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Les Anglais et l’Inde (1857)/Chapitre 1

La bibliothèque libre.
Michel Lévy frères (p. 3-75).

CHAPITRE PREMIER.

LES FONCTIONNAIRES CIVILS DE L’HONORABLE
COMPAGNIE DES INDES.


Quelles que soient les destinées que l’avenir réserve à l’empire anglais de l’Inde ; qu’une invasion étrangère, une révolution intérieure, ou plus probablement les désastres d’une guerre européenne viennent arracher, dans les temps futurs, le territoire indou au sceptre de l’Angleterre, la conquête de la vaste région qui s’étend du cap Comorin aux chaînes de l’Himalaya restera la grande page de l’histoire moderne de la Grande-Bretagne. La série de travaux politiques et militaires auxquels se rattachent les noms de lord Clive, de Warren Hastings, du marquis de Wellesley et du marquis de Dalhousie, comptera sans contredit parmi les faits les plus considérables de notre temps et parmi les plus grandes choses qu’une nation ait jamais accomplies. Ce n’est pas tout cependant que de fonder un empire ; il s’agit d’en assurer la durée, et ici se présente une suite de faits plus modestes, qu’en dehors de l’Angleterre on a peut-être trop négligés : nous voulons parler du régime même qui est sorti de eette période agitée et brillante, principal objet jusqu’à ce jour de nos études et de notre admiration. Comment s’est créée la puissance anglaise dans l’Inde, c’est ce qu’on sait assez généralement : ne serait-il pas temps de rechercher à quelles conditions elle se maintient ? Un long séjour dans l’empire indo-britannique nous facilite peut-être l’examen de cette dernière question. Le service administratif, l’enseignement, le système pénal, les institutions financières, l’armée, doivent appeler l’attention de quiconque tient à s’éclairer sur les bases de l’établissement anglo-hindou, sur les réformes qu’on y a déjà introduites, sur celles qu’il réclame encore, et nous serviront successivement de sujets d’étude.

Au-dessus du service administratif, dont il faut s’occuper d’abord, se place, on le sait, l’honorable compagnie, représentée par la cour des directeurs. Les Hindous, race peu habituée aux pouvoirs collectifs, se figurent la compagnie sous les traits d’une vieille dame vivant noblement dans une contrée lointaine, par delà les mers. Sans discuter les analogies que la cour des directeurs peut présenter avec la fiction native, il convient d’examiner les pouvoirs attribués par la charte de 1833 à cette importante corporation, afin d’apprécier avec plus d’exactitude les divers changements consacrés par la nouvelle charte de 1853.

Le dernier règlement n’a point modifié les rapports établis en 1833 entre la compagnie et la couronne. Aujourd’hui comme alors, tous les actes du gouvernement de l’Inde sont rendus au nom de la cour des directeurs ; mais son pouvoir est plus apparent que réel, et au-dessus d’elle s’élève l’influence prédominante de la couronne et du parlement, représentée par le board of control. Le mode de transactions entre ces deux pouvoirs est le suivant : les ordres de la cour des directeurs, rédigés par un comité secret élu dans son sein, sont soumis au board of control, qui, en cas de dissentiment, doit renvoyer les ordres au comité en motivant sa désapprobation. Un délai de quatorze jours est alloué à la cour pour faire des remontrances et tenter de modifier l’opinion des conseillers de la couronne ; au bout de ce temps, le board of control s’assemble pour discuter les explications de la cour et rendre une décision, qui, fût-elle contraire à ses vues, doit être envoyée aux Indes et mise à exécution. On voit que le board of control et, par son intermédiaire, la couronne et le parlement exercent une influence péremptoire dans toutes les grandes questions de politique étrangère ou intérieure qui s’agitent dans le domaine indien. De fait, les attributions indépendantes réservées à la cour des directeurs se réduisent au droit d’élire ou de révoquer le gouverneur général, et il n’a été fait jusqu’à ce jour qu’une seule fois usage du droit de révocation, à l’égard de lord Ellenborough.

L’attention doit moins se porter sur les dispositions communes aux deux chartes que sur celles qui les distinguent l’une de l’autre. Ce n’est donc pas sur les analogies, mais sur les différences, que nous allons insister.

Suivant la charte de 1833, la représentation immédiate de la compagnie des Indes, c’est-à-dire la cour des directeurs, était composée de trente membres élus à vie parmi les actionnaires qui satisfaisaient à deux conditions : posséder 2,000 livres sterl. d’actions et avoir résidé deux ans en Angleterre. Dans l’élection des directeurs, un vote était attribué au propriétaire de 1,000 livres sterl. d’actions, deux votes pour 3,000 liv. sterl., trois votes pour 6,000 livres sterl., et quatre votes pour 10,000 liv. sterl. Les femmes et les filles propriétaires avaient droit de vote. La même charte allouait un salaire annuel de 300 livres à chaque directeur ; mais, outre cette rétribution insuffisante de travaux ardus et journaliers, elle réservait exclusivement à la cour, et c’était là le plus beau fleuron de la couronne directoriale, le droit de distribuer les brevets des services civils et militaires de l’Inde. Les hommes éminents qui, il y a près d’un siècle, ont organisé le gouvernement de l’Inde anglaise ont compris à priori que, pour gouverner des hommes aussi étrangers aux idées et aux mœurs de l’Europe que le sont les hommes de l’extrême Orient, il fallait créer des officiers civils et militaires spéciaux, élevés dès leur jeunesse au milieu des populations natives et rompus à leur langage comme à leurs préjugés. Il n’était toutefois pas facile de déterminer le mode de recrutement de l’administration et de l’armée indiennes. Abandonner aux mains du ministère et de la couronne la distribution de ce riche patronage, c’était leur fournir des armes bien puissantes contre l’indépendance des parlements. Aussi fut-il résolu de confier la feuille dorée des bénéfices de l’Inde aux mains de la cour des directeurs, corps indépendant, par son organisation, du parlement et de la couronne. L’on peut dire que chaque directeur reçoit en moyenne, pour sa part annuelle de patronage, douze commissions militaires et une commission civile. En évaluant les brevets militaires au même taux que les brevets de l’armée de la reine, soit 500 liv. st., et la commission civile à 3,000  liv. st., somme payée, comme il a été prouvé par enquête, dans certaines transactions frauduleuses, on voit que chaque directeur recevait, sinon en espèces, du moins de fait, un salaire annuel d’environ 10,000 l. st. Les règlements défendaient, il est vrai, aux directeurs de distribuer les places dont ils disposaient autrement que pour le bien du service, et annulaient tout brevet qui aurait été acheté par quelque valuabie consideration. Ces règlements furent violés bien des fois sans doute ; bien des fois des commissions furent vendues à prix d’argent, soit par les directeurs, soit par leurs amis : la chose a été prouvée clairement par des enquêtes, notamment en 1809 et en 1828, où des commissions du service civil émanées des directeurs Thelusson et Prescott furent annulées par décision de la cour. Néanmoins ces enquêtes sévères ont prouvé que ces transactions frauduleuses n’étaient pas aussi fréquentes que l’on aurait pu le craindre. Parmi les motifs qui ont été mis en avant ces dernières années pour retirer aux directeurs le patronage de l’Inde, l’accusation de faire profit d’argent des brevets à leur disposition n’a été soutenue que par des ennemis injustes et passionnés. C’est avec plus de raison qu’on leur a reproché d’employer les brevets du service indien à solder des services électoraux ou à servir des intérêts de famille, et les usages suivis dans l’élection au directorat, qui forcent chaque candidat, quelque illustre que soit son nom, quelque grands que soient ses services, à quêter en personne les suffrages des électeurs, ne se prêtent que trop aux transactions illicites. Sans insister sur les fraudes auxquelles a pu donner lieu le mode d’élection audirectorat, nous croyons que le reproche adressé aux directeurs d’employer leur patronage à servir des intérêts de famille n’est pas entièrement mérité. La part de commissions attribuée aux véritables ayants droit, aux jeunes gens dont les pères ont appartenu aux services civils ou militaires de l’Inde, n’a jamais été plus considérable que dans ces dernières années. On peut facilement expliquer la chose sans même croire au progrès des vertus publiques parmi les membres de la cour. Lorsque la compagnie des Indes possédait le monopole du commerce du pays, il était d’un grand intérêt pour les sommités financières de l’Angleterre d’être admis au sein de la cour. Cet intérêt a cessé avec la charte de 1833, qui a affranchi le commerce de l’Inde. Depuis lors, un plus grand nombre d’officiers retirés civils et militaires ont été admis parmi les directeurs, qui ont distribué plus abondamment le patronage de l’Inde parmi les familles anglo-indiennes. Nous appuierons cette opinion de quelques chiffres. Le nombre de brevets accordés par Jes directeurs aux fils d’anciens officiers de la compagnie, qui, de 1813 à 1833, sur 5,092 commissions était de 404, est de 348 sur les 1,843 commissions distribuées de 1836 à 1843. La proportion s’est donc élevée du douzième au quart.

La nouvelle charte de 1853 a apporté à la constitution de la cour des directeurs les changements suivants : le nombre des directeurs est réduit de trente à dix-huit, leur salaire annuel élevé de 300 à 500 liv. st. ; enfin les brevets du service civil de l’Inde doivent être mis désormais au concours public. Que ces réformes portent une atteinte profonde au pouvoir de la cour des directeurs, c’est Là ce que l’on ne saurait se dissimuler ; que l’on doive en espérer de bons résultats, c’est une question que l’expérience seule pourra résoudre. Beaucoup de bons esprits croient, et nous croyons avec eux, que la loi nouvelle qui régira désormais le recrutement de l’administration anglo-indienne n’est qu’une concession faite à l’esprit démocratique du siècle, et rien de plus. Il est en effet hors de doute, parmi les hommes qui ont quelque expérience de l’Inde, que les recrues doivent se rendre jeunes sur le théâtre de leur vie officielle pour s’initier aulangage, aux habitudes, aux préjugés des hommes qu’ils auront un jour à gouverner. Comment donc formuler, pour une limite d’âge de dix-sept ou dix-huit ans, un programme d’examen qui puisse donner des gages de capacité future ? Sera-ce l’éternel latin ou le simpiternel grec, une double infusion de géométrie, voire de calcul différentiel, qui indiqueront que tel ou tel sujet doit obtenir la préférence des examinateurs, qu’il possédera un jour les aptitudes si diverses, indispensables à l’officier civil indien pour les fonctions multiples qu’il doit remplir dans sa carrière ? Puisque au reste la compagnie des Indes est entrée à son corps défendant, mais est entrée enfin, dans la voie libérale du recrutement de son administration par examen, il en est un que l’on doit lui recommander instamment d’inscrire sur son programme : c’est l’examen de santé ! Sous ces climats débilitants, au milieu de cette vie monotone et triste des stations indiennes, l’énergie morale dépend surtout du bon état des forces pbysiques. Malheureusement là encore la science divinatoire des examinateurs serait bien souvent mise en défaut, et tel hercule de dix-huit ans, admis par les médecins sur le certificat de ses larges épaules et de ses joues fleuries, viendrait s’étioler dans les plaines du Bengale, tandis qu’un enfant chétif et repoussé comme tel eût acquis sous le climat de l’Inde les dimensions d’un colosse.

Le nouveau règlement qui ouvre à la libre concurrence des examens les commissions civiles de l’Iode ne semble donc, nous le répétons, rien autre chose qu’une concession faite à l’esprit niveleur et antihéréditaire du jour ; nos sympathies ne sont pas avec lui, et nous devons souhaiter que l’Angleterre n’ait pas à déplorer amèrement une mesure qui n’a que les apparences du libéralisme. Le nouveau système a le grand inconvénient de rompre des traditions d’honneur, d’expérience, de dévouement à la chose publique, qui se perpétuaient dans un service en quelque sorte héréditaire ; d’entamer, ne fût-ce que d’une pierre, tout au sommet ce merveilleux édifice de l’Inde, dont les bases sont si fragiles. Il a un plus grand inconvénient encore, celui de jeter à trois mille lieues de leur pays, au milieu des tentations de l’oisiveté et de la débauche, des jeunes gens qui ne se rattacheront par aucun lien à la communauté angloindienne, et qui ne seront pas soutenus, au grand jour du combat entre les passions de la jeunesse et le devoir, par des affections, des souvenirs de famille, ou les conseils de l’amitié.

La couronne et le board of control d’une part, la compagnie et la cour des directeurs de l’autre, tels sont les pouvoirs antagonistes qui se partagent le gouvernement de l’Inde. Viennent ensuite les hauts fonctionnaires qui composent le gouvernement proprement dit, et auxquels se rattachent diverses catégories d’agents qui relèvent de leur autorité.

Tous les pouvoirs de la cour des directeurs dans ses domaines d’outre-mer sont délégués au gouvernement suprême de l’Inde, siégeant à Calcutta, et composé du gouverneur général et des cinq membres du conseil suprême de l’Inde.

Au milieu des grandeurs de ce monde dignes d’exciter l’envie, de tenter les efforts d’un homme vraiment ambitieux que le hasard de la naissance n’a pas placé sur les marches d’un trône, il n’en est pas assurément qui puisse entrer en comparaison avec la position de gouverneur général de l’Inde anglaise. Tout ce qui peut satisfaire la vanité humaine, l’instinct du pouvoir, le noble désir d’être utile à ses semblables, se trouve réuni dans cette vice-royauté, qui commande à une armée de trois cent mille hommes, gouverne un territoire plus vaste et plus peuplé que le plus grand empire de l’Europe, administre un revenu de plusieurs centaines de millions, et dispose de plus d’emplois richement dotés que ne le fait le tsar de toutes les Russies. Quel plus noble champ d’ailleurs ouvert à toutes les facultés humaines que les intérêts si divers de cet empire, où la civilisation du xixe siècle se trouve incessamment en présence de la barbarie des premiers âges, et dont le chef suprême, après avoir examiné une des questions les plus délicates de l’économie politique, décidé du parcours d’un chemin de fer ou d’un télégraphe électrique, doit souvent à la même table, sur un carré de papier voisin, formuler un code de lois pour des populations plus sauvages que ne l’étaient les Gaulois au temps des druides, donner des ordres pour arrêter l’infanticide, passé dans les mœurs, ou les sacrifices humains !

