
N’oſe iamais les cenſurer.

Lors que dans ſon plus large cours,
Le Soleil allume des iours
Qui n’ont rien de froid ny de ſombre :
Que l’Aurore en verſant des pleurs,
Seme des perles ſur les fleurs,
Et qu’on a des plaiſirs ſans nombre
Quand on peut trouuer aſſez d’ombre
Pour ſe deffendre des chaleurs.

Lors ſouz vn arbre bien couuert,
Estendu ſur le gazon vert
En vne réſveuſe posture ;
Flatté du doux bruit d’vn ruiſſeau,
D’vn eſprit plus clair & plus beau,
Comme à l’enuy de la peinture
Qu’estale par tout la Nature,
I’entreprendray voſtre tableau.

Et quand i’auray fait quelque traict
De cét adorable portraict,
Qui fait deſia que ie ſouſpire ;
Les Nymphes ſans m’incommoder
Prés de moy viendront s’accouder,
Et la Nayade & le Zephire
Perdans le ſoin de leur Empire,
Se tairont pour vous regarder.

Vous pouuez par vostre Beauté
Paſſer pour la Diuinité
Qui fut les delices d’Anchiſe :
Mais ſi ie vous peins vne fois
Auec la Trompe & le Carquois,
D’vne ardeur innocente épriſe,
À meſme temps vous ſerez priſe
Pour la chaſte Reine des Bois.

Amour rauy de mon deſſein
Sentira dés lors en ſon ſein
Les pointes d’vne ardeur nouuelle ;
Et iugeant vos diuins appas
Francs des atteintes du treſpas,
Il dira vous voyant ſi belle,
Que ſi vous n’eſtiez immortelle
Sa mere ne le ſeroit pas.

Mon ouurage aura du deffaut :
Mais ſi pour vn ſujet ſi haut
Ie n’ay point de clartez trop baſſes :
Au ſentiment de nos Neueux,
Le plus petit de vos cheueux,
La moins charmante de vos graces,
La moindre marque de vos traces
Sera digne de mille vœux.


LE MIROIR ENCHANTÉ.

STANCES.



AMARILLE en ſe regardant
      Pour ſe conſeiller de ſa grace ;
   Met auiourd’huy des feux dans cette glace ;
Et d’vn criſtal commun fait vn miroir ardant.

      Ainſi touché d’vn ſoin pareil,
      Tous les matins l’Astre du Monde
   Lors qu’il ſe leue, en ſe mirant dans l’onde,
Penſe tout estonné voir vn autre Soleil.

      Ainſi l’ingrat chaſſeur dompté
      Par les ſeuls traits de ſon image ;
   Panché ſur l’eau, fit le premier hommage
De ſes nouueaux deſirs à ſa propre beauté.

      En ce lieu deux hoſtes des Cieux
      Se content vn ſecret myſtere.
   Si reuestus des robes de Cithere,
Ce ne ſont deux Amours qui ſe font les doux yeux.

      Ces doigts ageançans ces cheueux,
      Doux flots où ma raiſon ſe noye,
   Ne touchent pas vn ſeul filet de ſoye
Qui ne ſoit le ſujet de plus de dix mille vœux.

      Ô Dieux ! que de charmans apas,
      Que d’œillets, de lys & de roſes,
   Que de clartez, & que d’aimables choſes
Amarille deſtruit en s’eſcartant d’vn pas.

      Si par vn magique ſçauoir
      On les retenoit dans ce verre,
   Le plus grand Roy qui ſoit deſſus la Terre
Voudroit changer ſon Sceptre auecque ce Miroir.


L’ABSENCE DE PHILLIS.

ELEGIE POUR VN ROMANT.



LOIN de Phillis, ou pluſtoſt de moy meſme,
Pardonnez moy, Grands Dieux, ſi ie blaſpheme ;
Vn plus ſenſible & plus cruel tourment
Ne me pouuoit troubler le iugement.
Si les rigueurs que mon cœur vous reproche
M’auoient lié ſur le haut d’vne Roche,
En vn deſert ou le bec d’vn Vaultour
Vint en mon ſein ſe cacher nuict & iour :
Si vostre haine à mon repos fatale
Me condamnoit aux peines de Tantale
Qui de l’eſpoir animant ſon deſir,
Bruſle touſiours à l’ombre du plaiſir :
Si le treſpas que i’apelle à mon aide,
Et dont l’atteinte eſt mon dernier remede,
M’auoit conduit au plus creux des Enfers ;
I’en benirois les flames & les fers.
Ie me prendrois de mes maux à mes crimes ;
Ie trouuerois vos Arreſts legitimes,

Voſtre courroux me ſeroit moins ſuſpect,
Ie me plaindrois auec plus de reſpect.
Mais de m’auoir eſloigné de Madame,
Mais de m’auoir ſeparé de mon Ame
Sans m’accorder la grace de mourir ;
C’est vn tourment que ie ne puis ſouffrir.
Cette rigueur est vn trop grand ſupplice,
Son ſeul excés vous conuainc d’iniustice.
Außi, Grands Dieux, n’attendez point de moy,
D’Autels, d’Encens, de reſpect, ny de foy,
Et doucement excusez ma furie
Lors qu’il aduient que ie vous iniurie ;
Ma paßion ne ſçait rien de plus doux
Quand ma douleur me fait parler de vous ;
Ie ne ſçaurois en ce point déplorable
Eſtre plus ſage, eſtant ſi miſerable.
S’il vous plaiſt donc qu’embraſſant vos Autels,
Ie me reduiſe au deuoir des Mortels :
Si vous voulez que i’eſtouffe ma plainte,
Et que mon cœur reprenant voſtre crainte,
Vous rende encore des ſoings ſi negligez ;
Rendez Phillis à mes yeux affligez :
Pour voſtre gloire ainſi que pour ma ioye,
Qu’elle reuienne, & que ie la reuoye.
Pourquoy faut-il que cét Aſtre d’Amour
Ne faſſe pas comme l’Aſtre du iour ?
Ce grand flambeau ſi neceſſaire au Monde,
Ne ſe tient pas touſiours caché dans l’onde ;

Il fait ſon cours par vn meilleur destin ;
S’il meurt le ſoir, il renaist le matin,
Et restituë en leur beauté premiere
Mille couleurs qu’anime ſa lumiere.
Et cependant ce ſoleil des Beautez,
Cét Aſtre vnique en rares qualitez
Dont le merite eſt la ſource des flames
Qu’Amour choiſiſt pour les plus belles Ames ;
Touſiours Phillis eſt loing de ces beaux lieux ;
Elle est touſiours eclypsée à nos yeux :
Cette Beauté, mes plus cheres Delices,
Malgré l’effort de tant de ſacrifices,
De tant de vœux & de pleurs ſuperflus,
Eſt disparuë & ne retourne plus.

Iours ennuyeux, d’eſpais broüillards humides,
Qui ne ſemblez marcher qu’à pas timides ;
Vous deuriez bien couler plus promptement
Durant le cours de ſon eſloignement.
Et vous, ô Nuict, d’Eſtoilles couronnée,
Reine des Feux qui font la Destinée :
Nuict qui placez vne paſle blancheur
Dans le ſilence & parmy la fraiſcheur,
En vous monſtrant ſi ſeraine & ſi claire,
Semblez pretendre à l’honneur de me plaire.
Pour m’obliger, eſteignez ces flambeaux
De qui l’image errante dans ces Eaux,

Du vif eſclat ſa flame incertaine
Nuit au repos des Nymphes de la Seine.
Quittez, de grace, vn ſi pompeux orgueil ;
Vous eſtes mieux quand vous portez le dueil,
N’empruntez point de faueur de la Lune,
Soyez plus froide & deuenez ſi brune
Que nul obiect ne paroiſſe à mes yeux,
Soyez plus triſte & vous me plairez mieux.
Quand la Beauté qui me tient en ſeruage
Se promenoit les ſoirs ſur ce riuage,
Faiſant iuger aux peuples d’alentour
Que ce beau fleuue eſtoit le lict du Iour ;
Vous n’estiez pas ſi ſuperbe & ſi belle,
Vous ne pouuiez paroiſtre deuant Elle
Qu’auec vn trouble à cét effroy pareil
Qui vous ſurprend au leuer du Soleil.
Et maintenant qu’vne rigueur barbare
De ce Clymat pour long temps la ſepare,
Vous oſez prendre vn ſi riche ornement
Pour triompher de ſon éloignement.
Ne croyez pas, conſeruant cette audace,
Vous reſioüir touſiours de ma diſgrace ;
Et qu’vn Obiect qu’adorent les Amours
Loin de Paris paſſe ſes plus beaux iours.
Le Ciel enfin touché de mon ſupplice,
Ne ſçauroit faire vne telle iniuſtice ;
Il finira par de ſages Decrets
Vostre inſolence, ainſi que mes regrets ;

À mes ennuis il ſe rendra ſenſible,
Et mon amour à qui tout est poßible
Fera des vœux pour l’en ſolliciter
Qu’en ſa cholere il ne peut rebuter.

Ô Grands Eſprits qui de toutes les choſes
Sçauez ſi bien les effects & les cauſes,
Qui diſcernez les diuers mouuemens,
Par qui les Cieux meslent les Elemens,
Et connoiſſant la ſecrette enchaiſneure
De tous les corps qui ſont en la Nature,
Quand il vous plaist, pouuez à voſtre gré
Choiſir vn Aſtre en vn certain degré
Dont la figure emprainte en vne pierre,
Peut dißiper ou la peſte, ou la guerre :
Soyez un peu touchez de ma douleur,
Et par pitié dißipez mon mal-heur :
Veillez, de grace, apprendre à mon amour
Quelque ſecret pour haſter vn retour :
Et l’aßistez d’vn ſi fort caractere
Qu’en fin ce cœur ſauuage & ſolitaire,
Ce cœur de fer qui s’éloigne de moy,
Soit attiré par l’aimant de ma foy.
Mais quel espoir vient flatter ma pensée ?
Foible appareil d’vne Ame ſi bleſsée,

Dont la douceur ne profitant de rien,
Donne du mal en promettant du bien.
Las ! mon Esprit ne ſçait point de figure
Pour exprimer la peine que i’endure,
Et ie croiray qu’on en puiſſe dreſſer
Dont le ſeul traict me la puiſſe effacer ?
Non non, pour moy, toutes ces ſympathies
Ne ſçauroient estre aſſez bien aſſorties ;
Et ce bel Art auec ſa vanité
Ne peut contraindre vne Diuinité.
Puis le Destin dont la ialouſe Enuie
Se rend contraire au bon-heur de ma vie,
Eſt trop puiſſant pour ne pas m’empeſcher
L’effect d’vn bien ſi ſenſible & ſi cher.
M’eſbloüiſſant de fauſſes apparances,
Il a touſiours trahy mes eſperances ;
Et n’a iamais ſatisfait mon deſir
De la douceur d’vn ſolide plaiſir.
Touſiours en moy la douleur, ou la crainte
Vient augmenter ma triſteſſe, ou ma plainte ;
Mais de repos & de contentement,
Ie n’en ay point ſi ce n’eſt en dormant.

Freſle Demon, morne Prince des Songes,
Qui n’entretiens l’Ame que de menſonges ;
Si c’eſt de toy de qui ie dois tenir
Tout le bon-heur qui me doit aduenir ;

Si ton pouuoir d’vne erreur fauorable
Peut adoucir l’ennuy d’vn miſerable ;
Si la froideur & l’ombre du ſommeil
Ont la vertu de produire vn Soleil :
De cent Pauots ie te fais ſacrifice,
Suſpen bien toſt mes ſens de leur office,
Et de glaçons en ta Cauerne pris,
Bouchant l’artere où paſſent mes eſprits,
Pour contanter mon amoureuſe enuie
Deſpoüilles moy des marques de la vie ;
Et de la ſorte agreable trompeur
Vien me former vn bien d’vne vapeur.

Recueille moy les plus aimables choſes ;
Meſle en vn teint des Lys auec des Roſes,
Souz des flots d’or enflez par les Zephirs.
Mets vn eſclat dans des yeux de Zaphirs
Dont la douceur à la rigueur s’aſſemble
Pour embrazer & glacer tout enſemble.
Choiſis encore deux des plus beaux Rubis
Qui le matin brillent ſur les habits
Que prend l’Aurore en ſortant de ſa couche,
En les ioignant, dépeins moy cette bouche
Où la Nature a dedans & dehors
D’eſprit de Roſes embaumé des Treſors :
Et qui recelle vn Nectar à qui cede
Cette boiſſon que verſe Ganimede.

De laict de neige ou d’Albastre viuant
Par interualle à la fois ſe mouuant
Faits eſclater la blancheur de deux pommes,
À mettre en guerre & les Dieux & les Hommes.
Porte les yeux ſur ces Diuinitez
De qui Pâris regla les vanitez ;
Obſerue bien cette troupe admirable
De taille auguſte & de grace adorable,
Voy ſes beautez, & d’vn ſoin complaiſant
Dérobe-les pour m’en faire vn preſent.
Bref en vn mot faits la diuine Image
De la Princeſſe à qui i’ay fait hommage
De mes deſirs & de ma volonté,
De mon eſprit & de ma liberté.
Mais prend bien garde en m’offrant cette Belle
Que ſa fierté ſoit touſiours auec Elle.
Sans cét orgueil qui loge en ſes apas
Ma paßion ne la connoiſtroit pas.
Si ſa rigueur eſt vn peu modérée
Dans le plaiſir de ſe voir adorée,
Que ce ne ſoit que pour m’offrir ſes mains
Qui porteroient le Sceptre des Humains,
Si le Destin qui des Vertus s’irrite,
Auoit ſoubmis la fortune au merite.
Mais dans l’ardeur dont ie les baiseray,
Dans le tranſport où ie me treuueray,

Dans le plaiſir qui ſaiſira mon Ame,
Acheue enſemble & mon ſonge & ma trame :
Diuin Sommeil, durant cette douceur,
Liure ma vie au pouuoir de ta Sœur :
Et ſans regret apres ceste aduenture,
I’iray du lict dedans la ſepulture.


CHANSON.


   
LES vents qui ſe ſont déchaiſnez
   Courans par tout à l’auanture,
   Ne ſont pas ſi fort mutinez
   Contre les loix de la Nature.
   Durant la plus belle ſaiſon
Que mon penſer l’eſt contre ma raiſon.

   Depuis que i’ay reueu les yeux,
   Et les doux apas de Syluie,
   Mille deſirs ſeditieux
   Troublent le repos de ma vie,
   Et s’opoſans à ma raiſon,
Preſſent mon cœur de rentrer en priſon.


   Mon cœur, tu me le diſois bien
   Qu’il falloit éuiter ſa veuë,
   Et que dans ſon doux entretien
   Les Graces dont elle est pourueuë
   Me feroient boire d’vn poiſon
Qui troubleroit mes ſens & ma raiſon.

