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Les Animaux historiques/9

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PARTICULARITÉS HISTORIQUES

Le rôle historique du cheval, dit M. Paulin Teulières, est vraiment digne d’envie. Consacré au dieu Mars, il fut chez les anciens le symbole de la guerre, mais il eut en même temps le droit exclusif de conduire le char du soleil, et l’honneur de prendre rang parmi les constellations. Dans les jeux olympiques il était le gage de la victoire. Après Alexandre, il devint l’emblème des rois de Macédoine, et plus tard celui de Carthage. Les Germains avaient une sorte de vénération pour lui ; son image était frappée sur les monnaies gauloises ; les Francs lui conservèrent tant d’estime, qu’il partageait toujours les honneurs funèbres de celui dont il avait partagé les dangers, et le vestige de cette coutume se retrouve encore aujourd’hui dans la présence officielle du cheval de parade au riche convoi d’un homme de guerre. Le cheval fut adopté par le blason comme hiéroglyphe de la valeur. Autrefois, jamais un gentilhomme n’allait à la guerre sans son coursier, une noble châtelaine ne se montrait en public que sur un palefroi, et les magistrats eux-mêmes chevauchaient pour se rendre au parlement. De toutes les redevances dues par le vassal au suzerain, le cheval était une des premières.

La queue du cheval est l’étendard de guerre chez les Turcs et les Chinois. Elle est chez les Turcs une marque de dignité ; il y a des pachas à une, à deux et à trois queues. Le grand vizir en a cinq, le sultan en fait porter sept devant lui.

Celui qui le premier apprit aux hommes à monter sur des chevaux est Bellérophon ; celui qui enseigna la manière de les harnacher est Pélétronius. Les Phrygiens furent, assure-t-on, les premiers qui attelèrent deux chevaux à un char, et Erichthonius sut y en atteler quatre. La reine Anne, épouse de Richard II, roi d’Angleterre, passe pour avoir introduit la manière de monter à cheval adoptée aujourd’hui généralement par les femmes, qui précédemment montaient comme les hommes.

Pline rapporte, au témoignage de plusieurs historiens, que la cavalerie entière des Sybarites, si fameux par leur mollesse, se mouvait en mesure et exécutait une sorte de danse au son des instruments. Cette invention leur devint funeste ; car les Crotoniates, avec qui ils étaient en guerre, ayant appris tous les airs sur lesquels ils dressaient leurs chevaux, les jouèrent au moment du combat, alors ces animaux, au lieu d’exécuter les manœuvres des cavaliers sybarites, se mirent à danser et furent cause de la défaite de leurs maîtres.

Dans les anecdotes sur l’empire chinois on lit la suivante : « Lorsque en 724 le rebelle Ngan-lo-Chan pilla le palais du souverain de la Chine, il trouva dans les écuries cent chevaux dressés à danser devant l’empereur. Ngan-lo-Chan voulut qu’ils montrassent devant lui leur habileté ; mais ces animaux, par un instinct sans doute bien admirable, ne le reconnurent point pour maître, refusèrent de danser à ses yeux, et préférèrent se laisser tous tuer. »

Dans un fameux carrousel que donna Louis XIII, un de ses écuyers, Pluvinel, fit exécuter un ballet de chevaux.

Tous ces faits sans doute sont fort étonnants ; mais ils sont loin d’être incroyables, lorsqu’on a vu les prodiges opérés par les chevaux de Franconi. Qui n’a été témoin, au Cirque-Olympique, de l’intelligence de ces animaux, auxquels il ne manque réellement que la parole. Non seulement ils dansent, ils valsent, font des tours de force et d’adresse, mais ils jouent la comédie dans des scènes telles que celles du tailleur, de la chasse, du paysan des Alpes, etc. Mais si les frères Franconi étaient d’habiles écuyers, il est juste de dire que leur étoile a pâli ensuite devant une gloire nouvelle : M. Baucher, que l’on a proclamé avec raison le premier écuyer du monde.

Au rapport de Pausanias, une cavale nommée Aura reçut les honneurs d’un monument pour avoir remporté seule la victoire, Philotas son maître, étant tombé au commencement de la course.