Les pouvoirs du gouverneur général sont absolus, et sous sa propre responsabilité il peut prendre toutes les mesures qui lui semblent nécessaires jusqu’à ce qu’il ait reçu les ordres de la cour, ordres auxquels il est tenu d’obéir sous peine de haute trahison. Le conseil suprême n’exerce pas même sur les décisions du gouverneur général un droit de veto, et ses attributions sont clairement définies par la formule officielle des documents indiens, — le gouverneur général en son conseil (the governor général in council), et non pas le gouverneur général et son conseil (the govemor gênerai and council),— qui prouve assez que les résolutions du gouverneur général sont prises à la connaissance des membres du conseil, mais que leur adhésion n’est pas nécessaire pour qu’elles puissent être mises à exécution. Le conseil suprême, depuis plus de vingt ans, n’a pas joué un grand rôle dans l’histoire de l’Inde : il est exclusivement recruté dans l’administration ou l’armée de la présidence du Bengale. Chacun de ses membres, quelque utile et brillante qu’ait été sa carrière, ne saurait jouir auprès des autorités métropolitaines, qui jugent en dernier ressort de tout conflit entre les autorités subordonnées, de l’importance personnelle nécessaire pour servir de contre-poids à l’influence d’un gouverneur général, personnage qui, à sa haute position officielle, a toujours réuni la double autorité de talents éminents et d’un nom haut placé dans le peerage. Le conseil suprême de l’Inde se compose de trois membres, deux membres civils et un membre militaire. Le commandant en chef de l’armée est de droit membre extraordinaire du conseil. Lorsque des matières législatives sont en discussion, le conseil suprême reçoit l’adjonction d’un membre auxiliaire, sorte de secrétaire rédacteur avec voix délibérative, choisi parmi les sommités du barreau de Londres, et qui a pour mission de revêtir de la forme technique les actes du gouvernement. Les fonctions de membre du conseil suprême, les plus hautes de la hiérarchie anglo-indienne, ne peuvent être occupées par le même titulaire plus de cinq ans et reçoivent le magnifique salaire annuel de 8,000 liv st.

Le gouvernement suprême discute et résout toutes les grandes questions de politique étrangère et intérieure qui s’élèvent dans les trois présidences. En outre, il administre directement cette partie du domaine indien connue sous le nom de non regulation provinces. Ce sont généralement des conquêtes de fraîche date dans lesquelles Tétat sauvage des habitants demande un gouvernement ferme et presque despotique. L’administration de ces provinces est recrutée par le gouvernement suprême en dehors de la hiérarchie régulière, parmi les officiers civils et militaires, surtout militaires, qui ont une connaissance spéciale des langages et des habitudes du pays[1]. Le gouvernement suprême de FInde a enfin une surveillance à exercer sur les princes natifs indépendants ou prétendus tels, auprès desquels se trouvent des Mentors diplomatiques chargés de les maintenir dans la crainte de Dieu et de l’honorable compagnie des Indes.

Après le gouverneur et son conseil se placent les cours suprêmes, nommées par la couronne, et qui siègent aux chefs-lieux des trois présidences. Lorsqu’en 1773 le parlement anglais s’occupa de formuler la première constitution indienne, l’autorité absolue que les traités accordaient au gouvernement de la compagnie non-seulement sur la fortune et la vie des natifs, mais encore sur la fortune et la vie de tous leurs concitoyens demeurant dans l’Inde, ne fut pas sans effrayer l’opinion publique. On se prononça fortement en faveur d’une institution judiciaire qui devait avoir pour mission de surveiller les actes arbitraires que pourraient commettre des hommes qui, munis comme les officiers de la compagnie de pouvoirs étendus, ne relevaient que de son autorité. Un vote du parlement autorisa donc la couronne à instituer au sein de chaque présidence une cour de justice, chargée de faire exécuter la loi anglaise dans un rayon défini de territoire, et de plus investie du droit de juridiction criminelle sur tous les sujets anglais (british Born subjects) résidant dans l’Inde. Cette institution, qui donnait un certain contrôle à la couronne sur les actes des serviteurs de la compagnie, satisfaisait aussi cette passion ardente et obstinée pour la constitution et les lois du pays qui forme un des traits distinctifs du caractère anglais. Enfin elle avait encore l’avantage de refréner les violences auxquelles pouvaient se livrer envers les natifs des aventuriers de bas étage, comme l’étaient les premiers serviteurs de la compagnie. Malheureusement la lutte ne tarda pas à s’ouvrir entre les juges des cours suprêmes, désireux d’étendre leur juridiction, et les officiers de la compagnie, trop enclins à s’en affranchir, et ce conflit fut bien près de porter un coup mortel à la fortune naissante de l’Angleterre dans l’Inde. Aujourd’hui les attributions des cours suprêmes sont mieux définies ; les ambitions, les passions individuelles se sont amorties sous l’action d’un gouvernement régulier ; mais le fait anormal résultant de l’institution des tribunaux suprêmes ne subsiste pas moins encore dans toute sa force, Les sujets anglais résidant dans l’intérieur du pays, placés sous la juridiction exclusive de tribunaux qui siègent à quatre et cinq cents lieues de leur domicile, sont de fait indépendants de tout contrôle régulier, et c’est là une lacune de l’organisation anglo-indienne qu’il est important de combler au plus vite. Les juges des cours suprêmes sont investis pour douze ans de leurs fonctions et sont recrutés parmi les légistes les plus éminents du barreau anglais.

Le président ou chief justice reçoit un salaire annuel de 8,000 livres sterling, et les deux autres membres de la cour 6,000 liv. sterl. Après la période réglementaire de leur temps de service, une pension viagère de 2, 000 liv. st. est allouée au chief justice. Cette pension se réduit à 1,500 liv. sterl. pour les deux autres juges.

Au delà des moteurs essentiels du gouvernement de l’Inde, commencent à fonctionner les forces secondaires, et d’abord le corps des agents civils, divisés en trois groupes, — les agents proprement dits (civil service), — les agents auxiliaires et agents natifs, — la police.

Les premiers débuts du service civil dans l’Inde furent aussi modestes que les débuts de l’honorable compagnie elle-même. L’idée de la conquête, l’ambition de faire passer sous le joug de l’Angleterre le vaste domaine du Grand Mogol n’entrait dans aucun cerveau, quelque porté à l’aventure qu’il pût être, et les plans de la compagnie, l’énergie de ses serviteurs ne tendaient qu’à un but, exploiter et agrandir le champ des transactions commerciales. Ainsi, au milieu du siècle dernier, un gouverneur écrivait, dans une dépêche d’adieu, où il résumait les travaux et les services de son administration, que lui et les siens n’avaient jamais cherché qu’à bien placer les marchandises de la compagnie, et que la gloire d’avoir fait de bons marchés avait suffi à son ambition et à celle des agents sous ses ordres.

Le pied modeste sur lequel était alors monté l’établissement de la compagnie dans l’Inde explique ces idées étroites. Il se composait d’un gouverneur à 300 roupies par mois, d’un conseil de neuf ou dix officiers touchant un moindre salaire, et d’un corps de jeunes marchands qui recevaient, pour peser du salpêtre et auner du drap, des gages variant de 19 à 180 roupies par mois. Chaque employé faisait alors le commerce non-seulement pour le compte de la compagnie, mais aussi pour le sien propre, et il est permis de croire que le trésor public n’était pas toujours admis à prendre part aux plus heureuses spéculations, lorsque l’on examine certains règlements somptuaires de l’époque, par lesquels il est de fendu aux jeunes employés de porter des habits brodés, de conduire des équipages à quatre chevaux et d’entretenir des bandes de musiciens.

L’apprenti (car les devoirs de sa profession ne permettent pas de donner au débutant d’autre titre) arrivait dans l’Inde à quinze ou seize ans ; il recevait pour prix de ses premiers services un salaire de 16 roupies par mois et la jouissance d’un dustuck ou permis signé du gouverneur et du secrétaire du conseil. Toutes les marchandises couvertes par ce permis devaient, en vertu des usages établis, entrer dans l’intérieur sans acquitter de droits de douane ; aussi l’exploitation de ce privilège formait-elle la part la plus importante du revenu des officiers civils de la compagnie. Dès leur début, pour mettre ce privilège à profit, ils s’associaient avec des banians qui leur fournissaient les fonds nécessaires, et au bout de quelques mois à peine des jeunes gens arrivés dans l’Inde sans aucuns capitaux se trouvaient engagés dans d’énormes spéculations, souvent heureuses, ce qui explique les règlements somptuaires dont je viens de parler. Les conditions de l’association entre le banian et le jeune employé étaient Variables : l’apprenti avait droit tantôt au huitième, tantôt au quart, même à la moitié des bénéfices. Bientôt cependant le commerce privé des agents fit un si grand tort aux intérêts de la compagnie, et lui créa de si sérieuses difficultés avec les gouvernements natifs, que les directeurs durent se préoccuper de mettre un terme aux abus du système des dustucks. Leurs ordres, exécutés par des gouverneurs énergiques, furent couronnés de succès, et les agents tombèrent dans la plus profonde détresse. Un homme, qui depuis s’est élevé au premier rang de la hiérarchie indienne, raconte qu’à ses débuts dans le service civil, en 1769, étant attaché comme commis au bureau secret politique, son salaire de 8 roupies par mois ne suffisait pas à payer son loyer, et que souvent il se mettait au lit à huit heures pour ne pas brûler de chandelle. Toutefois, ces réformes extrêmes n’eurent qu’un effet passager ; les prévaricateurs étaient trop nombreux pour ne pas résister victorieusement à l’énergie des gouverneurs et aux ordres de la cour des directeurs, quelque rigoureux qu’ils fussent. Le commerce des agents n’était pas le seul abus qui fît obstacle au succès de la compagnie. Les princes natifs ne reculaient, par exemple, devant aucun sacrifice pour acheter le bon vouloir des employés européens : M. Shore, depuis lord Teignmouth, rapporte dans sa correspondance privée qu’étant chargé d’une mission près du nabab de Lucknow, il lui fut offert cinq lacs de roupies et 8,000 goldmohurs (1,570,000 fr.) pour le dernier mot de certaines négociations, offres magnifiques qu’il refusa[2]. Le duc de Wellington, alors sir Arthur Wellesley, lorsqu’il dirigeait les négociations d’un traité de paix entre les princes mahrattes et le nizzam de Hyderabad, reçut un matin la visite du premier ministre de ce dernier, qui lui offrit (100,000 livres sterling pour prix du secret de ses instructions, secret qu’il lui promettait de garder religieusement. « Vous êtes donc capable de tenir un secret ? » dit le jeune général. Et sur les protestations emphatiques de son interlocuteur, il se contenta de répondre : « Et moi aussi (and so I am). » Mais peu d’hommes étaient capables de pareils traits de probité, et la corruption des employés menaçait de ruiner la fortune naissante de l’Angleterre dans l’Inde, lorsque lord Cornwallis comprit, avec la sagacité d’un homme d’État et la libéralité d’un grand seigneur, que le seul moyen d’attaquer le mal dans sa racine, de donner aux agents la force de résister aux tentations corruptrices qui les environnaient de toutes parts, c’était de faire du service de l’Inde le service le mieux rétribué du monde. C’était aussi le moyen d’attirer dans les rangs de la compagnie des jeunes gens d’élite ayant puisé dans des familles honorables des principes solides de moralité, jeunes gens qui en étaient jusque-là restés éloignés. Tels étaient à cette époque les dangers et les privations du voyage, la mauvaise renommée des employés, leurs occupations mesquines et exclusivement commerciales, que la compagnie ne voyait guère arriver dans ses rangs d’autres recrues que des aventuriers décidés à marcher à la fortune, n’importe par quel chemin. Au milieu de ces derniers, de grands hommes d’État se révélèrent sans doute : lord Clive et Warren Hastings, par leur heureuse audace, leur profonde intelligence du caractère natif, commencèrent sur de largesbasesl’édificedela puissance anglaise dans l’Inde ; mais ces esprits éminents eux-mêmes, éloignés de l’Angleterre depuis leur enfance, avaient dépouillé en grande partie ces instincts honnêtes, cette haine de la fraude et du mensonge, cette susceptibilité morale, sans lesquels il n’est point d’homme vraiment supérieur dans la société européenne. Aussi, en examinant les actes de leur vie, lorsqu’on en trouve qu’une morale même facile ne peut s’empêcher de réprouver, il faut penser non-seulement au succès, qui justifie bien des choses, mais encore au milieu corrompu et corrupteur danslequel ils avaient vécu dès leur plus tendre jeunesse.

Lorsque le marquis de Cornwallis arriva dans l’Inde, la compagnie n’était plus seulement une association de marchands, et d’autres intérêts que ceux des transactions commerciales devaient préoccuper ses représentants immédiats. En trente ans, les victoires de Clive et de Hastings avaient donné à l’Angleterre dans l’est un empire qui, pour la richesse et l’étendue, ne le cédait en rien aux conquêtes de Cortez et de Pizarre. Il ne s’agissait plus pour les agents civils de la compagnie d’auner du drap, de peser du salpêtre, mais bien de remplir les fonctions les plus ardues qui puissent échoir à l’homme public. Rendre justice à des millions d’hommes différents entre eux de manières et de langage, administrer un système de revenu compliqué dans des districts grands comme des royaumes d’Europe, maintenir l’ordre et l’empire des lois au milieu d’une population corrompue, être à la fois juge, administrateur, financier, diplomate, souvent même soldat, tels étaient les devoirs multiples que les officiers civils de la compagnie avaient à remplir, et de leur intégrité, de leur aptitude, de leur dévouement allait dépendre la fortune de l’Angleterre dans l’Inde. Lord Cornwallis voulut mettre le salaire des employés civils à la hauteur de la mission qu’ils avaient à remplir, et régla sur une échelle vraiment magnifique les émoluments de l’administration indienne. Ces émoluments sont restés les mêmes pendant trente-cinq ans jusqu’aux réductions faites en 1830 par lord William Bentinck. On a du reste beaucoup exagéré ces réductions qui s’élevèrent en total à 8 lacs de roupies environ. Ainsi le budget du service civil de l’Inde fut réduit de 97 lacs 47,000 roupies à 91 lacs 11,000 roupies, laissant aux employés qui le composent une moyenne de traitement annuel de 1,750 liv. sterl.

