Les Associations ouvrières dans le passé (Pelletan)/La Royauté

La bibliothèque libre.
Librairie de la Bibliothèque ouvrière (p. 100-106).

CHAPITRE VIII

La Royauté


Les corporations ouvrières étaient organisées et les villes commençaient à s’affranchir que le roitelet de France (ancêtre de Henri V) était un petit grand seigneur, souverain de Paris et de la banlieue. En théorie il était le successeur de Charlemagne ; en réalité il régnait sur Paris, Étampes, Orléans, Melun et Sens ; encore avait-il fort à faire, pour faire respecter son petit pouvoir, et même sa petite personne, dans ce petit pays. Passé Saint-Denis, la forêt de Montmorency n’était à lui qu’autant que les brigands qui l’occupaient le voulaient bien. Allait-il du côté d’Orléans ? il y trouvait une tour énorme, dont les murs se voient encore de très-loin : Montlhéry. Dans cette tour habitait un pillard décidé qui se moquait du roi. Il fallut, pour que l’ancêtre de Henri V pût aller de Paris à Étampes, que son propre fils épousât une fille de ce seigneur. « Garde cette tour sans fermer l’œil, disait le roi Philippe Ier à son héritier : ses vexations m’ont presque fait vieillir de rage, et ne m’ont pas laissé une minute de repos. » Du même côté, un autre repaire de pillards, le château du Puiset, coûta au roi trois ans de siège.

Ce roitelet de Paris (mais Paris alors était une bourgade tenant à peu près toute entière dans l’île de la Cité), ce roitelet de Paris, tout essoufflé de ses querelles avec les hobereaux du voisinage, comment se tirerait-il de là ? Il n’était pas de race guerrière. La famille des Capets, en ce temps-là, n’a donné ni un grand capitaine ni même un grand batailleur. Ses voisins, Normands ou autres, remplissaient l’Europe du bruit des horions qu’ils donnaient ou recevaient ; c’étaient gens d’aventure, grands pillards et grands cogneurs devant Dieu, courant, qui en Portugal, qui en Sicile, qui en Angleterre, qui en pays Sarrasin, conquérir duchés et royaumes. Au milieu de ces puissants seigneurs le pauvre Capet est bien tranquille : il ne fait pas parler de lui. La patience et la politique, il est vrai, sont héréditaires dans la race. Mais à quoi bon ? Qu’avait-il pour lui ? Un titre, un souvenir, peut-être une espérance.

Eh bien ! Quelques siècles après, le roi de France était le souverain le plus absolu qui fût.

Comment cela s’est-il fait ? Par la tradition un instant disparue du despotisme romain.

Des siècles de chaos l’avaient rasé du sol. Ses racines y étaient restées cachées, mais sourdement vivantes. Le désordre féodal une fois déblayé, de nouvelles pousses se firent jour. On vit cesser peu à peu cette guerre perpétuelle de château à château, de ville à ville, qui fut l’histoire de la période féodale, où le sire de Montlhéry tenait tête au roi de France, et où une bourgade d’ouvriers pouvait conquérir sa liberté sur un grand seigneur. — La violence des armes s’apaisa. Le temps des gens de loi commença. Les lois de l’Empire romain reparurent, et, avec elles, l’idée de la toute puissance du roi. C’est moins à la tête d’une armée bruyante de chevaliers qu’à la suite d’une silencieuse invasion de légistes que la royauté conquit son pouvoir.

Avec le régime féodal, devaient disparaître les abus sanglants, et aussi les libertés qu’il avait permis de conquérir.


Au début, le roi avait besoin d’alliés contre les grands seigneurs ses voisins. Quels alliés prit-il ? Justement les ouvriers et les marchands. Ces derniers étaient souvent pillés : le roi les défendit. Une commune s’établissait-elle chez les autres ? Le roi la soutenait. C’était tout bénéfice. Il ne lui en coûtait rien ; et cela affaiblissait les autres. Mais gare aux villes qui, chez lui, auraient voulu suivre l’exemple ! Orléans essaya : le roi fut impitoyable.

N’importe : à défaut de l’indépendance complète, il leur accordait du moins quelque chose : aussi était-il l’ami des petites gens, qui combattaient pour lui. Libre tout à fait ou à moitié, chaque ville avait sa milice : comme une garde nationale. C’est avec les milices des villes que la royauté soutint ses premières guerres et gagna ses premières victoires.

Ces victoires devaient se tourner contre ceux qui les avaient remportées. Et c’est ici que nous verrons le second exemple de ce que nous annoncions en tête du volume : création, avec l’aide du peuple, d’un pouvoir fort qui devait se tourner contre le peuple. Nous verrons à la suite, durant cinq ou six siècles, la centralisation gagner lentement, s’emparer doucement des institutions de liberté comme des corporations pour les tourner en servitude, et, finalement conduire la France à sa ruine.

Le successeur et le descendant de ce Philippe Ier, en si fort embarras de réduire la bicoque d’un brigand, aura un jour tous les pouvoirs, de la Manche à la Méditerranée ; il pourra dire : l’État, c’est moi ; il distribuera tout, jusqu’au droit de travailler ; il épuisera la France à son gré, jusqu’au jour où celle-ci d’un violent effort, en 1789, brisera l’ancien régime.


Le premier soin de la royauté fut de détruire graduellement les communes. Peu à peu, les libertés conquises disparurent ; on en conserva une certaine existence municipale qui devait aussi s’effacer, mais plus tard. Les premières insurrections communales datent du xie siècle ; on peut dire qu’au milieu du xiiie siècle il n’y avait plus de communes, dans le sens primitif du mot. Les libertés politiques étaient tuées. Que durèrent les libertés industrielles ?