   I’en ay reconnu le ſuccés,
   Ce preſage estoit veritable :
   Mais voyant mon mal dans l’excés,
   Ma bleſſure eſtant incurable :
   Ie veux deffendre à ma raiſon
De me parler iamais de gueriſon.


LES VAINS EFFORTS.

STANCES.



MON Ame, deffend toy du deſir aueuglé
      Qui d’vn mouuement déreiglé
Souz des fers eſclatans te veut rendre aſſeruie ;
Et d’vn ſage conſeil reiette le poiſon
      Qui pourroit nous oster la vie
      Nous ayant osté la raiſon.

Conſidere qu’Amour auecque des apas
      Nous veut déguiſer mon treſpas
En t’offrant en victime aux plus beaux yeux du Monde :
Et qu’entrer au Dedale où tu vas t’égarant
      Eſt vouloir s’embarquer ſur l’Onde
      Quand le naufrage eſt apparant.

Celle qui tient ma vie & ma mort en ſes mains
      Rebute les vœux des Humains
Comme indignes deuoirs dont ſa Grandeur s’irrite ;
Et l’on ne peut ſans crime aimer en ſi haut lieu
      Si ce n’eſt qu’auec le merite
      On ait la naiſſance d’vn Dieu.

Bornons donc nos deſirs, & croyons ſagement
      Tout ce que nostre iugement
Peut apporter d’vtile au ſoin qui nous poſſede :
Eſtouffons au berceau ces penſers amoureux,
      Et par vn ſi cruel remede
      Euitons vn mal dangereux.

Mais, ô laſche Conſeil, de qui la trahison
      Me veut tirer d’vne priſon
Que mon ambition prefere à cent Couronnes ;
En vain par la terreur tu m’en croy dégager ;
      Va t’en glacer d’autres perſonnes
      Qui s’eſtonnent pour le danger.

De moy, nulle raiſon ne ſçauroit m’empeſcher
      De ſeruir vn obiect ſi cher :
Le peril qui s’y trouue augmente mon courage.
Et ſi dans ce deſſein ie trouue mon Cercueil
      Ma vie au moins en ce naufrage
      Fera bris contre vn bel eſcueil.

Encore que mes ſoins m’attirent ſon meſpris
      Ma foy ne ſera point ſans prix.
Et i’auray de la gloire auec de la diſgrace ;
Car on dira touſiours en parlant de mon ſort,
      Daphnis eut vne belle audace,
      Et mourut d’vne belle mort.


LA BELLE MALADE.

STANCES.



IE ne ſçay par quelle rigueur
Les Destins jaloux de ma flame,
Mettent voſtre Corps & mon Ame
Dans vne ſi triſte langueur.

Cet Aſtre qui nous fait la guerre,
Va perdre toute la beauté
Et toute la fidelité
Qui parust iamais ſur la Terre.

Ce traict m’a le premier atteint ;
Mais du Ciel la ialouſe enuie
Doit pluſtost effacer ma vie
Que les roſes de voſtre teint :

Ie me meurs de cette auanture ;
La tristeſſe m’enſeuelit,
Et ſi vous ne ſortez du lit,
I’entre dedans la ſepulture.


LA BELLE CAPTIVE.

STANCES.



PAR vn ſort dont les cruautez
Affligent toutes les Beautez
Qui meritent d’eſtre adorées ;
Touſiours les femmes comme vous,
Ainſi que les Pommes dorées
Ont leurs Dragons & leurs jaloux.

Mais on a beau vous eſclairer,
Ie pourray touſiours eſperer
Aſſez d’heur dans ma ſeruitude ;
Puiſque voſtre inclination
N’a point d’excés d’ingratitude
Pour l’excés de ma paßion.

Bien que nos corps ſoient attachez
Et tous nos plaiſirs empeſchez
Par cette cruelle manie :
Amour Roy de nos libertez,
Ne veut pas que ſa tyrannie
S’eſtende ſur nos volontez.

Malgré ces inhumaines loix
Qui de la veuë & de la voix
Nous veulent empeſcher l’vſage ;
Moquons nous de cette rigueur,
N’obeiſſons que du viſage
Et ſoyons rebelles de cœur.

Ne pouuons nous pas nous aimer
Sans eſclat, & ſans alarmer
Toutes ces Ames inſenſées ;
Et trouuer aſſez de loiſir
Pour faire parler nos pensées,
Et nous voir des yeux du deſir ?


LE FAVORY MAL CONTENT.

STANCES.



IE proteſte deuant les Cieux
D’adorer à iamais vos yeux
Dans vne Conſtance inuincible :
Encore qu’en chaque action
Voſtre humeur vrayment inſenſible
Se mocque de ma paßion.

Ie le dis auec verité
Iamais rien que voſtre beauté
N’a trouué place dans mon Ame :
Et pour ſe faire mon vainqueur
Amour auec vne autre flame
Ne pouuoit entrer dans mon cœur.

Ie ſçay bien que i’ay mille fois
Apellé des obiets mes Rois

Dont ie n’eſtois point tributaire :
Et iuré que pour leurs appas
I’eſtois penſif & ſolitaire
Quand meſme ie n’y penſois pas.

I’ay souuent feint vne langueur
Pour accuſer vne rigueur
Qui m’eſtoit fort indifferente :
Et loüé mille appas charmants
Au viſage d’vne Amarante,
Contre mes propres ſentimens,

Mais depuis que vous m’engagez
Tous ces ſubjects ſont bien vangez
Des paßions qu’ils m’ont veu feindre :
Et cette ardeur me punit bien,
Des maux dont on m’entendoit plaindre
Alors que ie ne ſentis rien.

Yris ie n’ay plus de repos,
Mon ſouuenir à tous propos
Me vient repreſenter vos charmes :
Et perſant à vos cruautez
Ie ne fais que verſer des larmes,
Sur l’image de vos beautez.

La Cour du Prince que ie ſers
Me deſplaist au prix des deſerts ;
Sa faueur meſme m’importune,
Car le plus digne traictement,
Que me peut faire la Fortune
Ne peut adoucir mon tourment.

Dequoy me ſert la vanité
Qu’vne iuſte proſperité
M’eſleue au deſſus de l’Enuie :
Et qu’vn monde vouluſt perir
Afin de prolonger ma vie,
Quand Iris me laiſſe mourir ?


LES IVSTES REPROCHES.

ODE.



CLorinde ie le cognoy bien
Mes ſoins n’obtiendront iamais rien
D’vne ingratitude ſi noire.
Ma plainte aigriſt voſtre rigueur,
Et bien loing d’eſtre en voſtre cœur,
Si ie ſuis en voſtre memoire
C’eſt pource que vous faites gloire
De me voir mourir en langueur.

I’ay beau par mille inuentions
Vous deſcouurir mes paßions
Et les rigueurs de voſtre Empire :
I’ay beau vous monstrer mes deſirs
Et vous conter mes déplaiſirs ;
Vous ne faites iamais que rire
De mon trouble & de mon martyre,
De mes pleurs & de mes ſouſpirs.

Si i’approche de vostre lict
Quand voſtre beau corps l’embellit
Et met les Graces à leur aiſe :
Dés que ie regarde vos bras,
Si bancs, ſi polis, & ſi gras,
Dont la neige augmente ma braiſe,
De crainte que ie ne les baiſe,
Vous les retirez dans vos draps.

Mes pleurs ont fait aſſez d’effort
Ie ne ſçay plus rien que ma mort,
Qui puiſſe adoucir voſtre haine :
Puiſque c’est inutilement
Que ie vous conte mon tourment,
Belle ingrate, belle inhumaine,
Il faut ſortir de cette peine
Par la porte du monument.


LES VAINS PLAISIRS.

STANCES.



FILS de la nuict & du ſilence,
Qui d’vne aimable violence
Charmes les ſoucis des Humains,
Quand ſur le creſpe de tes aiſles
Tu viens de tes humides mains
Clore doucement nos prunelles :
Sommeil, entre les Immortels
Tu merites bien des Autels.

L’homme laſſé de l’exercice,
Periroit ſans ton bon office ;
C’eſt toy Sommeil qui le remets.
Et tandis que le corps repoſe,
À l’Eſprit qui ne dort iamais
Tu contes touſiours quelque choſe ;
Et dépeins encore à ſes yeux
La Mer, ma Campagne & les Cieux.

Bien que le Soleil ſoit ſous l’Onde,
Par ta grace il void tout le monde
Ainſi qu’à la clarté du iour.
Il court ſoudain toute la Terre
Et trouue mille objects d’Amour,
De chaſſe, de paix, ou de guerre,
Reſſentant ſelon tes deſirs
Des maux feints, ou de faux plaiſirs.

Par ta faueur i’ay veu Clymene
Mais plus belle & moins inhumaine
Qu’elle n’auoit iamais eſté.
Rien ne marchoit deſſus ſes traces
Pour tenir l’œil ſur ſa beauté,
Qu’Amour, la Ieuneſſe, & les Graces
Et mille autres diuins appas,
Qui vont touſiours deuant ſes pas.

Auec vn ſouſris qui ſe iouë
Dans les follettes de ſa iouë,
La Belle m’a tendu les mains :
M’a dit d’vne voix angelique,
Quite tous ces ſoins inhumains
Et cette humeur melancholique,
Tes iours de larmes ſont passez
Et tous tes vœux ſont exaucez.

Ô mon Astre, ô ma belle Reine
Daignez-vous conuertir ma peine
En vn contantement ſi doux ?
Vous m’honorez aſſez de croire
Que i’aime à ſoupirer pour vous,
Et que ie tiens à plus de gloire
De mourir deuant vos beaux yeux,
Que de viure auecque les Dieux.

Mes deuoirs ne vous touchoient guere
Quand vous craignez que le vulguaire
Parlast contre vostre beauté :
Alors moins ſage que vous n’este
Auiez vous bien la laſcheté
De craindre ce Monſtre à cent teſtes,
Qu’vn de vos regards ſeulement
Pourroit charmer en vn moment ?

Ie conſidere à ces paroles,
Ses yeux, mes deux cheres idoles
Qui s’abbaiſſent honteuſement :
Clymene me fait mille plaintes,
Et m’enſeigne inſenſiblement
Qu’il eſt temps de bannir nos craintes
Et de rappeller nos deſirs,
À la recolte des plaiſirs.

Le ſang au viſage luy monte,
De roſes l’amour & la honte
Couurent les beaux Lys de ſon teint ;
Ie preſſe celle de ſa bouche,
Et d’vne ardeur bruſlante atteint
Ie la faits tomber ſur ſa couche,
Où par mille plaiſirs charmez
Nous demeurons tous deux paſmez.

Mais comme mon bon-heur me noye,
Et que ie me fonds tout en ioye,
L’Aurore qui fond toute en pleurs,
Me ſurprenant ſur ces rapines
Deſcouure beaucoup moins de fleurs
Qu’elle ne me couuvre d’eſpines ;
Alors que le grand bruict du iour
M’eſveille, & trahiſt mon amour.

Le Soleil en venant de naistre
S’est introduit par ma feneſtre
Afin d’en chaſſer mon eſpoir,
Deſia ſa lumiere importune
Monte deſſus mon lict pour voir
Si i’ay quelque bonne fortune,
Et rid de voir qu’auec les bras
Ie la cherche en vain dans mes draps.

Que le ſort de l’homme eſt volage,
Il ne luy monstre bon viſage
Que pour le tromper à l’inſtant :
S’il ſouffre ce n’est point menſonge,
Mais s’il aduient qu’il ſoit contant
Il trouue que ce n’eſt qu’vn ſonge
Dont la veine felicité
Diſparoiſt deuant la clarté.


LA BELLE MAL-HEUREUSE.

STANCES.



CHARMANTE & celeſte Beauté,
Que voſtre eſtat est déplorable,
Par quelle eſtrange cruauté
Viuez vous ainſi miſerable ?
Las ! ie me plains de vos douleurs,
   Et pleure de vos pleurs.

Vous dévriez rauir mille Amants,
Auoir à ſouhait toutes choſes,
Briller d’Or & de Diamants,
Ne marcher que deſſus des roſes,

Et gouſter ſelon vos deſirs
   Mille amoureux plaiſirs.

Cependant vn mary ialoux,
Qui de voſtre bonté ſe iouë,
Ne faict non plus d’estat de vous
Que de quelque maſſe de bouë ;
Luy de qui l’esprit & le corps
   Ont de mauuais reſſorts.

Sans qu’il oſe vous outrager,
Qu’il vous veille & qu’il vous ſoupçonne
Il peut aſſez vous affliger
Par les deffauts de ſa perſonne,
Auprés d’vne ieune Beauté
   C’eſt vn mort infecté.

Il n’a rien de vif que la voix
Qu’il n’applique qu’à vous déplaire :
Voyez vn peu quel mauuais choix
On vous a conſeillé de faire.
Vostre ſort euſt eſté plus beau
   D’eſpouſer le Tombeau.

Sans obſeruer ſon entretien :
Vous penſiez eſtre aſſez heureuſe
Prenant vn homme auec du bien,
Et lors vous rendit amoureuſe,

L’or plus faict pour nous eſbloüir
   Que pour nous reſioüir.

Le bien n’eſt qu’vn ſujet d’ennuy
Pour les ames qui ſont auares,
Les Dragons außi bien que luy
Poſſedent des Threſors bien rares,
Comme luy viuans ſans raiſon,
   Et ſouflans du poiſon.

De moy ie ne le puis celer,
Soupirant ſoubs ſa tyrannie,
Vous ne ſçauriez vous conſoler
De ſa faſcheuſe compagnie,
Qu’en prenant vn Amant diſcret,
   Qui ſoit ſage & ſecret.


L’ENCHANTEMENT ROMPV.



SAGE & grand Medecin, qui changeant toutes choſes ;
Ternis ſi toſt l’eſclat des œillets & des roſes,
        Ie te voüe vn Autel.
Puis qu’en faiſant paſſer la beauté d’vne femme
        Tu deliures mon Ame
Et me gueris d’vn coup que ie croyois mortel.

Apres auoir en vain reſpandu tant de larmes,
Adreßé tant de vœux, pratiqué tant de charmes,
        Pour ſortir de priſon :
Ie voy ſans y penſer ma ſanté reuenuë
        Et de la meſme veuë
Dont ie tenois mon mal ; ie tiens ma gueriſon.

I’ay repris ma franchiſe en reuoyant Clymene ;
I’ay trouué que ſes yeux me donnoient trop de peine

        Auec trop peu d’apas :
Et i’euſſe bien iuré, la treuuant ſi peu belle,
        Que ce n’eſtoit pas elle
Que i’admirois ſi fort en ne la voyant pas.

D’vne paſle couleur ſa iouë eſt toute peine ;
Les Graces n’y font plus, ou c’est auec crainte
        D’vn coulpable accusé :
Et s’il aduient par fois que la couleur y monte,
        Ce n’eſt que de la honte
De voir que mon esprit ſe ſoit deſabusé.

