Les Assemblées du clergé en France sous l’ancienne monarchie/01

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Les Assemblées du clergé en France sous l’ancienne monarchie
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 31 (p. 754-796).
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LES
ASSEMBLEES DU CLERGE
EN FRANCE
SOUS L'ANCIENNE MONARCHIE

I.
L’ORIGINE ET LA CONSTITUTION DES ASSEMBLÉES DU CLERGÉ.

On sait qu’en France, sous l’ancien régime, le clergé formait le premier des trois ordres dont se composait la nation. Ses députés siégeaient à ce titre aux états-généraux. Quand, au XVIe siècle, ces états se réunirent, les mandataires du clergé y délibérèrent séparément, ainsi que le faisaient les députés de la noblesse et du tiers : ils formulaient leurs vœux et leurs doléances ; mais, ayant pour mission spéciale de défendre les intérêts de l’église, ils laissaient d’ordinaire aux députés des deux autres ordres le soin de pourvoir à ce qui touchait l’administration du royaume, et, tout en appartenant à la représentation nationale, ils demeuraient avant tout les représentans du corps sacerdotal. La députation ecclésiastique put dès lors avoir des destinées distinctes de celles qui étaient réservées à la représentation de la noblesse et du tiers. Tandis que les états-généraux, convoqués seulement de loin en loin sous les Valois, étaient indéfiniment ajournés après la clôture de la réunion de 1614 pour ne reparaître qu’au moment où allait sombrer la vieille monarchie, le clergé resta en possession d’assemblées représentatives chargées de statuer sur ses intérêts temporels et sur les demandes de subsides que lui faisait le roi. Cela tient à ce que cet ordre ne s’était pas contenté, depuis un demi-siècle avant les états-généraux de 1614, de la représentation intermittente et précaire qu’il obtenait dans ces diètes nationales, il avait su s’assurer pour lui-même des garanties qu’avait en vain réclamées la nation par ses députés. Le clergé eut ses assemblées à lui, assemblées périodiques et régulières qui veillaient à la défense des immunités de l’église, traitaient avec le prince presque de puissance à puissance, lui imposaient des conditions chaque fois qu’il réclamait leur assistance pécuniaire, luttaient contre les envahissemens de l’autorité royale et empêchaient celle-ci de se substituer à la leur dans la gestion des biens ecclésiastiques. Alors que le roi disait : « L’état, c’est moi, » et regardait le pays comme son patrimoine personnel, ne permettant pas aux mandataires de la nation librement choisis de contrôler ses actes, le clergé avait gardé dans ses mains l’administration de ses propres affaires et ne négligeait rien pour empêcher les magistrats et les agens du pouvoir royal de s’y immiscer, n’en sollicitant l’intervention que pour faire consacrer son autonomie. Fort du prestige qu’il devait à son caractère sacré et de la souveraineté qu’il exerçait en matière spirituelle, s’appuyant sur le saint-siège, dont les décisions faisaient souvent échec à l’omnipotence du roi, le clergé était bien autrement armé pour résister à la monarchie absolue que les deux autres ordres. Voilà pourquoi il ne tomba jamais à l’égard du prince dans cette sujétion à laquelle furent réduits, aux deux derniers siècles de l’ancien régime, le tiers et la noblesse. Le monarque dut compter avec les députés du clergé, et, s’il fit des efforts pour soumettre l’église comme il avait soumis les gentilshommes et les roturiers, il ne parvint pas cependant à lui arracher son autonomie ; il ne réussit qu’à obtenir des assemblées ecclésiastiques des concessions temporaires et à leur imposer pour la volonté royale une condescendance qui n’en réservait pas moins les droits de l’église. Le clergé jouit jusqu’en 1789 d’une indépendance fort supérieure à celle qu’avaient les seuls corps laïques qui ne s’humiliassent pas constamment devant le trône, les parlemens.

Il arriva donc qu’au sein de la grande nation, obéissant docilement aux commandemens du monarque, se forma comme une petite nation, vivant à part, libre dans ses rapports avec le pouvoir souverain, jalouse de ses privilèges, ayant sa constitution reconnue, son système représentatif particulier, son administration séparée et ses tribunaux distincts, répartissant l’impôt qu’elle avait au préalable consenti, tenant au gouvernement royal un langage que le reste de la nation n’osait plus parler. Cette petite nation, dans le silence de la grande, rappelait au monarque ses devoirs de prince très chrétien, tout en protestant envers lui d’une fidélité qui était subordonnée à sa soumission à l’église, car elle lui opposait une autorité supérieure à la sienne, celle de Dieu.

Les choses de l’ancien régime sont aujourd’hui si fort oubliées que la plupart des Français ne savent guère en quoi consistaient les assemblées du clergé. Les historiens en mentionnent quelques décisions célèbres, mais ils ne nous disent pas l’organisation de cette représentation ecclésiastique ; ils n’en ont pas relaté les vicissitudes. C’est cependant un sujet curieux que le rôle joué par ces assemblées dans les événemens du temps, l’influence qu’elles ont exercée sur la politique et l’administration de l’église gallicane. Il est intéressant de rechercher dans quelle mesure elles ont pu entretenir ou réveiller le sentiment du droit national. Telles sont les questions que je veux essayer de traiter à l’aide des documens originaux que ces assemblées nous ont laissés. J’ai compulsé les volumineux procès-verbaux de leurs séances. Le rapprochement des faits qu’on y rencontre avec les données de l’histoire générale est plein d’enseignemens. J’ajouterai qu’un tel sujet ne laisse pas d’avoir son à-propos ; à cette heure où l’on parle tant de l’esprit clérical, il est utile de mettre en lumière ce qu’on peut en appeler les monumens. La vie politique et intérieure du clergé français telle que nous la montrent les débats et les actes de ces assemblées nous instruit mieux sur l’esprit dont il était animé que des énonciations rebattues qui se sentent toujours un peu des opinions préconçues de leurs auteurs.


I

Le clergé, au moyen âge, n’était pas seulement une grande puissance dans l’ordre moral et politique, c’était encore une grande puissance terrienne. Il disposait de ressources matérielles considérables qui s’accroissaient incessamment par la libéralité des princes, les dons et les legs des fidèles, grâce aussi à une administration plus intelligente et mieux ordonnée que celle des seigneurs laïques. Une fois que le christianisme fut devenu la religion de l’empire, les empereurs affectèrent à l’église des biens dont le revenu était destiné à assurer le service de Dieu, la subsistance de ses ministres et le soulagement des pauvres ; ils dispensèrent les évêques, les prêtres et les moines de certaines taxes imposées au reste de leurs sujets ; ils consacrèrent comme un privilège la dîme que les ouailles payaient à leurs pasteurs et ils y ajoutèrent des avantages nouveaux. Cette situation à part et privilégiée, le clergé l’obtint aussi chez les peuples barbares qu’il avait convertis à l’Évangile. Sous les rois francs, l’église garda presque tous ses privilèges, et si, de temps à autre, elle eut à souffrir des exigences d’un prince, des exactions des hommes de guerre, si parfois elle se vit dépouillée, comme sous le gouvernement de Charles Martel, d’une partie de ses biens livrés aux officiers et aux soldats de ce maire du palais, elle n’en jouit pas moins sous la première race et le commencement de la seconde d’une foule d’immunités qui défendaient son patrimoine contre la convoitise des hommes puissans et les envahissemens fiscaux des représentans de l’autorité royale. Sans doute le clergé supporta une part des charges contributives imposées à la nation, mais ce fut presque toujours dans une proportion moindre que les sujets laïques, plus ménagé qu’il était par le pouvoir suzerain, qui redoutait ses anathèmes et subissait le joug de sa supériorité intellectuelle.

L’établissement du système féodal fut pour le clergé une nouvelle cause d’accroissement de richesse. La souveraineté s’étant confondue avec la propriété, les prélats, les abbés, les doyens des chapitres, les prévôts ou curés même devinrent des seigneurs temporels. Une foule de droits nouveaux, des services de différens genres, qui étaient nés de l’obligation féodale, augmentèrent la valeur de ses biens et en grossirent les revenus. Si, comme seigneurs terriens, les hommes d’église se virent plus exposés à des violences et à des dommages résultant des guerres incessantes que se faisaient les barons, ils acquirent en revanche une autorité politique et des ressources matérielles qui tournèrent tout à l’avantage de leurs propriétés. Comme vassaux, ils se trouvèrent, il est vrai, astreints à des obligations dont ils avaient été jusque-là affranchis, même au service militaire, mais en retour ils purent exiger pareils devoirs de leurs propres vassaux ; en sorte que les ministres de Dieu ne formèrent plus seulement le corps sacerdotal, ils devinrent une fraction de la caste nobiliaire, revêtue d’un caractère plus vénérable et qui, moins puissante que le reste de la noblesse par les armes matérielles, l’était davantage par la puissance intellectuelle et morale.

Quand nos rois, qui avaient déjà de temps en temps fait appel dans des cas de nécessité pressante à la richesse du clergé, commencèrent à recourir plus habituellement à des impôts extraordinaires, les revenus de leur domaine ne leur suffisant plus, ils s’adressèrent aux ecclésiastiques comme à leurs autres sujets, et ils y furent d’autant plus naturellement conduits que bon nombre de dignitaires de l’église possédaient des fiefs relevant de leur suzeraineté. Plus les biens des monastères s’accroissaient, plus les bénéfices ecclésiastiques se multipliaient, plus le prince était enclin à ne pas respecter les immunités que le clergé faisait valoir et à exiger de lui ce qu’il exigeait du reste de son peuple. D’ailleurs, sous les premiers Capétiens, alors que la guerre était partout, les possesseurs des bénéfices ecclésiastiques imploraient souvent la protection du suzerain, et celui-ci était bien fondé à leur demander, en retour de l’appui réclamé, de contribuer pécuniairement à la guerre et de venir en aide à son trésor. Si le clergé s’exécutait quelquefois de bonne grâce, plus habituellement il résistait. Il avait la prétention, comme il le répétait bien des siècles plus tard, de ne devoir que ses prières pour la part de secours à laquelle chacun est obligé envers l’état. L’impôt n’offrait pas au reste à cette époque le caractère légal et régulier qu’il affecte dans nos gouvernemens modernes ; venant s’ajouter aux services et aux servitudes qui constituaient le lien féodal, levé par des officiers avides et brutaux, il prenait souvent le caractère d’une exaction. Le contribuable se trouvait fort exposé à être dépouillé de la plus grande partie de son avoir, et les abus fiscaux se glissaient aisément à côté des taxes les plus légitimes. Il était donc naturel que le clergé résistât, car s’il pouvait se laisser imposer sur des biens dont il tirait un profit tout temporel, il avait à sauvegarder le patrimoine de l’église de Dieu, celui qui était destiné à l’entretien des autels et aux œuvres charitables. Il avait fréquemment souffert dans ses propriétés des usurpations des seigneurs, et cela ne l’avait rendu que plus défiant pour tout ce qui touchait à des demandes d’impôts, à des charges pécuniaires nouvelles. Faute habituellement de pouvoir se défendre par les armes, auxquelles les seigneurs ecclésiastiques recoururent pourtant quelquefois, le clergé lançait des excommunications et traitait comme des impies ceux qui portaient la main sur son patrimoine, car c’était, disait-il, celui de Dieu, et nul n’avait le droit de se l’approprier. Il trouvait dans l’Écriture sainte et les canons des conciles une foule de textes et de décisions qu’il opposait en faveur de ses immunités au prince peu disposé à les reconnaître. Il se montrait d’ailleurs d’autant moins enclin à prendre sa part des obligations des sujets envers le roi ou le suzerain que lui-même avait vu, en devenant plus riche, ses charges pécuniaires s’accroître, et qu’il lui fallait faire face à plus de devoirs de l’ordre spirituel et moral. De nouvelles églises s’élevaient de tous côtés, des hôpitaux se fondaient ; les pèlerinages se multipliaient, des écoles étaient ouvertes, et des missions apostoliques allaient porter chaque jour l’Évangile à quelque nouvelle population. D’ailleurs, si le clergé était dans la dépendance de l’autorité royale, il n’avait cependant pas pour chef suprême le roi de France ; son vrai souverain était le pape, dont même, sous le rapport temporel, il relevait beaucoup plus que de ce prince. Le saint-siège avait, comme nos monarques, ses grands besoins d’argent, et il ne se faisait pas faute d’en demander à l’église de France ; il levait sous diverses formes sur les bénéfices ecclésiastiques des impôts assez lourds, et ces contributions payées à Rome étaient aux yeux du clergé gallican un des motifs qui devaient le faire dispenser de concourir autant que les deux autres ordres de l’état aux charges publiques. Le clergé avait donc sans cesse à défendre ses biens contre la puissance laïque, et, pour les mettre à l’abri des entreprises de celle-ci, il les déclarait sacrés et inaliénables. Se voyait-il cependant contraint, pour satisfaire aux demandes pressantes du gouvernement séculier, de vendre quelques parties de son avoir, il déclarait ne le pouvoir faire qu’avec l’autorisation du pape, et il fallait une bulle pour que la moindre fraction de son bien fût aliénée.

Les rois et les grands feudataires rencontraient ainsi de nombreuses difficultés et de sérieux obstacles quand ils voulaient imposer le clergé, à plus forte raison lui enlever une parcelle de son patrimoine. Comme c’était ordinairement à l’occasion de guerres qu’ils demandaient ces contributions pécuniaires extraordinaires, ils ne manquaient pas de faire valoir l’intérêt supérieur de l’état ; ils représentaient la nécessité où ils étaient de se défendre contre un péril que l’église avait aussi à redouter ; ils paraissaient surtout fondés à exiger du clergé des subventions quand ces guerres étaient entreprises en vue de combattre les infidèles et les ennemis de la foi. C’est de la sorte que Philippe-Auguste imposa à tous ses sujets, même ecclésiastiques, cette dîme, dite saladine, qui était destinée à procurer des fonds pour entreprendre une nouvelle croisade. Pierre de Blois s’éleva avec énergie contre une telle prétention qu’il tenait pour contraire aux privilèges de l’église. Mais en d’autres circonstances le clergé se montra moins récalcitrant, et le pape autorisa plusieurs fois des levées sur les bénéfices ecclésiastiques, qui commencèrent à payer des décimes à l’époque des croisades. Ces impôts, ainsi nommés parce qu’ils consistaient dans le dixième des revenus, se renouvelèrent au XIIIe siècle, du consentement du clergé, à d’assez courts intervalles. De 1247 à 1274, l’église de France paya 21 décimes. En 1274, le pape Grégoire X permit à Philippe le Hardi de lever un décime pendant trois années consécutives. Cette concession s’explique par le fait qu’il s’agissait de pourvoir aux frais de la guerre contre don Pèdre d’Aragon, que le pape Martin IV avait déposé pour donner sa couronne à Charles de Valois ; l’expédition avait donc aux yeux du saint-siège le caractère d’une croisade, et la guerre s’étant prolongée et ayant entraîné d’énormes dépenses, le souverain pontife se chargea même d’en supporter une partie, ce qu’il fit en recourant aux biens de l’église. La guerre terminée, le pape invita le roi de France à consacrer à une expédition en terre-sainte les sommes provenant des décimes qui n’avaient pas été employées ; mais Philippe le Bel ne se rendit pas à cette invitation, et, loin de restituer le reliquat des décimes, il entreprit de prouver que le saint-siège était son débiteur pour des sommes importantes.