Le marquis de Wellesley, à l’administration duquel se rattachent les plus grands faits de l’histoire des Anglais dans l’Inde, compléta les réformes de lord Cornwallis en fondant à Calcutta, le 4 mai 1800, le collège de Fort-William, qui devait servir de pépinière au service civil de l’Inde. Toutefois les dépenses que devaient entraîner les grands projets de l’illustre homme d’État, les proportions magnifiques qu’il avait données sur le papier aux détails de cet établissement, effrayèrent la rigoureuse économie de la cour des directeurs, et le noble lord fut obligé de renoncer au plan d’éducation qu’il avait tracé pour les futurs administrateurs de l’Inde. Le collège de Fort-William fut ouvert, mais dans des conditions restreintes qui n’ont pas changé depuis.

Après avoir tracé ce profil historique du service civil dans l’Inde, nous sommes amené à examiner quelles sont les conditions d’admission et d’éducation pour les jeunes gens qui le recrutent. Comme il a été dit précédemment, le privilège de distribuer les commissions ou writership a exclusivement appartenu aux directeurs jusqu’à ces derniers temps : c’est là un des plus beaux fleurons de la couronne directoriale que la nouvelle charte de 1853 leur a enlevé ; mais la question de l’admission au concours public une fois résolue par vote du parlement, il a été fort difficile d’établir les conditions de l’examen, et ce n’est qu’après de longues hésitations qu’une commission, composée de MM. Macaulay, Melvill, Jorrest et Lefèvre, est arrivée à tracer un programme très-compliqué. Le candidat doit connaître à fond la langue anglaise, l’histoire politique et littéraire du Royaume-Uni. Il doit, pour les langues anciennes, être préparé aux épreuves qui assurent les plus hautes distinctions honorifiques dans les universités d’Oxford et de Cambridge. En ce qui touche les langues modernes et les sciences, il doit posséder l’italien, l’allemand, le français, le sanscrit, l’arabe, les mathématiques depuis l’arithmétique jusqu’aux plus hautes découvertes de la science moderne, la chimie, la physique, les sciences morales, les éléments de morale et de philosophie et the inductive method, dont le Novum Organum est le manuel, etc.[3] Dans le résumé officiel de ses travaux, la commission, qui espère peu trouver parmi les candidats un nouveau Pic de la Mirandole capable de répondre de omni re scibili et quibusdam aliis, prévoit humblement que le chiffre d’excellence ne sera jamais atteint ; mais elle explique qu’en formulant ce programme aussi vaste que détaillé, elle a voulu donner des chances aux jeunes gens qui, à des connaissances classiques distinguées, réunissent une certaine habileté dans les sciences mathématiques, ainsi qu’à ceux qui possèdent à un haut degré les sciences naturellesetmorales ouïes langues européennes.

La nouvelle charte n’a du reste apporté aucune modification à l’éducation des jeunes candidats aux grandeurs de l’administration indienne, et, l’examen subi victorieusement, ils doivent comme par le passé entrer au collège de Haylebury, où ils suivent pendant deux ans les études spéciales qu’exige la profession qu’ils ont embrassée. Le collège de Haylebury est situé à vingt-un milles de Londres, dans le comté de Hertford, et fut fondé il y a trente ans environ, sinon sous Fadministration, du moins sous l’inspiration du marquis de Wellesley. Il a déjà été dit, à l’honneur de ce grand homme d’État, que le premier il s’était sérieusement occupé de l’éducation des futurs administrateurs de l’Inde. Le collège d’Haylebury devait n’être, suivant ses plans, que le premier degré d’une éducation qui serait complétée sur les lieux mêmes. L’établissement de Haylebury fut plus heureux que le collège de Fort-William ; dans son organisation, la cour des directeurs, sans se laisser arrêter par d’étroites considérations d’économie, suivit presque entièrement les plans originaux du marquis de Wellesley, et l’éducation donnée aux jeunes gens les prépare autant que possible à la carrière qu’ils sont appelés à suivre. Les études des élèves d’Haylebury sont divisées en quatre cours, chaque cours est de six mois et se termine par un examen qui donne l’entrée du cours supérieur[4] ». Un examen final ouvre aux élèves d’Haylebury les portes du service civil de l’Inde, et dans le cas où ils ne peuvent subir victorieusement cette dernière épreuve, ils reçoivent en compensation un brevet d’officier dans la cavalerie anglo-indienne.

Les élèves, bien que vivant en commun à Haylebury, mènent une existence fort libre, et l’on n’exige d’eux rien autre chose que d’assister matin et soir aux prières dans la chapelle, et à deux ou trois heures de leçons publiques. Le reste du temps est à leur libre disposition. Le principal du collège jouit d’un pouvoir discrétionnaire, et peut infliger toutes les punitions sans contrôle, y compris l’exclusion. Les élèves du collège d’Haylebury payent une pension annuelle de 200 livres sterling, et leur nombre s’élève de quatre-vingt-dix à cent. Ils étaient compris dans les limites d’âge de dix-sept à vingt-trois ans sous l’ancien système, mais ils peuvent aujourd’hui figurer sur les bancs d’Haylebury jusqu’à l’âge respectable de vingt-cinq ans.

Les personnes compétentes, tout en rendant justice au plan d’éducation suivi à Haylebury jusqu’à ces derniers temps, élevaient contre cet établissement quelques objections motivées. Sous l’ancien système, la limite inférieure d’âge étant fixée à dix-sept ans, l’étude du grec, du latin et des mathématiques prenait un temps considérable aux élèves ; aussi, parmi les arguments que l’on a pu faire valoir en faveur du système d’admission au concours public, l’un des plus péremptoires a-t-il été que l’on pourrait de cette manière exclure d’Haylebury tous les cours parasites, et consacrer le temps des élèves, dès le premier jour, aux études spéciales. Le sanscrit de plus joue un rôle trop important dans l’enseignement d’Haylebury. Le sanscrit est, il est vrai, la langue mère de l’Inde ; qui la possède à fond a peu de peine à apprendre les langages qui en dérivent ; mais un bien petit nombre d’élus réussissent à acquérir une connaissance parfaite de ce langage, difficile entre tous. Ajoutons aussi que l’on s’étonne de ne pas voir des cours de jurisprudence anglaise figurer sur le programme d’une institution destinée à former des hommes publics qui, pendant la plus grande partie de leur carrière, auront à remplir les fonctions de juge. C’est une lacune qu’on a souvent reprochée au collège d’Haylebury, et qui ne saurait subsister longtemps.

Après avoir passé l’examen final, le writer, c’est là désormais son nom officiel, est dirigé, ses frais de voyage payés, sur celle des trois présidences à laquelle il a été attaché. On comprend facilement que toutes ses études se concentreront désormais sur les langues orientales. Sur le banc du juge, sous la tente du collecteur, dans le durbar du prince indien, partout, à chaque instant de sa vie officielle, l’employé du service civil a besoin de pouvoir converser librement avec les natifs ; mais quelle diversité d’études, que de travaux préliminaires pour arriver à une connaissance suffisante des idiomes en usage sur cette terre babélique de l’Inde ! Dans le haut Bengale, c’est le bengali, l’hindostani, l’urdu ; dans le bas Bengale, le bengali et l’urdu ; à Bombay, l’urdu, le mahratte et le guzerati sont également indispensables ; enfin, dans la présidence de Madras, il ne s’agit ni plus m moins, pour l’officier civil, que de posséder le canarèse, le telaya et le tamil.

Après un examen préliminaire, le writer est admis parmi les élèves du collège de Fort-William et appelé à choisir la division de la présidence du Bengale dans laquelle il désire servir. Suivant qu’il se décide pour la division du nord-ouest ou pour celle du sud, ses études sont dirigées sur le persan et l’hindostani, ou sur le bengali et l’urdu. La durée des études au collège de Fort-William est de dix-huit mois ; au bout de ce temps, le writer doit encore avoir passé quatre examens. Les deux premiers consistent en traductions écrites d’un auteur natif en anglais ou réciproquement. Le troisième, le plus difficile, comprend une série de sentences où se trouvent renfermées des difficultés particulières d’idiome et de grammaire. Dans le quatrième examen enfin, le writer doit faire une traduction orale d’auteurs natifs désignés à l’avance.

Les élèves de Fort-William ne sont pas casernés et vivent chez leurs parents ou dans les clubs. À proprement parler, le collège de Fort-William n’existe que de nom, et les élèves ne s’y rendent que pour passer des examens mensuels. C’est hors du collège qu’ils achèvent leurs études, sous la direction d’un professeur natif, ou mounshee, qui, moyennant un salaire de 25 roupies par mois, se charge d’exprimer sur les lèvres des writers le jus divin des langues orientales. La compagnie leur alloue 300 roupies par mois à partir du jour de leur arrivée dans l’Inde. Autrefois, il y a de cela même à peine quelques années, le genre de vie des élèves du collège de Fort-William était fort extravagant ; les traditions de vie joyeuse du bon vieux temps avaient survécu au bon vieux temps lui-même. Bon nombre de writers quittaient les bancs chargés de dettes pesantes dont ils portaient le fardeau toute leur vie, si bien qu’il était d’usage que chacun d’eux subît, à sa sortie du collège, un examen auxiliaire, sorte d’examen de conscience, en donnant sur sa parole d’honneur l’état de ses dettes. Cet usage a été, nous le croyons, conservé, quoique le genre de vie des jeunes gens soit beaucoup plus modeste qu’au temps passé, et que leurs dépenses, si elles dépassent les limites de leur traitement, ne fassent pas des vides qu’un secours opportun de la famille ou quelques années d’économie ne puissent facilement remplir.

On vient de suivre le writer jusqu’aux premiers pas de sa carrière officielle. Pour apprécier maintenant les devoirs qu’il aura à remplir comme magistrat, collecteur ou juge, il est nécessaire de dire quelques mots de l’état de l’Inde avant la conquête anglaise, et des conditions dans lesquelles cette conquête fut faite. Avant l’invasion mahométane, l’Inde ne jouissait pas, sous une monarchie universelle, d’un âge d’or gouvernemental. Divisée en petits royaumes, subdivisés eux-mêmes en principautés, son histoire ne présente qu’une longue suite de guerres intestines auxquelles la conquête mahométane vint mettre un terme sans assurer au pays des jours plus heureux. Fondé par la violence, l’empire mahométan exerça dans l’Inde un despotisme d’autant plus terrible que les conquérants étaient dominés par le fanatisme religieux. L’empire du Mogol était divisé en provinces ou soubah, dont le chef ou vice-roi était revêtu, comme délégué de l’empereur, de pouvoirs absolus en toutes choses, sauf en matière d’impôts. Le chiffre des impôts de chaque province était fixé par l’empereur de Dehli, et un officier spécial institué par lui, le dewan, avait mission de les percevoir. On comprend tous les vices de ce système. Le dewan tirait des populations des sommes plus considérables que celles dont il devait compte à l’empereur, et achetait par des présents le bon vouloir et le silence du vice-roi. De plus, des princes indiens avaient conservé des droits de souveraineté sur des districts considérables, mais cela à la condition de rendre des impôts plus élevés que des officiers mahométans n’auraient pu le faire. Que les populations natives fussent donc passées complètement sous le joug musulman, ou qu’elles eussent conservé des semblants d’indépendance sous des princes indigènes, un système d’exactions coupables, de rapacité effrénée, dominait parmi les gouvernants, et les populations, odieusement pressurées, étaient réduites à la plus déplorable condition. Les jours de grandeur de Fempire de l’Hindostan étaient comptés : miné par la faiblesse des descendants d’Akbar et par la corruption des grands officiers de la couronne, le trône du Grand Mogol commença à crouler sur ses bases ; des dynasties s’improvisèrent au milieu des dissensions intestines ; la guerre civile étendit ses ravages dans toutes les provinces de Fempire, et le prince de la veille fut souvent le captif du lendemain. Longtemps encore toutefois le titre d’empereur de l’Hindostan demeura dans la maison de Timour, et ce fut en s’appuyant sur des firmans arrachés à la faiblesse du Grand Mogol, ou même scellés d’un sceau contrefait, que les nouveaux souverains légitimèrent aux yeux des populations leur autorité usurpée.

Au milieu de ce chaos, l’astre de la compagnie des Indes parut à l’horizon. Fondée uniquement pour favoriser les transactions commerciales entre l’Inde et l’Angleterre, elle avait obtenu du Grand Mogol le droit d’établir des comptoirs sur le territoire de son empire ; mais, au milieu des dissensions intestines qui ravagèrent le pays, chacun des’ heureux aventuriers que la fortune des armes conduisit au pouvoir suprême se crut en droit de faire subir aux Européens le poids de sa tyrannie et d’extorquer d’eux des sommes souvent considérables. L’instinct de la conservation personnelle poussa la compagnie des Indes à prendre part aux querelles dont les ravages s’étendaient jusqu’aux portes de ses établissements, et quelques heureux faits de guerre jetèrent, sans plan prémédité à l’avance, les premiers jalons de la route que le char victorieux de l’Angleterre devait si glorieusement parcourir dans l’Inde. C’est un devoir pour l’écrivain de ne pas laisser passer ce fait considérable inaperçu, et de constater que ce fut sous l’empire d’une absolue nécessité, sans idée aucune d’extension de territoire, que la compagnie commença ses travaux militaires. En un mot, ses débuts comme puissance politique dans l’Inde, la conquête des provinces du Bengale, Behar et Orissa, ne furent qu’une juste représaille des horreurs de cette nuit terrible du 20 juin 1759, où cent soixante Européens périrent asphyxiés dans la prison (Black-Hole) où le nabab du Bengale les avait fait enfermer.

Les conditions de la conquête toutefois ne furent pas moins singulières que les circonstances qui l’avaient provoquée. Aux premiers jours, les provinces indiennes ne furent pas cédées à la compagnie d’une manière absolue, et elle n’obtint du Grand Mogol que les droits qu’il déléguait aux grands officiers de la couronne. Il suit de là qu’à son début comme gouvernement dans l’Inde, la compagnie ne crut ni devoir ni pouvoir s’écarter des usages établis, et continua, à peu de chose près, les systèmes d’administration, de perception d’impôts, de répression criminelle, établis par ses devanciers. Bien que ces usages aient subi de nombreuses modifications, l’action s’en fait encore sentir dans la machine gouvernementale de l’Inde, et pour bien comprendre les devoirs multiples des officiers civils angloindiens, il est indispensable de se rappeler qu’ils descendent en droite ligne des délégués de l’empereur de Dehli.

