Les Associations ouvrières de production

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Les Associations ouvrières de production
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 4 (p. 185-216).
LES
ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DE PRODUCTION

Ces seuls mots, Association ouvrière de production, semblent clairs par eux-mêmes, et n’ont cependant pas pour tout le monde, une clarté suffisante. Ils évoquent l’idée d’ouvriers qui s’associent entre eux pour exécuter des travaux corporatifs, et qui se partagent chaque année la totalité des bénéfices.

Si l’on s’en tient à cette conception, on ne voit pas trop en quoi une pareille Association, sous prétexte qu’elle est qualifiée d’« ouvrière, » différerait de la « Société industrielle, » sous prétexte qu’on accolerait à celle-ci l’épithète de « capitaliste ». Serait-ce parce que l’une est composée de « véritables ouvriers, » et l’autre de bourgeois qui ne touchent jamais un outil ? La distinction serait puérile. Les fondateurs de l’Association prolétarienne la plus embryonnaire caressent le rêve de la grande entreprise, où les directeurs techniques, les agens commerciaux, les employés de bureau, deviendront indispensables. Et, à la tête de la « Société industrielle » la plus colossale, la plus « bourgeoise » qui se puisse imaginer, se trouvent parfois des ouvriers enrichis par le savoir-faire ou la chance, successivement gâcheurs de plâtre, contremaîtres, tâcherons, patrons, enfin grands commanditaires d’entreprise, et à qui toutes ces promotions sociales successives n’ont pu enlever le caractère indélébile du paysan ou de l’ouvrier.

Allons donc plus avant, et comparons les deux Associations dans leurs origines, leur organisation et leur but.

La Société industrielle a été fondée par des personnes qui ont apporté des mises de fonds variables. Les bénéfices sont répartis aux actionnaires, en raison de leurs apports ; aux Assemblées générales, chacun dispose d’autant de voix qu’il possède d’actions. Seul, le capital délibère et commande ; seul il s’enrichit des profits de l’entreprise ; le souci des fondateurs est de lui conserver indéfiniment toute sa valeur productive, et de s’en attribuer exclusivement les avantages ; sous leurs ordres, directeurs, ingénieurs, employés, ouvriers, restent des salariés purs et simples. Isolé de la prospérité ou de la décadence des affaires, le salaire ouvrier ne subit que de lentes variations, dues à l’expédient presque révolutionnaire des grèves, ou au bon vouloir de patrons philanthropes. Il serait d’ailleurs injuste de prétendre que le capital ne travaille jamais. Les fondateurs ne sont pas tous de simples bailleurs de fonds ; il y a parmi eux des gens de métier, pour qui le capital n’est qu’un très puissant auxiliaire du travail. Mais, tandis qu’un petit nombre de membres suivent avec passion et conduisent avec énergie les affaires, d’autres peuvent ne connaître, de la Société dont ils font partie, que le sourire déférent épanoui sur les lèvres du caissier.

La Société industrielle, dite « capitaliste, » offre donc ces caractères fondamentaux : une fois qu’elle est constituée, un travailleur de la profession n’a aucun droit, aucun moyen régulier d’en faire partie ; et il s’y introduit fatalement, au cours de son existence, des gens étrangers à la nature de ses affaires. Le personnel qui la compose se répartit en deux groupes. L’un, celui des actionnaires, reçoit la totalité des bénéfices. L’autre, celui des agens salariés, n’a aucun droit de s’immiscer dans les affaires sociales, et n’est qu’une sorte d’instrument adapté au service du premier.


Mais tous ces caractères de la Société industrielle peuvent convenir tout aussi bien à une Association d’ouvriers. Voici quelques serruriers qui se sont connus dans un syndicat ou dans un atelier. Ils réunissent quelques milliers de francs, et s’associent pour exploiter une petite boutique. Les affaires vont tellement bien qu’ils n’y peuvent plus suffire par eux-mêmes. Ils s’adjoignent des dessinateurs, ils embauchent d’anciens camarades. Plusieurs d’entre eux ne travaillent déjà plus manuellement : l’un est directeur, l’autre agent commercial : celui-ci, surveillant de chantier ; cet autre même a quitté la profession. Il n’y a pas à s’y méprendre ; sous une physionomie différente, et dans un décor peut-être moins imposant, quand même les ouvriers actionnaires et les ouvriers salariés se traiteraient familièrement de « camarades, » nous retrouvons la situation précédemment définie. Ce groupement d’ouvriers propriétaires d’un atelier n’est pas une Association ouvrière de production : c’est une Société industrielle, qu’on peut appeler « capitaliste, » très intéressante par la qualité des fondateurs, puisqu’elle nous montre une élite, détachée du rang, socialement promue à des fonctions supérieures ; mais elle n’intéresse pas notre sujet.