Si les bénéfices ecclésiastiques devaient ainsi contribuer en diverses occasions pour une quote-part à l’acquittement de l’impôt, à plus forte raison devait-il en être de même des biens personnels des membres du clergé : ils furent constamment soumis à cette obligation. Ces biens ne jouissaient pas en effet des mêmes immunités que ceux de l’église proprement dits. Les clercs devaient, comme les laïques, un impôt proportionnel à leur fortune privée, et cela tant envers l’état qu’envers les communes. L’exemption dont ils jouissaient ne portait pas sur ce qu’on appelait les tailles réelles ; ils devaient des impositions pour leurs héritages roturiers, et ils n’étaient affranchis des tailles personnelles que s’ils vivaient cléricalement, c’est-à-dire sans être mariés et sans exercer le commerce ou une profession mécanique. C’était seulement à titre de seigneurs féodaux et quand ils vivaient dans leurs fiefs qu’ils se trouvaient, comme les nobles, affranchis de toute imposition ; or ces fiefs, comme ils le reconnurent eux-mêmes devant Philippe le Bel quand ce prince réclama leur appui contre les prétentions de Boniface VIII, ils les tenaient du roi et non du pape ; ils devaient donc, en vertu du lien féodal, à leur suzerain dans certaines circonstances aide et concours, et cette dette participait souvent du caractère d’une contribution pécuniaire. Dans les assemblées provinciales qui, à partir du XIVe siècle, commencèrent à voter les subsides demandés par le roi, les membres du clergé avaient leur place ; ils y accordèrent plusieurs fois des décimes que les représentans de ce même ordre consentirent aussi dans les états-généraux. Ces concessions de deniers par l’église ne se faisaient toutefois ni sans quelques récriminations, ni surtout sans qu’on stipulât des réserves. Les députés du clergé entendaient que les contributions et les charges qu’on obtenait d’eux n’eussent pas le caractère d’une aliénation du patrimoine ecclésiastique. Plus d’un d’entre eux, aux états-généraux comme aux états provinciaux, contesta hardiment au pouvoir royal, même sur les biens personnels des clercs, les droits qu’il prétendait exercer. La situation indépendante des prélats et des abbés donnait à leurs réclamations beaucoup de force. Tandis que, les états-généraux dissous, il n’y avait plus de mandataires de la nation pour veiller à l’accomplissement des promesses obtenues de la couronne et au redressement des griefs qu’on avait opposés du côté de la noblesse et du tiers, le clergé était toujours là, représenté par les évêques, ayant l’œil à l’exécution des engagemens pris par le roi, et s’appuyant pour la presser au besoin sur le pape. Cette indépendance, il est vrai, s’affaiblit beaucoup quand les élections pour la nomination aux bénéfices ecclésiastiques eurent presque entièrement disparu. Lorsque le concordat de 1517 eut mis dans la main du roi la nomination aux évêchés et à une foule d’abbayes, celui-ci peupla les bénéfices de ses créatures, de grands personnages qui ne cherchaient que les gros revenus dans l’épiscopat et les autres dignités ecclésiastiques. Ces produits du favoritisme cédaient plus facilement aux demandes d’argent que faisait le prince, dont ils sollicitaient sans cesse de nouvelles grâces. Résidant en grand nombre à la cour, mêlés aux affaires de la politique, ils étaient loin de montrer à l’égard du gouvernement séculier la raideur que gardaient souvent ces évêques consciencieux qui restaient dans leur diocèse, ces abbés qui ne sortaient pas de leur monastère.

Entre les états-généraux de mai 1506 et ceux de janvier 1558, il n’y eut point en France d’assemblée générale des trois ordres. On tira des subsides de la nation sans les avoir demandés à ses députés. Le clergé ne fut pas plus appelé à voter que les deux autres ordres. Le roi réunit seulement les prélats qui se trouvaient près de sa résidence, et il obtint d’eux d’accorder au nom du corps ecclésiastique tout entier les secours pécuniaires dont il avait besoin. Peu de temps après son avènement au trône, en 1516, François Ier réclama des décimes du clergé. C’est la plus ancienne subvention de cette nature dont on eût gardé les comptes au siècle dernier ; la répartition ou, comme l’on disait, le département de ces décimes fut fait en vertu d’une bulle du pape Léon X, et la chambre des comptes en eut le contrôle, ainsi qu’elle l’avait du produit des impôts auxquels le reste de la nation était soumis. Plus tard, quand François Ier, sorti de sa captivité de Madrid, s’apprêta à recommencer la guerre contre son redoutable rival et réunit de nouvelles forces en Italie, il convoqua les notables pour en obtenir des levées extraordinaires d’argent. Le clergé eut sa place dans cette assemblée, où il était représenté par un certain nombre d’archevêques et d’évêques qui siégeaient à côté des membres de la noblesse, de la magistrature et de la municipalité parisienne. La réunion s’ouvrit le 15 décembre 1527. Le roi y exposa le triste état de ses affaires, les embarras financiers dans lesquels il se trouvait, et il obtint sans grande difficulté, des prélats comme des autres notables, les sommes qui lui étaient indispensables pour reprendre vigoureusement les hostilités. Le cardinal de Bourbon, qui était à la tête de la députation ecclésiastique, offrit, au nom de l’église de France, 1,300,000 écus d’acompte ; mais si le clergé se montra en cette circonstance si accommodant, c’est qu’il s’agissait, dans l’expédition projetée en Italie, de délivrer le pape prisonnier au château Saint-Ange des bandes qui avaient saccagé Rome. Le cardinal de Bourbon mit en effet pour condition à la libéralité du clergé que le roi ferait recouvrer la liberté à Clément VII et qu’il jurerait d’exterminer les luthériens. Il y avait donc là encore, comme cela avait été le cas lors des demandes antérieures, une circonstance exceptionnelle et un intérêt tout religieux : voilà pourquoi le clergé consentait à s’imposer des charges pécuniaires dont il se tenait en principe pour exempt à raison de ses immunités. Les concessions de deniers lui fournissaient d’ailleurs un moyen de faire consacrer à nouveau ses privilèges par la couronne. Comme on avait besoin de son concours, le clergé imposait au roi la condition de reconnaître formellement des droits qu’en d’autres occurrences celui-ci eût été disposé à contester. Précisément parce que le concordat de 1517 avait porté quelque atteinte à l’indépendance de l’église gallicane, le clergé français saisissait l’occasion de se fortifier dans ses vieilles immunités par les services que le gouvernement sollicitait de lui. Et en effet, dans l’assemblée de 1527, les prélats stipulèrent le maintien des privilèges de l’église, et dans le cours du même siècle, chaque fois que le roi réclama de l’assemblée du clergé la continuation des subventions qu’il en avait déjà obtenues ou de nouveaux subsides, elle renouvela la clause du maintien des libertés ecclésiastiques ; elle profita de la pressante nécessité d’argent où se trouvait le roi pour lui dicter des conditions qui tournaient à l’avantage de l’indépendance de l’église et étaient destinées à lui mieux assurer une protection contre le pouvoir civil. Les assemblées du clergé prirent ainsi vis-à-vis de la royauté quelque peu l’attitude qu’avait en Angleterre le parlement en face de la couronne. Le vote de l’impôt devint pour elles un moyen d’étendre ; tout au moins de consolider les franchises de l’église gallicane et de lui garantir un régime d’autonomie temporelle, grâce auquel elle pouvait se soustraire en grande partie à la surveillance du pouvoir séculier. Sans doute les rois de France avaient confirmé par des ordonnances les immunités ecclésiastiques ; mais le besoin que l’état avait des subventions du clergé était une garantie plus sûre que toutes les déclarations d’un saint Louis, d’un Philippe le Bel, d’un Jean, d’un Charles V, d’un Charles VII. Les assemblées du clergé devinrent de véritables états-généraux à l’usage du premier ordre de la nation. Elles rédigèrent des cahiers, firent entendre des doléances comme l’avaient fait les états-généraux du royaume ; elles purent périodiquement présenter au monarque des plaintes sur les abus de l’administration royale dans ses rapports avec l’église, sur les mauvais choix dans les nominations aux bénéfices, sur les atteintes portées à la compétence des juridictions ecclésiastiques ou à l’intégrité du patrimoine de l’église. En un mot, les assemblées du clergé eurent le privilège, qui n’était accordé qu’à de longs intervalles aux députés de cet ordre, alors qu’ils siégeaient aux états-généraux, d’exposer au prince leurs griefs et leurs sujets de mécontentement, et de faire du redressement des torts par eux signalés une condition du concours pécuniaire de l’église. Dans ces assemblées périodiques, les représentans du premier ordre de la nation eurent même plus de liberté qu’ils n’en avaient eu souvent aux assemblées plénières du royaume. En effet, aux états-généraux, les députés du clergé subissaient forcément la pression des deux ordres qui siégeaient à côté d’eux ; il leur fallait, en bien des circonstances, se concerter avec la noblesse et le tiers, tandis que dans leurs assemblées particulières ils étaient seuls, n’avaient à s’occuper que des intérêts de l’église et pouvaient, pour ainsi parler, traiter en famille des affaires qu’ils n’aimaient point à exposer au grand jour de la nation. Néanmoins, dans les réunions des députés ecclésiastiques aux états-généraux comme dans les assemblées particulières du clergé, on retrouve le même esprit et la même préoccupation de ne point laisser toucher aux immunités de l’église. Les vœux exprimés par le premier ordre dans l’une et l’autre catégorie d’assemblées sont parfois presque identiques. Aux états de Blois de 1577, les députés du clergé, au nombre de quarante, tant cardinaux qu’évêques et autres ecclésiastiques, déclarèrent, dans un acte séparé, que le roi peut tirer secours du clergé pour la conservation de l’état et la défense de la religion, mais à la condition que la disposition du droit et les privilèges de l’église gallicane soient strictement observés et que le consentement universel du clergé intervienne sans fraude ni contrainte. Une déclaration fut faite à peu près dans les mêmes termes à l’assemblée du clergé tenue à Melun en 1579. Les députés qui s’y trouvaient mirent pour condition au vote des sommes demandées que le roi promit par lettres patentes qu’il ne serait fait dans la suite aucune levée sur le clergé, sinon pour cause légitime, laquelle serait proposée dans une assemblée générale et avec son consentement. Des déclarations analogues eurent lieu aux assemblées du clergé de 1581 et de 1586.

Cette attitude prise presque dès le début par les assemblées du clergé ne pouvait être agréable au roi, mais cela se passait sous Henri III, un prince sans caractère et méprisé de ses sujets, placé dans la position la plus difficile et moins en situation que tout autre d’imposer au corps sacerdotal. La déclaration de l’assemblée de Melun lui causa un vif déplaisir, et il ne souscrivit qu’après plusieurs refus et d’assez mauvaise grâce aux conditions qu’elle lui dictait ; ces conditions en effet liaient les mains au prince précisément au moment où il lui importait le plus d’avoir ses coudées franches pour tirer des subsides des biens ecclésiastiques. Le clergé faisait plus que lui marchander l’obéissance, car il n’entendait la lui accorder qu’autant que toute concession serait refusée aux protestans. Le mouvement de la ligue, qui se préparait, donnait déjà au clergé dans la bourgeoisie une popularité contre laquelle le roi risquait de se briser, quoique la question des rentes de l’Hôtel de Ville l’eût un instant compromise. Il aurait été imprudent à Henri III de vouloir contraindre les ecclésiastiques à payer des impôts de par son autorité ; on n’eût pas manqué de l’accuser de révolte envers l’église, de porter atteinte à des droits qu’il avait juré de défendre. En effet le langage de l’assemblée du clergé, alors réunie à Melun, annonçait assez quelle force le corps ecclésiastique tirait, pour résister aux exigences de la couronne, du caractère spirituel dont il était revêtu. L’historien de Thou qualifie de fort libre le discours qu’Arnaud de Pontac, évêque de Bazas, l’orateur désigné, adressa à Henri III. Un autre membre de cette assemblée, Nicolas L’Angelier, évêque de Saint-Brieuc, qu’elle avait député au prince, lui rappela d’un ton hautain que la religion était le seul véritable fondement des monarchies et des états, particulièrement de celui de France, que saint Remi avait prédit à Clovis que la monarchie ne durerait qu’autant de temps que les rois de France demeureraient attachés à la foi catholique. L’assemblée était résolue à ne concéder les subsides réclamés que si Henri III souscrivait à l’engagement d’observer les conditions qu’elle mettait à son vote ; elle se plaignait d’ailleurs que les demandes d’argent faites par le gouvernement royal prissent d’énormes proportions et elle accusait le mauvais usage fait des deniers que le clergé avait précédemment accordés. « Votre Majesté, disait le même Nicolas L’Angelier, et Charles IX, votre frère, ont reçu de l’église environ 80 millions, et le peuple n’en a pas été moins chargé pour cela ; les dettes de l’état n’en ont pas moins continué de s’accroître. » L’assemblée de Melun s’était au reste enhardie dans sa résistance par le bon accueil apparent qu’elle avait reçu au début d’Henri III. Elle prétendait traiter avec ce prince sur le pied de l’égalité ; puis, trouvant de la résistance de sa part, elle déclara qu’elle se séparerait sans rien concéder des sommes demandées, si la couronne persistait à refuser de faire droit à ses remontrances. Afin de mieux assurer dans l’avenir l’autorité de la représentation ecclésiastique, elle rédigea un règlement, qui était presque une constitution politique du clergé français et le dotait d’une sorte de gouvernement parlementaire. Le roi, qui avait répondu à l’évêque de Saint-Brieuc en termes assez durs, effrayé de l’esprit de résistance dont les députés étaient animés, se radoucit ; il prescrivit au commissaire chargé de présenter à Melun ses demandes de décimes, Pomponne de Bellièvre, de changer d’attitude, de prendre le langage de la conciliation et de témoigner à l’assemblée les plus grands égards, de procéder, en un mot, comme on s’imposa depuis de le faire, même à des époques où le pouvoir royal était le plus absolu et le moins discuté. M. de Bellièvre fut si loin de venir intimer aux députés les volontés de son maître qu’il parut presque en suppliant. L’archevêque de Lyon ne lui ayant pas caché la crainte où étaient les évêques qu’on ne touchât à leurs immunités, et lui ayant dit qu’ils ne confirmeraient rien qu’ils n’eussent auparavant sérieusement examiné la question, le commissaire royal s’empressa de répondre que sa majesté ne voulait en quoi que ce fût diminuer les libertés du clergé, ni faire valoir les actes passés avec la ville de Paris en 1561 et 1567, contrats dont les députés redoutaient les conséquences pour les immunités ecclésiastiques ; mais qu’elle priait l’assemblée d’avoir égard à ses besoins et de la secourir volontairement et par bienveillance. M. de Bellièvre ajouta que le roi ferait réponse aux demandes du clergé et qu’on y avait déjà travaillé.