Il est temps de revenir au writer sorti après examen heureux du collège de Fort-William, et de le suivre dans ses débuts comme assistant auprès du magistrat d’un district. Autour de lui, on ne parle que les langages natifs, et il doit bon gré mal gré finir par s’y rompre. En principe, l’action de l’assistant est fort restreinte, et ce n’est généralement qu’après deux ans de travaux actifs qu’il est investi de pouvoirs d’une certaine importance. Il faut environ sept ans de service pour arriver du poste d’assistant à celui de magistrat en pied chargé d’un district.

C’est une tâche laborieuse et compliquée que celle d’un magistrat de district[5] dans l’Inde anglaise. Le magistrat répond de tous les détails de l’administration du district qui lui est confié. Il détermine les taxes à l’aide desquelles il est pourvu à la solde de la police locale, à l’entretien des routes, des ponts et des travaux de canalisation. Les écoles, les établissements de bienfaisance, les débits de liqueurs fermentées relèvent directement de son autorité. C’est lui qui prend toutes les mesures nécessaires au maintien du bon ordre dans le district ; en cas de crime, il remplit les fonctions de magistrat instructeur. De plus, il est investi de pouvoirs judiciaires, pouvoirs peu étendus toutefois, car il ne peut infliger sans appel qu’une peine maximum de deux mois de prison pour vol et de quinze jours pour violences.

À côté du magistrat se place le collecteur. Les premiers devoirs de ce fonctionnaire sont de percevoir les impôts publics et de tenir les comptes du gouvernement ; mais il ne remplit pas ces fonctions en simple receveur de taxe, et, comme agent et représentant du souverain du sol, il possède des pouvoirs très-étendus. Les registres de son office contiennent un compte exact et détaillé de toutes les propriétés du district, et toute mutation doit y être inscrite sous peine de nullité de vente. Lorsque les

impôts d’un propriétaire ne sont pas acquittés en temps opportun, le collecteur doit s’enquérir des causes de ce retard, et peut accorder un délai ou condamner le débiteur à l’emprisonnement. Il faut toutefois un ordre de l’autorité supérieure pour que les propriétés de ce dernier puissent être mises en vente. Le collecteur administre les biens fonciers du gouvernement, accorde les exemptions d’impôts, les concessions de terre. Les biens des mineurs, des absents, des inhabiles à gérer, sont confiés à ses soins, et il se trouve ainsi en contact intime et journalier avec les personnes et les intérêts des natifs. Certains pouvoirs judiciaires rentrent aussi dans ses attributions : il décide dans les querelles entre les propriétaires et les fermiers, mais il peut être fait appel de ses jugements devant l’autorité judiciaire. Lors du passage des troupes, c’est encore le collecteur qui veille au soin de leur approvisionnement. Enfin, au chef-lieu de chaque collectorat, sous la surveillance spéciale de cet officier, se trouve une caisse publique contenant le plus souvent des valeurs considérables qui doivent acquitter les dépenses de diverses branches du service public. L’on peut donc dire que tous les intérêts financiers du gouvernement viennent se résumer dans le collecteur, et que toute matière de recette ou de dépense est soumise à son contrôle[6].

Au-dessus du collecteur, la hiérarchie anglo-indienne place le juge. C’est après dix-huit ou vingt ans de service, c’est-à-dire de trente-huit à quarante ans d’âge, que l’officier civil de la compagnie est appelé à ces hautes et difficiles fonctions. On n’imagine guère quels obstacles le juge indien rencontre dans l’accomplissement de sa mission protectrice. Ce fut en 1772 que Warren Hastings reçut de la cour des directeurs l’ordre de préparer, en se conformant, autant que possible, aux usages établis, un projet de constitution gouvernementale et judiciaire pour l’Inde. Ces documents servirent de base à la charte octroyée par le parlement à la compagnie en 1773. Sous les empereurs de Dehli, les prescriptions du Coran ne composaient pas exclusivement la législation en vigueur dans le vaste empire de l’Inde. Dans les cas criminels, les Fouzdary[7] servaient de guide au juge ; dans les affaires civiles où l’une des parties était mahométane, l’on appliquait la loi du Coran, mais si aucun vrai croyant n’était engagé dans l’affaire en litige, le juge appliquait généralement dans sa sentence les prescriptions de la loi hindoue. Le traité de cession signé entre les Anglais et le descendant de Timour ne contenant aucune stipulation en faveur du

maintien de la suprématie mahométane, le parlement crut faire à la fois acte de bonne politique et de justice en rétablissant l’égalité devant la loi civile parmi la population native du domaine indien. Il fut donc admis que les Anglais seraient soumis à la loi anglaise. Quant aux natifs, dans les cas où les deux parties appartiendraient à la même religion, on décida que l’affaire serait jugée conformément à la loi de cette croyance, mais si les deux parties professaient des cultes différents, il fut résolu que la sentence serait portée suivant les termes de la loi de la partie défendante. Les difficultés de ce système de législation mixte se révélèrent bientôt ; des affaires se présentèrent où un juge imbu des idées libérales de la civilisation européenne ne put sans rougir appliquer une loi qui, comme la loi hindoue, est inspirée du plus violent esprit de fanatisme religieux. Une autre difficulté capitale que rencontrèrent les législateurs anglais chargés de compléter l’édifice légal de l’Inde, ce fut la question de savoir quelle loi serait appliquée à la population nombreuse et flottante des juifs, Parsis et Arméniens. Aux premiers jours de la conquête, leurs différends étaient jugés tantôt conformément aux prescriptions de la loi anglaise, tantôt conformément aux termes de la loi hindoue ou de la loi mahométane, souvent même enfin d’après les termes de la loi des parties engagées. De là un chaos judiciaire auquel il fut porté remède tout récemment par un décret qui ordonne d’appliquer dans le domaine de l’Inde la loi anglaise aux cas civils où les ayants cause n’appartiennent ni à la religion hindoue, ni à la religion musulmane. Ce fut en 1793 que lord Cornwallis réunit en code les diverses ordonnances (regulations) promulguées jusqu’à lui, et ce code, complété au jour le jour, forme aujourd’hui la législation criminelle en vigueur dans l’empire de l’Inde. Il faut remarquer toutefois que le gouvernement de la compagnie s’est trouvé à plusieurs reprises en face de crimes extraordinaires, tels que le thuggisme, le suttce, les dacoïts, et que dans l’intérêt de la chose publique, il a dû souvent s’écarter des formes judiciaires consacrées et avoir recours à des moyens sommaires. Encore aujourd’hui l’administration de l’Inde compte des magistrats spéciaux chargés de poursuivre et d’extirper l’abominable secte des thugs. Le code criminel de l’Inde ne saurait être taxé de sévérité, et n’est, à vrai dire, qu’un mélange des lois natives et des lois anglaises, mélange où les premières ont perdu toute leur cruauté primitive. Il punit le meurtre de la peine capitale ou de la transportation. Le dacoït, le faux, le parjure, le crime de la fabrication de fausse monnaie, entraînent au maximum la peine de seize ans de prison. La peine de la marque au front, empruntée des lois natives, fut conservée dans le code anglo-indien, jusqu’en 1832, époque où elle en fut rayée par lord William Bentinck. Les punitions corporelles, si elles sont encore tolérées dans le domaine de la compagnie, ne sauraient être appliquées que par exception et presque exclusivement dans les cas où il est désirable de soustraire un condamné trop jeune à la contagion de la geôle.

On voit quelles vastes connaissances un juge indien doit posséder pour être à la hauteur de sa mission. Ce n’est pas assez pour lui d’être maître de la loi hindoue et de la loi musulmane, d’avoir étudié à fond la législation anglaise et le code de la compagnie : il faut encore qu’il soit assez versé dans les idiomes indigènes pour pouvoir, sans l’aide d’un interprète, diriger des débats souvent très-compliqués. De plus, le juge de l’Inde n’est pas entouré comme le juge d’Europe, d’un barreau loyal et éclairé ; le plus souvent les parties sont représentées par des agents ignorants et corrompus qui ne peuvent ou ne veulent, dans bien des cas, exposer en termes clairs l’affaire en litige. Enfin, dernière et plus grave de toutes les difficultés qui hérissent la carrière du juge indien, les habitudes de mensonge des natifs ne lui permettent d’accepter les dépositions des témoins qu’avec la plus grande réserve. L’axiome que toute déposition doit être à priori supposée vraie est surtout faux dans l’Inde, et la seule règle de conduite que puisse s’imposer celui qui préside aux débats, c’est que les faits ne mentent pas. Les dimensions que le faux et le parjure atteignent dans l’Inde dépassent toute conception, et jusqu’ici malheureusement il faut reconnaître que les mesures prises par le gouvernement pour porter remède à ce déplorable état de choses n’ont pas produit grand résultat. Les formes ambiguës et métaphoriques des idiomes natifs, les relations de parent à parent, de maître à domestique, tout semble conspirer à faire du mensonge la loi commune de l’Inde. Une fausse déposition n’entraîne aucun déshonneur pour le parjure dans cette société corrompue ; soutenir un mensonge de son serment en plein tribunal est un service mutuel que l’on se rend à charge de revanche entre parents, entre amis, un acte de déférence qu’un maître exige de son serviteur, sans que suborneurs ou subornés attachent la moindre idée de honte à ces transactions coupables.

Un petit fait très-authentique donnera une idée assez exacte des habitudes de mensonge de la race indienne et de la difficile position du juge. Il y a quelques années, un riche fermier du doab du Gange fut accusé d’avoir tué un Indien dans une rixe : vingt-cinq témoins vinrent affirmer en plein tribunal qu’ils avaient vu l’accusé porter le coup mortel ; trente autres établirent un alibi, en attestant sous serment qu’ils l’avaient vu à un village éloigné de vingt-cinq milles à l’instant où le meurtre fut commis. Il n’y a là jusqu’ici qu’un fait qui se reproduit chaque jour dans les tribunaux de l’Inde ; mais le plus piquant de l’affaire, c’est que des deux parts il y avait parjure et mensonge. Le fermier n’avait pas commis le meurtre, il ne se trouvait pas, lors de sa perpétration, dans un autre village, mais était, comme il fut prouvé d’une manière irrécusable, dans sa cabane, à quelques pas du théâtre du crime.

Les fraudes ne sont pas au reste moins usitées dans les affaires civiles, et malheureusement, il faut le dire, la moralité des Européens qui résident dans l’Inde ne résiste pas toujours à l’influence corruptrice du milieu pestilentiel où ils vivent. Un planteur d’indigo, homme bien élevé et de bonnes manières, vivait à la station dans les meilleurs termes avec le magistrat et le juge de son district, laissant à un intendant ou gomashah le soin de conduire les affaires d’une factorerie où il ne séjournait pas. Des plaintes contre les abus d’autorité auxquels se livrait le planteur furent portées à plusieurs reprises au magistrat ; mais ce dernier, bien convaincu des instincts de droiture de son voisin, n’y accorda d’abord aucune attention. Ces plaintes devinrent cependant si fréquentes et furent accompagnées de circonstances si positives, que l’homme de la loi résolut d’éclairer sa conscience par une sévère investigation. Il s’agissait d’un champ de riz que le planteur avait, disait-on, fait labourer pour y semer de l’indigo, et le darogah, chef de la police native, confirmait le fait de son témoignage. Le magistrat vint planter sa tente sur le théâtre du délit présumé, et somma le planteur de se rendre auprès de lui pour s’expliquer sur sa conduite. Celui-ci répondit sans délai à l’appel légal, et, exprimant au magistrat son regret qu’il eût pu prêter l’oreille à de pareilles calomnies, le supplia de consulter les personnes désintéressées dans la question, les natifs, par exemple, qui se trouvaient à cet instant dans les champs. Les travailleurs à portée furent aussitôt amenés devant le magistrat, et déclarèrent devant lui que le planteur était un maître cruel, mais que jamais, à leur connaissance, le champ indiqué n’avait été ensemencé en riz par le plaignant. Faut-il ajouter que les natifs qui avaient déposé dans l’affaire avaient été apostés à l’avance par le planteur et payés par lui, comme il s’en vanta, une fois l’affaire terminée, pour témoigner en sa faveur ?

On comprend facilement tout ce que des habitudes de mensonge aussi enracinées doivent opposer d’obstacles à la mission du juge, et qu’en présence d’un pareil état de choses, un magistrat du tribunal supérieur de Calcutta ait même pu dire avec raison « qu’il ne ratifiait jamais une sentence capitale, parce qu’une fois l’homme mort, il n’y a pas moyen de revenir sur une condamnation injuste. »

On compte dans le Bengale deux juges environ pour trois districts. Dans la présidence de Bombay, où la hiérarchie judiciaire forme une division distincte de l’administration, chaque juge est assisté d’un ou de plusieurs officiers européens du service civil proprement dit ; mais il n’en est pas ainsi dans les autres présidences, où le juge n’a sous ses ordres que des employés natifs. Le juge prononce sur les affaires civiles plutôt en révision qu’en première instance, tous les procès qui lui sont soumis ayant été presque sans exception vidés devant les juges natifs du district. En matière criminelle, la juridiction du juge comprend tous les crimes qui lui sont dénoncés par le magistrat et la révision des sentences prononcées par ce dernier fonctionnaire. Il peut être fait appel, pendant trois mois, des décisions du juge du district à la cour supérieure native (Sudder Adawlut), instituée au chef-lieu de chaque présidence, cour composée de quatre magistrats, les fonctionnaires les plus élevés de la hiérarchie judiciaire anglo-indienne.

Le magistrat, le collecteur et le juge forment les rouages principaux de l’administration de la compagnie Cette vaste machine gouvernementale emploie en outre divers moteurs qu’il faut mentionner : tels sont les départements des douanes, du sel, de l’opium, services spéciaux dans lesquels les employés poursuivent leur carrière. Enfin, au sommet de l’échelle administrative, se trouvent dans chaque présidence les secrétaires des finances, du revenu, des affaires étrangères, sortes de ministres responsables ; les membres des board of revenue, control, finances ; les membres du conseil de chaque présidence ; enfin les secrétaires du gouvernement de l’Inde et les membre du conseil suprême qui résident à Calcutta, chef-lieu du gouvernement.

Ainsi organisé, le service civil de l’Inde se compose de 808 employés ; 484 sont attachés à la présidence du Bengale et à la sous-présidence des provinces nord-ouest ; 189 relèvent du gouvernement de Madras, 138 de celui de Bombay[8].