Ce qui luy reſte encore eſt vn peu de ieuneſſe,
Qui paroiſt ſeulement par le peu de fineſſe
        Qu’elle teſmoigne à tous.
Et bref de cét obiect que ie creus adorable
        Le trait le plus aimable
Feroit vn mal-heureux ſans le rendre ialoux,

Certes i’auois dans l’ame vne erreur nonpareille
Lors que ie me faiſois vne rare merueille
        D’vn ſujet ſi commun :
I’y voyois mille attraits, mille aimables licences,
        Mille douces puiſſances.
Ie voyois mille apas où ie n’en voy pas vn.

Mais les ſoins d’vn Mary que la melancholie
Portoit a des excéz de rage & de folie,
        Seruoit à me piper :
Car ſi l’accez faſcheux de cette ame indocile
        M’euſt eſté plus facile,
Ie n’euſſe pas esté ſi facile à tromper.

Voyant qu’il la tenoit touſiours ſoubs la ſerrure,
Ie creus aimer en elle vn corps que la Nature
        Eust formé pour les Dieux.
Mais tel que ces ſorciers il ſe fait recognestre
        Qui deſceus par leur Maistre
Font de feuilles de cheſne vn Threſor precieux.

Qu’il ne s’afflige plus quand on s’approche d’elle
Et que les nuicts qu’il paſſe à faire ſentinelle,
        Il penſe à repoſer :
Car le mal qu’il ſe donne auec ſa vigilance
        N’eſt point ſon aſſeurance ;
Pour la conſeruer mieux il deuroit l’expoſer.

Il nourrit nos deſirs auec ſa ſotte crainte :
C’eſt la faire eſchaper que la tenir contrainte

        Auec ſes yeux aigus :
En la rendant ſi chere, & ſi fort aſſeruie
        Il nous en donne enuie,
Et luy ſert de Mercure en luy ſeruant d’Argus.

De moy dés que mon œil au iour l’a deſcouuerte,
Ie me ſuis tout à coup raquité de la perte
        Où i’eſtois demeuré,
Et me repreſentant l’obiect de mon martyre
        Ie me paſme de rire
De me reſſouuenir d’en auoir tant pleuré.

Ie tiens que tous les vers où ie me ſuis plaint d’elle
Sont les vains reſſentimens d’vn rapport infidelle,
        Ou d’vn ſonge inuenté :
Et par ce nouueau iour eſclaircy de ma doute
        I’abandonne la route
Où me faiſoit errer vne fauſſe clarté.


LE CRVEL.

STANCES.



POVR quel ſujet prends tu plaiſir
À me lancer ce trait de flame,
Qui vient ſuborner mon deſir
Pour luy faire trahir mon Ame ?
Tourne ailleurs ces regards puiſſans
Dont tu ſolicites mes ſens
De r’entrer deſſous ton Empire ;
Apres m’auoir ſi mal traité,
Ne veux tu pas que ie reſpire
Le doux air de la liberté ?

C’est mon agreable Element :
La moindre contrainte m’afflige,
Et ie ne m’aime ſeulement
Que pour ce que ie me neglige.
Sçay tu pas que mes ſentimens,
Pour les ſoins & pour les tourmens,
Sont d’vn naturel vn peu tendre ?
Et que c’eſt meſme ſans effort
Que mon esprit oſe pretendre
De ſauuer mon nom de la mort ?

Ne croy donc pas me rembarquer
Deſſus le point d’vne Tempeſte,
Et ne penſe pas te moquer
De cette ſeconde conqueste :
Contante toy que ſouz tes loix
I’ay ſupporté plus de ſix mois
Vne tyrannie importune ;
Et que i’ay moins forcé mon cœur
Pour acquerir de la fortune,
Que pour adoucir ta rigueur.

Si tu formes donc le deſſein
De me prendre encore au paſſage ;
Fay moy voir l’Amour dans ton ſein
Comme il est deſſus ton viſage :
Permets que ſans peine & ſans bruit
Ie me charge en ſecret du fruit
Dont mon eſperance est bornée :
Car i’ay pris assez de ſoucy
De ſemer toute l’autre année,
Pour recueillir en cette-cy.


LA GVIRLANDE.

STANCES.



CELLE de qui la grace & les yeux ont la gloire
D’aſſeruir tant de cœurs, & tant de libertez,
Se couronne de fleurs pour monſtrer la victoire
Qu’elle emporte auiourd’huy ſur toutes les Beautez.

Chacun de ces Iaſmins exprime la conqueſte
Qu’elle fait en tous lieux des plus grands des humains :
De ſorte qu’elle met les fleurons ſur ſa teſte,
Des Sceptres que l’Amour a mis entre ſes mains.

Parmy ce beau Trophée on verroit ma franchiſe
Captiue ſous le joug de ſes Diuins apas :
Mais quoy ; c’eſt vn honneur que l’Ingrate meſpriſe
À cauſe que mon cœur ne luy reſiſta pas.


LES FASCHEUX OBSTACLES.

STANCES.



CLORINDE, i’ay beau ſoupirer,
Ie ne dois iamais eſperer
De voir la fin de mon martire,
Puiſque la rigueur des Ialoux
M’empeſche meſme de vous dire
Les maux que i’endure pour vous.

Ie ſuis prés de vous chaque iour
Pour vous parler de mon amour,
Sans que ce bon-heur me conſole :
Car preſſé du bruſlant deſir
D’en prononcer vne parole
Ie n’en puis treuuer le loiſir.

Par quelle eſtrange cruauté
Veut-on garder voſtre beauté,
Et vous tenir ainſi contrainte ?
Dieux ! voſtre humeur qui n’aime rien
Et tant de fantoſmes de crainte,
Vous gardent-ils pas aſſez bien ?

N’eußions nous nul teſmoin qu’Amour
Au plus ſolitaire ſeiour
Dont toute clarté fust bannie ;
L’ombre de ce Monstre d’honneur
Auec aſſez de tyrannie
S’oppoſeroit à mon bon-heur.


LA GOVVERNANTE IMPORTUNE.

STANCES.



VIEVX Singe au viſage froncé
De qui tous les Pages ſe rient
Et dont le ſeul nom prononcé
Fait taire les enfans qui crient.
Vieux ſimulachre de la Mort,
Qui nous importunes ſi fort
Par le chagrin de ta vieilleſſe ;
À parler ſans déguiſement,
Le temps auec trop de pareſſe
Te traine vers le monument.

Il n’est point de cheſnes plus vieux,
Ny de Corneilles plus antiques ;
Tu peux auoir vu de tes yeux
Tout ce qu’on lit dans nos Croniques :
Tes membres ſaiſis d’vn friſſon
Tremblent de la meſme façon
Que font les feuilles en Autonne :
Tu ne fais plus rien que cracher,
Et toute la terre s’eſtonne
De te voir encore marcher.

Mais on ne vit plus ſi long-temps :
Ton corps deuenu pourriture,
A payé depuis cinquante ans
Ce qu’il deuoit à la Nature ;
Qui t’a fait ſortir du Tombeau ?
Caron t’auoit en ſon baſteau
Miſe au delà du fleuue ſombre :
Et rompant ton dernier ſommeil
Lors que tu n’es plus rien qu’vne ombre
Tu viens eſclairer mon Soleil.

Rentre dans ton dernier repos,
Squelette couuert de poußiere,
Que par de magiques propos
On a fait ſortir de la biere.
Ou ſi pour faire des Sabats
Tu dois demeurer icy bas,

Par vn ordre des Deſtinées :
Va te retirer dans les trous
De ces maiſons abandonnées,
Où ne hantent que les hibous.

Pourquoy viens-tu dans cette Cour,
Pour y choquer la complaiſance ?
Touſiours les Graces & l’Amour
Y languiſſent en ta preſence :
Le ris, les jeux, & les plaiſirs
Que le ſujet de mes deſirs
Fait par tout éclore à ſa veuë,
Fuyant tes importunitez
Prennent l’eſſor à ta venuë
Ainſi qu’oiſeaux eſpouuentez.

C’est toy qui murmure touſiours
Quand ie parle auec Angelique,
Accuſant d’innocens diſcours
De quelque mauuaiſe pratique.
C’eſt toy qui d’vn cœur obſtiné
Fais la ronde autour de Daphné,
Rendant ſon accez difficile,
Et qui ne ſçaurois endurer
Que Mirtil ait pour Amarille
La liberté de ſouspirer.


Deuant toy l’on ne peut parler
Auec pretexte legitime :
Dire boniour c’eſt cajoler,
Et tourner l’œil c’est faire vn crime.
Ton humeur pleine de ſoupçons
Fait de ridicules leçons
À des cœurs exempts de malice,
Et tes deffences bien ſouuent
Leur enſeignent des artifices,
Qu’ils ignoroient auparauant.

La Vertu froide & ſans couleur
En ternit ſa grace immortelle,
Et ſouſpire auecque douleur
Voyant qu’elle est ſouz ta tutelle :
Elle a deſcrié ton ſuport,
Ne pouuant ſouffrir ſans effort
Les ſoins dont ton eſprit s’acquite :
Car ton ſens débile & leger
Se rend oppreſſeur du merite,
Qu’il s’ingere de proteger.

Auec d’importunes clartez
Tu veilles de trop belles choſes,
Qui te void parmy ces Beautez,
Void vn ſerpent parmy des roſes,
Mais tu fais beaucoup plus de mal
Que ce dangereux animal,

Si l’on en croit la Renommée ;
Car tu piques en trahizon
D’vne ſagette enuenimée
Qui n’a point de contrepoiſon.

Quand tu m’as bleſſé iusqu’au cœur
Par tes inhumaines cenſures,
Tu ſoustrais auecque rigueur
Les apareils de mes bleſſures :
Angelique cherche par fois
Dans le ton charmant de ſa voix
Quelque douceur qui me conſole :
Mais tu l’apperçois promptement
Et viens retrancher ſa parole
Dés le premier mot ſeulement.

Deſormais aplique toy mieux,
Prenant garde à ce qui te touche ;
Fay tarir la glus de tes yeux,
Et non pas le miel de ſa bouche ;
N’espan plus la mauuaiſe odeur
D’vne criminelle laideur,
Parmy des beautez innocentes :
Au lieu de tant de traits laſchez
Qui bleſſent des vertus naiſſantes
Repren toy de tes vieux pechez.


LE BRACELET.

STANCES.



AMOVR en ſoit beny, le ſujet de mes vœux,
Cette ieune Beauté qui captiue mon Ame,
        De cent chaines de flame,
La veut lier encore auec ſes cheueux.

Cette chere faueur que ie n’oſois pretendre,
Rendra de mon deſtin les Dieux meſmes ialoux ;
        Voyans qu’vn feu ſi doux
Se trouue accompagné d’vne ſi belle cendre.

Agreables chainons, beau fil d’Ambre flottant,
Vous ne faiſiez qu’errer autour de ſon viſage ;
        Estiez vous ſi volage
Pour venir auiourd’huy me rendre ſi conſtant ?

Ô Cieux ! ma ſeruitude est tellement plaiſante,
Que comparant les fers où ie ſuis arreſté
        À quelque Royauté,
I’eſtime vne Couronne importune & peſante.


LE TRIOMPHE D’IRIS.

STANCES.



LES foudres qui grondoient auec tant d’inſolence
        Ceſſent leur violence ;
      Les flots paroiſſent adoucis,
Et le diuin pouuoir qui regiſt toutes choſes
Semble ſe preparer à nous donner des roſes
        Apres tant de ſoucis.

Malgré tous les efforts qu’a pû faire l’Enuie
        Pour affliger ſa vie,
      Yris triomphe du mal-heur.
Le ſort pour ſon ſujet n’a plus rien de funeste ;
Et de tous nos ennuys, maintenant il ne reſte
        Que ma ſeule douleur.

Mais le digne ſujet dont ma peine eſt cauſée
        Me la rend trop aiſée

      Pour en vouloir la gueriſon :
Et le charme eſt ſi doux qui mon Ame poſſede,
Que dans cette langueur i’eſtime tout remede
        Pire que du poiſon.

Les plus ſuperbes Rois qu’enuironne la Gloire,
        Et que ſuit la Victoire
      Par tout où marche leur courroux,
Fuſſent-ils eſleuez dans l’humeur la plus vaine
Ne pourroient obſeruer le ſujet de ma peine
        Sans en eſtre ialoux.

Le deshonneur que fait le beau teint que i’adore
        À celuy de l’Aurore,
      Leur feroit receuoir ſa loy.
Ils poſeroient leur Sceptre aux pieds de cette Belle
Et quitteroient l’honneur de commander comme elle,
        Pour ſeruir comme moy.

L’or de ſes blonds cheueux qu’eſmeut vn doux Zephire
        Vaut celuy d’vn Empire,
      Leur eſclat n’a point de pareil.
Ils ſemblent composez d’vne flame immortelle,
Et c’est auec raiſon que chacun les appelle
        Les Rayons d’vn Soleil.

C’eſt auec du peril que les Marchands auares
        Aux riuages Barbares
      Frequentent auec tant de ſoing :
Sans pratiquer les vents & les ondes traiſtreſſes,
Ie treuue depuis peu beaucoup plus de richeſſes
        Et ne vay pas ſi loing.

Graces aux doux apas dont Yris eſt pourueuë,
        Ie contante ma veuë,
      De tous les biens les plus charmans :
Ie voy mille treſors en ſes beautez diuines,
Sa bouche eſt de Rubis, ſes dents de Perles fines,
        Ses yeux de Diamans.

Le reſte de ce corps dont ie ſuis idolatre
        Eſt de viuant Albaſtre,
      Animé d’vn eſprit des Cieux ;
Si bien que l’on y trouue vn concert de Merueilles,
Qui rauiſſent les cœurs & charment les oreilles
        Außi bien que les yeux.

Arbitres des Mortels, Puiſſances ſouueraines,
        Renforcez bien mes chaines,

      Cette captiuité me plaiſt :
Ie ne demande point de fortune meilleure
Que de bruſler touſiours, pourueu qu’Yris demeure
        Au meſme eſtat qu’elle est.


SOVPÇON.

STANCES.



ORANTE, ie veux auoüer,
Que i’ay ſujet de me loüer
Des bons mouuemens de voſtre Ame,
Qui fit aſſez d’eſtat de moy,
Pour vouloir reſpondre à ma flame
Sans auoir recogneu ma foy.

Ie vous ſuis vrayment obligé
De ne m’auoir point engagé
Parmy des longueurs inhumaines,
Et de n’auoir voulu ſauuer
Tant de deuoirs & tant de peines
Dont vous me pouuiez eſprouuer.

Vostre amour, dont ie fus rauy,
Me paya ſans auoir ſeruy
Par vne grace fort inſigne ;
Mon cœur bien au vif la reſſent,
Et du moins ſi ie n’en ſuis digne
Ie n’en ſuis pas meſcognoiſſant.