Un tel langage était la reconnaissance formelle par la couronne de la prétention qu’avait le clergé de fixer lui-même le chiffre de sa contribution, et de n’être point obligé à payer des taxes qu’il n’avait point consenties. Henri III consacrait de la sorte le principe dont ne s’était jamais départi le premier ordre de l’état, à savoir que ce qu’il donne au roi, par la voie des impôts, est une pure libéralité, un don gratuit, qu’il se réserve toujours la faculté de ne pas continuer. Il découlait d’un pareil principe que les engagemens que pouvait prendre le clergé envers le monarque n’avaient qu’un caractère temporaire et étaient limités, aux termes mêmes dans lesquels ils avaient été contractés. L’assemblée promettait-elle à la couronne de payer pendant un certain nombre d’années ou pour une certaine destination une somme déterminée, c’était un contrat qui intervenait entre elle et la couronne ; le contrat était synallagmatique et il engageait aussi bien le prince que le clergé. Le gouvernement royal au reste ne le comprenait pas autrement, et quand les décimes furent votés par les premières assemblées, le roi comme son chancelier durent signer l’acte qui avait été dressé. On en agit de la sorte sous Henri III. Plus tard l’assemblée se contenta de la signature des ministres et des commissaires délégués par le conseil royal. Cette forme de l’engagement pris par le clergé envers la couronne permettait d’insérer les clauses qui devenaient pour lui la garantie que les obligations qu’il s’imposait ne dépasseraient pas les bornes qu’il entendait leur fixer. C’est ainsi qu’il stipulait qu’il n’y aurait pas de solidarité entre les diocèses pour les sommes auxquelles chacun d’eux serait taxé, que l’église ne supporterait pas les non-valeurs. Mais la condition essentielle et fondamentale de ces contrats, celle qui dominait toutes les autres et ne fut jamais oubliée, c’est que le clergé n’était obligé qu’autant qu’il continuerait à jouir de son temporel. A côté de ces conditions formelles, il y en avait pour l’observation desquelles le gouvernement royal se contentait de donner des assurances, de bonnes paroles, sauf à ne pas tenir sa promesse une fois les fonds dont il avait besoin obtenus. A cet égard, il en agit le plus souvent vis-à-vis des assemblées du clergé comme il avait agi vis-à-vis des états-généraux ; il leurrait les députés bien plus qu’il ne se rendait à leurs réclamations. Mais, tandis que pour les assemblées plénières de la nation le roi pouvait se dérober aux plaintes provoquées par la non-réalisation de ses promesses, en remettant indéfiniment l’époque d’une convocation nouvelle, pour les assemblées du clergé, il se voyait exposé à de prochaines récriminations, et il lui devenait difficile d’obtenir de nouvelles sommes, un nouveau pacte, sans faire droit en quelque chose aux doléances de la dernière assemblée. C’est ce qui arriva pour la reconnaissance du concile de Trente que depuis le colloque de Poissy, les assemblées ne cessaient de réclamer. En 1579, à l’assemblée de Melun, on avait insisté avec plus de force que jamais sur la nécessité de recevoir dans le royaume les canons de ce concile, qui pouvaient seuls assurer le rétablissement de la discipline ecclésiastique. Arnaud de Pontac, évêque de Bazas, adressa dans ce sens une harangue au roi, et au moment de la clôture de l’assemblée, Nicolas L’Angelier, revenant sur les raisons qu’avait données son collègue, traça, des désordres qui régnaient dans l’église et dont il accusait l’immixtion du pouvoir séculier, un tableau désolant. Henri III répondit qu’il en délibérerait à loisir, et il gagna ainsi du temps. Henri IV, son successeur, ne procéda pas autrement en pareille circonstance. Mais, quoique la couronne fût encouragée dans ses refus mal déguisés par le parlement, elle dut céder à la longue. Les assemblées du clergé eurent gain de cause après un demi-siècle de plaintes et de remontrances, et remède fut ainsi porté à de nombreux abus ; toutefois ce fut au prix d’une partie des libertés de l’église gallicane. Devenu, grâce au concile de Trente, moins dépendant du roi, le clergé français le fut, en revanche, plus étroitement de la curie romaine.

On le voit, nos princes avaient dans l’assemblée générale du clergé un débiteur auquel il était difficile de faire souscrire des conditions nouvelles et qui, chatouilleux sur ses droits, en défendait le maintien avec persévérance. Le roi n’avait guère réussi dans le principe qu’a tirer du clergé quelques décimes, c’est-à-dire à imposer des taxes de tant pour cent sur le revenu des bénéfices. Encore, aux XIVe et XVe siècles, n’obtenait-il ces faibles sommes que par une bulle du pape, qui consentait à les laisser lever seulement parce qu’elles étaient réclamées pour assurer les moyens de favoriser la politique du saint-siège. J’ai déjà dit que l’autorisation du souverain pontife resta depuis toujours requise, s’il était question, pour fournir au roi des subsides plus immédiats et plus abondons, d’aliéner des biens ecclésiastiques. Notons que ces biens aliénés demeuraient, d’après la doctrine des canonistes, rachetables par le clergé, parce que l’église ne peut jamais se dépouiller de son patrimoine.

Les secours pécuniaires qu’on pouvait espérer du corps sacerdotal étaient donc tout d’abord fort précaires. Les papes toutefois permirent assez fréquemment, au XVIe siècle, les aliénations sollicitées par la couronne. On possède des bulles de Pie IV, Pie V, Grégoire XIII et Sixte V qui en accordent ; mais il est à remarquer que le motif qui faisait alors agir le pape était purement religieux ; il fallait combattre l’hérésie et défendre l’église. Le clergé français exigeait lui-même ces autorisations du saint-siège ; il ne se contentait pas d’une adhésion vague, de paroles favorables venues de Rome, il voulait que les termes des bulles fussent précis, formels ; il vérifiait celles-ci, dans les assemblées générales, afin d’en bien constater l’authenticité. A l’assemblée de Melun, qui fut, comme il a été dit plus haut, une constituante au petit pied, M. de Bellièvre, pour répondre aux objections que lui faisaient les députés, assez mal disposés à accueillir les demandes d’Henri III, rappela une certaine bulle de Boniface VIII, autorisant le roi de France, dans les cas d’extrême nécessité, à disposer des biens ecclésiastiques par des voies légitimes et en observant les formes usitées. Alors l’archevêque de Lyon répliqua que la bulle était supposée, et il l’établit par de savantes considérations ; il montra qu’elle était datée de la troisième année du pontificat de Boniface VIII, époque à laquelle ce pape n’aurait pu la donner en faveur de Philippe le Bel, avec lequel il était brouillé, et que ce qui achevait de trahir la main du faussaire, c’est qu’il y était parlé d’une treizième année du pontificat de Boniface VIII, qui n’avait régné qu’un peu moins de neuf ans. Mais, ajouta l’archevêque, quand même la bulle serait authentique, on peut dire qu’elle a perdu toute force, puisque Boniface VIII l’avait en fait révoquée, en interdisant au roi de rien prendre sur le clergé nonobstant tout privilège au contraire. Le gouvernement royal risquait donc souvent dans les assemblées du clergé de se heurter contre une résistance qui s’appuyait sur une autorité qu’il ne pouvait contester sans s’exposer à devenir schismatique. De là des ménagemens qu’il n’avait pas à beaucoup près avec les deux autres ordres. Il ne manquait pas de rappeler à l’auguste réunion que dans une nécessité pressante le grand-prêtre des Juifs n’avait pas refusé au saint roi le secours des pains de proposition consacrés à Dieu et destinés à la subsistance des ministres de l’autel. Mais, tout en étant plein de condescendance pour le clergé, le roi de France n’entendit jamais s’interdire l’indispensable faculté d’exiger des contributions de ce corps, où il était toujours assuré de trouver les ressources que ne lui offrait plus le pays épuisé. La lutte contre les huguenots lui fournit des motifs légitimes et permanens de demander à l’église catholique un concours pécuniaire plus efficace et plus certain. Vaincre les hérétiques, c’était travailler à l’affermissement de l’autorité du clergé ; celui-ci aurait eu mauvaise grâce à refuser les fonds nécessaires à la continuation de la guerre. Déjà sous François Ier, comme on l’a vu ci-dessus, le clergé avait réclamé du roi l’extermination des luthériens, c’est ainsi qu’on appelait encore les protestans de France. La célèbre assemblée désignée dans l’histoire sous le nom de Colloque de Poissy et qui se tint en 1561 fut le point de départ d’un régime de contributions régulières et périodiques, que le clergé consentit à payer pour un laps de temps déterminé, au bout duquel le contrat était renouvelé à peu près avec les mêmes clauses.

Les états-généraux s’étaient tenus à Orléans en 1560, sans avoir voté les subsides qu’on attendait d’eux. Les députés des états avaient allégué qu’ils n’avaient point de mandat à cet égard ; on avait dû procéder à des élections nouvelles, et l’année suivante, au mois d’août, les états ayant été assemblés à Pontoise, le gouvernement de la régente leur avait présenté ses demandes d’argent. Les députés de la noblesse et du tiers s’étaient seuls réunis dans cette ville. ; ceux du clergé s’étaient rendus à Poissy, où l’on devait ouvrir des conférences entre les représentans les plus éminens de l’église gallicane et quelques-uns des ministres de la foi nouvelle. Ceux qui rêvaient la pacification religieuse s’étaient imaginé que les délégués des deux communions parviendraient à se mettre d’accord et que des concessions mutuelles arrêteraient les déchiremens qui menaçaient le royaume. Le vent était alors à la réforme religieuse ; on la réclamait partout, tant les abus dont souffrait l’église étaient grands, tant les ecclésiastiques donnaient l’exemple de scandales ; mais le clergé entendait accomplir lui-même sa propre réforme, ainsi qu’on avait pu s’en apercevoir par son attitude aux états-généraux d’Orléans. La noblesse et surtout le tiers trouvaient au contraire qu’il fallait imposer au clergé des sacrifices, des mesures radicales ; ils prétendaient faire dicter par les états les changemens à apporter dans la constitution temporelle de l’église. C’est dans ce sens qu’avaient été rédigés les cahiers de Pontoise, que l’orateur choisi par le tiers pour porter la parole devant le roi, De Bretaigne, premier magistrat (vierg) d’Autun, développa avec énergie ; il s’éleva contre les désordres du clergé, sans se soucier de la présence de quelques évêques qui étaient venus de Poissy à Saint-Germain pour assister à l’audience royale. Les états de Pontoise demandaient un concile national, la suppression des juridictions ecclésiastiques et la liberté des assemblées pour les réformés sous la surveillance de l’autorité ; ils exprimaient le vœu que la dette publique fût rachetée avec les biens du clergé, et pour y arriver on proposait, entre autres moyens, l’établissement d’un impôt progressif sur les revenus des bénéficiers. Quelques députés avaient même demandé une vente générale des biens de l’église, dont on aurait fait trois parts, l’une pour l’entretien du culte, l’autre pour le rachat de la dette, et la troisième pour constituer des prêts aux villes et aux provinces, afin de permettre d’entreprendre de grands travaux d’utilité publique.

De telles demandes accusaient chez les députés des états de Pontoise des tendances qui étaient bien faites pour donner à réfléchir au clergé ; aussi le gouvernement de la régente saisit-il ce moment pour presser les prélats de s’engager envers l’état à un subside plus large que celui que leur ordre avait auparavant accordé. Mais, comme c’était à Poissy que les représentans du clergé se trouvaient réunis pour le fameux colloque, où ils s’étaient rendus en plus grand nombre qu’ils ne figuraient aux états d’Orléans, le gouvernement royal s’adressa à cette réunion. Il s’agissait de payer un arriéré de dettes considérable. Le clergé en délibéra ; il ne se refusa pas à assister le roi, mais il proposa un subside dont le recouvrement offrait peu de garantie et ne pouvait être complètement opéré qu’après un nombre assez prolongé d’années. La régente n’accepta pas cette transaction, car les commissaires de son conseil entendaient fixer la somme à fournir par le corps ecclésiastique et assigner le délai dans lequel elle devait être acquittée. On réclamait 15 millions payables en six ans, par annuités de 2 millions et 1/2. La somme était destinée au rachat de la partie du domaine, des aides et des gabelles que le gouvernement royal avait aliénée pour pouvoir servir l’intérêt des rentes constituées par lui à l’Hôtel de Ville de Paris. Le conseil de la régente consentait à ce que le clergé fît recouvrer les deniers à payer chaque année par ses propres commis et députés et qu’il en fît l’emploi pour ledit rachat, en présence de certains bons personnages nommés par le roi pour y assister. Après bien des pourparlers, les représentans du corps ecclésiastique consentirent à fournir pendant six années une allocation annuelle de 1,600,000 livres ; c’était là, disaient-ils, leur dernier mot, et si sa majesté refusait de se contenter de leur offre, elle n’avait qu’à aviser au mieux ; mais, à quelque détermination qu’elle s’arrêtât, elle devait toujours assurer aux ecclésiastiques la jouissance du bien de l’église et de leurs libertés, et que, s’il arrivait que les huguenots troublassent les bénéficiers en cette jouissance, le dommage qui en résulterait pour eux entrerait en déduction de la somme due par le clergé. Le gouvernement royal avait espéré beaucoup plus, et Catherine de Médicis en particulier trouvait cette subvention bien modique ; le chancelier de L’Hôpital l’engageait à n’y point souscrire ; mais le roi de Navarre et le prince de Condé, qui cherchaient à se faire des partisans dans le clergé, déterminèrent la reine mère à accepter la transaction. Un contrat fut en conséquence passé entre la couronne et le clergé, où étaient portées les conditions qui viennent d’être énoncées ; il fut signé à Saint-Germain-en-Laye le 21 octobre 1561. L’acte contenait vingt-deux articles, et il y était dit que, faute d’exécution de toutes les clauses, le clergé ne serait point tenu de fournir l’annuité. Les articles du contrat n’étaient pas seulement relatifs au montant de la dette et au mode suivant lequel elle serait acquittée ; ils stipulaient encore d’autres conditions qui étaient précisément celles auxquelles le clergé tenait le plus. Effrayés des progrès des nouvelles doctrines religieuses et redoutant quelque concession du gouvernement royal aux réformés, les prélats et les ecclésiastiques assemblés à Poissy avaient profité de l’occasion que leur offrait la demande de subsides pour faire prendre au roi l’engagement de défendre la foi orthodoxe. Il était dit dans le contrat que la religion catholique, apostolique et romaine serait conservée dans tout le royaume, que les ecclésiastiques seraient maintenus en la paisible jouissance de leurs églises, que les bénéficiers dont les biens auraient été ravis sous prétexte de la religion seraient déchargés de la quote-part à laquelle ils se trouveraient imposés pour la subvention, au prorata de la valeur des spoliations, que durant le temps que les gens d’église contribueraient à la subvention par eux accordée ils ne seraient imposés à aucuns autres décimes ou emprunts particuliers. Cette contribution, aux termes du contrat, tous les membres du clergé la devaient supporter proportionnellement, les réguliers comme les séculiers, même les chevaliers de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, habituellement désignés sous le nom de Rhodiens ; il n’y avait d’exemption que pour les hôpitaux.