Il ne faut pas une longue étude de l’histoire coloniale de l’Angleterre pour arriver à cette conclusion, que l’Inde est la seule de toutes les colonies britanniques qui ait réellement prospéré pendant les cinquante dernières années. Aux Indes occidentales, la belle colonie de la Jamaïque descend, comme prospérité commerciale, au niveau de Haïti ; l’établissement du Cap, avec ses éternelles guerres contre les Cafres, engloutit sans profit, même sans résultat pacifique, les trésors de la métropole. Dans l’Inde, au contraire, règne une paix intérieure profonde, et son histoire extérieure n’est qu’une longue série de victoires et de conquêtes. Il est facile d’expliquer ce fait, dont les hommes qui ont administré depuis les premières années du siècle les colonies de la couronne ne sauraient s’enorgueillir. Tandis que dans les bureaux du ministère des colonies les bienfaiteurs des nègres, les réformateurs et les philanthropes couvaient tranquillement leur petit février colonial, la cour des directeurs demeurait un gouvernement fort et obéi, et restait fidèle, malgré les obstacles, aux bonnes vieilles traditions de despotisme colonial, en dehors desquelles il n’est que ruine et anarchie. Aussi, de tous les personnages contemporains qui ont été exposés aux attaques de la presse anglaise, il n’en est point qu’on ait plus conspué, plus honni, plus vilipendé, plus chargé de crimes de toute sorte que Old John Company, pour désigner sous son nom de guerre l’honorable compagnie des Indes. En ce moment, nous avons sous les yeux un petit pamphlet, véritable modèle du genre thunderer, dont nous prendrons la liberté de citer le titre : Tyranny in lndia !  !… Englishman robbed of the blessing of trial by jury and English criminal Law !  ! Christianity-insulted !  ! Le tout, y compris les six points d’admiration, publié cà Londres en 1850, par un auteur qui a modestement gardé l’anonyme.

L’administration indienne, il faut bien le reconnaître, a partagé, malgré ses services, l’impopularité de ses chefs. Le courant des idées démocratiques, si puissant en Angleterre, ne pouvait en effet épargner un service spécial, magnifiquement rétribué, et recruté presque par hérédité dans les mêmes familles. De plus, certains petits faits, insignifiants en eux-mêmes, mais dont en somme il faut tenir compte, ont servi à attiser les passions populaires contre le service civil de l’Inde. On peut citer notamment les iniquités scandaleuses qui furent la base de quelques fortunes faites aux premiers jours de la conquête, et les allures excen triques de certains Anglo-Indiens revenus en Angleterre aux trois quarts nababisés. Après une trentaine d’années passées au milieu de districts sauvages, sans contact aucun avec la société européenne, dans l’exercice d’un pouvoir absolu, le membre du service civil, rentré dans sa patrie vieux et infirme, ne pouvait dépouiller des airs de dignité officielle, des instincts d’autorité suprême, devenus pour lui une seconde nature. Sous le malade retiré aux bains de Cheltenham ou l’habitant d’un modeste cottage des environs de Londres se retrouvait toujours le don Magnifico des bords heureux du Gange, le tout-puissant Howdab, esqre, agent diplomatique près le nabab de Hattirabad, ou le non moins tout-puissant Currie, esqre, collecteur du district de Mourgiepore. Ainsi le roman, ce reflet souvent exact des idées et des passions populaires, n’a-t-il jamais représenté l’officier retraité du service civil anglo-indien que sous les espèces d’un squelette artistement revêtu de parchemin, au visage de safran, quinteux, hargneux, maniaque, se nourrissant de toute sorte de mets impossibles, — ici avec un foie gigantesque, là sans foie du tout, — et si les auteurs ont rendu ce disgracieux personnage bon à quelque chose, cela n’a jamais été qu’à doter une nièce vertueuse ou à payer les dettes d’un coquin de neveu. Voici pour le mâle. Quant à la femelle, prenez une tranche d’arc-en-ciel que vous décorez convenablement de bracelets de chrysocale, de plumes multicolores, d’agréments de fil d’argent et de verroterie ; soumettez le tout à un régime de quatre repas par jour, assaisonnés en intermèdes de verres de sherry et de pâtés aux huîtres, et vous avez décrit au physique et au moral, suivant la formule du roman anglais, la femme anglo-indienne, la begum, si on peut emprunter cette expression au langage des clubs de Regent-Street. Nous ne contesterons pas la valeur des caractères de nababs et de nababesses du bon vieux temps, tels que Thackeray et mistress Gore les ont représentés ; nous sommes même très-porté à croire qu’ils ont été pris sur nature ; mais ce que nous croyons pouvoir affirmer, c’est que le système de communications fréquentes et rapides qui relie aujourd’hui l’Inde et l’Europe a complètement modifié le genre de vie, les idées, les plans d’avenir des Anglo-Indiens, les Anglo-Indiens eux-mêmes.

Autrefois les officiers de la compagnie, en très-grande majorité, acceptaient l’Inde comme une seconde patrie où ils devaient finir leurs jours ; l’existence dans l’Inde était magnifique, et, malgré leurs gros traitements, presque tous les employés civils se trouvaient profondément endettés. Les grandes villes de l’Inde, telle est la tradition du moins, pouvaient lutter, pour les agréments sociaux, le luxe et les plaisirs, avec les capitales européennes. Aujourd’hui tout cela est changé, grâce à la facilité des communications avec l’Europe, qui entretient chez l’Anglo-Indien l’esprit de famille, l’idée du retour. L’Inde n’est plus qu’une terre d’exil au delà de laquelle tout employé aperçoit l’Europe, les délices d’un bon climat, les charmes de la vie civilisée ; chacun pense à économiser assez d’argent pour pouvoir au moins passer en Europe le temps de son furlough ; enfin il faut avoir vécu à Calcutta pour savoir combien la vie dans une grande et riche communauté anglaise peut être monotone et ennuyeuse.

Ce nouvel état de choses est-il entièrement favorable à l’efficience des services civils et militaires de l’Inde ? Nous ne le croirions pas, s’il devait tendre à priver l’administration et l’armée du concours d’hommes d’expérience, versés dans les langages et les habitudes des populations natives. Heureusement pour la compagnie des Indes, les traitements des employés civils, quelque magnifiques qu’ils soient, ne le sont pas assez pour permettre au plus grand nombre de quitter le service au temps réglementaire. Si les dépenses de la table, des chevaux et du jeu ont considérablement diminué dans l’existence anglo-indienne, il en est d’autres qui ont augmenté dans la même proportion. Au sortir du collége de Fort-William, la première pensée de l’assistant-magistrat est de prendre femme, et les dépenses de la famille, les voyages de la jeune épouse, qui préfère, et cela avec toute raison, le séjour de l’Angleterre à celui de l’Inde, les frais de l’éducation des enfants, tiennent et au delà, sur le livre de dépense du civilian, la place qu’occupaient autrefois les vins de luxe, les courses et le whist. Gros traitements de l’Inde, motifs de tant d’attaques et d’envie, vous donnez sans doute, sur le pied où toutes les nécessités de la vie européenne sont montées en ces pays, vous donnez le moyen de pourvoir honorablement aux dépenses d’une famille, mais vous ne donnez rien au delà. Ce sont pourtant par de rudes et incessants labeurs que l’on vous achète, et si tous ceux qui se récrient contre la riche dotation du service civil pouvaient voir de près la vie d’exil sous un climat délétère, avec ses ennuis profonds, ils envieraient sans doute un peu moins le sort de ceux qui portent ces chaînes pesantes et dorées. Nous n’entendons point nous faire l’apologiste à toute épreuve du service civil de l’honorable compagnie des Indes. Que son éducation soit perfectible, nous n’en doutons pas ; que quelques-uns de ses membres aient donné de tristes exemples de corruption et d’incapacité, que d’autres affectent des airs extravagants de Grand Mogol, on l’admettra sans peine. Nous disons seulement qu’en moyenne comme corps, par son intégrité, ses lumières, son expérience, il est à la hauteur de sa mission ; que jamais magistrats plus intègres, collecteurs plus désintéressés, juges plus indépendants, n’ont veillé sur le sort des populations natives ; qu’en un mot la très-grande majorité du service civil représente dignement dans l’Inde une des nations qui marchent en tête de la civilisation européenne.

Le rôle important que le service civil a joué dans l’histoire de l’Inde ne saurait échapper à l’attention la plus superficielle. Si depuis cinquante ans la race indienne a supporté la domination étrangère sans révolte, presque sans murmure, il faut l’attribuer à la sagesse des règlements primitifs qui ont organisé l’administration anglo-indienne en un corps spécial, exclusif, dans lequel la loi absolue de l’avancement à l’ancienneté donne des gages certains que le sort des populations ne peut être confié qu’à des officiers parfaitement au courant de leurs préjugés, de leurs habitudes. Là est le secret des succès merveilleux du gouvernement de la compagnie, là est l’écueil où viendra sans doute échouer la fortune anglaise dans l’Inde. Nous ne croyons pas que des baïonnettes européennes soient jamais appelées à arracher ce beau domaine au sceptre de l’Angleterre : un tel drame militaire, s’il doit se jouer un jour, ce dont Dieu garde le monde, aurait d’ailleurs pour théâtre Londres ou l’Égypte ; mais nous croyons sincèrement que des mesures d’amélioration, de réforme, l’esprit du mieux, ennemi du bien, sont destinés à faire dans les Indes orientales ce qui a déjà été fait et si victorieusement aux Antilles. Or, à notre avis, ce jour sera peu distant de celui où le service civil de l’Inde cessera d’être un corps spécial, et où les ministres de la couronne pourront recruter parmi les ambitions déçues de la métropole les officiers de la justice, de l’administration et des finances des trois présidences.

En dehors du service civil proprement dit (covenanted civil service), on rencontre trois catégories d’employés, — les officiers de l’armée pourvus d’emplois civils, — le service civil auxiliaire, subdivisé en uncovenanted civil service et native agency, — enfin la police.

Les règles d’avancement à l’ancienneté, exclusivement en vigueur dans l’armée de l’Inde, ne laissent au gouvernement d’autre moyen de récompenser un officier bien méritant que de l’appeler à un emploi civil qui double souvent et au delà sa paye militaire, sans priver cet officier de ses chances d’avancement dans l’armée[9]. Avant ces derniers temps, les officiers de l’armée étaient nommés aux emplois civils suivant le bon plaisir du gouverneur général. Le marquis de Dalhousie a fait revivre un vieux règlement fort sage en vertu duquel les militaires ne peuvent être revêtus des fonctions administratives ou diplomatiques qu’après avoir été soumis à des examens sur les idiomes du pays, mesure favorable surtout aux officiers de l’armée de la reine, qui jusqu’ici avaient été tenus en dehors de cette branche fort enviée du service indien. L’avancement de l’officier dans la ligne administrative suit un cours à peu près régulier* Ainsi certains emplois sont affectés à des capitaines, d’autres à des majors, d’autres enfin à des colonels. On ne saurait dire cependant que la loi de l’avancement à l’ancienneté soit exclusivement observée, et l’avancement dépend à la fois de l’habileté, des services du fonctionnaire militaire et de l’influence des patrons qui s’intéressent à sa promotion.

Le service civil auxiliaire comprend, avons-nous dit, deux classes distinctes : le service civil auxiliaire proprement dit (uncovenanted civil service) et le service civil natif (native agency). Le premier est composé d’Européens venus dans l’Inde pour y chercher fortune et ayant acquis une certaine connaissance des langues et des mœurs du pays ; il admet aussi des individus nés dans l’Inde de parents européens, mais tous ses membres professent le christianisme. Le deuxième, recruté parmi les populations indigènes, est de beaucoup plus nombreux. Appelé à jouer un rôle important dans l’administration du pays, il mérite qu’on en parle avec quelque détail.

La fortune du service civil natif a vu des phases bien diverses depuis l’arrivée des Anglais dans l’Inde, et ses jours de grandeur ont été suivis de bien près par des jours de décadence. Même plusieurs années après que l’empereur de Dehli eût cédé par traité à la compagnie des Indes le territoire des trois soubahs, Bengale, Behar et Orissa, l’administration resta organisée comme elle l’était sous les ministres du nabab. Soit crainte d’irriter les populations par des changements violents, soit ignorance de l’état de la contrée, de ses ressources et de ses besoins, le gouvernement de la compagnie ne fit acte d’intervention que dans la perception des impôts, et des fonctionnaires natifs continuèrent à vendre la justice et à pressurer les populations sans que ses agents, occupés du soin de leurs propres affaires, accordassent quelque attention aux violences administratives qui se multipliaient autour d’eux. Aux premiers jours, la conquête anglaise n’apporta donc pas aux populations natives le bienfait d’un gouvernement juste et éclairé, et ne fit que continuer les traditions du despotisme brutal sous lequel elles avaient gémi pendant des siècles ; mais les vices de ce système, qui ne donnait ni ordre au pays, ni revenu certain à la compagnie, étaient trop apparents pour échapper longtemps à l’attention de la cour des directeurs, et on résolut bientôt de confier exclusivement à des officiers européens l’administration des conquêtes indiennes. Warren Hastings fut le premier des gouverneurs généraux qui entra résolûment dans cette voie nouvelle et appela des Européens à des postes administratifs de haut pouvoir et de grande responsabilité. La modicité des salaires alloués par la compagnie à ses agents était toutefois telle que ce fut là une des difficultés principales de son administration. « Qui serait satisfait, écrivait-il en 1765, d’un salaire de 4 ou 5,000 roupies à Calcutta, lorsqu’en vivant dans l’intérieur on peut réaliser facilement chaque année un, deux et même trois lacs de roupies, comme plusieurs personnes l’on fait à ma connaissance ? » Après Waren Hastings, ses successeurs continuèrent pendant vingt ans les mesures d’épuration que lord Cornwallis compléta en constituant le service civil dans des proportions qu’il a presque intégralement conservées depuis, et en excluant les natifs de tout emploi considérable, soit par l’importance de ses attributions, soit même par le chiffre de ses émoluments. Le traitement le plus élevé auquel les natifs purent atteindre sous le nouvel ordre de choses fut fixé à 100 roupies par mois.