Mais ie me plains en vous aimant,
D’aperceuoir qu’vn autre Amant
S’attende à des faueurs pareilles ;
Et que voſtre facilité
Preste vos yeux, & vos oreilles
Contre voſtre fidelité.

Vous ſçauez que ce fut ainſi
Que ie vous appris le ſoucy
Dont mon Ame eſtoit trauerſée ;
Voſtre ſexe estant inconſtant,
Vne peur m’entre en la penſée,
Qu’vn autre en vienne faire autant.

Apprehendant cela pour vous
Ie n’ay pas ce chagrin ialoux
De qui l’on blaſme les caprices ;
Car ie crains moins pour mon bon-heur
Bien que vous ſoyez mes delices,
Que ie ne crains pour vostre honneur.

Ie ſerois pourtant bien faſché
Que vostre eſprit ſe fuſt taché
D’vn ſi noir & ſi laſche crime ;
Et que perdant tout vostre prix,
Ayant eſté dans mon eſtime,
Vous entraßiez dans mon meſpris.


POVR VNE BEAVTÉ QVI SÇAIT PARFAITEMENT PEINDRE.

PLAINTE.



IE ne ſçay quel cruel deſtin
Qui mon ame au dueil accouſtume
Entre le ſoir & le matin
M’a preparé tant d’amertume.

Que de ſoucis en vn ſeul iour !
Ie ſuis pris d’vne ſeule œillade ;
En vn moment ie meurs d’amour,
Et Chariſte eſt au lict malade.

Par quelles rigoureuſes loix
Faut-t’il qu’vne diuerſe flame
Se prenne ainſi tout à la fois
Dans ſon ſang & dedans mon ame ?

Ce beau Soleil dont les apas
Sont d’vne grace ſans ſeconde,
Ne ſe releuera donc pas
Auec le bel Aſtre du Monde.

Ses beaux yeux ſont dont en priſon,
Leur paupiere eſtant abaiſſée :
Las ! il eſt iour en l’Oriſon,
Mais il est nuict en ma penſée.

Deſia cette extréme rigueur
Deſtruit en ſes beautez diuines
Les viues roſes dont mon cœur
Conſerue ſi bien les eſpines.

Dieux, vous eſtes bien inhumains
D’oſer luy faire tant d’outrages ;
Pouuez vous mettre ainſi les mains
Sur le plus beau de vos ouurages ?

Mais pour voſtre contentement
Eſtans jaloux comme vous estes,
Elle ſçait trop parfaictement
Repreſenter ce que vous faites.

D’vn art qui n’a point de pareil
Elle fait trop bien la peinture,
Du Ciel, du Iour, & du Soleil,
Des ruiſſeaux & de la verdure.

Puis elle nous fait voir encor
Comme vn d’entre vous eut l’adreſſe
De ſe changer en gouttes d’or
Pour couler prés de ſa Maiſtreſſe.

Peut estre elle peint tous les iours
Comme il plaist à ſa fantaiſie,
Ou Iupiter dans ſes amours,
Ou Iunon dans ſa ialouſie.

Poßible dans quelque Tableau
Elle a mis le Dieu de la guerre
Comme vn des Grecs au bord de l’eau
Le renuerſa d’vn coup de pierre.

Vous ne pouuez ſans vous faſcher
Voir diuulguer vos aduantures ;
Vous ne craignez point de pecher
Et ſi vous craignez vos cenſures.

Quand le deſtin vous vient forcer
À ſouffrir qu’vn objet vous bleſſe,
Vous ne voulez pas confeſſer
Que vous ayez quelque foibleſſe.

Mais quoy, redonnez la ſanté
À cette belle imitatrice,
Elle peindra vostre bonté
Comme elle a fait voſtre malice.

Son pinceau fera voir apres
De quel ſoing voſtre prouidence
Verſe le Nectar à longs traits
Deſſus la Corne d’abondance.

Que vous veillez ſur les mortels
Peſant les vertus & les crimes ;
Et que les vœux & les Autels
Sont des deuoirs bien legitimes.

Elle vous peindra combatans
Deſſous les aiſles de la Gloire,
Alors que deſſus les Titans
Vous emportaſtes la Victoire.

Ainſi vous deuant ſon bon-heur,
Elle peut d’vne adreſſe prompte
Couurir des traits à voſtre honneur,
Ceux qu’elle a faits à vostre honte.

Mais parlay-ie bien à propos,
Ne ſuis-je point en freneſie ?
Amour qui trouble mon repos
Trouble-t’il point ma fantaiſie ?

Que ſçay-je quel eſt le ſujet
Qui cauſe mon inquietude ?
Peut-eſtre que ce bel objet
Fait vertu de l’ingratitude.

Poßible quand elle ſçauroit
Vn ſoing ſi tendre & ſi fidelle ;
L’inhumaine ſe mocqueroit
Des pleurs que i’ay verſez pour elle.

N’importe, fuſt-elle vn Rocher,
Son aſcendant eſt inuincible ;
Ie ſens que ſon ſalut m’eſt cher,
Et que ſon tourment m’eſt ſenſible.

Pour n’obſeruer pas ſa langueur
Auec des maux intolerables,
Son merite eſt peint dans mon cœur
Auec des couleurs trop durables.

De quelque auis dont ma raiſon
Cenſure ma ſecrette enuie,
I’irois aualer du poiſon
Si cela luy ſauuoit la vie.


LE MESPRIS.

STANCES.



NE te ris plus de mes douleurs,
Perfide ſujet de mes pleurs,
Ingrate cauſe de mes plaintes,
Tu ne fais plus mes desplaiſirs,
Mes triſteſſes, ny mes ſouſpirs ;
Tu ne me donnes plus d’attaintes,
Et pour toy ie n’ay plus de craintes,
D’eſperances, ny de deſirs.

Mon eſprit abhorre ta loy ;
Tu m’as trop engagé ta foy,
Et me l’as trop ſouuent fauſſée :
Ie ſeray ſage à l’auenir ;
Ma peine commence à finir,
Toute mon ardeur eſt paſſée,
Et ie deffends à ma penſée,
De m’en faire plus ſouuenir.

Ie pourrois auecque raiſon
Punir ta laſche trahizon,
Et te noircir d’vn iuſte blaſme :
Mais ie commence à negliger
Le ſoin de te deſobliger ;
Car cét obiect eſt trop infame
Pour n’effacer pas de mon ame
La volonté de me vanger.

Penſers, mon aimable entretien,
Ne me repreſentez plus rien
Des charmes de cette cruelle :
Ne me venez point abuſer,
Ne me venez point excuſer
Les defauts de cette infidelle,
Et ne me parlez iamais d’elle
Si ce n’est pour la meſpriſer.


LES DESDAINS D. M. D. M.

ODE.



DIANE ſi vous estes belle
Autant que la ſœur du Soleil ;
Voſtre courage eſt tout pareil,
Ie vous treuue auſsi fiere qu’elle.
Encore aima-t’elle autrefois,
Et bien qu’elle errast par les bois
De tant d’auſterité pourueuë ;
Ce cœur außi froid qu’vn glaçon
Fondit à la premiere veuë
Des beautez d’vn ieune garçon.

La nuict, abandonnant ſa Sphere,
Elle va voir vn autre Amy,
Qu’elle tient touſiours endormy
Pour mieux celer ce doux mistere.
Quand le iour la fait deſloger
D’entre mes bras de ce Berger,

Dont ſon ame est ſi fort eſpriſe ;
On la void ſe décolorer,
Moins de crainte d’eſtre ſurpriſe,
Que d’ennuy de ſe retirer.

Mais quelque eſclat qu’ait le merite,
Quoy qu’il ait d’aimable & de doux ;
Il n’eſt point icy bas pour vous
D’Endimion, ny d’Hypolite.
Il n’eſt point pour voſtre beauté
D’aſſez aimable nouueauté
Dans le Ciel ny deſſus la Terre :
Les grands Cœurs & les beaux Eſprits
Qu’enfantent la Paix & la Guerre,
Vous ſont des Objets de meſpris.

Amour, que voſtre beau viſage
À force luy meſme d’aimer,
Ne ſçait plus pour vous enflammer
Quel charme il doit mettre en vſage.
Außi croy-ie obſeruant touſiours
L’air de vos deſdaigneux diſcours
Et la froideur de tous vos geſtes ;
Que s’il offroit deſſus vos pas
Le plus beau de tous les Celestes,
Vous ne le regarderiez pas.

L’autre iour à la promenade
Vos yeux ſe deſtournoient des fleurs,
Refuſant meſmes aux couleurs
La grace de la moindre œillade.
Le chant innoncent des oyſeaux,
Le confus murmure des eaux
Vous ſembloit donner quelque attainte ;
Le bruit des feuilles d’alentour
Glaceoit tout voſtre sang de crainte
Que le vent vous parlaſt d’amour.

Telle eſtoit la Nimphe obstinée
À fuir tout ce qui l’aimoit,
Qu’Apollon iadis reclamoit
Sur les riuages de Penée.
Et telle estoit cette Beauté,
Ce Prodige de cruauté
Que Salamine auoit veu naiſtre :
Et qui peut ſans reſſentiment
Aperceuoir de ſa feneſtre
Le deſeſpoir de ſon Amant.

Mais la mort d’Iphis fut vangée
De cette ame ſans amitié ;
Le Ciel n’en eut point de pitié,
L’ingrate en pierre fut changée.

Craignez donc vn peu ſon couroux,
Pour meſme crime, il peut de vous
Faire quelque roche ou quelqu’arbre.
Mais vos destins ſont arriuez,
Nature a deſia fait de marbre
Tous les membres que vous auez.


CHANSON.



DOux Printemps ne reuenez pas
          Auec tant d’apas,
   Vous oppoſer à ma melancholie :
Depuis qu’vne Beauté que i’aimois cherement
        Se treuue enſeuelie,
   Tous mes plaiſirs ſont dans le monument.

      Ô beaux iours ſi toſt alongez,
          Que vous m’affligez
   Moy qui touſiours ay des penſers ſi ſombres ;
Deſlors que le ſujet de ma felicité
        Erre parmy les Ombres,
   I’ay de l’horreur quand ie voy la clarté.

        Claires eaux qui lauez des fleurs
            Ainſi que mes pleurs,
   Voſtre criſtal a pour moy quelques charmes :
En mon affliction i’aime à voir vostre cours,
          Il reſſemble à mes larmes
   La Mort a fait qu’elles coulent touſiours.


L’INCREDVLITÉ PVNIE.

STANCES.



L’Obiect eſt bien puny qui ne me croyoit pas
Lors que ie luy iurois en loüant ſes apas,
Que ſa ieune beauté par vne ſeule œillade,
        M’auoit rendu malade.

Pour voir ſi i’en parlois auecque verité,
L’imprudente obſtinée en ſa temerité,
Courant vers vn Miroir auec impatience,
        En fit l’experience.

Des feux refléchiſſants du criſtal dans ſes yeux,
Embraſerent ſoudain ce cœur audacieux,
Qui pour me ſecourir quand ie demandois grace,
        N’auoit que de la glace.

La chaleur eſtrangere a ſon ſang alteré ;
Et le haut mouuement du poux immoderé
Monſtre que ce beau corps recelle autant de flame,
        Que i’en ay dans mon ame.

De la pointe d’vn traict Amour ouure ſon bras,
Et faiſant rejallir des rubis ſur ſes dras,
Tire afin que le mal de la Belle s’alege,
        Du feu de cette neige.

Petit Barbier, de grace, espargne ce beau ſang ;
Crains-tu pour Amarante ? elle n’eſt point du rang
De ces freſles Beautez de qui les Deſtinées
        Ont borné les années.

La Mort n’a point d’empire où règne ſa beauté,
Tandis que le Soleil aura de la clarté,
Ses yeux qui m’ont rauy ma liberté premiere
        Auront de la lumiere.


LE NATVREL
d’Amour.


LES perles ayment cherement
L’humeur dont l’Aube les arrose ;
Les ſerpens ont pour aliment
La fraiſcheur dans la terre enclose ;
L’air eſt aymé par les oyſeaux,
Les poiſſons cheriſſent les eaux,
Et la Salamandre les flames,
Les Abeilles ayment les fleurs :
Mais l’Amour ce Tyran des ames,
Le cruel n’ayme que les pleurs.


LE PRONOSTIC
veritable.



O Belle Nymphe Abißine
Iamais Art, Pierre, ou Racine,
Astre, hazard, ny raiſon,
Conſeil, loüange, ny blaſme
Ne pourront guerir voſtre Ame
Du mal de voſtre Maiſon


LES LOVANGES.


TOVT ce que l’Art, & la Nature
Ont produit de plus rare au iour
Venus, les Graces, & l’Amour
Dans la plus diuine peinture.
Tout ce qui peut plaire a nos yeux,
L’aurore, le Soleil, les Cieux,
L’or, les Perles, les Lys, les Roſes,
L’Eſmail du Printemps le plus doux ;
Bref toutes les plus belles choſes
Ne ſont point ſi belles que vous.


L’IMPVISSANCE DES
Destinees.



LE Deſtin peut bien faire encore
D’autres Cieux & d’autres clartez,
Et former des Diuinitez
Außi charmantes que l’Aurore.

Il peut d’un effort ſans pareil,
Faire encore un plus beau Soleil
Que celuy que nous voyons luire :
Mais la Nature, ny les Cieux,
Ne ſçauroient iamais rien produire
Qui ſoit auſſi beau que vos yeux.


POVR METTRE DEVANT
vn Liure d’Endimion.



TREVVANT icy l’Hiſtoire d’un berger
Qu’Amour expose en un ſi grand danger,
Pendant l’erreur où le ſommeil le plonge :
Ô bel Objet plein de ſeuerité !
Souuenez vous que ſa peine est un ſonge,
Et que la mienne eſt une verité.


POVR METTRE DEVANT
vn liure d’Embleſmes d’Amour.



POVR Dieu ne liſez point icy ;
Clorinde l’vnique ſoucy
Des plus nobles cœurs de la terre :
On ne void aux feillets ſuiuants
Que des preceptes d’vne guerre
Où vos yeux ſont aſſez ſçauants.


LA FAVEVR DE MAV-
uais preſage.



Ô Que l’esprit de Siluie
Eſt cruel, & deceuant !
Ie voy bien qu’en la ſeruant
Il faudra perdre la vie.
Pour monſtrer que ſouz ſes loix
La mort l’est toute certaine,
Elle me donne vne chaine
Qui finiſt par vne croix.


REFLECTIONS
Amoureuſes.



QV’ELLE est ſuperbe & qu’elle eſt belle,
Et que i’ay de penſers pour elle
Dont mon repos eſt traverſé :
Obſeruer cet Ange viſible
Sans l’aymer, c’eſt eſtre inſenſible,
Et l’aymer c’eſt eſtre inſenſé.