On se hâta de faire le département de l’impôt consenti. Les receveurs généraux du clergé, Antoine et Claude Camus et leurs délégués, en opérèrent la levée, dont ils rendirent compte à la chambre des comptes. Les deniers payés durent être spécialement affectés au service des rentes de l’Hôtel de Ville. Le gouvernement sortit ainsi de l’embarras où le mettaient les justes réclamations de la municipalité parisienne, car les rentiers, qui ne touchaient pas leur quartier, se plaignaient très haut et reprochaient au roi d’avoir trompé leur confiance. Le clergé se trouva, par le contrat de Poissy, subrogé à la couronne comme débiteur, et si les rentiers n’étaient pas payés, ce ne serait plus au monarque, mais au corps ecclésiastique qu’ils auraient à s’en prendre. Toutefois, le clergé n’entendit pas les choses de la sorte. C’était, objecta-t-il dans la suite, non à la ville de Paris, mais au roi qu’il avait accordé un subside. Celui-ci avait pu en faire l’usage que bon lui semblait et l’affecter au paiement des rentes de la ville ; il n’avait pas pour cela constitué le corps ecclésiastique débiteur de la municipalité parisienne. Voilà ce que répétèrent plusieurs fois les assemblées du clergé pressées de venir au secours des rentiers, qui n’avaient rien reçu du gouvernement, entre les mains duquel les décimes levés prenaient souvent une autre destination. Ce fut là une cause de discussion et de troubles sur laquelle j’aurai plusieurs fois à revenir dans le cours de ce travail. Il y eut même des assemblées subséquentes qui allèrent jusqu’à contester qu’une réunion comme celle de Poissy eût pu engager d’aucune façon l’église envers la ville de Paris ; elles se fondaient sur ce que cette réunion n’avait nullement le caractère d’une assemblée chargée des intérêts temporels du clergé, le colloque ayant été simplement convoqué pour statuer sur des questions d’ordre spirituel ; il s’y rencontrait des docteurs, des théologiens éminens sans doute, mais non des mandataires des bénéficiera munis des procurations nécessaires. Toutefois ces dissentimens entre la couronne et le clergé sur l’interprétation du contrat de Poissy ne se produisirent que bien plus tard, car le conseil du roi n’eut garde de soulever dès le principe la difficulté ; il avait trop hâte d’encaisser la somme que l’ordre ecclésiastique s’engageait à fournir. Malheureusement, la subvention fut en grande partie détournée de la destination stipulée. Le gouvernement avait vu dans le don fait à Poissy simplement un moyen d’obtenir de l’argent. Il fut entraîné à l’appliquer à divers besoins urgens. Loin de se libérer envers la ville de Paris et d’amortir une partie des rentes par lui antérieurement créées, il en constitua de nouvelles pour une somme de 494,000 livres, auxquelles il annonça que serait appliquée l’imposition consentie par le clergé. Celui-ci, pour éteindre des obligations qui eussent longtemps engagé son patrimoine, avait à son tour ouvert un emprunt à l’Hôtel de Ville, et s’était mis ainsi en mesure de racheter le temporel qu’il avait aliéné en 1563. Le gouvernement se retrouva donc, peu d’années après l’assemblée de Poissy, presque dans la même pénurie d’argent où il était antérieurement. Les rentiers ne touchaient qu’une partie de ce qui leur était dû. Il fallut avoir recours à de nouveaux appels de fonds. L’échéance des six années pour lesquelles le clergé s’était engagé à payer une annuité de 1,600,000 livres était arrivée ; il importait donc de convoquer ses députés, dont la réunion était d’ailleurs réclamée, pour qu’ils pussent ouïr les comptes des syndics généraux et contrôler la façon dont les décimes avaient été perçus. Le roi convoqua en conséquence, par lettres patentes, une assemblée du clergé pour l’année 1567. Quand les députés se furent réunis à Paris au chapitre métropolitain, ils tombèrent d’accord sur l’opportunité qu’il y aurait à demander au roi le renouvellement du contrat de Poissy, car si les charges en avaient été lourdes, elles étaient moindres cependant que celles qu’on pouvait redouter d’une nouvelle demande de subsides. Les dispositions du gouvernement royal étaient en effet inquiétantes, il semblait vouloir assujettir le clergé à un impôt dont il fixerait lui-même le montant par l’évaluation des biens ecclésiastiques. Il avait la prétention de s’immiscer dans le département des décimes, quoique l’église n’entendît pas le lui abandonner. Des lettres patentes du 14 août 1564, données par le roi en son conseil et signées de L’Aubespine, avaient enjoint aux receveurs généraux de ses finances d’envoyer incessamment des extraits au vrai de ce qui était dit ailleurs du bien de l’église en l’année 1563, et commis les syndics et députés généraux du clergé, avec trois présidens et conseillers du parlement pour juger sommairement tous les procès et différends qui pourraient survenir sur la vente et le rachat des biens ecclésiastiques. L’assemblée fut donc d’avis que l’on supplierait le roi d’entretenir et de ratifier le contrat passé à Poissy et à Saint-Germain-en-Laye, et, en ce faisant, de révoquer toutes les commissions pour autres six années prochaines de la subvention au contraire. Une députation fut envoyée à sa majesté pour lui présenter cette requête. A sa tête était Nicolas de Pellevé, archevêque de Sens, président de l’assemblée. La couronne, qui comptait demander beaucoup plus au clergé, déclara l’offre insuffisante, vu les pressantes nécessités où elle se trouvait. Elle insistait sur la triste position des rentiers, sur l’émotion que causait dans la capitale la suspension du paiement des arrérages ; elle demandait au clergé d’en assurer le paiement par la concession d’une contribution supérieure à celle qu’impliquait le contrat de Poissy. Les députés étaient effrayés de la voie dans laquelle allaient les entraîner ces demandes croissantes du roi ; toutefois, après avoir entendu leur président et mis la question en délibéré, ils se résignèrent à un nouveau sacrifice ; mais ils n’accordèrent pas tout ce qui était demandé. Ils ne voulurent s’obliger envers la ville de Paris que pour une somme de 750,000 livres. Le gouvernement royal objectait à cette nouvelle concession que, les frais de perception et les charges particulières défalqués, la subvention ne lui produirait qu’une centaine de mille livres, somme tout à fait insuffisante à ses besoins les plus immédiats ; il réclamait en conséquence du clergé en plus 360,000 livres, une fois payées.

L’assemblée comprit qu’elle ne pouvait échapper à un accroissement de contributions ; mais elle ne voulait pas que cet accroissement portât sur les décimes annuels à payer en vertu du renouvellement du contrat de Poissy, et comme les créances de l’Hôtel de Ville pressaient, elle se montra disposée à faire un emprunt plutôt que d’aliéner des biens ecclésiastiques. Il y eut de longs pourparlers entre les commissaires du roi et les députés. Enfin l’assemblée céda et consentit à s’obliger envers le prévôt des marchands et les échevins de Paris à payer à cette ville, en l’acquit du roi, 630,000 livres par an, de façon à servir les rentes que celui-ci avait constituées sur ses domaines mêmes et à racheter, en dix années, un principal qui montait à environ 7,560,500 livres ; ce pourquoi le clergé s’imposerait à une somme annuelle de 1,300,000 livres par an pendant ce laps de temps. La subvention était certes considérable pour la fortune d’alors ; mais, à l’expiration des dix années, quoique les 1,300,000 livres eussent été régulièrement payées, que le gouvernement eût tiré en 1574 2 millions de livres de décimes, qu’il eût obtenu d’une petite réunion d’évêques, que le clergé désavoua plus tard, de nouvelles constitutions de rentes sur celui-ci, le roi ne s’était pas libéré envers la ville de Paris. Le surplus de la somme de 630,000 livres, qui devait servir au rachat des sorts principaux de ces rentes, avait été assuré par la couronne à l’Hôtel de Ville comme un fonds fixe annuel et perpétuel qui devait lui être fait par le clergé. Le roi se trouvait ainsi débiteur envers la municipalité parisienne du capital de 130,000 livres de rente. Il fallut donc s’adresser une fois de plus au clergé, et c’est ce qui amena la convocation de l’assemblée de Melun, dont j’ai rappelé plus haut l’attitude énergique en présence d’Henri III, Les députés de cette assemblée protestèrent non-seulement contre le mauvais emploi qui avait été fait des fonds accordés par l’assemblée de 1567, mais encore contre les actes de cette assemblée elle-même, et déclarèrent que l’église ne devait plus rien à l’Hôtel de Ville, puisque, outre qu’on avait levé les deniers nécessaires pour acquitter les arrérages courans des rentes, on avait payé de quoi acquitter les sorts principaux. La réclamation n’était que trop fondée, et le roi demanda à l’assemblée de Melun de vouloir seulement s’obliger, pour six années, à continuer de servir les 1,300,000 livres de rentes dues à l’Hôtel de Ville, terme au-delà duquel il s’engageait à ne plus rien lui demander. L’assemblée de Melun se refusait à souscrire à de telles conditions. Il y eut à ce sujet, entre elle et le roi, de longues conférences qui durèrent tout le mois d’août.

J’ai déjà dit plus haut quel langage résolu les députés tinrent à la couronne. Cependant, en présence des sollicitations de celle-ci, l’assemblée fit une concession ; elle consentit à verser au roi un million de livres par an, pendant le laps de six années, pour lequel on lui demandait de s’engager, mais à titre de don gratuit et sous la réserve d’être déchargée du paiement des rentes de l’Hôtel de Ville. Henri III repoussa ce moyen terme, qui laissait précisément à sa charge la dette dont il lui importait le plus de se libérer. Nouveaux pourparlers, nouvelle protestation de l’assemblée, qui déclarait, le 25 septembre, se refuser à payer pour l’acquittement des rentes de Paris la somme que sa majesté exigeait. Afin de faciliter les négociations poursuivies entre le roi et l’assemblée, celle-ci, de Melun, s’était transportée dans la capitale, et ses séances se tenaient à l’abbaye Saint-Germain-des-Prés. Durant plusieurs semaines, elle persista dans ses résolutions. Au commencement de décembre, elle les fit signifier au prévôt des marchands et échevins de Paris, leur déclarant que le clergé avait suffisamment satisfait aux obligations antérieurement souscrites. Cette nouvelle s’étant promptement répandue dans la ville, elle y causa une vive agitation. Des attroupemens menaçans se formèrent dans les mes ; plusieurs parlaient de courir aux armes, les boutiques se fermaient, tout annonçait une collision. Au lieu de donner tort au roi, les rentiers accusaient le clergé de mauvaise foi, de manquer à des engagemens qui eussent dû lui être sacrés, puisque les fonds fournis à l’état par l’emprunt dont il avait garanti les intérêts étaient destinés à soutenir la guerre contre les protestans, qu’il avait demandée. On reprochait aux ministres de Dieu de réduire à la détresse, par leurs refus obstinés, des vieillards, des veuves, des orphelins. Le bureau de la ville dut aviser au plus tôt pour calmer l’effervescence populaire. Le prévôt des marchands, Claude d’Aubray, accompagné des échevins, se rendit au parlement, auquel il exposa la situation. Le temps pressait. Quoique le jour fût déjà fort avancé, toutes les chambres s’assemblèrent, et, à la requête d’Augustin de Thou, portant la parole pour le procureur général, la cour rendit un arrêt par lequel elle ordonnait que les évêques-députés ne pussent sortir de Paris et comparussent à sa barre, et que ceux qui avaient déjà quitté la ville fussent arrêtés dans le lieu même où cet ordre leur serait signifié. La publication de l’arrêt mit fin à l’émeute. Les députés du clergé protestèrent contre l’outrage que leur faisait le parlement ; mais les choses en étaient venues à ce point qu’il eût été dangereux de persister dans le refus de subvention. Le roi était intervenu de nouveau et avait insisté pour que la somme nécessaire à assurer le paiement des rentiers fût votée pour un laps de dix ans. L’assemblée s’exécuta. De la sorte fut définitivement transportée sur le clergé la créance que l’Hôtel de Ville avait sur le roi. La couronne se débarrassa des rentiers, dont les réclamations incessantes, mais fondées, la gênaient fort. Elle rejetait sur le corps sacerdotal l’acquittement des arrérages, qu’elle s’était vue si souvent dans l’impossibilité de servir. Les rentiers y gagnèrent, car la richesse du clergé était pour eux une garantie plus sûre que le trésor royal, constamment obéré, et le crédit de l’état s’en trouva bien. Quoique le roi eût pris envers l’assemblée de Melun l’engagement de ne rien demander au-delà du terme convenu, tout esprit clairvoyant devait pressentir qu’une telle promesse ne serait pas tenue. Les concessions des deux assemblées convoquées depuis le colloque de Poissy avaient créé un précédent, auquel le clergé ne pouvait échapper. Il allait bientôt se voir dans l’obligation de concourir annuellement aux dépenses publiques et de fournir, comme les deux autres ordres, sa quote-part régulière d’impôts.