Et maintenant, qu’est-ce donc au juste que l’Association ouvrière de production ? Envisageons-la sous sa forme idéale, afin de classer commodément, plus tard, dans l’échelle coopérative, les Associations existantes.

Comme les précédons, des ouvriers d’une même corporation décident de se grouper pour le travail libre. Mais ceux-là ne songent pas seulement à améliorer pour eux-mêmes les conditions de la vie et du travail. Ils ont étendu d’avance à toute leur corporation l’idéal entrevu par eux seuls : la propriété collective, le partage équitable des profits et des risques entre tous les travailleurs. Ils ne sont qu’une poignée ; mais ils se considèrent comme les pionniers d’une voie nouvelle qui aboutira un jour à l’émancipation intégrale de la corporation. Ils savent qu’avant de s’engager à leur suite, plusieurs de leurs camarades voudront cette voie à demi frayée, le plus grand nombre définitivement ouverte, et que la foule viendra lentement à eux, par unités craintives. Cependant, ils sont toujours prêts à admettre les nouveaux venus dans leurs rangs, et au même titre qu’eux-mêmes.

En principe, tous les associés sont tenus de travailler : ce qui ne veut pas dire que tous soient assurés de trouver du travail, l’Association, trop faible à ses origines, pouvant être dans l’impossibilité d’occuper tous ses membres. Quand elle a grandi, le phénomène inverse peut se produire : il faut embaucher d’autres ouvriers, parmi ceux qui n’ont point songé à devenir sociétaires. Mais ces nouveaux venus, ces apprentis, ne sont pas de simples salariés ; ils participent, dans une certaine mesure, aux bénéfices. Ce sont des néophytes dont leurs supérieurs éprouvent la vocation : quand leur éducation professionnelle et coopérative est terminée, leur émancipation commence ; ils deviennent des sociétaires. Pour eux, en vertu de la variabilité du capital, des actions sont toujours disponibles, des retenues périodiques sur leurs salaires ou leurs bénéfices complètent le faible versement initial, qui est le signe tangible de leur affiliation. Il n’y a donc pas, dans l’Association ouvrière de production, deux groupes dissemblables, dont l’un, étroitement fermé, salarie l’autre en s’attribuant la totalité des bénéfices ; groupes indéfiniment distincts avec leurs rôles propres de commandement et d’obéissance, d’employeurs et d’employés. Il y a sans doute deux catégories de travailleurs ; mais elles sont destinées à se confondre dans l’harmonie fraternelle du sociétariat.

L’égalité des droits parmi les membres, la possession collective de la propriété sociale, sont les traits dominans qui fixent la physionomie impersonnelle de l’Association ouvrière. Le principe d’autorité ne s’incarne ni dans un homme, ni dans une administration extérieure : il réside dans l’universalité des membres. Le directeur n’y est qu’un délégué temporaire, toujours révocable ; sans quoi, les destinées de l’Association risqueraient d’être orientées au gré de caprices ou d’intérêts individuels. En aliénant sa souveraineté, l’Association reconnaîtrait son impuissance.

Mais, pas plus que la Société industrielle, ou la maison patronale, l’Association ouvrière ne peut se passer de discipline. La discipline ouvrière est même d’un ordre infiniment plus élevé ; car elle est la sauvegarde, non plus d’intérêts individuels transitoires, mais des intérêts permanens de la corporation tout entière. Elle est aussi plus noble que la discipline imposée ; ceux dont la dignité est la plus ombrageuse peuvent s’y assujettir sans trouble, puisque leur subordination découle de leur adhésion morale.

Telle est l’Association ouvrière de production idéale. La réalisation de cet idéal exige une telle sagesse, une telle maîtrise de soi, et en même temps une telle hardiesse aventureuse, qu’elle paraît invraisemblable, chimérique, ou tout au moins très lointaine. En tout cas, il apparaît déjà que le succès relatif en est intimement lié à la valeur éducative de la corporation.