À DIANE.



AINSI qu’auprès d’une ſource
Qui faict vne aymable courſe
Vous ſommeilliez l’autre jour,
Vne Nymphe chaſſereſſe
Vint pour vous faire la cour,
Vous prenant pour ſa Maistreſſe.


AVIS, à M. de C.



LA Charmante mere d’Amour,
Se pleignoit de vous l’autre jour,
Contre vos beautez irritée :
Et le ſuiet de ſon couroux
C’est que ces Graces l’ont quittée,
Pour demeurer auecque vous.


SVR VNE STATVE DE
Didon, faite par Cochet.
À Didon.



Ô BIECT digne d’idolatrie,
Si ton ingrat Troyen te fit vn mauuais tour,
Ie ne m’eſtonne pas de cette tromperie,
Celuy qui trahit ſa Patrie,
Pouuoit bien trahir ſon amour.

Ie m’eſtonne bien plus dont vn cyzeau ſçauant
 S’éterniſe en nous deceuant,
 Lors qu’il te remet ſur la terre,
Et qu’il nous fait paſſer pour vn ſujet viuant
 Vn corps qui n’eſt fait que de pierre.


LA RETRAITE AVANTAGEUSE.



IE ne ſuis plus dans la folie,
De perdre des ſoins & du temps ;
Ie vous dis adieu pour cent ans,
Belle & trompeuſe Cephalie :
Ie proteste auec vérité
Qu’en adorant vostre beauté
Les eſpines m’eſtoient des roſes ;
Mais quoy, ie ſuis de ces eſprits,
Qui ſouffrent tout hormis deux choſes,
L’ingratitude, & le meſpris.


À SYLVIE, SVR LES PLAINTES D’ACHANTE.



POVR nous exprimer à la fois
Toutes les rigueurs de ſes loix,
Et tout l’honneur de ſon Empire ;
Amour en ces vers a dépeint

Ce triste Berger qui ſoupire,
Nommant vos yeux, & voſtre teint,
Les Miniſtres de ſon martire.


LE SOVPIR AMBIGV, Madrigal.



SOVPIR, ſubtil esprit de flame
Qui ſors du beau ſein de Madame,
Que fait ſon cœur, aprens-le moy ?
Me conſerue-t’il bien la foy ?
Ne ſerois tu point l’interprete
D’vne autre paßion ſecrete ?
Ô Cieux ! qui d’vn ſi rare effort
Miſtes tant de vertus en elle,
Deſtournez vn ſi mauuais ſort :
Qu’elle ne ſoit point infidelle,
Et faites plustost que la Belle,
Vienne à ſoupirer de ma mort,
Que non pas d’vne amour nouuelle.


SERMENTS D’AMOUR.



L’HYVER ſera ſans froidure,
Et le Printemps ſans verdure,
L’Ocean ſera ſans flus,
Et l’air deuiendra palpable
Quand mon cœur ſera capable
De ne vous adorer plus.


À SON ESCHOLIÈRE.



Ô Sujet vrayment plus qu’humain,
Amour qui ne nous quite gueres
Me fait conduire voſtre main
Pour former de beaux caracteres :
Mais voyant vos yeux m’enflamer
Le traiſtre tout bas me vient dire
Que ie profite à vous inſtruire,
Et que i’apprens à bien aymer
En vous monſtrant à bien eſcrire.


VNE BELLE PERSONNE FAISOIT CREVER DES FEVILLES SVR SA BOVCHE.



VOSTRE bouche dans ce caprice
Cauſe le plus rare ſuplice,
Que l’on ait iamais apperceu ;
N’eſt-ce pas vne estrange choſe
Qu’vne fueille ait ainſi receu
Le martire ſur vne roſe ?


POVR VN NARCISSE QU’VNE BELLE FILLE PORTOIT SVR SON SEIN.



TON ſort eſt bien digne d’enuie,
Ieune Garçon qui par tes pleurs,
Abregeant le cours de ta vie,
Augmentas le nombre des fleurs.

Tes beautez apres ta diſgrace
Te font encore trouuer place
Sur vn ſein ſi blanc & ſi beau.
Ô rare & diuin priuilege,
De treuuer ſa perte dans l’eau
Et ſon ſalut dans de la neige.


LES YEUX CRIMINELS.



TRAISTRES yeux, maudite veuë,
Que ne ſuis-ie aueugle né,
Ie ne ſerois pas geſné
Du noir chagrin qui me tuë.
Ie ſouspire inceſſamment
Dans le plus cruel tourment
Dont vne Ame ſoit capable ;
Et l’iniustice des Cieux
Ne m’a rendu miſerable
Que pource que i’ay des yeux.


L’ÉGALITÉ DES CHARMES.



DEVX Merueilles de l’Vniuers
Tiennent en leurs mains ma fortune,
Et leurs appas ſont bien diuers :
Car l’vne eſt blonde, & l’autre brune.
Cependant leurs ieunes beautez
Regnent deſſus mes volontez
Auec vne eſgalle puiſſance,
Et dans leur glorieux deſtin
Ie ne voy que la difference
D’vn beau ſoir & d’vn beau matin.


ÉPITAPHE D’VN PETIT CHIEN.



CY giſt vn chien qui par Nature
Sçauoit diſcerner ſagement,
Durant la Nuict la plus obſcure
Le Voleur d’auecque l’Amant.
Sa diſcrette fidelité
Fit qu’auec beaucoup de tendreſſe
À ſa mort il fut regretté
Par ſon Maiſtre, & par ſa Maiſtreſſe.


SVR LE DESPART DE PHILIS.



QVE d’ennuis en ma destinée,
Celle pour qui ie meurs d’amour
S’apreſte à partir dans vn iour
Pour ne reuenir d’vne année.
Ô Cieux ! i’ay beau me tourmenter,
Ie ne la ſçaurois arrester,
Ny treuuer moyen de la ſuiure ;
De ſorte qu’à bien diſcourir
Ie n’ay plus qu’vn moment à viure
Et plus de mille ans à mourir.


LES SOINS MALCONSIDEREZ.



IE ſoufre tant de maux, que l’ingrate Climene
Ne peut s’imaginer la moitié de ma peine ;
Elle reſte incredule, & moy ie meurs martir.
Amour, puiſqu’il est vray que ie ſers à ta gloire,
Fay luy croire les maux que tu me fay ſentir,
Ou ne m’en fay ſentir qu’autant qu’elle en peut croire.


SOMMAIRE DES PLAINTES D’ACANTE


 189


SVIET DES PLAINTES D’ACANTE.



SOVS ce voile paſtoral des Plaintes d’Acante, on a voulu deſguiſer les Amours d’vn Caualier de merite & de condition, qui ſorty d’vn pere illuſtre pour la valeur, s’eſt touſiours nourry dans l’ambition de l’imiter. Ie te diray que ſa Maiſtreſſe eſt vne des plus parfaites perſonnes du monde, & que l’on y treuue tout enſemble, vne grande naiſſance, des vertus rares & des beautez merueilleuſes : de ſorte qu’il semble qu’à l’enuy, la Nature & le Ciel ſe ſoient efforcez à qui luy feroit le plus de graces : ſa preſence eſt vn charme ineuitable aux belles ames, & les moindres de ſes actions ſont extrémement rauiſſantes. Or tu ſçais que la rigueur eſt aſſez ordinaire aux Belles, & qu’entre les plus precieux ornemens de ce Sexe, on donne le premier rang à cette honneſte ſeuerité qui met ſuperbemẽt des eſpines à l’entour des roſes. Noſtre Bergere eſt trop accomplie pour en manquer, & c’eſt le ſujet de toutes ces plaintes. Acante qui la void indifferente à tous ſes ſeruices, explique les froideurs à quelque eſpece de meſpris, apprehende que ſes deuoirs ne luy ſoient pas agreables, & qu’il ne puiſſe voir reüſſir les vœux qu’il fait pour cét himenée. Il ſe forme de ces penſées, mille matières de douleur, & ſe laiſſant emporter aux mouuements de ſon amoureux Genie, taſche par toutes ſortes d’artifices, de repreſenter ſa paſſion, & de porter inſenſiblement ſa Siluie à faire plus d’eſtat de ſes ſoins. Au reſte ie t’auertis que cét Ouurage n’eſt point fait à l’vſage de tout le monde, & que s’il y a icy de mauuais vers, ils ne ſont pas toute-fois de la Iuriſdiction des eſprits vulgaires, encore qu’il m’importe peu s’ils ſont condamnez mal à propos, par des Iuges qui ne ſeroient pas capables de les fauoriſer de bonne grace. Ie m’aſſeure que les honneſtes gens y treuueront au moins des choſes aſſez agreables pour auoüer que tous les Exilez qui ont eſcrit d’amour, depuis l’ingenieux Ouide, n’ont pas mieux employé de triſtes loiſirs.


PLAINTES
D’ACANTE.

STANCES.



VN iour que le Printemps rioit entre les fleurs,
Acante qui n’a rien que des ſoucis dans l’ame,
Pour fleſchir ſes deſtins faiſoit parler ſes pleurs,
      Humides teſmoins de ſa flame ;
Et ſe repreſentant les rigueurs d’vne Dame,
      Sembloit vn morceau du rocher
Sur lequel ſes penſers le venoient d’atacher.

Quand par l’eau de ſes pleurs ſon cœur fut alegé
De l’humeur qui tenoit ſes puiſſances contraintes ;
D’vne parole baſſe, & d’vn teint tout changé,
      Il ouurit la bouche à ces plaintes,
Par qui ſes paßions ſont aſſez bien dépeintes,
      Car ignorant qu’on l’eſcoutoit,
Il diſoit à peu prés tout ce qu’il reſſentoit.


Soleil, depuis le temps que portant la clarté
Tu diſpenſes par tout la chaleur & la vie,
Viſitant l’Vniuers, voy tu quelque Beauté
      De qui l’eſclat te face enuie
Comme font auiourd’huy les beaux yeux de Siluie ?
      Et deſſous l’amoureuſe loy
Cognoy tu quelque Amant plus mal traité que moy ?

Depuis que ie la ſers, les Cieux m’en ſont teſmoins,
Les ſoupirs & les pleurs ſont mes ſeuls exercices ;
Mais l’ingrate qu’elle est, rebute tous mes ſoins
      Et ſe rit de tous mes ſupplices,
Et le reſſentiment de tant de longs ſeruices
      Ne ſçauroit porter ſon orgueil
À tourner ſeulement les yeux vers mon Cercueil.

Cruelle, à qui mes maux ne font point de pitié,
Et que par mes deuoirs ie rens plus inhumaine ;
Obiet, dont mon amour acroiſt l’inimitié
      Et qui vous moquez de ma peine,
M’ayant reduit au point d’vne mort ſi prochaine,
      Au moins, ſi vous ne me pleignez,
Conſiderez un peu ce que vous deſdaignez.


Ie ne ſuis point ſorty d’vn vulgaire Paſteur
Que l’on ait veu couuert de honte & de diſgrace,
Et ie me puis vanter ſans pareſtre menteur
      Que ie ſuis de fort bonne race ;
Mon Pere ſi fameux au meſtier de la chaſſe
      A ſouuent en ſes premiers iours
Estouffé de ſes mains des Lions, & des Ours.

Lors qu’vn nuage eſpais de Monſtres furieux
Vint deſſus nos troupeaux faire tant de rauages,
On luy veid employer son bras victorieux
      À dißiper ces grands orages.
Combatant pour ſauuer avec nos paſturages,
      La liberté de nos Autels ;
Il acquit en mourant, des honneurs immortels.

Auec aſſez d’ardeur ie marche ſur ſes pas,
Où la Gloire m’apelle en m’offrant ſon image :
N’y l’objet du peril, ny celuy du trespas,
      Ne font point paſlir mon viſage.
Et la valeur en moy croiſſant auecque l’âge,
      Ie n’ay jamais rien redouté
Si ce n’eſt ſeulement voſtre inhumanité.


Nagueres dans vn Antre en ces lieux retirez,
Où ſouuent en ſecret i’entretiens ma triſteſſe,
Cherchant de mes moutons qui s’eſtoient égarez,
      Ie pris les Fans d’vne Tigreſſe :
La Mere les ſentant, m’ataignit de viteſſe ;
      Mais non de ſes ongles malins,
Car d’abord, ſes petits en furent orphelins.

Il ne m’en reſte qu’vn, que ie veux vous offrir,
Quand ie l’auray nourry tant ſoit peu dauantage.
À peine il peut marcher, & ne ſçauroit ſouffrir
      Que rien l’importune, ou l’outrage ;
Ses yeux clairs & perçans teſmoignent ſon courage :
      Mais mon ſoin l’a rendu plus doux,
Et ne l’a point treuué ſi ſauuage que vous.

L’autre iour vn Centaure eſpouuentable à voir
Preſſant vne Beauté d’vne rare excellence,
Au plus ſecret d’vn Bois, ſe mettoit en deuoir
      De luy faire vne violence :
La Vierge me veid ſeul punir ſon inſolence,
      L’infame eſprouua mon couroux,
Et peut-eſtre ſe ſent encore de mes coups.


La Nimphe contre vn arbre atachée en ces lieux,
Parut toute honteuſe apres cette victoire ;
Se voyant expoſée à nud deuant mes yeux,
      Son corps poßible eſtoit d’yuoire :
Mais ſoit qu’elle fuſt blanche, ou bien qu’elle fuſt noire,
      La belle ſe peut aſſeurer,
Que ie la deſtachay ſans la conſiderer.

Depuis que de vos yeux l’ardeur me vint ſaiſir,
Mon ame qui touſiours languist dans la ſouffrance,
Pour les autres Sujets n’a point plus de deſir
      Que vous me laiſſez d’eſperance :
Et ie voy des Beautez auec indifference,
      Que de leur celeſte ſejour
Les Dieux ne ſçauroient voir qu’auecque de l’amour.

Au reſte auec l’honneur d’estre nay genereux
Et de ſçauoir lancer & le dard & la pierre,
Ie m’imaginerois eſtre bien mal-heureux
      Si ie n’eſtois bon qu’à la guerre,
Pour reſpandre touſiours du ſang deſſus la terre,
      Et que mes ieunes ſentimens
N’euſſent iamais faict place à d’autres ornemens.


Ie n’ay pas ſimplement cette noble fierté
Qui protege par tout vne foible innocence :
Mon eſprit que vos yeux priuent de liberté,
      N’est point priué de cognoiſſance :
Ie ſçay le cours des Cieux, & cognoy la puiſſance
      De cent racines de valeur
Qui peuuent tout guerir excepté ma douleur.

Ie vous pourrois monſtrer ſi vous veniez vn iour
En vn parc qu’icy prés depuis peu i’ay fait clore,
Mille Amans transformez, qui des loix de l’Amour,
      Sont passez ſouz celles de Flore :
Ils ont pour aliment les larmes de l’Aurore.
      Dieux ! que ne ſuis-je entre ces fleurs,
Si vous deuez vn iour m’aroſer de vos pleurs !