L’assemblée le comprit, et afin de veiller à ce que les demandes de subsides n’allassent pas en croissant, afin de sauver par son intervention régulière et périodique le droit du clergé de voter librement les décimes, elle sanctionna définitivement la résolution déjà prise à l’assemblée de 1567, avec l’approbation du roi, à savoir qu’une assemblée serait tenue tous les dix ans, pour y procéder au renouvellement du contrat de Poissy et en débattre les conditions, qu’il y aurait en outre de cinq en cinq ans une assemblée uniquement consacrée à l’audition des comptes des syndics généraux et receveurs du clergé, laquelle se confondrait naturellement à chaque période décennale avec la grande assemblée.

Ainsi fut constituée définitivement la représentation du clergé en France et réglé le roulement des sessions. Les assemblées décennales, dites grandes assemblées, votèrent les impôts, les quinquennales ou petites assemblées statuèrent sur les comptes et procédèrent à la nomination du receveur général du clergé, dont les fonctions n’étaient que d’une durée de dix années, répondant à celle du contrat, mais qui, renouvelées dans la suite, finirent par prendre un caractère permanent. Les attributions des assemblées ne s’arrêtèrent pas là, et je dirai bientôt l’étendue qu’elles prirent.

Les rapports que la couronne entretenait avec le clergé étaient trop nombreux et les affaires à régler parfois trop urgentes pour que le gouvernement royal pût attendre afin d’y pourvoir la réunion d’une assemblée avec laquelle il traiterait ou dont il prendrait les avis. Les assemblées régulières et périodiques n’empêchèrent pas en conséquence l’appel d’assemblées extraordinaires, qui durent aussi dans la suite statuer sur des demandes de subventions auxquelles il importait de répondre au plus tôt.

Le clergé se chargea lui-même du département des décimes par diocèses et de l’établissement des rôles pour la part à laquelle était taxé chaque bénéficier. Cette opération, confiée avant l’assemblée de Melun à ceux qu’on appelait les syndics et députés généraux du clergé de France, donna lieu à de graves abus auxquels ladite assemblée entreprit de porter remède. Les mesures prises par elle achevèrent de mettre l’église en possession d’une autonomie financière plus complète que celle dont elle avait encore joui.


II

On le voit, les conséquences des assemblées du clergé de 1567 et de 1579 furent considérables ; elles firent reconnaître par la couronne le droit pour le premier ordre de l’état d’avoir son administration fiscale propre, comme il avait déjà ses propres juridictions. Réunies pour statuer sur des demandes d’impôts, ces assemblées furent tout naturellement amenées à traiter d’une foule d’affaires litigieuses qui se liaient à la jouissance du temporel ecclésiastique, à prendre des résolutions auxquelles tout le clergé de France dut se conformer et qui eurent dès lors pour lui le caractère de véritables lois. Prononçant en dernier ressort sur des questions soumises à son examen, soit par des clercs isolément, soit par le conseil du roi lui-même, elles devinrent un tribunal suprême en matière de temporel ecclésiastique. Au-dessous de ce tribunal furent institués, sous le nom de chambres ou bureaux généraux des décimes, des tribunaux qui formèrent toute une hiérarchie de juridictions en matière administrative, qui échappèrent au contrôle du parlement, de la cour des aides, et qui ne relevaient pas conséquemment de la couronne. L’établissement de ces chambres ou bureaux des décimes fut décidé par l’assemblée de Melun, qui obtint du roi Henri III un édit pour leur création. Il est du 10 février 1580 et institue des chambres ou bureaux généraux des décimes à Paris, à Lyon, à Toulouse, à Bordeaux, à Rouen, à Tours et à Aix et en fixe le ressort respectif. L’assemblée de 1585 en fit établir un huitième à Bourges. Les successeurs d’Henri III confirmèrent cette institution, qui n’avait eu dans le principe qu’un caractère temporaire et ne devait durer qu’autant que le contrat décennal. Des lettres patentes du roi la rendirent plus tard perpétuelle. Au reste les assemblées du clergé, en votant les décimes, avaient bien soin de stipuler la confirmation de ces chambres. Les bureaux dont il est ici parlé renvoyaient à la prochaine assemblée du clergé une foule d’affaires sur lesquelles ils n’entendaient pas prononcer en dernière instance. L’assemblée, au contraire, décidait souverainement, et ses décisions étaient exécutoires sans avoir besoin de l’homologation du conseil du roi. Les diocèses, les églises, les bénéficiera étaient tenus de s’y conformer. Ainsi les décisions que prenait l’assemblée générale du clergé avaient force de loi pour tout l’ordre ecclésiastique, ce qui donnait à cette assemblée en matière de temporel le caractère d’un parlement à la façon du parlement anglais, revêtu d’une double autorité, législative et judiciaire.

Outre les bureaux généraux, il s’établit par la suite des bureaux diocésains, qui furent créés par un édit de 1615 et qui connaissaient en première instance des questions relatives aux décimes, ce qui compléta la juridiction fiscale de l’église en France. La création d’une telle juridiction n’eut pas lieu cependant sans soulever une opposition de la part de la justice séculière, des tribunaux laïques. Lors de l’assemblée de 1595, la cour des aides, qui voulait s’attribuer le jugement de toutes les affaires concernant les décimes, demanda au roi son intervention près de cette assemblée, afin qu’il fût fait droit par celle-ci aux réclamations qu’elle élevait. Henri IV, de l’avis de son conseil, répondit à la cour que le contrat de Poissy lui liait les mains et qu’il ne pouvait dépouiller le clergé d’un privilège qui lui avait été acquis depuis la passation de ce contrat. Cependant trois années plus tard, en janvier 1598, le même monarque rendait, à la sollicitation de la cour des aides, un édit qui transférait aux officiers royaux, appelés élus, la connaissance des affaires touchant la perception des décimes et à ladite cour les jugemens, en dernière instance, sur pareille matière. Il se fondait sur un édit d’Henri II de 1551, qui avait prononcé dans ce sens. Le clergé fit entendre de violentes plaintes, et il insista si fort qu’en avril 1598 Henri IV dut révoquer son édit par lettres patentes. Toutefois la compétence exclusive des bureaux ecclésiastiques en matière de décimes ne fut pas reconnue simultanément dans la totalité du royaume. En plusieurs diocèses, les causes qui se rattachaient à la levée des décimes continuèrent d’être portées pendant longtemps aux tribunaux séculiers. Tel fut notamment le cas en Bretagne. Les difficultés étaient incessantes sur ces levées qui donnaient lieu aux réclamations journalières des bénéficiera, les uns se plaignant d’être surtaxés, les autres qu’on exigeât d’eux ce qui n’était pas dû. De là beaucoup de non-valeurs dans les levées, surtout au temps des guerres religieuses, alors que les bénéfîciers étaient souvent spoliés, les établissemens religieux saccagés, rançonnés par les soldats de l’un ou l’autre parti, que les ecclésiastiques étaient exposés à mille violences.

Les décimes devinrent à partir de la fin du XVIe siècle des impôts que le clergé acquittait régulièrement. On distingua deux sortes de décimes, 1° les décimes ordinaires auxquels étaient assujettis tous les bénéficiers ayant revenu certain, même ceux qui ne touchaient de l’église qu’une simple pension ; c’était cette catégorie de décimes que votaient avant tout les assemblées décennales ; 2° les décimes extraordinaires qui, accordés d’abord par exception, mais toujours en vertu d’un contrat, ne tardèrent pas à prendre le caractère d’impôt régulier comme les décimes ordinaires, parce qu’ayant reçu une affectation spéciale ils furent périodiquement réclamés ; mais on finit par les affecter au paiement des rentiers et aux gages des officiers du clergé, en sorte que le trésor royal n’en profita plus. Les véritables décimes extraordinaires furent ceux qui se levaient pour fournir aux subventions spéciales appelées dons gratuits et que les assemblées accordaient au roi, afin de lui permettre de faire face à des besoins particuliers ou imprévus. Les sommes pour lesquelles le clergé s’obligeait par les dons gratuits se payaient généralement en plusieurs termes. Malgré leur caractère exceptionnel, ces derniers décimes devinrent à leur tour des impôts ordinaires, comme les deux autres sortes de décimes, et au XVIIIe siècle, ils furent votés régulièrement de cinq en cinq ans à la réunion de chaque assemblée.

Une conséquence toute naturelle de l’autonomie fiscale qu’obtint le clergé fut le droit de faire lui-même le département des contributions qu’il s’imposait. Ce droit, qu’il n’exerçait qu’incomplètement dans le principe, devint pour lui absolu dès la fin du XVIe siècle. Le clergé garda les rôles de ces répartitions dont n’eut plus à connaître, comme elle l’avait fait d’abord, la chambre des comptes. On créa graduellement toute une armée de fonctionnaires financiers, chargés tant du département que de la perception des décimes. En tête se trouvait le receveur général du clergé ; au-dessous de lui étaient placés des receveurs diocésains, des contrôleurs, etc. L’état des recettes de chaque diocèse était centralisé chez le receveur général qui rendait, comme il a été dit plus haut, ses comptes à l’assemblée. Il avait conséquemment à encaisser des sommes considérables et fournissait une caution beaucoup plus forte que les autres receveurs. Cette charge créait au reste pour celui qui l’occupait une lourde responsabilité, car plusieurs fois les créanciers du roi entendirent le rendre responsable des sommes qu’ils n’avaient pas touchées. L’ensemble des décimes payés par le corps ecclésiastique, de la fin du XVIe siècle à 1788, représente un chiffre très notable pour la fortune publique sous l’ancien régime. Voici quelques nombres qui donneront une idée des charges que supportèrent les biens du clergé. En 1598, cet ordre paya pour décimes extraordinaires 57,833 écus, en 1600 et 1601, 116,487 écus, en 1628, 3 millions de livres (il s’agissait de contribuer aux dépenses du siège de La Rochelle), en 1670, 2,200,000 livres, en 1693, 4 millions de livres, en 1710, 24 millions.

Les sommes extraordinairement accordées n’étaient pas au reste prises exclusivement sur les bénéficiers. Une fraction en était quelquefois fournie par les officiers des décimes, dont les charges, d’abord assez lucratives, leur permettaient, grâce aux taxes à eux accordées, de réaliser d’assez gros profits. Disons au reste que l’impôt acquitté par le clergé était beaucoup plus équitablement réparti dans son sein que ceux que payait au roi l’ensemble de la nation. Il était en effet constamment proportionnel au revenu du bénéfice, et il n’y avait pas de solidarité, pour l’acquittement des sommes votées, de diocèse à diocèse, de bénéfice à bénéfice. Cependant il s’introduisit divers abus dans la levée des décimes, abus analogues à ceux qui existaient en si grand nombre sous l’ancien régime dans la perception des impôts. Sans parler de quelques bénéficiers qui trouvèrent moyen, sous divers prétextes, d’obtenir des modérations excessives, de grands dignitaires de l’église eurent des exemptions totales des décimes, Tel était notamment le cas pour les cardinaux. Richelieu, qui se montra plusieurs fois fort exigeant dans ses demandes d’argent au clergé, ne se fit pas faute de réclamer la décharge des sommes auxquelles étaient taxés les nombreux bénéfices qu’il possédait, et les assemblées qui prononçaient en pareille matière n’osaient lui refuser cette faveur. Quoique le clergé régulier fût astreint comme le clergé séculier à acquitter les décimes, plusieurs ordres religieux prétendirent s’affranchir de cette obligation. L’ordre de Saint-Jean de Jérusalem contesta pendant longtemps qu’on eût le droit de l’imposer, malgré les déclarations royales qui lui enjoignaient de payer. Il y eut procès sur procès, réclamations sur réclamations et de longs débats à cet égard au sein des assemblées ; le litige ne se termina qu’en 1606 par une transaction qui fut connue sous le nom de composition des Rhodiens ; elle réduisait à une somme de 28,000 livres la quote-part que l’ordre de Malte devait payer en vertu du contrat de Poissy. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, le clergé du Béarn prétendit également être dispensé des décimes sous prétexte que le chef-lieu de sa province ecclésiastique était situé hors de France, mais il dut à cette époque se soumettre à la loi commune.

Le régime administratif que s’était donné le clergé assura à ses finances sous l’ancienne monarchie une situation meilleure que celle qu’offrait le trésor public. Ces assemblées régulières, où les comptes des receveurs étaient attentivement examinés, fournissaient avec le libre vote des impôts des garanties qui manquaient au gouvernement séculier d’alors. Plus ménager de ses ressources, parce qu’il n’y pouvait recourir qu’en chargeant les bénéficiers dont les intérêts étaient représentés avant tout dans les assemblées, il n’était pas d’ailleurs exposé, comme le roi, aux dépenses inattendues créées par les guerres et entraîné à ces prodigalités que la couronne jugeait nécessaires à son éclat ou se laissait arracher par l’adulation. Loin d’accroître incessamment sa dette, il s’attacha à la réduire ou du moins à ne pas ouvrir de nouveaux emprunts avant d’avoir remboursé une bonne partie de ceux qu’il avait précédemment contractés ; car, au lieu de pressurer les bénéficiers, le clergé recourut à des emprunts toutes les fois que des subsides extraordinaires, que des dons gratuits le mettaient dans l’obligation de réunir des sommes considérables. Ces emprunts furent opérés d’abord de façon que les rentes à servir n’avaient qu’un caractère temporaire ; on assurait par un fonds d’amortissement ou par la vente d’une fraction du temporel le remboursement des sommes empruntées. Puis, ce mode n’ayant point paru aux assemblées satisfaisant, et le remboursement ayant éprouvé des retards qui venaient ajouter à la dette, elles ne voulurent plus secourir l’état que par des emprunts perpétuels, et elles appliquèrent, dès la fin du XVIe siècle, le fonds d’amortissement au rachat des rentes. Ce bon système administratif inspira confiance au public, qui trouvait dans le patrimoine du clergé de solides garanties. Voilà pourquoi les rentes sur le clergé, qui se multiplièrent au siècle dernier avec les emprunts, furent singulièrement recherchées de toutes les classes de la population ; elles formaient alors une bonne partie de la fortune mobilière des Français. On conserve encore aujourd’hui dans les dépôts d’archives des milliers de constitutions de rentes de cette nature ; elles étaient faites par des contrats passés devant notaire et où intervenaient comme parties, d’une part l’acquéreur ou bailleur de fonds, de l’autre les commissaires délégués par l’assemblée du clergé pour opérer l’emprunt.