L’on tombait sans doute ainsi dans l’excès opposé ; mais pour apprécier sainement ces mesures radicales, il faut se rendre compte de toutes les difficultés auxquelles était en proie à ses débuts le gouvernement de la compagnie, qui, entouré de princes ennemis, ne pouvait compter ni sur la probité, ni sur le dévouement de ses propres serviteurs natifs. En confiant toutes les branches du pouvoir à des Européens élevés à son service, soumis à son seul contrôle, la cour des directeurs ne faisait que subir la loi d’une implacable nécessité. Il est plus que probable en effet que si les choses fussent restées comme elles étaient aux jours qui suivirent la conquête, n’eût-on pas eu recours au moyen extrême de l’exclusion des natifs de tout emploi important, les premières années de ce siècle eussent été témoins de la fin de la domination anglaise dans l’Inde. Il y a toutefois dans le fait d’un pays gouverné par une poignée d’étrangers à l’exclusion des indigènes quelque chose de si anormal, un abus de la force si apparent, que dès 1792 les natifs avaient trouvé des défenseurs qui faisaient valoir dans le parlement leurs droits naturels à prendre part active dans l’administration des trois présidences. Cependant les périls de la situation, la fragilité des bases sur lesquelles’ reposait l’empire de l’Inde étaient trop connus des autorités suprêmes pour qu’elles pussent se laisser aller à une mesure, juste sans doute, mais pleine de dangers. On attendit sagement, pour faire entrer une part importante de l’élément natif dans l’administration de l’Inde, que le temps eût affermi l’édifice de la conquête. Ce progrès ne s’accomplit que lentement et peu à peu, suivant les exigences du service. En 1792, les munsiffs ou juges natifs n’étaient appelés à juger que les affaires civiles dans lesquelles il ne s’agissait pas d’une somme de plus de 50 roupies. Les limites de la compétence des sudders ameen (munsiffs de 1re classe) furent étendues successivement aux affaires de 100, de 500 roupies, et enfin en 1827 une décision du gouvernement suprême soumit à leur juridiction les affaires d’une valeur de 1,000 roupies. Cette extension de pouvoirs accordée aux officiers indigènes de justice ne fut pas, il est vrai, suivie d’un accroissement proportionnel de leurs émoluments, qui demeurèrent dans les limites étroites que lord Cornwallis leur avait imposées. Il y avait là sans doute une injustice criante, un acte de parcimonie indigne d’un gouvernement éclairé : comment pouvait-on espérer que le juge natif ne succombât point aux tentations qui l’entouraient de toutes parts, lorsque son salaire était à peine suffisant pour le mettre au-dessus du besoin ? Il était réservé à lord William Bentinck, à l’administration duquel se rattachent tant de réformes utiles, de mettre un terme à cet état de choses ; en 1831, il promulgua une série de mesures ayant pour but d’associer les natifs à l’administration du pays et de mettre leurs émoluments sur un pied suffisant. La juridiction des munsiffs fut étendue, et leur traitement élevé ; on créa le poste de principal sudder ameen, qui fut revêtu de toutes les attributions accordées précédemment au juge du service civil. Le poste de deputy collector fut institué en faveur des officiers natifs des finances. Enfin, dans presque toutes les branches du service, les salaires et les pouvoirs des employés indigènes furent considérablement augmentés. Depuis lors jusqu’à nos jours, cette politique libérale a été suivie par tous les gouverneurs généraux sans déviation. Les exigences du service, les intérêts du budget de l’Inde, ont sans doute contribué à faire entrer l’élément natif en plus large proportion dans l’administration anglo-indienne, mais il serait injuste de nier que le désir de propager l’éducation dans la population indigène n’ait encouragé le gouvernement à prendre ces mesures empreintes d’un sage esprit de progrès. La question de l’éducation des natifs est en effet, il faut le reconnaître, une de celles dont le gouvernement anglais s’est occupé avec le plus d’ardeur depuis vingt ans, et en faveur de laquelle il a fait les plus grands sacrifices. Or, cette éducation que le natif reçoit de l’étranger, loin d’être un bienfait, n’est-elle pas un outrage de plus, si au sortir du collège il ne voit s’ouvrir devant lui aucune carrière où il puisse utiliser ses études ? La question de l’éducation des natifs et celle de leur admission dans les fonctions publiques se trouvent étroitement liées l’une à l’autre. Tandis que les collèges doivent préparer au gouvernement des agents honnêtes et habiles, l’espoir d’assurer à leurs enfants des positions avantageuses au service de l’État doit engager, surtout dans une société où il n’est d’autre rang que le rang officiel, bon nombre de parents à confier leurs enfants dès leur jeunesse aux écoles publiques. Cette intime corrélation n’échappa point à la pénétration de lord Hardinge, et en 1844, dans un document remarquable par la profondeur des vues, il émit l’idée de n’admettre dans les fonctions publiques que les jeunes gens élevés dans les collèges et de n’appeler même aux emplois les plus infimes que les hommes ayant reçu une certaine éducation. Pour arriver à ce but, on institua à Calcutta et dans les provinces des comités qui devaient chaque année examiner les candidats, sortis tous des institutions publiques, et choisir parmi eux les recrues de l’administration anglo-indienne. Les résultats que l’on pouvait espérer de ce nouvel état de choses n’ont point été réalisés : soit que le programme des examens ait été mal formulé, soit par tout autre motif, le nombre des candidats n’a jamais répondu aux besoins du service, et les règlements rédigés sous l’influence de lord Hardinge sont presque dès leur naissance tombés en désuétude. On ne saurait contester toutefois ce qu’ils ont d’avantageux et d’équitable, et il faudra vraisemblablement y revenir un jour dans l’intérêt du gouvernement lui-même.

Pour donner une idée exacte des fonctions publiques attribuées aux natifs sous le gouvernement de la compagnie, et dont les titulaires doivent posséder des connaissances libérales, il suffira d’indiquer le nombre des employés indigènes supérieurs admis à servir dans les départements de la justice, de Fintérieur et des finances pour le Bengale, les provinces nord-ouest et le Punjab. Le chiffre total de ces fonctionnaires est de 1,850[10] ; les plus importants parmi eux tiennent leur brevet du gouvernement suprême. Les munsiffs sont nommés par les juges de la cour d’appel de la présidence à laquelle ils appartiennent ; mais avant d’être appelés aux fonctions judiciaires, ils doivent avoir reçu un certificat de capacité qui leur est délivré après examen par des juges compétents. Les theseeldars, les employés des douanes, du sel, de l’opium, reçoivent leur nomination des chefs de ces divers services, qui sont responsables des actes de leurs subordonnés, et peuvent, en cas d’incapacité ou de mauvaise conduite, les démettre de leurs fonctions. Les règlements qui prescrivaient de n’admettre dans les emplois publics que des natifs élevés dans les collèges, éprouvés par un examen, sont tombés en désuétude, comme nous l’avons dit, aussitôt après avoir été promulgués. En l’absence d’épreuves préliminaires, les fonctionnaires sont choisis aujourd’hui parmi les familles qui ont été attachées depuis longues années à la fortune de l’Angleterre dans l’Inde, familles qui appartiennent presque toutes à la religion mahométane, car les musulmans se rapprochent beaucoup plus que les Hindous des Européens par leurs idées et leurs manières. On rencontre toutefois aujourd’hui des Hindous appartenant aux castes des marchands et des écrivains, gens fort intelligents, très-aptes aux affaires, et qui seront appelés bientôt sans doute aux plus hauts grades de l’administration native.

Les officiers natifs dont il vient d’être question composent l’état-major de l’armée administrative, mais il est dans ses rangs une multitude de soldats dont il nous reste à parler. Nous ne saurions donner une meilleure idée de la position de ces serviteurs infimes de l’État qu’en énumérant sommairement le personnel des bureaux d’un magistrat, ainsi que celui des bureaux d’un collecteur, personnel à peu près uniforme dans tout le domaine indien. En effet, même dans les présidences où un seul officier remplit les doubles fonctions de magistrat et de collecteur, les deux départements demeurent entièrement séparés. Les bureaux d’un magistrat de district se composent d’un chef de bureau (sheristadar) qui a sous sa direction les commis et répond de la bonne tenue des registres, d’un shérif (nazir) qui garde les accusés, et fait exécuter les sentences rendues, d’un greffier qui conserve les documents judiciaires. Viennent ensuite dix ou douze commis qui prennent les dépositions des témoins, tiennent la correspondance, et une vingtaine de garçons de bureau (chuprasses), chargés de faire la police des audiences, de porter les messages du magistrat, etc. Les bureaux du collectorat sont à peu près organisés sur le même pied[11]; ils comptent de plus un département spécial, avec une demidouzaine de commis qui tiennent les comptes du trésor public en anglais. C’est au reste en cette langue que le magistrat et le collecteur correspondent avec l’autorité supérieure. À ce personnel administratif il faut joindre celui des sous-agences du revenu, disséminées dans le pays, et dont il se trouve douze ou quinze par district, un nombre considérable d’employés attachés aux départements spéciaux de la police, du sel, de l’opium, des douanes, si bien que l’on peut représenter par les chiffres suivants les diverses classes d’employés qui appartiennent au service public dans le Bengale, les provinces nord-ouest, les provinces d’Assam, de Tennasserim.


Employés du service civil 
 405
Officiers de l’armée pourvus d’emplois civils, service civil auxiliaire 
 1,543
Employés natifs hindous et musulmans 
 45,538[12]


Il nous reste, pour donner un résumé à peu près exact de la machine gouvernementale anglo-indienne, à dire quelques mots de l’organisation de la police dans les domaines de la compagnie : administration incom-

plète, impuissante, vicieuse, qui, de l’avis de tous les hommes compétents, est la honte du gouvernement comme la plaie du pays, et demande les plus radicales réformes.

Il se commet dans le Bengale, en moyenne annuelle, soixante mille attentats contre les personnes ou les propriétés ; mais la terreur qu’inspire la police est telle qu’une grande partie des crimes restent inconnus de l’autorité. En effet, les natifs s’abstiennent souvent et (faut-il le dire ?) avec raison de poursuivre celui qui les a volés ou maltraités, uniquement pour échapper aux dangers du contact avec la police, même comme partie plaignante.

Montrer quelle est l’organisation de la police dans le Bengale, ce sera préciser l’état de cette administration dans l’Inde entière : les trente-deux districts de la présidence sont divisés en 469 thanahs, tous dirigés par un darogah, officier supérieur. Chaque thanah varie en étendue de 100 à 800 milles carrés, et renferme une population moyenne de 80,000 âmes. Le darogah a sous ses ordres deux officiers et une quinzaine d’agents inférieurs, burkundazes) qu’il faut distinguer des chonkeedars de village, employés d’une sorte de police irrégulière dont nous aurons à parler plus loin. Les darogahs sont divisés en trois classes, qui reçoivent 50, 75 et 100 roupies par mois. Les officiers subalternes de police touchent un salaire de 7 roupies, et les burkundazes

4 roupies seulement. Les employés de la police n’appartiennent pas tous à une même caste ou à une même croyance, ils sont pris indifféremment dans les rangs de la population chrétienne, musulmane ou hindoue.

À la première nouvelle d’un crime, il est du devoir du darogah de se rendre au lieu désigné, de recevoir les dépositions de la partie plaignante et des témoins, et de diriger vers le magistrat du district les documents de son enquête et la personne de l’accusé. L’imagination la plus noire ne saurait rêver les révoltantes iniquités qui accompagnent ces premiers procédés judiciaires : le parjure pratiqué dans des proportions heureusement inconnues en dehors de cette terre classique du mensonge ; l’accusé sur lequel pèsent les plus fortes charges relâché le plus souvent lorsqu’il peut satisfaire la cupidité du darogah et de ses subordonnés ; maisons livrées au pillage ; innocents soumis sciemment à de véritables tortures qui doivent leur arracher des aveux, enfin des hommes amenés, à prix d’argent, à s’accuser d’un crime qu’ils n’ont pas commis, et qui entraîne la peine capitale ! Un pareil tableau semble dépasser de beaucoup les limites du vraisemblable ; ce n’est toutefois qu’une reproduction affaiblie de ce qui se passe presque journellement dans l’Inde. Nous prendrons la liberté de citer un exemple à l’appui de nos observations, exemple que nous n’emprunterons pas aux légendes hindoues, comme on pourrait le croire, mais bien aux annales du Sudder Adawlut du Bengale, à la rumeur publique, car il est connu de tous.

Un darogah avait donné avis d’un crime au magistrat du district, en ajoutant que les plus actives recherches n’avaient pu le mettre sur les traces de l’auteur du forfait. Le magistrat, qui soupçonnait la probité de son subordonné, lui annonça que si dans dix jours les auteurs du crime n’étaient pas découverts, il serait suspendu de ses fonctions. Aucun résultat n’ayant été obtenu au terme du délai, la menace fut mise à exécution, et le darogah remplacé temporairement par un officier inférieur dont le magistrat stimula le zèle en lui promettant la place du darogah destitué, au cas où il découvrirait les coupables. Le nouveau fonctionnaire ne fut pas plus heureux que son prédécesseur ; mais plutôt que de renoncer à la place promise à son ambition, il fit offrir une récompense de 100 roupies à quiconque voudrait s’avouer coupable du meurtre en question. Deux êtres à apparence humaine, en vérité nous ne pouvons pas dire deux hommes, se présentèrent pour accepter les conditions de ce marché, dont, vu la concurrence, la prime fut réduite de moitié. Immédiatement l’officier de police inventa une histoire en harmonie avec les dépositions des témoins ; les deux individus firent leurs aveux devant les habitants les plus considérables du village, et les procès-verbaux de l’enquête et les accusés furent dirigés vers le magistrat, qui en récompense appela sans délai son délégué infidèle aux fonctions du darogah destitué. Comme il avait été convenu dans les conditions du marché que les accusés renouvelleraient leurs aveux en présence du magistrat, ils racontèrent fidèlement de nouveau devant ce dernier les détails du crime imaginaire ; puis, croyant alors avoir rempli honnêtement tous les termes du contrat, ils ne comparurent devant le juge du district que pour nier leurs aveux précédents, et affirmer qu’ils n’avaient fait autre chose que d’apposer leur signature à des papiers écrits par les principaux du village et dont ils ne connaissaient pas le contenu, ignorance que de nombreux témoins pouvaient affirmer. Ces témoins, dont ils avaient sans doute d’avance payé le concours, furent appelés aux assises ; mais soit qu’ils eussent été achetés à un prix supérieur par le darogah, soit qu’ils fussent intimidés, ils confirmèrent purement et simplement les faits de l’enquête, ajoutant qu’ils avaient entendu l’aveu du crime sortir de la bouche des accusés. Une condamnation capitale termina le procès. Ce fut seulement alors que les condamnés avouèrent leur transaction avec le darogah, et purent, heureusement pour eux, donner la preuve qu’au moment du meurtre ils étaient renfermés dans la prison du district.