Vous y verriez Clytie, aux ſentimens ialoux,
Qui n’a pû iuſqu’icy guerir de ſa iauniſſe ;
Et la fleur de ce Grec dont le boüillant couroux
      Ne peut ſouffrir vne iniuſtice :
Vous y verriez encore Adonis & Narciſſe
      Dont l’vn fut aimé de Cypris,
L’autre fut de ſon ombre aueuglement épris.


Ie vous ferois ſçauoir tout ce que l’on en dit,
Vous contant leurs vertus & leurs metamorphoſes ;
Quelle fleur vint du lait que Iunon reſpandit,
      Et quel ſang fit rougir les roſes,
Qui großiſſent d’orgueil dés qu’elles ſont écloſes,
      Voyant leur portraict ſi bien peint
Dans la viue blancheur des lys de voſtre teint.

Piqué ſecrettement de leur eſclat vermeil,
Vn folastre Zephire à l’entour ſe promene ;
Et pour les garantir de l’ardeur du Soleil,
      Les eſuente de ſon halaine :
Mais lors qu’il les émeut, il irrite ma peine ;
      Car aymant en vn plus haut point,
Ie voy que mes ſoupirs ne vous émeuuent point.

Là, mille arbres chargez des plus riches preſans
Dont la Terre à ſon gré les mortels fauoriſe ;
Et ſur qui d’vn poinçon ie graue tous les ans
      Vostre chiffre & vostre deuiſe ;
Font en mille bouquets eſclater la ceriſe,
      La prune au ius r’afraiſchiſſant,
Et le iaune abricot au goût ſi rauiſſant.


La, parmy des Iaſmins plantez confuſément,
Et dont le doux eſprit à toute heure s’exhale ;
Cependant que par tout le chaud eſt vehement,
      On ſe peut garantir du hâle ;
Et ſe perdre aiſément dans ce plaiſant Dedale
      Comme entre mille aymables nœux
Mon Ame ſe perdit parmy vos beaux cheueux.

Vne Grote ſuperbe & de rochers de prix
Que des Pins orgueilleux couronnent de feüillage ;
Y garde la fraiſcheur ſouz ſes riches lambris
      Qui ſont d’vn rare coquillage :
Mille ſecrets tuyaux cachez ſur ſon paſſage,
      Moüillent ſoudain les imprudens
Qui ſans diſcretion veulent entrer dedans.

D’vn coſté l’on y void vne petite Mer
Que trauerſe en nageant, vn amoureux Leandre.
De rage, autour de luy l’onde vient eſcumer
      Et luy, taſche de s’en deffendre ;
Aperceuant Hero qui veille pour l’attendre,
      Et d’impatience & d’amour,
Bruſle auec ſon flambeau ſur le haut d’vne Tour.


Aux niches de rocher qui ſont aux enuirons
On void touſiours mouuoir de petits perſonnages ;
Icy des charpentiers & là des forgerons,
      Qui trauaillent à leurs ouurages.
Et force moulinets faicts à diuers vſages,
      Qui font leur tour diligemment
À la faueur de l’eau qui coule inceſſamment.

Vne table de marbre où ie vais me mirer
Alors que ie n’ay pas le viſage ſi bleſme,
Pourroit bien de beau linge & de fleurs ſe parer
      Quand la chaleur ſeroit extréme,
Si vous vouliez venir y manger de la creſme
      Et des fraiſes, que cherement
Ie ne fais conſeruer que pour vous ſeulement.

Vous n’y trouueriez pas de ſuperbes aprets
Comme ceux que merite vne Beauté diuine :
Mais vous pourriez à l’ombre au moins, y boire frais
      En des vaſes de Cornaline ;
Et vos yeux, en vingt plats de Pourcelaine fine
      Pourroient confronter à ſouhait
La blancheur de vos mains auec celle du lait.


Cette colation ne ſe paſſeroit pas
Sans qu’on vous fiſt oüir quelque douce harmonie :
Philomele ſans doute ayant vû vos apas,
      Voudroit flater leur tirannie :
Et mettroit en oubly la brutale manie
      Qui cauſe ſes afflictions,
Pour dire vn air nouueau ſur vos perfections.

Vn grand baßin de Cedre artistement graué
Dont l’ordre est merueilleux autant qu’il est antique,
Vous feroit admirer quand vous auriez laué,
      Les traits d’vne hiſtoire ruſtique ;
Monſtrans ſous quelle forme & par quelle pratique,
      Vertumne autrefois ſçeut charmer
Celle qui comme vous, ne pouuoit rien aimer.

Il semble que Pomone eſcoute auec plaiſir
Les ſubtils argumens qu’il tire de ſa flame ;
Et que cét amoureux, cache vn ieune deſir
      Souz le teint d’vne vieille femme :
Tandis qu’il exagere auec beaucoup de blâme
      Ce courage dénaturé
Pour qui le pauure Yphis mourut deſesperé.


Cependant qu’il luy tient vn ſi charmant diſcours,
Les arbres les plus droicts ſe courbent pour l’entendre ;
Vn Ruiſſeau qui l’eſcoute en areſte ſon cours
      Et prés de lui ſe va répandre :
Bref vn pinceau ſçauant, à peine euſt pû pretendre
      Dans le tableau le plus exquis
L’honneur que ſur ce bois le couteau s’eſt aquis.

Ie vous le donnerois dans l’accompagnement
D’vne corbeille vnique en ſa rare maniere ;
On ne la compoſa que d’oſier ſeulement,
      Mais fuſt-elle d’or toute entiere,
L’art en ſeroit d’vn prix plus cher que la matiere,
      Tant vn Ouurier industrieux
La voulut releuer d’entre les curieux.

Obſeruant les treſors que le Verger produit
Qui peuuent ſatisfaire au beſoin de la vie :
Vous iriez les remplir, & des fleurs, & du fruit
      Dont alors vous auriez enuie ;
Et lors, auec l’Amour dont vous ſeriez ſuiuie,
      Mes penſers au moins, baiſeroient
Le ſable & le gazon que vos pieds fouleroient.


Parmy les arbriſſeaux d’vn Bois que vous verriez,
Ie vous enſeignerois vn nid de Tourterelles :
Les deux petits y ſont, que vous enleueriez,
      Car ils n’ont point encore d’ailes ;
Et puis, il est fatal à tous les plus fidelles
      Des animaux & des humains
De mettre leur franchiſe entre vos belles mains.

Apres nous irions voir par diuertiſſement
En vn lieu tout couuert de Thim & de Meliſſe,
Des mouches dont le ſoin ſert d’auertissement
      Pour le menage & la police ;
Employant tout ce temps dans l’aimable exercice
      De tirer la manne du Ciel.
Et dérober aux fleurs de quoy faire le miel.

Vous auriez le viſage & le ſein tous voilez
Pour les conſiderer auec plus d’aſſeurance :
Car paroiſſans des Lys à des Roſes meſlez,
      Les abeilles par innocence
Pourroient bien ſe tromper à cette reſſemblance,
      Et ſans crainte de trop oſer,
Vous faire quelque iniure en venant vous baiſer.


Vous leur verriez en l’air former vn bataillon
Si toſt qu’entre leurs camps la guerre ſe commence ;
Leur petit Roy volant, qui n’a point d’aiguillon,
      Vous enſeigneroit la clemence :
À vous dont le couroux a tant de vehemence,
      Et dont les yeux, ou le penſer
Ont touſiours quelques traits qui me viennent bleſſer.

De là, pour menager vn temps ſi precieux,
Viſitans d’vn eſtang la pareſſe profonde,
Lors que l’on ſent leuer vn Zephir gracieux
      Et baiſſer le flambeau du monde :
Vous pourriez comme luy vous aprocher de l’onde,
      Et par vn miracle nouueau
Faire voir à la fois deux Soleils deſſus l’eau.

S’il vous plaiſoit d’aller par ce frais Element,
I’aimerois d’auirons vne nacelle vuide :
Bien que l’Amour me tienne en ſon aueuglement,
      I’oſerois vous ſeruir de guide
À faire tout le tour de ce Christal liquide,
      Où les Diuinitez des eaux
Dorment deſſus des lits de ioncs & de roſeaux.


Vos yeux qui lanceroient des feux de tous coſtez
Leur feroient außitoſt entr’ouurir la paupiere ;
Et voyant tout à coup luire tant de clartez,
      Cela leur donneroit matiere
De croire qu’en voulant gouuerner la lumiere,
      Quelque autre ieune audacieux
Dans le char du Soleil ſeroit tombé des Cieux.

Puis, voyant tant d’apas & de perfections
Leur troupe autour de vous viendroit faire vne preſſe :
Teſmoignant plus de ioye & d’admirations
      Qu’en ces flots voiſins de la Grece,
Thetis, au temps paſſé ne fit voir d’alegreſſe
      Auec ſa maritime Cour
À la natiuité de la mere d’Amour.

Apres auoir monſtré par cent traits complaiſans
Que l’on doit adorer vos beautez & vos graces ;
De leur plus beau poiſſon vous faiſans des preſens,
      Elles ne ſeroient iamais laſſes
De vous venir offrir des lignes & des naſſes :
      Si vous n’en faiſiez du mespris,
Vous qui prenez ſi bien les cœurs, & les eſprits.


Vne chaſte pudeur dont l’eſclat est ſi beau
Semeroit voſtre teint d’vne viue peinture,
Voyant tant de Beautez prés de voſtre bateau
      Le corps nud iuſqu’à la ceinture,
Et ie vous ferois rire apres cette auanture
      Voyant de quelle agilité
Ie ferois le Forçat en ma Captiuité.

Mais ie n’auray iamais tant de contentement ;
Mon ame à qui les maux ſont ſi fort ordinaires,
Parmy ſes deſplaiſirs, ſe flate vainement
      De ces douceurs imaginaires :
Les Astres tous puiſſants & qui me ſont contraires,
      Ne voudront pas ſe relaſcher
À m’accorder vn bien ſi ſenſible & ſi cher.

Que me ſert-il d’auoir tant de fruits aſſemblez,
Tant de chévres, de beufs & de troupeaux à laine,
Et d’eſtre poſſeſſeur des raiſins & des bleds,
      De ces monts & de cette plaine ?
Si vostre cœur s’obstine auecque tant de haine
      À ne m’accorder iamais rien,
Puis-ie proteſter que ie n’ay point de bien ?


Soit que l’Aſtre du iour blanchiſſe l’Orient,
Soit qu’il ſeme le ſoir du ſafran dans la nuë,
Inceſſamment les pleurs aux ſoupirs mariant,
      Ie me plains du coup qui me tuë :
Tout ceſſe en l’Vniuers, mais mon mal continuë,
      Et la rigueur de mon deſtin
Ne ſe modere point le ſoir ny le matin.

La nuit humide & froide incitant au repos,
A beau ſe preſenter d’Eſtoilles couronnée ;
Pour donner quelque tréve aux funeſtes propos
      Que ie tiens toute la iournée.
Tous les autres humains changent de deſtinée
      Portans les marques du trespas,
Mais moy ie ſuis plus mort & ſi ie ne dors pas.

De l’esprit & du corps errant de tous coſtez,
Ie ne fay que me plaindre en cette inquietude ;
Car touſiours mon penſer me dépeint vos Beautez
      Auecque vostre ingratitude.
Dieux ! faut-il qu’vn Obiet ſoit ſi doux & ſi rude
      Ne m’engageant à l’adorer
Que pour prendre plaiſir à me deſeſperer ?


Si quelquesfois mes yeux ne peuuent reſister
Aux pauots, dont le ſomme acompliſt tous ſes charmes ;
Morphée ingenieux à me perſecuter
      Les tient touſiours trempez de larmes.
Il me vient effroyer auecque des alarmes
      Que ie ne ſçaurois ſoutenir ;
Las ! ie fremis encore à m’en reſſouuenir.

Ie vous voy ce me ſemble auec la maieſté
Qu’vne douceur tempere en voſtre beau viſage,
Me dire d’vn accent plein de ſeuerité
      Berger, ton ſoin m’eſt vn outrage ;
Ie ne puis t’eſcouter, ny te voir dauantage,
      Tous tes ſoupirs ſont ſuperflus,
Va-t’en loing de mes yeux & ne retourne plus.

Surpris d’estonnement & ſaiſi de douleur,
I’accuse vos rigueurs & le Ciel d’iniustice ;
Et ne voulant plus viure apres vn tel mal-heur,
      Ie cours vers vn grand precipice
Pour terminer mes maux par vn dernier ſuplice ;
      Et croy me lancer de ſi haut
Que d’horreur, en tombant ie m’eſueille en ſurſaut.


D’autre-fois, comme il plaiſt à la noire vapeur
Qui s’eſleue touſiours de ma melancolie ;
Vn Riual m’aparoiſt ſous ce voile trompeur,
      Qui dans vn iour que l’on publie
Sous le ioug d’Himenée auecque vous ſe lie,
      Sans que cela vous touche fort
Si le iour de ſa feſte, est celuy de ma mort.

Embrasé de cholere en cette extremité
Il m’eſt auis qu’à l’heure au combat ie l’inuite ;
Pour l’empeſcher d’atteindre à la felicité
      Qui ſembloit deuë à mon merite.
Mon bras du premier coup heureuſement s’acquite
      Du ſoin de m’en rendre vainqueur,
Et l’ayant terraßé, ie lui mange le cœur.

Puis apres cét excez, ie me ſens tout glacé
Craignant que ce duel ne vienne à vous déplaire :
Ie veux tout à l’inſtant ſuiure le trespaßé
      Pour adoucir voſtre cholere.
Mais ſur ce mouuement, le Soleil qui m’eſclaire
      Me monſtre en me réjoüiſſant,
Que voſtre Nopce eſt vaine & mon bras innocent.


Ainſi perſecuté des cruautez d’Amour
Mon eſprit ſe conſume en des peines ſans nombre :
Si mon dueil au matin commence auec le iour,
      Il croiſt le ſoir auecque l’ombre.
Et i’ay touſiours l’humeur ſi chagrine & ſi ſombre
      Que ſur la Terre & dans les Cieux
Ie ne voy point d’obiects qui ne bleſſent mes yeux.

Außi tout eſt ſenſible à mon affliction ;
Là bas dedans ces prez l’herbe en eſt preſque morte :
Ces troncs ne ſont ſechez que de compaßion
      Des deſplaiſirs que ie ſuporte.
Les vents en ſont muets, & d’vne aimable ſorte,
     Echo taſche à m’en conſoler
En chaque ſolitude où ie vay luy parler.

Les Nimphes que Diane attire dans les bois
Abhorrant des mortels les prophanes aproches ;
M’ont voulu demander la rigueur de vos loix
      Pour vous en faire des reproches ;
Et celle d’vn ruiſſeau qui coule entre des roches
      Admirant l’excez de ma foy,
Murmure du meſpris que vous auez pour moy.