Nous serions volontiers tentés de ranger les détails qui suivent au rang des fables, s’ils n’étaient attestés par Aulu-Gelle, dans ses Nuits Attiques, et par Gabius Bassus, dans ses commentaires. Ce dernier auteur prétend même avoir vu à Argos le cheval dont il s’agit. Ce cheval s’appelait le cheval Seïen. Ce nom lui serait venu de son premier maître Seïus ; il était, selon la renommée commune, de la race de ces fameux coursiers de Diomède, qu’Alcide, après avoir tué ce roi barbare, avait amenés de l’Argide. L’animal, qui réunissait d’ailleurs au plus haut degré les qualités qu’on prise dans son espèce, était d’une taille extraordinaire et de couleur de pourpre. Il avait la tête haute, le crin jaune et très fourni ; mais par une fatalité attachée à sa possession, il occasionnait infailliblement la mort de son maître, la ruine entière de sa maison, de sa famille et de sa fortune.

Seïus, son premier possesseur, fut condamné au dernier supplice par Marc-Antoine, un des triumvirs. Dans le même temps Cornélius Dolabella, partant pour la Syrie, et ayant entendu parler de ce cheval, passa par Argos ; sa vue lui inspira le plus vif désir de l’avoir et il l’acheta moyennant cent mille sesterces (19 395 fr). Assiégé dans une ville de Syrie, Dolabella périt victime de la guerre civile, et Cassius son ennemi, s’empara du cheval. Or, Cassius ayant été défait plus tard dans les plaines de Philippes, et voyant son armée en déroute, se fit donner la mort par un de ses affranchis. Le vainqueur de Cassius, Antoine, se fit amener le superbe coursier, et quelque temps après, Antoine, vaincu à son tour et abandonné, s’arracha la vie.

Cette liste de morts tragiques avait donné naissance à un proverbe, qu’on appliquait aux malheureux :

« Cet homme, disait-on communément, a le cheval Seïen. »

César montait un cheval remarquable dont les pieds étaient presque de forme humaine, son sabot étant fendu de manière à présenter l’apparence des doigts. Il avait élevé avec un grand soin ce cheval né dans sa maison ; car les aruspices avaient promis l’empire de la terre à son maître. César fut le premier qui le dompta. Jusque-là, il n’avait souffert aucun cavalier. Dans la suite, il lui érigea une statue devant le temple de Vénus-Génitrix.

On lit encore dans Suétone que, peu de jours avant qu’il ne fût tué au milieu du sénat, César fut informé que les chevaux qu’il avait voués aux dieux, lors du passage du Rubicon, s’abstenaient de toute nourriture, et pleuraient abondamment.

Xiphilin assure que Néron gratifiait ordinairement ses chevaux victorieux, quand ils devenaient âgés, d’une robe de palais, semblable à celles que portaient les personnages les plus considérables de Rome.

Un Athénien, appelé Soclès, avait un cheval qui aimait tellement son maître, qu’ayant été vendu, il ne voulut pas manger dès qu’il fut livré à son possesseur, et qu’il se laissa ainsi mourir de faim.

Lorsque Fernand Cortez alla à Honduras, il laissa un cheval aux habitants de Yucatan. Craignant d’abord que ce chef redouté ne leur redemandât son cheval de guerre, et que celui-ci ne vînt à mourir, ils firent une statue à son image, puis ils finirent par l’adorer lui-même, et prétendirent le nourrir comme un de leurs dieux ; ils ne lui présentaient que de la volaille et du gibier exquis, qu’ils recouvraient de bouquets de fleurs. Ils l’avaient surnommé Tzimin-Chac, le courrier du tonnerre. Le pauvre animal mourut bientôt accablé de trop d’honneurs.

Quand Turenne mourut, il avait un cheval pie (on nomme ainsi un cheval dont le poil est noir et blanc, ou un cheval de deux couleurs, dont l’une est le blanc) ; on ne l’appelait à l’armée que la Pie. Les officiers ayant perdu leur général, étaient embarrassés de la marche qu’ils devaient faire tenir à l’armée. Les soldats, s’en étant aperçus, s’écrièrent : « Qu’on mette la Pie à notre tête, qu’on la laisse aller, et nous la suivrons partout où elle ira. » Quel éloge de Turenne vaut celui-là ?

