Les Androgynes/30
XXX
Le Testament de la Comète
La Comète passa par une sombre journée de pluie, dans la tristesse des êtres et des choses. Elle cracha son âme dans un flot de sang, son âme indomptable qui n’avait servi qu’à la faire souffrir davantage, et Fiamette, après lui avoir fermé les yeux, lui mit au front un baiser sincère qui, avec une jonchée de roses, fleurit son dernier sommeil.
Quelques vestales de volupté suivirent le char, empanachées comme lui, et presque jalouses de cette morte qui avait de quoi s’offrir un convoi luxueux et des voitures vides… À l’église, elles pleurèrent plutôt sur elles-mêmes que sur la compagne heureuse qui s’en allait, jeune encore, ignorante des dédains, des rides et des cheveux blancs.
Fiamette, au bras de Pascal, regagna son petit appartement de la rue Caulaincourt, où une femme de ménage rangeait et nettoyait depuis deux jours, car André, enfin hors de danger, devait arriver le lendemain.
C’est ainsi que se balancent les chagrins et les joies. La mort, sans cesse, étant réparée par la vie, tout se renouvelle et tout s’efface, le cœur, comme la terre, s’ouvre indifféremment aux semences bonnes ou mauvaises, à l’espoir et à la révolte.
— Et, cette fois, dit Pascal, en quittant son joli modèle, garde bien ton amant.
— Ce ne sera pas difficile, soupira Fiamette, André, vous le savez, ne me reconnaît plus… Il vit dans un rêve perpétuel.
— Le rêve a du bon. À ta place, petite, puisque ton ami n’est pas méchant, je ne souhaiterais pas le réveil !
— Mais il est fou !
— Nous sommes tous fous. Il s’agirait de savoir qui de lui ou de nous l’est le plus !
Quelques jours après, Fiamette, ayant revêtu son costume de Salomé, pour complaire au poète, qui chantait en tisonnant d’une main paresseuse, apprit qu’elle héritait de la fortune de Nora.
— André, dit-elle, nous sommes riches !
Mais il n’entendait pas, continuait à construire dans l’âtre des palais de flammes, et les rimes d’or s’envolaient harmonieusement, emplissaient la pièce d’un battement d’ailes sonore.
— Nous sommes riches ! répéta Fiamette.
Et, comme il la baisait aux lèvres inconsciemment, ainsi que le papillon va à la fleur :
— Ah ! dit-elle, si tu comprenais, tu ne voudrais plus !… Reste ainsi, cher amour !… Seuls, ceux qui ne savent pas sont heureux !