Cependant, à ne considérer que les chiffres bruts de la statistique officielle, les Associations ouvrières semblent déjà avoir conquis une certaine place dans l’industrie française.

D’après l’Office du travail, au 1er janvier 1910, il en existait 510, comprenant environ 20 000 membres, et qui ont fait en 1909 à peu près 65 millions d’affaires. Mais les trois quarts de ces Associations n’ont pas plus de dix ans d’existence ; et les trois quarts font moins de 100 000 francs d’affaires. Ce n’est pas chez celles-là qu’il faut chercher l’indice sûr de la vitalité des Associations ouvrières : d’autant moins, qu’à partir de 1894,est apparue, chaque année, en leur faveur, la subvention gouvernementale, qui a provoqué une recrudescence de leur multiplication ; toute intervention de l’État apporte dans l’observation sociale une perturbation dont il importe de tenir compte[1].

Mais les Associations déjà anciennes et fortes, faible fraction de la totalité, ont-elles conservé au principe coopératif toute sa rigidité démocratique ? L’ont-elles fait fléchir, pour l’accommoder, plus souple, aux nécessités de la discipline et de la concurrence, ou pour servir des ambitions personnelles habilement déguisées ? Ne perdons pas de vue le but essentiel de l’Association ouvrière, qui est l’ « affranchissement » économique de toute une corporation. Elle doit être accessible à tous, et ne jamais devenir l’exploitation d’ouvriers, indéfiniment rejetés hors du pacte social, par une sorte d’état-major d’ouvriers-patrons. Remarquons qu’un des signes caractéristiques de ce dernier état de choses, c’est la prédominance, ou même la trop grande proportion des travailleurs « auxiliaires » sur les travailleurs associés, et nous comprendrons toute la signification de ce simple fait accusé par la statistique officielle : 292 Associations emploient des auxiliaires, au nombre de 6 737 ; tandis qu’elles comptent 12 660 sociétaires, dont 7 665 seulement travaillent. Ajoutons que les plus fortes Associations étant celles qui ont le plus d’auxiliaires, il est certain que, chez la plupart de celles-ci, le nombre des auxiliaires l’emporte de beaucoup sur le nombre des membres. En parcourant les statuts des Associations, on n’est pas moins surpris de la rémunération énorme du capital : elle absorbe du cinquième à la moitié des bénéfices. On reconnaît ici l’influence de Fourier.

Cela paraît étrange, à première vue. Et pourtant, qu’on se souvienne. La phraséologie bizarre de Fourier, l’extravagance de son « Harmonie sociétaire » masquent souvent des vues suggestives étonnamment profondes sur l’avenir. Nul avant lui n’avait envisagé et décrit avec tant de verve l’immense déperdition des efforts individuels dans la production alimentaire. Un des premiers, avec Bûchez, il a saisi la puissance de l’Association ; il a fait luire son prestige sur l’imagination des foules ; il en a implanté l’idée chez des ouvriers d’élite, que leur destin obscur avait marqués pour l’action.

Ceux-là, qui sont nos contemporains, n’ont pas lu, sans doute, en leur texte intégral, les œuvres absconses de leur maître. Mais ils en ont retenu une formule que leurs devanciers de 1848 avaient dédaignée, devenue pour eux obsédante, fatidique, à force d’avoir été imposée à leur attention par l’Ecole sociétaire : Travail, Capital, Talent. Ils y ont vu les trois facteurs de l’Association ouvrière. Le ressort en est le travail ; mais elle ne peut se développer sans le capital ; elle ne peut être bien conduite que par le « talent. » Le capital et le talent doivent être rémunérés au même titre que le travail. Travail ! Capital ! Talent ! cette formule magique résume désormais la quintessence de la doctrine fouriériste ; elle fait partie du rituel de toutes les cérémonies. À l’heure des toasts, dans un banquet d’Association ouvrière, le président la commente gravement, en saluant la mémoire du « Maître immortel. » Dans le recul du passé, Fourier est presque mis au rang des Dieux. C’est bien lui qui a révélé l’importance méconnue du capital ; mais c’est lui aussi qui a inspiré à la classe ouvrière l’idée contestable de faire appel au capital « bourgeois. »

À la vérité, sa doctrine n’est point pratiquée partout. Quelques Associations même, qui prennent le titre de « communistes, » présentent, à l’égard du capital, le type le plus pur de la coopération ouvrière.