Cependant, malgré sa bonne administration financière le clergé subit plus d’une fois l’influence des détestables procédés auxquels recourait le gouvernement royal pour se procurer de l’argent. En diverses circonstances, afin de ne pas toucher aux biens ecclésiastiques et de ne point accroître le taux des décimes, l’assemblée décida, le plus ordinairement à la suggestion des ministres, la création de nouveaux offices financiers ou le rachat de ceux qui existaient déjà pour les revendre ensuite plus cher. C’est ainsi qu’on multiplia abusivement des charges de receveurs particuliers et de contrôleurs des décimes, qu’on en fit d’alternatifs et de semestriels. Ces fonctionnaires, quoique dépendant en réalité du clergé, avaient le caractère d’officiers du roi. Le gouvernement encaissait le prix des charges et touchait de la sorte les fonds qu’il réclamait du clergé obligé d’assurer les gages des offices nouvellement créés, ce qui grossissait sa dette flottante. Au bout de peu d’années, les gages devenaient insuffisans, par suite des créations nouvelles qui réduisaient le produit des taxes à l’aide desquelles ces fonctionnaires étaient en partie salariés ; il fallait augmenter les émolumens pour satisfaire aux réclamations des officiers qui jouent un grand rôle dans les séances des assemblées. Au XVIIIe siècle, le clergé avait au reste reconnu le vice de pareils procédés, et à l’assemblée de 1735, comme on discutait les moyens de faire face à une nouvelle demande du roi, le rapporteur déclara que la création des offices était un expédient aussi insuffisant qu’onéreux.

Non-seulement la réunion périodique des assemblées assura au clergé une représentation dans l’ordre de ses intérêts terrestres, elle amena de plus l’institution de fonctionnaires qui constituèrent pour son gouvernement temporel un véritable pouvoir exécutif. Ce furent les agens généraux du clergé.

Il ne suffisait pas que l’assemblée eût fait reconnaître par le roi les franchises ecclésiastiques, pris des résolutions et imposé des conditions pour les subsides qu’elle accordait, il fallait encore qu’une surveillance de tous les instans s’exerçât afin qu’aucune atteinte ne fût portée à la jouissance de ses immunités et que les mesures votées fussent réellement mises en pratique. Les premières assemblées du clergé avaient chargé de cette mission ceux auxquels elles confiaient le département des décimes, à savoir : les syndics et députés généraux du clergé. L’assemblée de Melun de 1579 modifia cette institution en la régularisant ; elle décida qu’il serait établi deux agens généraux des affaires du clergé, ainsi que des syndics métropolitains et diocésains. Les agens généraux ne tardèrent pas à prendre une place considérable dans le gouvernement temporel de l’église gallicane. Nommés dans le principe seulement pour deux ans, leurs fonctions devinrent plus tard quinquennales. En vertu du règlement voté par l’assemblée de Melun, et qui fit loi désormais, deux provinces ecclésiastiques, à tour de rôle, élisaient chacune un agent général ; l’élection devait être confirmée par l’assemblée à la réunion de laquelle les deux agens nouvellement élus entraient en charge. Cette élection se faisait en réalité à deux degrés, car l’agent était choisi par les mandataires des bénéficiers, le collège qui y procédait se composant du syndic métropolitain et des syndics ou agens diocésains. L’agent général sortant pouvait au reste être réélu, si l’un des collèges de provinces dont c’était le tour à nommer portait sur lui son choix. Mais l’agent général venait-il à être promu à l’épiscopat pendant qu’il était en exercice, il devait se démettre, une fois sacré, car de telles fonctions n’étaient occupées que par un membre du clergé du second ordre. Les agens généraux eurent spécialement pour devoir de suivre auprès de la cour ou, comme l’on disait, de solliciter toutes les affaires qui concernaient le clergé, de demander la réforme, l’abrogation des édits, déclarations, lettres patentes du roi, arrêts des cours souveraines, contraires aux immunités et aux intérêts de l’église, de faire les diligences nécessaires pour obtenir les réparations aux infractions apportées aux contrats passés avec la couronne pour décimes et dons gratuits, de poursuivre devant les tribunaux les procès où le clergé était engagé. Toujours présens à la cour, les agens généraux devinrent dès lors les intermédiaires constans entre le gouvernement royal et le corps ecclésiastique tout entier ; c’était à eux que le roi faisait expédier les lettres de convocation des assemblées du clergé, qui ne purent jamais se tenir sans sa permission ? les agens les notifiaient aux diocèses. Ces officiers eurent aussi pour mission de réunir les prélats qui se trouvaient à la cour, lorsqu’on voulait prendre leur avis sur quelque affaire urgente et savoir d’eux s’il n’importait pas de convoquer une assemblée extraordinaire. Les syndics diocésains jouaient dans leur diocèse respectif un rôle analogue à celui des agens généraux avec lesquels ils étaient en continuelle correspondance ; ils étaient surtout chargés de la poursuite des procès qu’intentait le diocèse et de ce qui en concernait les intérêts particuliers. Le poste d’agent général devint donc un ministère des affaires ecclésiastiques au petit pied ; ces agens eurent leurs secrétaires et leurs bureaux. Ils étaient entourés d’une grande considération, et, à partir de 1615, le roi leur conféra le titre de conseiller d’état. C’était parmi ceux qui remplissaient ou avaient rempli ces fonctions que l’on choisissait volontiers les évêques, et plusieurs de ces hauts fonctionnaires se sont acquis une notoriété dans la politique ou la théologie.

On comprend qu’avec l’influence qu’exerçaient les agens généraux le roi ait cherché à mettre leur nomination dans sa dépendance. Jusqu’en 1641, elle avait entièrement appartenu au clergé, et Sélection qui se faisait n’avait pas besoin d’être confirmée par l’autorité royale ; mais à cette époque il s’éleva sur l’acceptation des nouveaux agens entre le roi et le clergé un débat qui eut beaucoup de retentissement.

Louis XIII, qui agissait à l’instigation de Richelieu, voulut imposer pour agent un sieur Berland, prieur de Saint-Denis de la Châtre. L’assemblée ne s’était point encore réunie cette année-là, mais les provinces ecclésiastiques avaient l’usage de procéder à l’élection des agens à la place de ceux qui sortaient de charge, quand même il n’y avait pas d’assemblée générale. Les provinces dont c’était le tour de nommer les nouveaux agens, à savoir celle d’Arles et celle d’Embrun, avaient choisi l’abbé de Grignan et l’abbé d’Hugues, chantre et chanoine de l’église d’Embrun. Quand, suivant l’usage, ils se présentèrent au roi, celui-ci refusa de les reconnaître. Il donna pour motif que l’abbé de Grignan avait été élu par une assemblée réunie sans sa permission. En effet, comme il entendait maintenir au poste d’agent l’abbé Berland, sa créature ou plutôt celle de Richelieu, car ce Berland était un peu parent du cardinal, il avait mandé à toutes les provinces qu’on ne procédât pas à l’élection d’un agent avant l’année 1645. Quant à l’élection de l’abbé d’Hugues, il la tenait pour viciée par un marché qui sentait la simonie. L’abbé d’Hugues, dans l’assemblée provinciale d’Embrun, n’avait obtenu que deux voix, tandis que la majorité s’était portée sur Gassendi, le célèbre philosophe qui fut l’adversaire de Descartes et qui était prêtre, comme l’on sait. L’abbé d’Hugues avait donné 8,000 livres à son compétiteur pour en obtenir le désistement, et c’est ainsi qu’il avait été nommé. De pareils marchés n’étaient pas rares dans les élections ecclésiastiques, et on fermait là-dessus les yeux, ainsi que nous l’apprend Montchal dans son Journal de l’assemblée de Mantes. Mais Louis XIII, qui voulait écarter ces compétiteurs, se montra plus sévère qu’on ne l’avait été jusqu’alors. En fait, il avait déjà mis l’abbé Berland en possession des fonctions qu’il entendait lui faire attribuer. Quelques jours auparavant (30 août 1641), il avait envoyé au prieur de Saint-Denis de la Châtre une lettre de cachet par laquelle il lui commandait d’exercer la charge d’agent jusqu’à ce qu’il en eût autrement ordonné. Berland s’était mis dès lors en possession de son poste, et malgré les réclamations des deux agens sortans qui devaient rester en fonctions jusqu’à l’élection de leurs successeurs, notamment de l’abbé de Saint-Vincent, le plus résolu des deux, il opéra une descente aux archives du clergé et s’empara des papiers dont les agens avaient la garde, car Richelieu, qui voulait imposer à nouveau le clergé, avait intérêt à connaître les originaux des départemens des décimes pour l’année 1588, destinés à servir de base à la nouvelle imposition. Un pareil acte était presque un coup d’état. L’abbé de Saint-Vincent, qui n’entendait pas s’associer au nouveau département des décimes que Berland prétendait faire de sa propre autorité, écrivit aux diverses provinces ecclésiastiques pour se plaindre de la violence du procédé, et leur envoya une protestation imprimée où l’on demandait la prompte convocation d’une assemblée générale du clergé. Berland, qui se prétendait toujours agent et que Richelieu ne cessait de mettre en avant, fit opposition aux actes de l’abbé de Saint-Vincent. L’affaire fut portée devant le conseil, qui cassa l’opposition de celui-ci, aussi bien que celle de l’abbé de Saint-Vincent, et rendit un arrêt qui ordonnait que les protestations des deux compétiteurs seraient supprimées, et les ajournait personnellement, eux, aussi bien que les imprimeurs. Défense était faite en même temps par le conseil aux agens de convoquer une assemblée générale sans la permission du roi. Le conflit entre les deux agens dura jusqu’à la réunion de l’assemblée à Mantes, dont je parlerai par la suite, et cette assemblée refusa de recevoir Berland, qu’elle tenait pour un intrus, et confirma l’élection des abbés d’Hugues et de Grignan ; en sorte que malgré tous les efforts de Richelieu pour dépouiller en cette circonstance les provinces de leur droit, force resta à l’assemblée.


III

Pour faire connaître les assemblées du clergé, je dois maintenant parler de la manière dont elles étaient élues et de la tenue de leurs séances.

Dès le principe, les élections des députés à l’assemblée du clergé se firent par provinces ecclésiastiques, à la différence des élections des députés des trois ordres aux états-généraux qui se faisaient par généralités. On appelait province ecclésiastique l’ensemble des diocèses placés sous un même métropolitain. Toutefois certains diocèses qui appartenaient à des gouvernemens plus récemment annexés ou qui ne relevaient pas de métropolitains français ne prenaient point part à ces élections. Tel était le cas, au siècle dernier, pour les diocèses de Besançon, Strasbourg, Metz, Toul, Verdun, Arras, etc., et ce ne fut qu’exceptionnellement que quelques-uns des prélats placés à leur tête furent appelés dans les assemblées, ce qui eut lieu notamment à celle de 1682. En chaque diocèse se tenaient des assemblées dites diocésaines, composées des bénéficiers auxquels appartenait le droit électoral. C’étaient aussi les seuls bénéficiers qui pouvaient être élus députés d’une des seize provinces ecclésiastiques entre lesquelles se partageait l’église de France proprement dite. Le nombre des députés n’avait point été à l’origine arrêté d’une manière bien précise. L’assemblée de 1567 avait simplement décidé qu’on élirait un ou deux députés au plus par province ; en sorte que les députés du second ordre pouvaient faire complètement défaut ; mais le nombre des députés fut ensuite réglé à quatre par province pour les assemblées décennales, deux du premier ordre et deux du second ordre ; pour les petites assemblées ou assemblées des comptes, on se borna à faire élire un député de chaque ordre. Les députés du premier ordre étaient l’archevêque et l’un des évêques ou deux des évêques de la province respective ; ceux du second ordre, des ecclésiastiques in sacris, c’est-à-dire étant au moins sous-diacres et possédant un bénéfice payant décime dans la province pour laquelle ils étaient élus. Les réguliers pouvaient être nommés comme les prêtres dès qu’ils avaient bénéfices. On n’excluait que les capucins. L’assemblée de 1645 établit par un article de son règlement que le bénéfice possédé devait être autre que chapellenie et payer au moins 20 livres de décime et avoir été possédé paisiblement depuis deux ans ; elle ajoutait l’obligation de domicile d’un an dans la province. Ces conditions d’éligibilité ne furent pas au reste toujours exigées par la suite. Les assemblées diocésaines donnaient aux députés élus procuration en forme passée devant notaire ou un officier ministériel équivalent, et lors de la réunion de l’assemblée générale, ces procurations étaient soigneusement vérifiées pour l’admission des députés. Comme c’était surtout de demandes d’argent faites par le roi et de questions touchant à l’exercice des prérogatives ecclésiastiques que l’assemblée avait à s’occuper, le mandat donné à l’élu devait énoncer formellement l’autorisation de voter les sommes réclamées ou d’accorder au moins jusqu’à, concurrence d’un certain chiffre. On y mentionnait aussi la limite des pouvoirs assignés au mandataire pour décider dans telle ou telle question. Ainsi le mandat était impératif à bien des égards ; et si, au cours des travaux de l’assemblée, la couronne présentait quelque demande non prévue de subside et d’un caractère urgent, les députés pouvaient déclarer qu’ils n’avaient point mandat suffisant pour engager leurs provinces. On alla même plus loin, et dans le principe[1] on admit que l’assemblée ne pouvait décider pour le clergé de tout le royaume que s’il y avait suffrage unanime des provinces, ce qui impliquait l’unanimité des procurations. Mais on se relâcha dès la fin du XVIe siècle d’une pareille doctrine encore soutenue à l’assemblée en 1586. Les inconvéniens de cette espèce de liberum veto étaient manifestes ; on se contenta donc d’exiger l’unanimité du vote des députés pour la concession de subsides non relatés dans les procurations, et la simple majorité fut regardée comme suffisante pour toutes les autres questions. Les députés une fois élus se rendaient au lieu de l’assemblée générale qui, à l’origine, ne devait pas se tenir dans la capitale, mais qui, à partir du XVIIe siècle, s’y tint au contraire fréquemment[2], d’ordinaire, soit à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, soit au couvent des Grands-Augustins. La session s’ouvrait avec beaucoup de pompe, car l’assemblée était entourée par le pouvoir de toutes les marques extérieures de considération et de respect. — Réunie sous la présidence du plus ancien des évêques, elle procédait à l’élection de son président définitif ou plutôt de ses présidens, car on en choisit souvent trois, et même davantage. Les suffrages se portaient généralement sur quelque grand personnage ecclésiastique en crédit ou jouissant d’une réputation d’éloquence et de savoir, un cardinal, un archevêque. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, les choix étaient complètement libres pour cette élection, et ils ne se portèrent pas constamment sur les prélats les plus hauts placés ; mais M. de Harlay, promu à l’archevêché de Paris, ayant été nommé président de l’assemblée, il regarda cet honneur comme un droit attaché à son siège, et on élut habituellement l’archevêque de Paris pour l’un des présidens. On nomma aussi quelquefois un président d’honneur, titre purement honorifique, car celui auquel il était décerné ne venait presque jamais prendre part aux délibérations de l’assemblée. Ce titre fut conféré aux cardinaux de Richelieu, Mazarin et Fleury, et le premier n’honora même pas de sa présence une seule fois l’une des assemblées qui lui avaient donné ce témoignage de respect. Outre les présidens et le secrétaire, le bureau comprenait un officier spécial appelé promoteur, parce qu’il était, de même que les ecclésiastiques portant cette qualification dans les officialités, chargé des fonctions du ministère public. Nulle question ne pouvait être mise en délibération qu’il ne l’eût préalablement requis. C’était une sorte de rapporteur général, qui présentait ses conclusions sur la plupart des affaires traitées dans les séances, notamment sur les conflits de compétence soulevés sans cesse entre le clergé et la magistrature. Défenseur attitré des privilèges de l’église, il signalait à l’assemblée les arrêts du conseil et ceux du parlement qui lui paraissaient y porter atteinte et en demandait la réforme. Il s’entendait conséquemment avec les agens généraux ; aussi choisissait-on souvent pour promoteur l’un des agens généraux sortant de charge. Ces fonctions étaient si actives et si occupées que, dès l’assemblée de Melun de 1579, on jugea nécessaire d’élire deux promoteurs, et l’usage se perpétua d’en agir ainsi dans les grandes assemblées, car il n’y en avait qu’un pour les petites. Bossuet fut choisi pour promoteur de l’assemblée de 1682, où il avait été élu député par la nouvelle province ecclésiastique de Paris, n’ayant point encore reçu les bulles de sa nomination à l’évêché de Meaux. En divers cas, les promoteurs remplissaient à l’assemblée le rôle qu’ont les ministres devant les chambres.