Ce ne sont pas là, nous le répétons, des histoires faites à plaisir ; quiconque a vécu dans l’Inde les reconnaîtra pour exactes ; quiconque réfléchira qu’au Bengale le prix courant d’un faux témoignage est d’un ana (17 centimes), comprendra facilement que, ne fût-il pas vrai, notre récit est au moins très-vraisemblable. Voici du reste les opinions qu’un Hindou dont le nom est arrivé jusqu’en Europe, et qui se distinguait parmi ses compatriotes par ses lumières, ses idées libérales, son goût pour toutes les choses de la civilisation européenne ; voici, disons-nous, les opinions que Dwarkanauth Tagore exprimait, il y a plus de dix ans, au sujet de la police anglo-indienne devant le comité d’enquête de Londres ; ces opinions, il les exprimerait sans doute encore aujourd’hui : « Je pense que du darogah au péon le plus infime tout rétablissement de la police est gangréné, et que l’on ne saurait obtenir justice dans un seul cas sans acheter à prix d’argent la protection de ses officiers. Lorsqu’un magistrat prend une affaire des mains du darogah, la partie même qui a le bon droit de son côté doit payer le bon vouloir de cet agent, et comme les deux adversaires s’efforcent par des présents d’obtenir sa protection, il arrive le plus souvent que les conclusions du rapport donnent gain de cause à celui qui a déboursé les plus grosses sommes sans tenir nul compte des intérêts de la justice. Si un officier inférieur de la police est envoyé dans un village pour faire une enquête, l’intendant du zémindar lève immédiatement une taxe à son profit sur les habitants, et cette coutume est établie de si longue date, qu’elle s’exerce comme un droit, sans provoquer les moindres réclamations. Le darogah et ses agents, lancés à la poursuite des auteurs d’un dacoït (crime de vol à main armée), saisissent au hasard innocents et coupables dans les villages qu’ils parcourent, et souvent relâchent les individus les plus compromis lorsqu’ils peuvent payer une rançon suffisante. » À la question suivante qui lui fut posée : « Les résidents européens de l’Inde ont-ils recours pour protéger leurs intérêts en litige à ces moyens frauduleux ? » — Dwarkanauth Tagore répondit franchement : « Oui, je suis obligé d’avoir recours à ces moyens frauduleux, et les résidents européens de l’Inde doivent faire comme moi. »

Le colonel Sleeman, qui a dirigé avec tant de succès les mesures destinées à extirper l’abominable secte des thugs, parle en ces termes de la police anglo-indienne[13] : « Lorsque des officiers de police ne peuvent découvrir l’auteur d’un crime, ils n’hésitent pas à arrêter des innocents, et ils leur arrachent des aveux par de véritables tortures. Ont-ils été gagnés par les coupables, et veulent-ils qu’un crime reste inconnu de l’autorité supérieure, ils imposent silence par des menaces aux parties plaignantes, et, chose extraordinaire, tant est grande la terreur qu’inspire la police ! ces menées criminelles trouvent sur le lieu même de l’attentat des complices tout disposés à les favoriser. C’est en effet une chose ruineuse pour les pauvres natifs que d’être appelés à venir porter témoignage à la station du district, souvent fort éloignée de leur village. Aussi a-t-on vu souvent des parties plaignantes contraintes par leurs voisins à acheter d’un officier de police la faveur de retirer la plainte qu’elles avaient déposée entre ses mains. »

Ces jugements portés sur la police indienne par deux hommes auxquels personne ne saurait contester une profonde connaissance des choses de l’Inde s’appliquent à la police placée sous le contrôle direct du gouvernement. Il est toutefois dans les domaines de l’honorable compagnie un autre établissement de police emprunté aux traditions des gouvernements natifs, établissement plus vicieux encore que celui dont on a dû tracer un si déplorable tableau.

Sous les empereurs de Dehli, les zémindars ou grands propriétaires exerçaient une autorité absolue dans leurs domaines. Pour percevoir les rentes et les impôts de la terre, maintenir l’ordre, attaquer leurs voisins ou se défendre contre eux, ces sortes de seigneurs féodaux entretenaient des bandes de coupe-jarrets dans lesquels ils trouvaient des instrumeets aveugles de tyrannie, et qui, le plus souvent mal payés par leurs maîtres, vivaient à discrétion aux dépens des populations natives. Aux premiers jours de la conquête anglaise, on modifia cet état de choses, et les zémindars furent rendus responsables des crimes et attentats commis dans leurs domaines, mesure préventive dont le côté vicieux ne tarda pas à se révéler. L’on encourageait ainsi en effet les zémindars à donner asile à des bandes de voleurs qui, respectant les territoires de leurs patrons, où ils trouvaient un sûr asile, allaient ravager les districts voisins et revenaient partager avec eux les produits de leurs rapines. Il fallut donc revenir sur ces dispositions légales et faire rentrer les zémindars sous la loi commune, en les rendant responsables seulement des crimes auxquels ils auraient participé. Les modifications apportées par le nouveau système dans les pouvoirs attribués aux zémindars furent plus apparentes que réelles ; les agents de la police native (chowkeedars), nommés désormais par les habitants de chaque village, et par conséquent sous l’influence du zémindar, restèrent de fait les âmes damnées de ce dernier et les complices obéissants de toutes ses iniquités.

L’intérêt de l’avenir, ce respect immuable des traditions qui caractérise à un si haut degré la race indienne, contribuent également à conserver aux zémindars du jour présent, chez les hommes de la police irrégulière, le même dévouement aveugle que les zémindars des siècles passés trouvaient dans leurs ancêtres. Le personnel de cette branche parasite de l’administration anglo-indienne est trente fois plus nombreux que celui de la police régulière ; il se trouve beaucoup plus que cette dernière en contact direct, immédiat, avec les populations. C’est le plus souvent par son intermédiaire que l’autorité supérieure est instruite des outrages faits aux lois. En un mot, on peut sans exagération résumer l’état actuel des choses en disant que la police entière de l’Inde est entre les mains des grands propriétaires. Qu’un attentat soit commis, ce sont les hommes de la police irrégulière, ces véritables agents du zémindar, qui en donnent avis aux représentants de l’autorité, et le peu qui a été dit de la lèpre morale dont la race indienne est couverte doit faire comprendre que, dans ces dénonciations premières, la cause des haines et des vengeances du maître est servie avec bien plus de zèle que la cause de la justice et de la vérité. Les agents inférieurs n’hésitent pas en effet à diriger les soupçons de la police régulière sur quiconque a encouru le déplaisir du despote au petit pied dont ils mangent le sel, si l’on peut emprunter ici la métaphore orientale consacrée. Il suit de là que l’établissement de la police régulière, vicieux comme il l’est dans tous ses rouages, doit, pour arriver en matière criminelle à la connaissance de la vérité, non-seulement combattre les ruses et les mensonges des coupables, mais encore les ruses et les mensonges d’un établissement nombreux et rival qui fonctionne à ses côtés. Voici au reste en quels termes M. Halliday, l’un des membres les plus éminents de la hiérarchie anglo-indienne, appréciait les services du corps de la police auxiliaire : « Cette force de 170,000 hommes, levée en vertu d’une coutume impérissable aussi longtemps que le nom de chowkeedar de village existera, se recrute parmi les classes les plus viles, les plus méprisées de la population. Les chowkeedars de village coûtent légalement aux populations 60 lacs par an, sans compter ce qu’ils s’attribuent par des moyens frauduleux, et ne sont cependant soumis à aucun autre contrôle que celui d’une communauté de village faible et ignorante, dont ils sont tantôt les tyrans, tantôt les esclaves. Voleurs par esprit de caste, par habitude, par relations, ces agents, indépendants d’un système régulier de police, sont sans organisation hiérarchique, dépravés par instinct, en un mot pires qu’inutiles. »


Dans les diverses opinions que nous venons d’émettre, nous nous sommes efforcé de dépouiller tout esprit de parti, tout esprit même de nationalité. Notre histoire est assez riche en grandes pages pour qu’un homme qui s’honore du titre de Français puisse rendre justice à ce merveilleux édifice que l’habileté des hommes d’État de l’Angleterre et la bravoure de ses soldats ont élevé dans l’est. Des sentiments privés ont sans doute à réclamer une part d’influence dans la faveur que nous avons témoignée à ces institutions protectrices qui semblent devoir assurer un long avenir à la puissance anglaise dans l’Inde. Ainsi des sympathies bien naturelles pour une nation dont nous avons foulé le sol pendant de longues années, dans les rangs de laquelle nous comptons de sincères amitiés, et encore mieux peut-être la triste expérience des dangers qu’appellent sur les nations ces réformateurs à jet continu qui les conduisent au bord de l’abîme quand ils ne les y précipitent pas, — ces considérations expliquent assez pourquoi nous ne nous sommes pas mis à la remorque des grandes phrases consacrées, sonores et creuses, que les réformateurs ou soi-disant inscrivent à grand fracas sur leurs drapeaux, et qui au mieux ne signifient rien, entre autres celle-ci : « L’Inde doit être gouvernée par l’Inde et pour l’Inde, et non pas par l’Angleterre et pour l’Angleterre. » Ami sincère d’un progrès libéral et intelligent, si dans la question indienne nous devions prendre une devise, nous choisirions plutôt ces nobles paroles, prononcées par l’illustre marquis de Wellesley aux premières années du siècle : « L’Inde doit être gouvernée d’un palais avec ie sceptre d’un homme d’État, et non pas d’un comptoir avec une aune de marchand. »

L’importance du domaine de l’Inde pour l’Angleterre ne saurait échapper à la plus superficielle étude des sources et de agents de la fortune britannique. Si l’Angleterre a échappé aux crises révolutionnaires qui ont bouleversé depuis cent ans les divers États de l’Europe, c’est sans contredit parce qu’elle a pu verser dans ses domaines de l’Est cette classe vraiment dangereuse des sociétés modernes, les hommes d’éducation qui, écrasés par la trop grande concurrence des professions libérales, ne peuvent se faire en Europe leur part de soleil. Aussi, devant cette question si vitale pour l’Angleterre : assurer l’avenir des cadets de famille, to provide for the younger sons, nous nous sentons inhabiles à prendre en main la cause des natifs, à réclamer en leur faveur ces droits naturels dont la domination étrangère les dépouille, à conseiller en un mot le suicide à nos voisins d’outremer, en les engageant à mettre en pratique la devise de l’Inde gouvernée par l’Inde et pour l’Inde. Il y a sans aoute dans ce fait d’une population exclue systématiquement de tous les hauts emplois de l’administration, d’une armée commandée exclusivement par des étrangers, un état de choses anormal, un abus de la force, une injustice réelle ; mais il y a au-dessus de tout cela l’intérêt du salut public, une question de vie ou de mort pour l’Angleterre : to be or not to be ! L’injustice est d’ailleurs plus apparente que réelle : sauf des exceptions infinitésimales, il faut le reconnaître, on ne saurait rencontrer des natifs capables de remplir dignement de hauts emplois. Eussent-ils même l’énergie, les pouvoirs intellectuels nécessaires, ils seraient dépourvus de cet amour de la vérité, de ce culte du devoir, de cet instinct du point d’honneur, aussi nécessaires au magistrat qu’à l’officier. Ce sont là sentiments inconnus à la race indienne ; quiconque a la moindre expérience de ses mœurs l’avouera sans hésiter. En présence de ces faits, comment donc conseiller à l’Angleterre d’ouvrir les hauts grades de son armée ou les rangs du service civil aux hommes de l’Inde ?

Il est d’autres faits encore que l’on ne saurait passer sous silence. Les événements des vingt dernières années, années pleines d’épreuves, de succès mêlés de revers, ont donné une juste idée de la fragilité des bases sur lesquelles repose la puissance anglaise dans l’Inde. Pendant les désastres de Caboul, les campagnes incertaines du Punjab, on a pu facilement se convaincre que les sympathies populaires de l’Inde étaient avec les Afghans et les Sicks, et non pas du côté des Anglais. C’est en vain que la conquête anglaise a tiré l’Inde de l’abîme des guerres civiles et des révolutions, que sous son influence la fortune publique a augmenté dans des proportions prodigieuses ; tous les bienfaits d’un gouvernement régulier : la liberté individuelle, la sécurité parfaite de la propriété, les grands travaux publics qui sillonnent aujourd’hui le pays, n’ont inspiré aux populations ni affection ni reconnaissance. Pour elles, l’Anglais a été, il est et sera toujours le maître, sinon l’ennemi ;

En pesant mûrement ces diverses et toutes puissantes considérations, on est amené à juger moins sévèrement les mesures d’exclusion qui ferment aux natifs les hauts grades de l’armée et de l’administration, et on en vient à conclure que des raisons spécieuses d’humanité et de justice ne doivent pas conduire au suicide la compagnie des Indes et l’Angleterre avec elle. Mais ce que l’honorable compagnie doit à son honneur, au rang élevé qu’elle occupera dans l’histoire moderne, c’est de donner aux peuples qui subissent ses lois une police honnête, une justice sérieuse, dont les arrêts puissent braver l’examen le plus rigoureux. Le sombre tableau que nous avons dû tracer, sur documents authentiques, de ces deux branches de l’administration anglo-indienne prouve assez fout ce qu’il y a de progrès à faire dans cette voie. N’est-ce pas là une mille et unième consécration de l’éternelle histoire de la paille et de la poutre, que de voir le peuple qui se fait avec tant d’ardeur le champion des opprimés, qui a eu tant de meetings pour la Hongrie ou la Pologne, tant de speeches contre sa majesté L’empereur d’Autriche ou le tsar de toutes les Russies, rester muet devant les iniquités qui se commettent journellement dans l’Inde, et qui ont pour complices, complices involontaires sans doute, des magistrats anglais ? Il ne s’agit pas ici de ces larrons politiques qui empruntent le masque de la liberté et du patriotisme pour arriver à la fortune et au pouvoir ; mais de l’abus le plus odieux de l’autorité dans des cas vulgaires, qui n’intéressent en rien la sûreté de l’État ; d’aveux arrachés au milieu des tortures, d’innocents gémissant dans les cachots, de familles injustement flétries ; de cette justice élémentaire et sacré que le fort doit au faible, le gouvernant au gouverné. Nous savons que le remède au déplorable état de choses que nous avons dû constater n’est pas aisé à découvrir. Nous avons pu juger par nous-même combien il y avait d’illusions dans l’espérance que la propagation des lumières de l’Europe et de la foi chrétienne rectifierait le sens moral des populations indiennes. Sans doute il serait facile d’améliorer la situation en donnant au gouvernement de l’Inde, par une augmentation considérable du personnel européen, les moyens de surveiller d’une manière plus active et plus efficace les actes de la police indigène. L’administration indienne compte dans ses rangs des hommes éminents ; espérons qu’ils sauront pourvoir à ces difficultés pratiques. Nous avons seulement voulu indiquer le champ d’abus qu’une nation libérale comme l’Angleterre ne saurait laisser subsister plus longtemps sans forfaire à son honneur, et que, dans son intérêt bien compris, dans l’intérêt de la justice, de l’humanité, de tout ce qu’il y a de sacré en ce monde, elle doit labourer jusqu’à ce que le dernier brin d’ivraie ait passé sous le soc de la réforme.