Parmi les notabilités chevalières, outre celles qui précèdent, nous citerons :

Le cheval qui, au milieu d’une grêle de traits, traversa un fleuve rapide et profond, et ramena à Rome la jeune Clélie, honteusement livrée comme Otage à Porsenna. En mémoire de ce fait, on éleva une statue équestre à la courageuse jeune fille, dans la voie sacrée ;

Le cheval de l’empereur Vérus, qu’il avait nommé l’Oiseau, et qu’il nourrissait de raisins secs et de pistaches ;

Boristhène, cheval de chasse de l’empereur Adrien, qui lui fit élever un superbe tombeau ;

Carabule, le cheval de Sélim, qui, pour le récompenser de l’avoir sauvé dans une déroute, voulut que désormais il vécût en liberté, et à sa mort lui fit élever un tombeau dans la ville du Caire ;

Babieça, le cheval du Cid ;

La haquenée blanche que, pendant plusieurs années, la ville de Naples fit présenter au pape, et qui était dressée avec tant d’art, qu’elle se mettait à genoux en arrivant auprès du Saint-Père, et semblait lui demander sa bénédiction.

Nous ne parlerons pas du fameux coursier de Don Quichotte, Rossinante, qui trotta, dit l’histoire, une seule fois dans sa vie ; mais nous enregistrerons le nom du cheval que lord Wellington montait le jour de la bataille de Waterloo, et qui fut enseveli, par l’ordre de ce duc, avec tous les honneurs militaires. Il s’appelait Copenhague.

Sous le règne de Henri II, le duc de Nemours était partout cité à cause d’un tour de force équestre qu’il avait exécuté plus d’une fois en descendant au grand galop les degrés de la Sainte-Chapelle, à Paris, sur un roussin nommé le Réal.

Le redoutable conventionnel Robespierre ne put jamais parvenir à se tenir solidement à cheval. Après un mois de leçons et d’essais malheureux dans le parc de Mousseaux, force lui fut d’y renoncer. Cette circonstance donna lieu à un fait tragi-comique assez peu connu. En 1793, le Cirque représenta pour la première fois la parade de Rognolet, le tailleur gascon, qui éprouve des tribulations si grotesques sur les chevaux. Cette farce fut dénoncée comme une allusion insultante aux mésaventures équestres de Robespierre. Le directeur fut mis en prison, et Rognolet faillit coûter la tête à M. Franconi père.

Le Cirque a longtemps eu une espèce de spécialité gouvernementale. Il était chargé de fournir des chevaux pour les princes et les souverains lors des solennités officielles. Ainsi en 1814, un cheval gris pommelé nommé Le Noble servit à l’entrée du comte d’Artois, puis à celle des ducs de Berry et d’Angoulême. Le 20 mars, il porta Napoléon, lors de son retour triomphal aux flambeaux. Après les cent jours, le même cheval ramena dans Paris les princes de la branche aînée.

Les Anglais, dont l’amour propre national est de primer dans tout, dit M. Albert Cler, dans sa Comédie à cheval, ont voulu avoir les plus beaux chevaux et être les meilleurs cavaliers de l’Europe. Pour y parvenir, aucun sacrifice ne leur a coûté. Ainsi, on raconte que Henri VII donna l’ordre un jour de tuer toutes les juments de l’Angleterre qui ne seraient pas reconnues propres à une reproduction distinguée.

Les éleveurs anglais ont naturellement eu recours au sang arabe, et un fait digne de remarque, c’est que leur plus illustre étalon de cette race leur est venu de France ; nous voulons parler du fameux Godolphin-Arabian. Ce cheval arabe se trouvait, on ne sait comment, à Paris, vers 1750, et il traînait une charrette de porteur d’eau. Un Anglais le vit par hasard et l’emmena en Angleterre, où Godolphin devint la souche d’une lignée qui fait encore aujourd’hui la gloire d’Epsom et de New-Market.