La votation se faisait dans les séances par province, chacune devenant un jour à son tour la prérogative, comme auraient dit les Romains, ce qui signifie qu’elle avait le droit d’exprimer la première son suffrage ; droit important, car ce suffrage initial exerçait beaucoup d’influence sur celui des autres provinces appelées à voter ensuite. C’était par l’opinion de la majorité des députés d’une province que se formulait le suffrage de celle-ci. Y avait-il entre eux partage égal, le suffrage de la province était dit caduc, et il n’était point compté. Les agens généraux non pourvus du mandat de député, mandat qu’une province pouvait au reste leur donner, quoique ayant entrée dans l’assemblée, n’avaient que voix consultative. Les délibérations ne se prolongeaient guère, car c’était surtout dans les bureaux ou commissions que tout se préparait. L’assemblée recevait au début de sa session les commissaires du roi, ministres ou conseillers d’état qui étaient introduits avec toutes les marques de considération dues à leur rang et à la mission dont ils. étaient investis, suivant une étiquette scrupuleusement observée, comme on l’observait en toutes choses au temps de nos aïeux. Les commissaires présentaient au président de l’assemblée, devant lequel ils étaient assis sur des sièges élevés, les lettres royaux qui les accréditaient et ils exposaient les demandes que le roi adressait à l’assemblée. Cela fait, ils étaient reconduits en grande pompe comme ils avaient été reçus. Ils pouvaient se présenter toutes les fois que cela était nécessaire pour venir soutenir les propositions du roi ou en apporter de nouvelles, et le même cérémonial était toujours observé à leur égard. L’assemblée pouvait de même recevoir la visite de quelque grand dignitaire de l’église, des cardinaux, du nonce ou de ceux qui avaient à lui adresser des réclamations ou des plaintes. Ainsi toutes les fois qu’il s’agissait de renouveler le contrat de l’Hôtel de Ville de Paris, le prévôt des marchands et les échevins venaient saluer l’assemblée et soutenir dans des conférences avec les députés les intérêts de la municipalité parisienne. Une foule d’ecclésiastiques qui avaient à se plaindre des violences des officiers du roi ou des exigences du fisc sollicitaient également leur admission près de l’assemblée, en vue de lui demander justice. Mais plus ordinairement les réclamations de cette nature arrivaient sous forme de placets ou pétitions et étaient traitées comme les affaires litigieuses qui affluaient pendant la session : conflits d’attributions entre les évêques et les officialités, prétentions des réguliers de se soustraire à la juridiction de l’ordinaire, demandes de décharges pour torts ou dommages subis, etc., etc.

L’assemblée ne communiquait pas seulement avec le roi par l’intermédiaire des commissaires royaux ; elle avait encore le-privilège de pouvoir lui envoyer, comme au premier ministre, des députations pour lui adresser directement ses vœux et ses doléances, députations à la tête desquelles était généralement le président même de l’assemblée. La session ne commençait jamais sans que, dès les premiers jours après l’ouverture, on n’eût envoyé au roi, souvent aussi à la reine et aux princes du sang, une députation qui venait les assurer de la fidélité et du dévoûment du clergé. Si sa majesté se trouvait résider dans la ville même où se tenait l’assemblée, tous les membres de celle-ci se rendaient en corps auprès d’elle. Les députés allaient également complimenter le premier ministre, les cardinaux, le nonce ; ils en profitaient pour tâter leurs intentions à l’égard de l’assemblée et préparer les décisions à prendre. On ne manqua jamais d’en agir ainsi, surtout au temps de Richelieu, qui traitait les assemblées avec une considération plus apparente que réelle, quoiqu’il eût été lui-même, dans le principe, député à l’une d’elles, et qui, dans ses rapports avec le clergé, demeura bien plus ministre du roi que prince de l’église. Cependant Richelieu, s’il se laissa aller parfois à des momens de colère et d’irritation envers une réunion qui voulait lui tenir. tête, garda toujours les bienséances, tandis que dans ces visites de politesse elles ne semblent pas avoir été constamment observées à l’égard des représentans du corps le plus respecté de l’état, même par des dignitaires de l’église. Il est rapporté dans le journal de l’assemblée de 1635 qu’une députation qui avait à sa tête son président, l’archevêque de Bordeaux, se rendit auprès du cardinal de Guise comme témoignage de déférence. Ce cardinal, qui était archevêque de Reims, bien loin de se conformer à l’étiquette observée en pareille circonstance, cédant à ses habitudes mondaines, parut, nous dit le journal, « habillé comme un prince de profession d’épée, la tête bien frisée, avec le grand rabat, bien botté à la dernière mode, le pourpoint déboutonné à moitié par le bas et l’habit tout décoré de galands et de rubans de cuisse de bergère endormie, avec l’assassin ou mouche au coin de l’œil, vers la joue. » — « Ce prince, poursuit le document contemporain, a reçu lesdits seigneurs prélats un peu moins civilement qu’il le devait, ce qui n’est pas l’ordinaire de ceux de sa maison, grands payeurs de ces monnaies extérieures, bonnes ou mauvaises, car il a pris partout la main droite et le devant desdits seigneurs-prélats. Aussi n’ont-ils pas été plus tôt sortis qu’ils s’en sont hautement formalisés, et il a été dit que le feu Mgr le cardinal de Guise, avant qu’être cardinal, ayant fait la même discourtoisie, s’en était depuis corrigé. » Lors de la réunion de l’assemblée de 1635, une députation alla aussi présenter les salutations du clergé au cardinal de La Valette, qui n’était guère en tenue plus ecclésiastique que le cardinal de Guise, et que la députation trouva botté et habillé de gris, son ordre du Saint-Esprit mis en écharpe au lieu d’être en sautoir ! Il est vrai, nous dit le journal, que par l’éclat de sa conduite et la renommée de son courage, le cardinal a montré qu’il pouvait tenir en main d’aussi bonne grâce une épée qu’un bréviaire.

Les délibérations des assemblées du clergé, des grandes comme des petites, n’étaient pas publiques ; elles devaient même avoir en principe un caractère si secret que les députés prêtaient le serment suivant au moment de leur admission : « Nous jurons et promettons de n’opiner ni de donner notre avis qu’il ne soit suivant nos consciences, à l’honneur de Dieu et conservation de son église, sans nous laisser aller à la faveur, à l’importunité, à la crainte, à l’intérêt particulier, ni aux autres passions humaines, que nous ne révélerons directement ni indirectement, pour quelque personne que ce soit, les opinions particulières des délibérations et résolutions prises en la compagnie, sinon en tant qu’il sera permis par icelle. » Mais comme les décisions prises par les assemblées faisaient loi pour le clergé, il les lui fallait naturellement connaître, et voilà pourquoi de bonne heure on imprima les procès-verbaux, en leur faisant toutefois subir des changemens et des suppressions destinés à cacher au public ce qui s’était passé dans le détail de la discussion. C’est seulement dans les procès-verbaux manuscrits et dans les journaux qui nous sont parvenus de quelques-unes des assemblées que l’on peut saisir réellement la physionomie des débats et connaître tout ce qui s’était traité dans les réunions. Celles-ci donnaient lieu, à raison du grand nombre d’affaires que l’on y portait, à une foule de mémoires, de dissertations, de rapports destinés à éclairer la religion des députés, à justifier les résolutions qu’ils prenaient et qu’on jugea utile de faire imprimer. De là la publication de la collection dite Mémoires du clergé, dont il a paru de nombreux volumes, et qui constituent un précieux recueil pour la jurisprudence canonique de la France. On y trouve en effet imprimés les décisions des assemblées du clergé, des extraits de leurs procès-verbaux et tous les documens à l’appui ; on y peut lire l’exposé développé de plusieurs des questions qui avaient été agitées dans les séances.

L’activité que déployaient généralement les députés dans ces comices quinquennaux n’empêchait pas que les sessions ne pussent se prolonger, vu la multitude d’affaires sur lesquelles ils avaient à statuer. Afin d’éviter qu’il en fût ainsi, le pouvoir royal tint à assigner une durée limitée à la tenue de ces assemblées ; elle ne devait pas en principe dépasser trois mois. Au commencement du XVIIe siècle l’usage avait prévalu de convoquer les assemblées pour le 25 mai ; mais il y eut fréquemment des prorogations. On a vu plus haut que la convocation se faisait par lettres patentes royaux. Les députés recevaient une indemnité dite taxe dont le chiffre était fixé par l’assemblée même et dont le taux a varié suivant les époques, comme le traitement des agens généraux[3]. Dans le cours du XVIIe siècle, la taxe était de 15 livres par jour ; quoiqu’elle fût réservée aux seuls ecclésiastiques députés, on l’accorda quelquefois à l’évêque du diocèse dans lequel se trouvait la ville assignée pour siège, à l’assemblée, prélat qui avait droit d’assister à ses délibérations. Il était, comme le président de l’assemblée, dans l’habitude de traiter somptueusement les députés. Saint-Simon, en ses Mémoires, nous parle de la table magnifique que tint à cette occasion, en 1700, l’archevêque de Reims et où l’on buvait un excellent vin de Champagne dont il refusa des bouteilles au roi Jacques II. L’admission à la taxe avait pour objet d’indemniser le diocésain d’une partie de ses dépenses. Le traitement des agens généraux nous semble aujourd’hui bien modeste quand on se reporte à l’importance de leurs fonctions. En effet, il n’était dans le principe que de 2,000 livres par an ou même moins. L’assemblée de 1657 le fixa à 15 livres par jour ; on accorda en outre à chaque agent général 500 livres pour frais de bureaux. Même en portant au quintuple ou au sextuple la valeur de l’argent, comparée à ce qu’elle est actuellement, on doit reconnaître que députés et agens étaient assez maigrement rétribués, car plusieurs arrivaient de provinces éloignées, et les transports étaient alors fort dispendieux. Tous ces émolumens étaient prélevés sur les fonds généraux du clergé, alimentés par une retenue sur les décimes, et tes députés, pour ce motif, s’en montraient fort ménagers. L’assemblée de 1625 établit par son règlement que les assemblées des comptes ne pouvaient durer plus de trois mois, et les décennales plus de six ; qu’au-delà de ce terme les députés devraient séjourner à leurs propres frais. On devait d’autant plus veiller à ce que la taxe des députés ne créât pas des dépenses considérables, que le clergé avait en outre sur son fonds général à subvenir à une foule de dépenses et de libéralités. Outre qu’on votait des gratifications à certains prélats qui s’étaient particulièrement entremis pour servir les intérêts de l’église, on accordait des pensions tantôt, et le cas était fréquent, à des ministres protestans convertis, tantôt à des écrivains dont les ouvrages étaient regardés comme ayant été utiles à la religion et à la propagation des bonnes doctrines. Voilà comment l’historien Varillas obtint de l’assemblée une pension pour son Histoire des Hérésies et Denis de Sainte-Marthe de fortes gratifications pour entreprendre la seconde édition du Gallia christiana dont la première avait été corrigée par ordre d’une assemblée antérieure. L’assemblée du clergé avait donc son budget de dépenses ; c’est là que figurait le traitement de ses officiers et de ses serviteurs, que l’on inscrivait même l’aumône qu’il était dans l’usage de faire aux pauvres à l’ouverture de chaque session. Cette charité contribuait à maintenir à l’assemblée le caractère religieux qu’elle entendait garder et qu’elle voulait imprimer à tous ses actes ; aussi l’on pense bien que dans un temps où les cérémonies du culte consacraient toutes les solennités publiques, elles ne pouvaient être séparées des séances de l’assemblée. L’ouverture et la clôture de la session étaient marquées par une grand’messe. Chaque séance commençait par une messe basse, à laquelle tous les députés devaient assister revêtus du costume qu’ils portaient à la salle des réunions, à savoir : les évêques, en rochet et en camail ; les députés du second ordre, en manteau court et en bonnet carré. Une fois que le bureau de l’assemblée, avait été élu et les pouvoirs vérifiés, on célébrait une messe solennelle du Saint-Esprit, où officiaient plusieurs des prélats appartenant à la députation et dans laquelle il y avait communion générale, comme à la messe d’ouverture de l’assemblée. Voilà au moins ce qui se pratiqua régulièrement à partir du XVIIe siècle. Les règlemens établis alors ne furent plus guère modifiés.