S’il faut qu’en vous aimant, ie commette vn forfait,
Nos Bois & nos Hameaux ſont pleins de mes complices ;
Qui m’aßiſtent touſiours de penſée, ou d’effet,
      Soit me rendant de bons offices,
Soit adreſſant au Ciel de ſecrets ſacrifices,
      Afin que ceux de mon tourment
Soient acceptez de vous plus fauorablement.

Vn Berger ſi ſubtil à guider le pinceau
Que ſon art bien ſouuent a trompé la Nature ;
Vous obſeruoit vn iour ſur le bord d’vn ruiſſeau
      Pour me donner voſtre peinture :
Lors ſelon ſes ſouhaits, vos yeux par auanture
      Se conſeilloient à ce miroir
De tout ce dont vos ſoins augmentent leur pouuoir.

Vous auiez ſur la teste vn chapeau retrouſsé
Où deux roſes pendoient auec leur tige verte ;
Vous teniez vers l’eſpaule vn bras tout renuersé,
      Voſtre gorge eſtoit découuerte
Sur qui deux monts de neige animez pour ma perte,
      Ne vous ſouffrent de reſpirer
Que par des mouuemens qui me font ſoupirer.


Il a ſi bien tiré vos yeux & voſtre teint,
Que deuant ce tableau ie ſuis touſiours en crainte :
Mais quoy ie recognoy qu’vn mal qui n’eſt pas feint
      Ne peut guerir par vne feinte.
Et dans mon ſouuenir vous eſtes ſi bien peinte
      Que les traits dont vous me charmez
Me ſont mieux découuerts quand i’ay les yeux fermez.

Ie le garde pourtant auec autant de ſoin
Que vous pouuez garder voſtre Brebis cherie :
Quelque part que ie ſois, il n’en eſt iamais loin ;
      Soit que i’erre dans la prairie,
Soit qu’à l’ombre d’vn bois ie tombe en réſuerie,
      Soit que ſur vn lac eſcarté
Ie contemple des eaux la molle oiſiueté.

Il fut vn iour teſmoin des ſecrets qu’on m’aprit
Pour ſeruir d’antidote au trait qui m’empoiſonne :
Ce ſont quelques conſeils d’vne Nimphe d’eſprit
      Et d’vne fort belle perſonne.
La choſe fut ſi vaine, & vous eſtes ſi bonne,
      Que ie puis bien vous la nommer
Sans que vous la puißiez pour cela moins aimer.


La Mere de Mirtil, de ce diuin Garçon
Dont l’eſprit fut ſi doux & la valeur ſi rare :
Me voyant en langueur, me fit vne leçon
      Qui me parut vn peu barbare :
Voulant que de mes pleurs ie fuſſe plus auare,
      Et me rendiſſe moins ſoigneux
D’vn ſujet ſi ſuperbe & ſi fort deſdaigneux.

Tout ce qu’on void en vous luy plaiſt extrémement,
Mais bien qu’elle vous aime & qu’elle vous eſtime,
La pitié de mes maux la toucha tellement
      Qu’elle creut faire vn moindre crime
À tenter vn remede encor qu’illegitime,
      Qu’à laiſſer perir vn Parant
Pour le vouloir traiter comme vn indiferant.

Acante, me dit-elle, es-tu pas inſenſé
De viure de la ſorte en faueur d’vne Ingrate ;
Qui ſe rit de ta plainte apres t’auoir bleßé
      Dans la vanité qui la flate ?
Faut-il pour l’eſleuer, que ton esprit s’abate
      En faiſant ainſi triompher
Ce Marbre que tes feux ne ſçauroient eſchaufer ?


Tu ſçais comme la femme eſt d’vn ſexe orgueilleux
Dont la rigueur s’acroiſt trouuant l’obeïſſance ;
Ceux qui ſçauent aimer eſtiment perilleux
      De luy donner trop de puiſſance.
Ie t’en parle poßible, auecque cognoiſſance,
      Moy qui d’vn ſeul trait de mes yeux
Fis autre-fois languir vn des plus grands des Dieux.

Croy moy, relaſche vn peu de ces ſoins ſi preſſez,
Qui ne font qu’irriter cette humeur inſolente ;
Peut-eſtre ſes penſers parestront moins glacez,
      Si ta flame parest plus lente :
C’eſt dedans les amours vne adreſſe excellente
      Lors que l’on peut bien exprimer
Que n’eſtant point aimé, l’on ne ſçauroit aimer.

Mais ſi tous ces moyens ne te ſeruent de rien,
Il faut de ta memoire effacer ſon Image :
Ce ſeroit laſcheté de vouloir tant de bien
      À qui ne veut que ton dommage.
Montre que ſon erreur te fait deuenir ſage
      Quelqu’autre obiect außi charmant
Fera moins de mespris d’vn ſi parfait Amant.


Cloris il eſt certain, luy dis-ie en ſouſpirant,
Que cette paßion m’a rendu miſerable :
Ma peine auec le temps va touſiours empirant
      Et Siluie eſt inexorable.
Mais quoy ? ton apareil treuue vn mal incurable
      Ie n’en ſçaurois iamais guerir,
Et quand ie le pourrois, i’aimerois mieux mourir.

Mon ame eſt ſi portée à cherir ſa priſon
Qu’elle penſe touſiours à la rendre plus forte ;
Et ne ſçauroit ſoufrir que iamais la Raiſon
      Luy parle d’en ouurir la porte.
Ô prodige nouueau ! que i’aime de la ſorte
      Et que tant d’inhumanité
Ne puiſſe faire breche en ma fidelité,

Il ne m’eſt plus permis d’en faire moins de cas
Quoy que de cét excez mon eſprit aprehende ;
Et i’ay les ſentimens tellement delicats
      Pour les ſoins qu’il faut qu’on luy rende,
Que ie tiens qu’icy bas la gloire la plus grande
      Seroit celle de la ſeruir
Auſsi parfaitement qu’elle m’a ſçeu rauir.


Iuſqu’au dernier ſoupir ie veux continuer
De ſuporter les loix de ſon cruel Empire :
Deſormais mon amour ne peut diminuer,
      Pour voir augmenter mon martire ;
Car l’ombre ſeulement, du bon-heur où i’aſpire
      Me promet des contentemens
Qu’on ne peut obtenir auec trop de tourmens.

Acante en ces propos deſcouuroit ſon ennuy,
Lors qu’en l’interrompant, vn bruit le vint ſurprendre ;
Außi toſt ſe tournant, il veid derriere luy
      Daphnis qui venoit de l’entendre,
Et qui de cette amour ſi fidelle & ſi tendre
      Marqua les mouuemens diuers,
Qu’auec peu d’artifice il a mis dans ces vers.


À L’HONNEUR DE L’INCOMPARABLE SYLVIE.

STANCES.



SÇAVANTES Filles de Memoire,
        Qui d’vn eſpoir de gloire
Sur voſtre double Mont flatez les beaux eſprits ;
Ie n’ay point de regret d’auoir ſuiuy vos traces,
        Et vous rens mille graces
Des celeſtes ſecrets que vous m’auez apris.

      Sans doute mes vers ſont plus rares
        Que ceux de ces Barbares,
Qui pour vous obliger font d’inutiles vœux :
Et certain deſormais qu’ils ont de l’excellence,
        Ie puis ſans inſolence
Permettre qu’vn Laurier me preſſe les cheueux.


      Quelle plume au ſiecle où nous ſommes
        Du ſimple aduœu des hommes
Pourroit auec raiſon flater ſa vanité ?
Et ie voy toute-fois, que ma fortune eſt telle
        Qu’vne voix immortelle
Aſſeure mes eſcrits de l’immortalité.

      Mes chanſons ont charmé l’oreille
        D’vne ieune Merueille
Dont l’aimable préſence enchante tous les cœurs :
Elle trouue en mon ſtile vne douceur extréme
        Et confeſſe elle meſme
Que i’ay beaucoup de grace à monſtrer ſes rigueurs.

      Certes, ſes bontez ſont eſtranges ;
        Ie n’ay mis ſes loüanges
Qu’au Tableau que i’ay fait des rigueurs de ſes loix :
Cependant à ma gloire elle dit mille choſes
        D’vne bouche de Roſes
Qui pourroit d’vn ſeul mot fauoriſer des Rois.


      Il faut confeſſer que Syluie
        Eſt la honte & l’enuie
De tout ce que l’on void de parfaites Beautez :
Et que ce rare obiect a bien plus d’aduantage
        Sur le plus beau viſage
Que le Soleil n’en a ſur les moindres clartez.

      Mais ſes vertus incomparables
        Sont vrayment adorables ;
Rien n’eſt égal aux dons qu’elle a receus des Cieux :
Et quelque doux apas que tout le monde y loüe,
        Il faut que l’on auoüe,
Que ſon ame eſt encore plus belle que ſes yeux.

      Maiſtres de la Terre & de l’Onde,
        Venez du bout du Monde
Voir ſes beautez ſans nombre & ſans comparaiſon :
Amour eſt mon teſmoin, ſi ie dis que ſes flames
        En ſurprenant vos ames,
Ne leur ſçauroient donner de plus belle priſon.


FANTAISIE.



VN iour Amour ſur la verdure
Repoſoit à l’ombre d’vn Bois ;
Lors qu’vn Serpent par auanture
Se gliſſa dedans ſon Carquois.

Diane le vint releuer ;
Mais ſoudain l’animal ſe jette,
Et diligent à ſe ſauuer,
Se lance comme vne ſajette.

Voyez vn peu quelle merueille
Dit-elle, les ſens eſtonnez :
Soit qu’il veille, ſoit qu’il Sommeille
Il a des traits empoiſonnez.


VOYAGE FABVLEVX, FAIT À FONTAINEBLEAV.

ODE.



VN des beaux obiects de la France
A quité ce plaiſant ſejour,
Amenant auec ſoy l’Amour,
Les Graces & mon esperance :
Le Sort vient de nous en priuer ;
Vn Caroſſe vient d’enleuer
La Beauté de tous adorée :
Et fendant promptement les Airs,
A laißé la Cour esplorée
Dans la nuict & dans les Dezerts.


Les Cheuaux pouſſans vne haleine
Dont on voyait le feu ſortir,
Monſtroient ce preſſant deſpartir
Qu’ils eſtoient tous fiers de leur peine ;
Mais la Merueille qu’ils menoient,
Par tout où ſes yeux ſe tournoient
Lançoit vne flame ſi claire,
Qu’elle a fait douter en ces lieux
Qu’vn autre Cocher temeraire
Fuſt encore tombé des Cieux.

Maintenant vne autre contrée
Que Flore embelliſt en tout temps,
Fait montre de ſon doux Prin-temps
Aux yeux de l’adorable Aſtrée.
Les Dieux pour flater ſes deſirs
Font arriuer tous les plaiſirs
En cette agreable demeure :
Et laiſſans leurs charges aux Deſtins,
Ne s’occupent plus à cette heure
Qu’à luy preparer des feſtins.


La Ieuneſſe en dreſſe les Tables,
Tandis le beau Parent d’Hector
Prepare dans des Vaſes d’or
Les boiſſons les plus delectables.
Pomone & le Dieu qui la ſert
Diſpoſent déja le deſſert
Dans des plats de nacre & de glace :
Y rangeant mille nouueautez
Dont encore l’ordre & la grace
Diſputent auec les beautez.

Rien ne gouuerne plus le Monde,
Les Cieux ſe meuuent ſur leur foy,
Neptune ne fait plus la loy
Aux boüillantes fougues de l’Onde :
Les Antres ſont inhabitez,
Et toutes les Diuinitez
Qui font ſubſiſter la Nature
Iuſques au moindre demy-Dieu,
Suiuent tous les pas de Mercure
Pour honorer vn ſi beau lieu.


Celle qui n’eſt point appellée
En ces banquets delicieux
C’eſt celle qui broüilla les Dieux
Au mariage de Pelée :
Mais on a beau la negliger,
Elle ne ſçauroit s’en vanger
Ny ſur les Dieux, ny ſur les hommes.
Il n’eſt point de Diuinité
Qui vouluſt diſputer ces pommes
Auec cette rare Beauté.

Mais n’eſt-elle point retournée ?
C’est poßible vn pareil ſejour
À ces Clymats chez qui le iour
Dure la moitié de l’année.
Ô beau Soleil dont les clartez
Produiſent les fœlicitez
Par vne ſi douce influence ;
Noſtre Hemiſphere eſt-il reduit
À receuoir de voſtre abſence
L’ennuy d’vne ſi longue nuit ?


Quelles ſi charmantes delices,
Dignes de vous entretenir,
Vous peuuent bien tant retenir
En deſpit de nos ſacrifices ?
Reuenez bien toſt en ces lieux,
Rendez nous bien tost ces beaux yeux
Qui font honte aux plus belles choſes ;
Ces beaux yeux ſi doux & ſi chers,
Pour qui l’on void naiſtre des roſes
Sur le faiſte de ces Rochers.

Venez entendre nos fontaines
Dont le bruit confeſſe tout bas
Que vous auez bien plus d’appas
Qu’elles n’eurent iamais d’areines.
La fidelle glace de l’eau
Vous faiſant voir voſtre tableau
Par vn ſi naturel office,
Vous deffendra bien de douter
Que la Nature ou l’artifice
Y puiſſent plus rien adiouſter.


Mais euitez cette aduanture :
N’approchez point de leur criſtal,
Ce miroir vous ſeroit fatal
En vous offrant voſtre peinture :
L’eau ſoudain vous enflammeroit,
Vos beaux yeux qu’elle charmeroit
Luy feroient vn mortel hommage :
Narciſſe que l’Amour jaloux
Rendit eſpris de ſon image,
Ne fut iamais ſi beau que vous.


POVR LES YEUX DE *



VOVS qui m’auez l’Ame rauie,
Et par qui ie n’ay plus de vie
Que pour reſſentir mes douleurs :
Beaux Chef-d’œuures de la Nature,
Beaux yeux, liſez mon aduanture
Que ie vous eſcry de mes pleurs.


Vous direz que i’ay trop d’audace
D’oſer vous conter ma diſgrace,
Et c’est trop oſer en effet  :
Mais, doux Auteurs de mon martire,
Qu’il me ſoit permis de vous dire
L’outrage que vous m’auez fait.

Depuis que voſtre viue flame
Charma ſi doucement mon Ame
À l’obiect de vos chers apas ;
Ie vy ſous vne loy ſi dure
Que les moindres maux que i’endure
Sont pires que mille trespas.

Depuis ma peine est immortelle ;
Voſtre beauté tient en querelle
Mes paßions & ma raiſon :
Tout m’irrite, rien ne me flate,
Et comme vn nouueau Mytridate
Ie ne vy plus que de poiſon.