  1. Les provinces désignées sous le nom de non regulation provinces sont celles de Tennasserim, d’Arracan, le Punjab, Satara, et les acquisitions récemment faites dans le royaume d’Ava. Voici la liste des pensions servies par le gouvernement suprême aux descendants des dynasties qu’il a dépossédées.
    Pensions annuelles.
    Le roi de Dehli 
     150,000 liv. st.
    Nabab du Bengale 
     160,000 liv. st.
    Famille du nabab de Bengale 
     90,000 liv. st.
    Nabab du Carnatic 
     116,540 liv. st.
    Famille du nabab du Carnatic 
     90,000 liv. st.
    Rajah de Tingore 
     118,350 liv. st.
    Rajah de Bénarès 
     143,000 liv. st.
    Famille de Tippo-Sahib 
     63,954 liv. st.
    Rajah de Malabar 
     25,000 liv. st.
    Bajeo-Rao, ex-peishwah 
     80,000 liv. st.
    Famille de l’ex-peishwah 
     135,000 liv. st.
    Autres pensions 
     314,440 liv. st.
     
    _____________
                                                                                         Total 
     1,486,284 liv. st.

    (Voir à l’appendice le tableau des États natifs indépendants du gouvernement de la Compagnie.)

  2. Un lac de roupies vaut 100,000 roupies, ou 250,000 francs.
  3. Les examens doivent être passés par écrit dans les diverses branches du programme, et comptent pour les proportions suivantes dans le chiffre total : littérature anglaise, composition, 500 ; histoire, 500 ; littérature générale, 500 ; grec, 750 ; latin, 750 ; français, 375 ; italien, 375 ; allemand ; 375 ; allemand, 375 ; mathématiques, 1,000 ; sciences naturelles, 500 ; sciences morales, 500 ; sanscrit, 375 ; arabe, 375 : total 6873.
  4. Les études du premier cours portent sur les six premiers livres de géométrie, le grec et le latin, et les éléments du sanscrit, cette tête de Méduse des langues. Celles du deuxième comprennent l’algèbre, l’économie politique, le persan et le sanscrit. Dans le troisième, on aborde la statique, la dynamique, l’histoire, principalement l’histoire de l’Inde depuis la période des brahmes jusqu’aux conquêtes de Warren Hastings ; les études de sanscrit et de persan sont continuées, et enfin les élèves commencent à étudier l’hindostani, celle de toutes les langues orientales qui doit leur être le plus utile. Le quatrième cours n’est guère qu’une continuation du troisième ; seulement l’étude de l’astronomie remplace celle de la dynamique et de la statique.
  5. L’on peut tracer le tableau suivant des moyennes de population, étendue, revenu, d’un district dans le domaine de l’honorable compagnie des Indes :
    PRÉSIDENCE.
                                       
    TERRITOIRE D’UN DISTRICT.
    mille carrés.
    POPULATION. REVENU FONCIER.
    liv. st.
    Bengale 
      
    3,200 1,000,0000 103,000
    Provinces N.-O. 
      
    2,300 730,000 130,000
    Madras 
      
    6,500 800,000 765,000
    Bombay 
      
    4,200 600,000 760,000

    Ces chiffres établissent clairement l’importance des devoirs que les employés civils de la compagnie ont à remplir comme magistrats et collecteurs de district.

  6. Dans les provinces nord-ouest, dans les présidences de Madras et de Bombay, un seul et même officier est investi de la double fonction de magistrat et de collecteur. Il n’en est pas ainsi dans le Bengale, où ces fonctions sont divisées ; mais on comprend facilement que dans l’un et dans l’autre cas un seul homme ne puisse suffire à des devoirs aussi multiples. Dans le Bengale, chaque magistrat de district après de lui un assistant du service civil, et dans les présidences où Un seul et même officier réunit les pouvoirs de collecteur et de magistrat ce fonctionnaire a sous ses ordres un deputy magistrale et collecter plus un assistant, tous deux du service civil.
  7. Code criminel établi sous les empereurs de Dehli.
  8. Nous donnerons une idée assez exacte des conditions de l’avancement dans l’administration anglo-indienne en reproduisant la moyenne des années de service pour les officiers des divers grades de la hiérarchie : 25 ans pour les secrétaires du gouvernement suprême, 23 ans pour les secrétaires du gouvernement du Bengale ou d’Agra, 34 ans pour les juges de la cour suprême (Sudder Adawlut) de Calcutta, 26 ans pour les juges de la cour suprême d’Agra, 30 ans pour les membres des board of finances revenue, de 57 à 23 ans pour les juges, de 26 à 18 ans pour les collecteurs, de 7 à 19 ans pour les magistrats. L’avancement suit à peu près la même loi dans les présidences de Haïras et de Bombay. Voici d’ailleurs la magnifique liste civile répartie entre les employés civils de l’honorable compagnie des Indes (en estimant la roupie à 2 shellings) : gouverneur général, 25,000 liv. st. ; gouverneurs de Madras et de Bombay 10,000 liv. st. ; lieutenants-gouverneurs du Bengale et des provinces nord-ouest 8,400 liv. st. ; membres du conseil suprême de l’Inde, 8,000 liv st. ; membres des conseils de Madras et de Bombay 6,200 liv st. Pour les autres grands dignitaires de la hiérarchie indienne la cour des directeurs a fixé un salaire maximum de 5,200 liv. st., salaire qui est touché par les secrétaires du gouvernement suprême, quelques membres des boards et certains agents diplomatiques. Les juges des cours d’appel de Calcutta et d’Agra reçoivent 4,200 liv. st. ainsi que certains agent politiques de second ordre ; les commissioners, 3,500 liv. st. ; les juges, 3,000 liv. st. ; les magistrats et collecteurs (provinces nord-ouest), 2,700 liv. st. ; les collecteurs (Bengale), 2,300 liv. st. ; les magistrats (Bengale), 1,080 liv. st. ; les joints magistrats et deputy collectors (provinces nord-ouest), de 840 à 1,200 liv. st. ; assistants magistrats, 480 liv. st. Les salaires sont un peu moindres dans les présidences de Bombay et de Madras, ou les appointements du juge sont fixés à 2,800 liv. st., ainsi que ceux du magistrat et collector. Après vingt-cinq ans de service, dont trois ans de congé (furlough), les officiers du service civil peuvent se retirer avec une pension de 1,000 liv. st. Cette pension est toutefois soumise aux conditions suivantes ; une retenue de quatre pour cent sur les salaires avec la condition additionnelle que le total de ces retenues avec les intérêts composes doit, au moment où la retraite est prise, représenter une annuité de 500 liv. st., et qu’en cas de déficit l’employé doit compléter cette somme de ses deniers privés. L’autre moitié de la pension est fournie par la compagnie ; mais comme son trésor bénéficie des retenues faites sur les appointements des employés décédés en activité de service, et des retenues faites sur les appointements de ceux qui restent dans l’administration après avoir complété l’annuité réglementaire, l’on peut dire que la pension de retraite servie par la compagnie à ses officiers civils n’excède pas 400 liv. st.

    Il existe aussi un fonds particulier administré par les membres du service civil et qui reçoit une subvention assez considérable de la compagnie. Les souscripteurs à ce fonds assurent moyennant une retenue sur leurs appointements une pension viagère de 300 liv. st. à leurs veuves et une pension de 100 liv. st. à chacun de leurs enfants, savoir : aux fils jusqu’à vingt et un ans, et aux filles jusqu’à l’époque de leur mariage.

    Les membres du service civil ont droit chaque année, sans perte de salaire, à un congé d’un mois. Pendant les congés de santé ne dépassant pas deux ans, ces congés étant passés dans certaines limites géographiques, savoir le Cap de Bonne-Espérance, l’Australie, l’Égypte, les employés ne perdent qu’environ le tiers de Jeursolde. Comme il a été dit plus haut, le membre du service civil a droit à un congé de trois ans (furlough) mais par une disposition récente il ne peut plus profiter de cet avantage sans échanger aussi ses magnifiques appointements indiens contre un maigre traitement de disponibilité de 500 liv. st. Les règlements qui obligeaient les employés civils à passer leurs congés dans certains limites géographiques et qui subsistent encore aujourd’hui, règlements faits aux premiers jours de l’organisation indienne, alors que les communications avec l’Europe étaient rares et lentes, sont sans but aujourd’hui qu’un voyageur peut arriver de Londres dans l’Inde dans un plus bref délai qu’il ne saurait le faire du Cap ou de Sidney ; aussi ont-ils subi de nombreuses et graves modifications dans la charte de 1853 ; il faut ajouter toutefois que ces modifications, qui ont excite des réclamations universelles parmi les intéressés, sont soumises en ce moment à révision.

  9. Le nombre d’emplois ainsi remplis, emplois qui relèvent du gouvernement suprême, est d’environ 200, savoir : officiers employés sous le gouvernement suprême au département de la guerre, 20 ; emplois diplomatiques, 80 ; emplois civils dans les provinces de Tennasserim, Arracan, Punjab (non régulation provinces), 100.
  10. Département de la justice. — Juges auxiliaires, principal sudder ameen, sudder ameen, munsiffs 
     600
    Département de l’intérieur. — Assistants magistrate, assistants collecteurs, etc. 
     250
    Département des finances. — Officiers du revenu (theseeldars
     800
    Département du sel, des douanes, de l’opium 
     200
    _____
                                                                                                        Total 
     1,850

    Ces diverses fonctions sont ainsi rétribuées :

    Juges auxiliaires, principal sudder ameen, sudder ameen, munsifs 
     de 120 à 1,200 liv. st. par an.
    Assistants magistrats, assistants collecteurs 
     de 300 à 1.8001.______
    Officiers du revenu (theseeldars
     de 100 à 1.3001.______
    Employés des départements du sel, de l’opium, des douanes____ 
     de 100 à 1,2001.______
  11. Les choses de l’Inde sont si peu connues en Europe, que l’on nous excusera sans doute de passer ici rapidement en revue le personnel des bureaux d’un collecteur. Ces bureaux sont au nombre de sept. Les deux premiers forment une sorte de secrétariat ; le troisième est celui du trésor ; le quatrième exécute les ordres judiciaires ; le cinquième dirige les affaires de peu d’importance qui ne demandent qu’une décision sommaire du collecteur ; le sixième garde les archives ; le septième est le bureau anglais. Or dans le premier bureau nous trouvons sept employés : le chef (sheristadar), à 50 roupies par mois ; le secrétaire ou lecteur (meer-moonshee), à 40 r. ; deux gardiens de papiers, à 20 et 15 r. ; trois assistants, à 10 r. Dans le second bureau figure un teneur de comptes (head muhureer), recevant 19 r. par mois ; deux assistants du teneur de comptes, à 15 r. ; un employé chargé de préparer les warrants, à 10 r. ; un gardien du registre des propriétés (towjee noris), à 19 r. ; deux assistants du towjee noris, à 10 r. ; un employé chargé de garder les correspondances,’à 17 r. Le bureau du trésor compte un chef de la comptabilité à 68 r. par mois, un gardien du registre des reçus, à 8 r., un assistant de ce gardien, à 6 r. ; un employé pour la tenu des comptes du timbre et des papiers de la compagnie, à 8 r. ; un autre qui enregistre les billets de banque, à 8 r. ; deux employés qui examinent les roupies et reçoivent chacun 7 r. par mois. Le bureau d’exécution des ordres judiciaires se compose d’un nazir (shérif) à 10 r. par mois, et de son assistant, à 7 r. ; le bureau des petites affaires, d’un directeur à 40 r. et de deux assistants à 10 r. Les archives comptent deux gardiens, à 30 r. ; deux premiers assistants, à 10 r. ; deux sous-assistants, à 7 r. 1/2. Dans le bureau anglais, nous trouvons un chef de bureau à 62 r. ; un commis pour la tenue des comptes, à 41 r. ; un commis pour l’enregistrement des lettres, à 35 r. ; un commis assistant à 30 r. et deux copistes à 20 r.
  12. Quelques chiffres compléteront ces détails, en faisant connaître le nombre des employés natifs en 1849 et le taux des traitements répartis entre eux à cette époque. Depuis l’année où on les a recueillis, ces chiffres ont peu varié. L’administration indienne comptait alors dans ses rangs 24,118 employés, touchant par mois de 2 à 4 roupies, 11,417 de 4 à 8, — 3,504 de 8 à 12, — 1,767 de 12 à 16, — 618 de 20 à 25, — 613 de 25 à 30, — 572 de 31 à 40,-722 de 41 à 50, — 153 de 51 à 60, — 86 de 61 à 70, — 177 de 71 à 80, — 20 de 81 à 90, — 357 de 91 à 100, — 37 de 104 à 125, — 98 de 130 à 150, — 22 de 156 à 200, — 13 de 260 à 300, — 39 de 310 à 350, — 32 à 400, — 11 à 450 — 1 à 500, — 9 à 600, — 1 à 750, — 1 à 1,200.
  13. Dans son ouvrage intitulé : Rambles and Recollections.