IV

Le gouvernement royal avait favorisé l’institution des assemblées périodiques du clergé, parce qu’elle lui assurait les moyens de tirer régulièrement des subsides de cet ordre riche et puissant. Il s’aperçut pourtant dans la suite que cette représentation ecclésiastique était de nature à lui créer parfois des embarras, qu’elle entretenait dans le corps sacerdotal un esprit d’indépendance en opposition avec ses vues. Aussi, tout en les convoquant, le roi et ses conseillers laissaient percer les inquiétudes qu’elles leur inspiraient. Tels étaient encore les sentimens qui existaient au XVIIe siècle autour du trône. Bossuet écrivait en septembre 1681 à l’abbé de Rancé : « Vous savez ce que c’est que les assemblées du clergé et quel esprit y domine ordinairement. Je vois certaines dispositions qui me font un peu espérer de celle-ci (l’assemblée de 1682) ; mais je n’ose me fier à mes espérances, et en vérité elles ne sont pas sans beaucoup de craintes. » C’est à raison des défiances qu’il avait à l’endroit des assemblées générales que le roi essaya plusieurs fois de leur substituer une simple réunion de prélats courtisans, ce qu’on avait baptisé du sobriquet de petite assemblée, réunion au reste toujours consultée quand il s’agissait de convoquer une assemblée générale. Mais quoi qu’il fit, il ne parvint jamais à donner à cette camarilla l’autorité de la représentation élue et régulière du clergé. Les assemblées générales protestèrent plus d’une fois contre ce que les évêques de cour avaient décidé, et ce fut notamment le cas en 1635. Le roi, en quelques circonstances, alla même jusqu’à se passer de tout avis des prélats pour lever sur le clergé de nouveaux décimes, sous prétexte qu’il y avait urgence et manifeste intérêt de la religion. On vit la chose se produire au temps du siège de La Rochelle, alors que, les 1,320,000 livres accordées par l’assemblée du clergé n’ayant pas suffi pour venir en aide aux frais de ce siège, Louis XIII prétendit, par simples lettres de cachet adressées aux évêques, pouvoir faire continuer la levée de décimes extraordinaires.

Cette tendance à restreindre la représentation ecclésiastique se manifesta presque dès le début des assemblées. La levée des décimes consentis sur le clergé par la conférence de Poissy s’étant continuée au-delà du 31 décembre 1577, terme qui lui avait été assigné, les évêques réclamèrent, et Henri III se vit forcé de convoquer une assemblée générale. Mais les lettres patentes qu’il délivra à cette occasion interdisaient aux membres du clergé du second ordre de se réunir avec les évêques députés par les provinces. Le clergé inférieur protesta, et le roi dut accorder de nouvelles lettres qui autorisaient les députés du second ordre à faire partie de l’assemblée qui fut la célèbre assemblée de Melun. Disons pourtant que quelquefois le roi fut fondé à réduire le nombre des députés. En certains cas, les provinces comptèrent plus de représentans qu’elles n’auraient dû en avoir, malgré les instructions données à cet égard aux agens généraux par les ministres de la couronne. Comme il s’élevait souvent des contestations sur la validité des élections quand l’assemblée se trouvait partagée sur la question de savoir lequel des deux compétiteurs devait être Validé, elle admettait l’un et l’autre à représenter la province. Le fait se produisit pour plusieurs provinces à l’assemblée de 1635. Louis XIII interdit ce système et exigea l’élimination d’un des deux élus. Ne parvenant pas à supprimer l’assemblée générale quand elle le gênait, le roi s’attacha au moins à réduire le nombre des députés qui devaient siéger, car outre que les réunions plus nombreuses donnaient lieu habituellement à des débats plus agités, elles cédaient moins à la pression qu’on cherchait à exercer sur elles. Malgré le mauvais vouloir que la couronne laissa percer à plusieurs reprises envers l’assemblée du clergé, elle en reconnut maintes fois hautement l’utilité. Louis XV s’exprimait ainsi en 1735 lorsqu’il convoquait les mandataires de cet ordre : « La permission que les rois nos prédécesseurs et nous avons accordée depuis longtemps au clergé de notre royaume de s’assembler pour donner moyen à ceux qui le composent de délibérer de leurs affaires ayant toujours produit beaucoup d’avantages au bien de notre service et du bon gouvernement de cet ordre, nous voulons leur accorder cette même grâce dans le temps accoutumé. » A l’aide des décisions que prirent en différentes conjonctures les assemblées à la demande du roi, celui-ci fit accepter au clergé des mesures qui sans elles n’auraient pu que difficilement être imposées. Ce fut particulièrement le cas pour des questions qui touchaient à la discipline ecclésiastique et à l’ordre spirituel, car les assemblées du clergé ne tardèrent pas à en connaître. Devenues périodiques, ces assemblées se substituèrent tout naturellement aux synodes nationaux, quoiqu’elles n’eussent été instituées que pour décider des points touchant aux intérêts purement temporels de l’église gallicane. Les rois encouragèrent cet empiétement sur les attributions des conciles de réunions élues uniquement dans le principe pour fixer le montant des décimes, car les conciles ne pouvaient être convoqués que par l’autorité du pape, qui exerçait toujours sur leurs délibérations une direction prépondérante ; cette direction s’était fait plus que jamais sentir au concile de Trente. Les assemblées du clergé, au contraire, n’avaient besoin d’autre autorisation que de celle du monarque, et, convoquées pour prononcer sur des intérêts purement gallicans, elles échappaient davantage à l’influence romaine. Aussi Louis XIV chercha-t-il dans ces assemblées des auxiliaires lors de sa lutte avec le saint-siège, et il cessa d’avoir recours à leur autorité spirituelle quand il se trouva en communion de vues avec le pape. Comme c’est la tendance naturelle des assemblées politiques de vouloir étendre leurs attributions, les assemblées du clergé entrèrent aussi d’elles-mêmes dans cette voie. Le colloque de Poissy, qui avait été leur point de départ, n’offrait-il pas déjà un caractère mixte et ne participait-il pas du synode, tout en demeurant à d’autres égards la simple chambre ecclésiastique des états-généraux de Pontoise ? Des questions d’ordre purement spirituel et touchant à la discipline ecclésiastique ayant été portées, dès la fin du XVIe siècle, par des membres du clergé aux assemblées décennales et même aux assemblées des comptes, les députés s’érigèrent en juges souverains sur la matière ; il en fut au moins ainsi pour les évêques, qui, tout mandataires des provinces qu’ils fussent, n’avaient point dépouillé pour cela leur autorité spirituelle, car on refusa toujours dans les assemblées, pour les décisions relatives au spirituel, voix délibérative aux députés du second ordre, malgré leurs réclamations. Saint-Simon, dans ses Mémoires, nous parle de celles qu’ils élevèrent lors de la condamnation, à l’assemblée de 1700, de divers livres composés par des jésuites. Une fois réunie, l’assemblée générale du clergé devenait donc la haute cour devant laquelle étaient jugés des points de discipline ayant été déjà pour la plupart discutés aux assemblées diocésaines. On appelait de la sorte de la décision de celles-ci à un tribunal ecclésiastique d’un degré supérieur. L’assemblée générale édicta dès lors des condamnations ; elle alla en certains cas jusqu’à lancer des anathèmes, des excommunications contre ceux qui s’étaient rendus coupables de violences envers le clergé ; elle prononçait sur l’orthodoxie des livres émanant de prêtres ou religieux français, censurait les uns, approuvait, encourageait les autres et rédigeait de véritables canons sous le titre de déclarations. Elle devint quelque chose comme la faculté de théologie de la Sorbonne, et ces décisions rendues par des représentans élus, choisis dans l’épiscopat, eurent au XVIIe siècle plus d’autorité encore. Les assemblées du clergé se constituèrent le boulevard des doctrines gallicanes ; mais, si elles favorisèrent à bien des égards l’indépendance de l’église de France, elles tinrent cependant toujours à demeurer en étroite union avec le saint-siège et elles protégèrent l’autonomie de l’église autant contre la royauté que contre l’ultramontanisme, ainsi qu’on le verra dans la suite de ce travail, consacrée à l’exposition de leurs actes les plus mémorables.

Tels étaient l’organisation et le mode de fonctionnement de ces assemblées qui dirigèrent l’administration temporelle de l’église de France pendant deux siècles. Elles défendirent parfois avec courage, toujours avec ténacité, les immunités de cette église ; mais, comme cela a été observé dans la conduite du clergé catholique en tout pays, on trouvait chez ces assemblées, unie au sentiment d’indépendance, une aspiration à la domination absolue sur le pouvoir laïque. La séparation du spirituel et du temporel n’est pas dans la pratique chose facile, et comme tout acte politique ou civil peut toujours être envisagé au point de vue de la conscience religieuse, le gouvernement des affaires temporelles arrive ainsi à relever du corps qui s’érige en arbitre de l’ordre spirituel. La tendance manifestée en plusieurs occasions dans les assemblées du clergé était donc bien faite pour porter ombrage à la royauté, toute chrétienne que celle-ci entendit rester. S’appuyant sur la législation canonique que le progrès des idées mettait de plus en plus en opposition avec la législation civile, subordonné à un chef placé hors du royaume et ne relevant pas du monarque, ayant même la prétention de lui commander, plus préoccupé des intérêts de la foi que de ceux de la nation, le clergé, par l’essence de sa constitution, devait créer de grands embarras à la couronne et graviter sans cesse vers la théocratie. La lutte entre l’église et l’état est vieille de plus de dix siècles ; elle a amené à toutes les époques de sérieuses difficultés que les gouvernemens ont tournées plutôt que résolues. Les assemblées générales eurent au moins l’avantage de permettre au clergé de formuler nettement ses principes et ses doctrines, à la royauté de traiter, de transiger avec lui. Le clergé se trouva, par l’institution de ses assemblées, investi d’un droit qui était refusé à la nation, mais il ne s’en servit pas pour l’étendre aux laïques qui en avaient été dépouillés ; il l’exerça comme un privilège réservé à un ordre placé par son caractère sacré fort au-dessus des deux autres. On ne saurait donc dire que les assemblées du clergé aient été les précurseurs de nos assemblées représentatives et que ce régime presque parlementaire qui lui avait été concédé ait préparé l’avènement du régime parlementaire dans notre pays. Malgré les traits de ressemblance qui rapprochent ces assemblées délibérantes des nôtres, elles s’en distinguent profondément. Leurs séances ne présentaient pas les luttes ardentes et les débats orageux de nos chambres. Il n’y avait pas là des partis, des factions irréconciliables, cherchant à s’arracher le pouvoir et se reprochant mutuellement de faire ce que chacune pratiquait pour son propre compte. Les délibérations étaient plus agitées que turbulentes ; elles dégénéraient rarement en scènes de violence et de scandales. Les députés y apportaient les habitudes de retenue et même de recueillement du sanctuaire. L’éloquence y conservait quelque peu les formes de la chaire ; elle s’y déployait avec cette ampleur pédantesque et cette solennité emphatique qui nous semblent aujourd’hui amphigouriques et ridicules. Loin d’attaquer avec irrévérence le pouvoir royal, les députés lui prodiguaient d’ordinaire les adulations alors même qu’ils résistaient à ses volontés. Durant la longue existence de ces assemblées, on n’eut à noter que quelques séances tumultueuses, où l’orgueil des prélats eut plus de part que l’opposition des idées. Mais, si les délibérations affectaient moins l’aspect d’une arène que nos assemblées politiques, en revanche elles donnaient lieu davantage à des menées, des cabales, qui s’ourdissaient sous le manteau des intérêts de l’église, car la soutane et la tonsure ne sont point malheureusement une armure qui protège les hommes contre les passions ambitieuses et rancunières ; elles donnent seulement à celles-ci une apparence de sainteté qui abuse ceux mêmes qui les éprouvent en leur faisant croire qu’ils agissent constamment pour la gloire de Dieu. Les intrigues ne manquaient donc pas à ces réunions, pas plus qu’elles n’ont fait défaut aux conciles et aux conclaves, et aux assemblées on se les interdisait d’autant moins que, ces assises n’ayant pas le caractère de synodes, on ne craignait point de compromettre le Saint-Esprit. La lutte principale était engagée avec le pouvoir royal à propos des subsides réclamés. Les évêques, grands seigneurs pour la plupart, tenaient fortement à leurs prérogatives, et ils les défendirent parfois avec une hauteur où la morgue du prélat se trouvait doublée de l’arrogance du gentilhomme, car, soit dit en passant, la noblesse en corps pas plus que le clergé n’avait cette extrême politesse et ces façons courtoises qui distinguaient individuellement, dans les derniers temps de l’ancien régime, les gens de qualité des hommes de rien. Les députés du second ordre, à l’assemblée du clergé, tenus quelque peu à distance par les prélats, ne jouèrent longtemps dans les séances qu’un rôle assez effacé, quoiqu’ils fussent généralement plus instruits et plus entendus dans les affaires. On les choisissait en effet le plus souvent parmi les grands-vicaires, les dignitaires des chapitres, les abbés et les prieurs des monastères importans. Il y avait donc en réalité dans les assemblées la chambre haute et la chambre basse, car les députés du second ordre siégeaient derrière ceux du premier ordre de leurs provinces respectives. La chambre haute exerçait une influence très prépondérante, et la chambre basse n’arriva jamais à tirer à elle l’autorité dans les délibérations. Cette double représentation engendrait seulement deux courans, courans qui étaient un peu comme ceux de l’atmosphère ; on ne pouvait guère en constater l’existence que lorsque des nuages s’amoncelaient ; elle était indiquée par la direction inverse qu’en prenaient les différentes couches. Le pouvoir royal cherchait à s’assurer par des faveurs et des promesses une majorité qui lui échappa plus d’une fois ; il se ménageait au sein des assemblées, parmi les évêques surtout, des serviteurs dévoués qui ne négligeaient rien pour tout faire tourner à son avantage, qui savaient empêcher d’aboutir les résolutions que la majorité était disposée à sanctionner ou annuler celles qu’elle avait prises. Tout cela apparaîtra clairement par l’histoire de quelques-unes des sessions qui ont le plus marqué dans la vie parlementaire du clergé français et d’où sont sortis les plus notables de ses actes.


ALFRED MAURY.

  1. L’assemblée de 1625 inscrivit à l’article 17 de son règlement cette disposition qu’en aucune assemblée, soit des comptes, soit décennale, il ne soit loisible aux députés de faire ou accorder aucune imposition sur le clergé, pour quelque cause ou prétexte que ce puisse être, tant que les décimes se payeront comme se fait à présent, si ce n’était que tous les députés en eussent par leurs procurations nommément et spécifiquement le pouvoir.
  2. L’assemblée de 1819 se tint à Blois, celle de 1626 à Poitiers et à Fontenay-le-Comte, celle de 1641 à Mantes ; celle de 1660, commencée à Pontoise, fut ensuite transférée à Paris. De 1675 à 1695, les assemblées se tinrent à Saint-Germain-en-Laye.
  3. L’usage était, de plus, de distribuer aux députés des jetons que l’on prodigua dans la suite à une foule de personnes, abus qui souleva à l’assemblée de 1788 de vives réclamations. Le montant de cette dépense, qui s’élevait en 1584 à 500 écus, atteignait en 1784 116,000 livres. L’assemblée, sur ses plaintes, décida la suppression des jetons.