Mais quel bien peut flater mes peines
Dans les cruautez inhumaines
Où vous me faites conſommer ;
Puiſque mille rigueurs extrémes
Deffendent à mes penſers meſmes,
La liberté de vous aimer ?

Dans le deſir qui me poſſede,
Que n’eſtes vous comme Andromede
Expoſez ſur quelque Rocher ;
L’ardeur dont i’ay l’ame occupée
À la faueur de mon espée
Vous yroit bien toſt deſtacher !

Ô que dans la melancholie
De mon agreable folie
Ie ſouſpire de fois le iour !
Et qu’en ces fureurs inſensées
I’entretiens ſouuent mes pensées
Des images de mon amour.


Mais beaux yeux, c’eſt touſiours en crainte,
Car dans cette estroite contrainte
Où tant de reſpects m’ont ſoubmis,
La pitié de voir mes alarmes
Pouroit meſme obtenir des larmes
De mes plus mortels ennemis.

Si par fois rompant le ſilence
Ie donne air à la violence
Du beau feu qui me fait mourir,
Ne m’en faites point de reproches,
Beaux yeux, ce n’eſt rien qu’à des roches
À qui i’en oze diſcourir.

Quelques dezerts inhabitables
Doux promenoirs des miſerables
Que l’horreur eſloigne de tous :
Quelque bois, ou quelque riuage
Peuuent ſeuls rendre teſmoignage
Des plaintes que ie fais de vous.


C’eſt là que triſte & ſolitaire
Quelquefois i’ay peine à me taire
Preßé de trop d’affliction :
Encore mes penſers redoutent
Que les Zephires qui m’eſcoutent
Ne divulguent ma paßion.

Ainſi l’ame dolente & triſte
Acaſte aux beaux yeux de Cariſte
De ces maux contoit la moitié.
Et lors, comme touchez de charmes,
Ses beaux yeux reſpandoient des larmes,
Soit d’amour, ou ſoit de pitié.


LES COMPLAISANCES.



IE veux que le Ciel en couroux
M’acable d’vn coup de Tonnerre
Si ie cognois rien ſur la Terre
Qui ſoit charmant au prix de vous.

Ie croy qu’Amour eſtoit moins beau
Ayant débroüillé toutes choſes,
Lors qu’il dormoit deſſus les Roſes
Dont Venus luy fit vn berceau.

Ô que voſtre bouche a d’apas !
Que de charmes elle deſcouure,
Soit quand il aduient qu’elle s’ouure,
Soit quand elle ne s’ouure pas !


Elle peut bien intereſſer
Tous les Seigneurs de ces Prouinces :
Ie doute meſme, ſi des Princes
Seroient dignes de la preſſer.


PLAINTE À LA BELLE BANQVIERE



PHILIS, vous auez eu tort
D’auoir rebuté ſi fort
Mes vœux & mes ſacrifices ;
Vous aurez des entretiens,
Et receurez des ſeruices
Qui ne vaudront pas les miens.

Ie deuois ſans vous aimer,
Vous voir ainſi qu’vne Mer
Fatale à beaucoup de Barques ;
Et d’vn iugement plus meur
Obſeruer toutes les marques
Du reflux de voſtre humeur.


I’aurois preueu le danger
Que l’on trouue à s’engager
Auec vn eſprit volage,
Et cogneu facilement
Les ſignes de mon naufrage,
Auant mon embarquement.

Mais ſoudain que ie vous vy
Mon cœur ſe ſentit rauy ;
Cette ardeur fut trop ſoudaine :
Voſtre derniere action
Me fait bien porter la peine
De ceſte indiſcretion.

Mon humeur a des apas
Qui ne vous déplûrent pas
Dés la premiere viſite :
Mais vn fatal entretien
En vous loüant mon merite,
Vous aprit mon peu de bien.


Ce mot glaça vos eſprits ;
C’eſt de là que vos meſpris
Ont leur veritable ſource :
Außi vous trompiez vous fort
Si vous croyez que ma bource
Fuſt la bource de Mommort.

Ô ſentiment criminel !
Bien qu’vn pouuoir paternel
Vous oblige de le prendre.
Quoy, cét auare auiourd’huy
N’acceptera pas vn gendre
S’il n’eſt riche comme luy ?

Peut-il tenir precieux
Vn metal pernicieux
Qui maintient par tout la guerre ;
Et cherir ſi tendrement
De lourdes pieces de terre
Qui n’ont point de ſentiment ?


Pour augmenter ſes treſors
Il perd ſon ame & ſon corps,
Se conſumant de triſteſſes.
Vn homme de iugement
Peut auec moins de richeſſes,
Viure plus heureuſement.

Encore qu’à bien compter
Ie ne puiſſe me vanter
Que de mille francs de rente :
Ie me treuue plus content
Qu’vn Auare qui ſe vante
De plus de vingt fois autant.

Mes deſirs ſont limitez,
Ie n’ay point les vanitez
D’aler ny ſuiuy, ni braue :
Nul ſoin ne me va chargeant,
Et ie ne me rends eſclaue
Des hommes, ny de l’argent.


Abhorrant l’émotion
Et la ſale paſsion
Des Ames intereſſées,
Ie laiſſe courir mes ſens
Et promener mes pensées
Sur des obiets innocens.

Le bien de ſentir des fleurs
De qui l’ame & les couleurs
Charment mes eſprits malades ;
Et l’eau qui d’vn haut rocher
Se va jettant par caſcades
Sont mon treſor le plus cher.

Le doux concert des oyſeaux,
Le mouuant chriſtal des eaux,
Vn bois, des prez agreables ;
Echo qui ſe plaint d’Amour,
Sont des matieres capables
De m’arreſter tout vn iour.


C’eſt en voyant ces obiets,
Que ſur de dignes ſujets
Ie vay réſvant à mon aiſe ;
Et que mes ſoins diligens
Cherchent vn vers qui me plaiſe,
Et plaiſe aux honneſtes gens.

Mais vous ne m’eſcoutez pas,
Ces diſcours ſont ſans apas
S’ils ne ſuiuent d’autres offres :
Ils ſeroient conſiderez
Si i’auois tout plein mes coffres
Des Dieux que vous adorez.


ADVIS MAL RECEVS.

SONNET.



CRoyez moy, vous marchez ſous de mauuais auſpices,
Vous prenez pour vn corps vne vaine vapeur :
Vous courez ſur la glace & n’auez point de peur
Quand ſes extrémitez pandent en precipices.

L’eſpoir qui vous promet des biens & des delices,
Eſt fondé ſur la foy d’vn fantoſme trompeur.
Le poignard eſt tout preſt de vous percer le cœur,
Et ſi de voſtre mort vous aimez les complices.

Mais quoy ? ie parle en vain, vous ne m’eſcoutez pas :
Vn deſir aueuglé va tranſportant vos pas :
De honte & de regret l’impudence eſt ſuiuie.

C’eſt trop perdre de temps en diſcours ſuperflus,
Acheuez, perdez-vous, puiſque c’eſt voſtre enuie,
Ie me garderay bien de vous en parler plus.


LA PALINODIE.



IE penſois que vous euſsiez
Mille vertus héroïques :
Ie croyois que vous fuſsiez
De ces eſprits Angeliques.
Auiourd’huy l’émotion
D’vne folle paſsion
Monſtre le fonds de voſtre Ame :
Où ie voy diſtinctement
Que vous n’eſtes qu’vne femme,
Mais femme, parfaitement.


LE RAVISSEMENT D’EVROPE.

SONNET.



EVROPE s’apuyant d’vne main ſur la croupe,
Et ſe tenant de l’autre aux cornes du Taureau,
Regardoit le riuage & reclamoit ſa troupe
Qui s’affligeoit de voir cét accident nouueau.

Tandis, l’amoureux Dieu qui bruſloit dedans l’eau
Fend ſon jaspe liquide & de ſes pieds le coupe
Auſſi legerement que peut faire vn vaiſſeau,
Qui le vent fauorable a droitement en poupe.

Mais Neptune enuieux de ce rauiſſement,
Diſoit par moquerie à ce laſcif Amant
Dont l’impudique ardeur n’a iamais eu de bornes.

« Inconſtant qu’vn ſujet ne ſçauroit areſter,
« Puiſque malgré Iunon tu veux auoir des Cornes,
« Que ne ſe reſout-elle a t’en faire porter.


LE PORTIER INEXORABLE.

SONNET.



SI l’amour du bon vin qui ton viſage enflame
Adouciſt quelquefois ton courage irrité ;
Suiſſe rabats vn peu de ta ſeuerité,
Et permets ce matin que i’aille voir Madame.

Deux flacons d’vn muſcat qui touche iuſqu’à l’ame
Seront le prix certain de ta ciuilité ;
Mais il ferme la porte auec brutalité,
En vain ie le coniure, en vain ie le reclame.

Si ce lieu m’eſt touſiours de ſi faſcheux accez,
Ie ne puis esperer aucun heureux ſuccez,
Et que rien me conſole en ma peine cruelle.

Dieux ! pour eterniſer la rigueur de mes fers
Mettrez vous point Cerbere à garder cette Belle ;
Il ſuffit de ce Suiſſe à garder les Enfers ?


L’AMOVR DVRABLE.

SONNET.



CELLE dont la dépoüille en ce marbre eſt encloſe
Fut le digne ſujet de mes ſaintes amours.
Las ! depuis qu’elle y dort, iamais ie ne repoſe,
Et s’il faut en veillant que i’y ſonge touſiours,

Celuy qui des mortels à ſon vouloir diſpoſe,
Eſteignit ce Soleil au milieu de ſon cours ;
La charmante Philis paſſa comme vne Roſe,
Et ſa beauté plus viue, eut des termes plus courts.

La Mort qui par mes pleurs ne fut point diuertie,
Enleua de mes bras cette chere Partie
D’vn agreable Tout qu’auoit fait l’amitié.

Mais ô diuin Esprit qui gouuernois mon ame,
La Parque n’a coupé noſtre fil qu’à moitié
Car ie meurs en ta cendre, & tu vis dans ma flame.


LA SAGE CONSIDERATION.

SONNET.



M ON ame, eſueille toy du dangereux ſommeil
Qui te pourroit conduire en des nuits eternelles :
Et chaſſant la vapeur qui couure tes prunelles,
Ne pren plus deſormais l’ombre pour le Soleil.

Ne croy plus de tes ſens le perfide Conſeil,
C’eſt aſſez adorer des Obiects infidelles :
Seruons à l’auenir des Beautez immortelles
Que l’on treuue touſiours en vn eſtat pareil.

Aimons l’Autheur du monde, il eſt ſans inconſtance,
Sa bonté pour nos vœux n’a point de reſiſtance,
Nous pouuons en ſecret luy parler nuit & iour :

Il cognoiſt noſtre ardeur & noſtre inquietude,
Et ne reçoit iamais de traits de noſtre amour
Pour les recompenſer de traits d’ingratitude.


MISERE DE L’HOMME DU MONDE.

SONNET.



VEnir à la clarté ſans force & ſans adreſſe,
Et n’ayant fait long temps que dormir & manger,
Souffrir mille rigueurs d’vn ſecours eſtranger
Pour quitter l’ignorance en quittant la foibleſſe.

Apres, ſeruir long temps vne ingratte Maiſtreſſe,
Qu’on ne peut acquerir, qu’on ne peut obliger ;
Ou qui d’vn naturel inconſtant & leger,
Donne fort peu de ioye & beaucoup de triſteſſe.

Cabaler dans la Cour ; puis deuenu griſon,
Se retirant du bruit, attendre en ſa maiſon
Ce qu’ont nos derniers ans de maux ineuitables.

C’eſt l’heureux ſort de l’homme. Ô miſerable ſort !
Tous ces atachemens ſont-ils conſiderables,
Pour aimer tant la vie, & craindre tant la mort ?


FIN.
Nil ſolidum.


PRIVILEGE DV ROY.



LOvis par la grace de diev Roy de France et de Navarre : À nos Amez & Feaux Conſeillers les Gens tenans nos Cours de Parlement à Paris, Thoulouze, Roüen, Bordeaux, Aix, Grenoble, Dijon, Rennes, Metz : Maiſtres des Requeſtes ordinaires de noſtre Hoſtel, Preuoſt de Paris, Baillifs, Seneſchaux, & tous autres nos Officiers & Iusticiers qu’il appartiendra, Salut : Noſtre bien aimé Pierre Billaine, Marchand Libraire en l’Vniuersité de noſtre ville de Paris, nous a fait remonſtrer qu’il a recouuert vn Liure intitulé, Les œuures Poëtiques du ſieur Triſtan, Lequel Liure il deſireroit faire imprimer ; mais il craint qu’apres auoir fait de grands frais & deſpences pour l’impresſſion d’iceluy, quelques autres le vouluſſent entreprendre à ſon preiudice, s’il ne luy eſtoit pourueu de nos Lettres à ce neceſſaires ; Requerant humblement icelles, À ces cavses, deſirant fauorablement traitter ledit expoſant, luy auons permis & octroyé, permettons et octroyons par ces preſentes, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & diſtribuer ledit Liure, en tel volume & caractere que bon luy ſemblera, & ce durant le temps & eſpace de neuf ans, à compter du iour que ledit Liure aura eſté acheué d’imprimer ; Faiſant deffence à toutes perſonnes de quelque qualité qu’ils ſoient, d’imprimer, vendre & debiter ledit Liure en quelque façon & maniere que ce ſoit, ſur peine de deux mil liures d’amande, applicable moitié à nous & l’autre moitié audit Billaine, auec confiſcation de tous les exemplaires qui ſe pourront trouuer, deſpens, dommages & intereſts : À la charge de mettre trois exemplaires, ſçauoir deux en noſtre Bibliothecque, à preſent gardée au Conuent des Cordeliers de noſtre ville de Paris, & le troiſieſme en celle de noſtre tres-cher & feal Cheualier le ſieur Seguier garde des Sceaux de France, auant que de les expoſer en vente ſuiuant noſtre Reglement, à peine d'eſtre décheus du preſent Priuilege. Si vous mandons que du contenu en ces preſentes vous faſſiez & ſouffriez, ledit expoſant, ou ceux qui auront droit de luy, ioüir : Voulons qu'en mettant en chacun exemplaire du Liure, copie ou extraict du preſent Priuilege, il ſoit tenu pour ſignifié; Car tel eſt noſtre plaiſir, nonobſtant clameur de Haro, Chartre Normande, & Lettres à ce contraires. Donné à Paris le ſizieſme iour de Iuin l'an de grace 1635. Et de noſtre Regne le vingt-sixieſme. Par le Roy en ſon Conſeil, De Monceaux.


Acheué d'imprimer ce vingtieſme May

mil ſix cens trente-huict.



Et ledit Billaine a cedé & tranſporté la moitié de ce preſent Priuilege à Auguſtin Courbé auſſi Marchand Libraire à Paris.