Ces Associations versent à la réserve la totalité de leurs bénéfices : abandon superbe des travailleurs qui passent à la collectivité qui demeure ; d’autant plus généreux, qu’en se retirant, personne ne peut rien prétendre sur cette propriété pourtant créée par tous. Mais cet idéal, conçu par des fondateurs mystiques, dépasse singulièrement le niveau moyen de l’abnégation prolétarienne. On a persuadé au prolétariat qu’en donnant son salaire à chaque ouvrier, le patronat le frustre d’un supplément énorme ; et dès que ce même ouvrier s’agrège à une Association, au prix de sacrifices dont lui et les siens ont âcrement souffert, et sous des risques qu’il n’a pas envisagés sans trouble, voici qu’on lui demande d’abandonner à l’entreprise, intégralement et sans retour, ce même supplément de gain, redevenu libre par la disparition du patron ! Sans doute, aux yeux du coopérateur socialiste, aucune comparaison n’est possible entre les deux retenues. La première, imposée par une « loi d’airain, » contribue à enrichir un homme ; la seconde, librement consentie, doit accroître dans l’avenir la puissance de la corporation et le bien-être de tous ses membres. Mais, pour être touché de ces considérations, il faut être fermement convaincu du succès final, et doué d’un rare désintéressement. Il y faut même souvent un mérite de plus ; car, dans la plupart de ces Associations, règne le principe radical de l’égalité des salaires. Pourquoi, disent les communistes, le malheureux, dont l’habileté est moindre, ou dont les forces ont décliné, mais dont les besoins sont restés les mêmes, serait-il réduit à des ressources plus restreintes ? Le patron ne voit dans ses ouvriers que des instrumens plus ou moins perfectionnés de sa fortune ; et le chiffre de leurs salaires est calculé en proportion de leur rendement utile. Mais pour des travailleurs associés, chacun des leurs est un homme ; sous prétexte de déchéance professionnelle, ils n’ont pas le droit de le rejeter dans un « enfer social, » de lui imposer le taudis misérable, d’où il s’évadera pour le cabaret, et où s’entasseront ses enfans, précocement débiles. En entretenant cet état de choses, le patron est logique ; mais des coopérateurs ouvriers trahissent cyniquement leur classe[2].

C’est ainsi que les Associations communistes égarent leurs rêves dans l’azur d’un empyrée fraternel, et veulent, avant d’avoir assuré leur vie, établir le règne entier de la justice. De la formule fouriériste, elles ont tout répudié : capital, travail, et talent. Mais à leurs exigences excessives, la mentalité ouvrière a répondu ; elle s’est trouvée inférieure au sacrifice démesuré qu’on attendait d’elle. Au lieu de ces efforts gradués que les éducateurs sociaux doivent demander à leurs adeptes, ces Associations ont prétendu imposer aux leurs, dès l’origine, la pratique de vertus que le cloître a été jusqu’ici seul en état de produire. Elles se sont condamnées à ne recevoir, comme premiers artisans de la future émancipation sociale, que les épaves de la corporation ; et les bons ouvriers, un instant égarés parmi elles, s’évadent promptement dans l’industrie privée, dès que l’occasion leur en est offerte.


À ses débuts, une petite Association ne peut exiger de ses membres qu’un faible apport, 25 francs, 50 ou 100 au plus, sur lequel le dixième est immédiatement versé. Quelques-uns des fondateurs, plus fortunés ou plus aventureux, usant de leur droit statutaire, prennent plusieurs actions ; le directeur possède parfois une notable partie du capital ; et bien que, comme tous ses camarades, il n’ait qu’une voix aux Assemblées générales[3], il n’en dispose pas moins d’une certaine influence morale. Plus tard, autant pour communiquer aux opérations l’ampleur et l’aisance qui permettront d’aborder les grandes affaires, que pour préserver l’œuvre de l’invasion des nouveaux venus inexpérimentés ; peut-être aussi, plus rarement sans doute, pour ne pas éparpiller les bénéfices entre un trop grand nombre de mains, on voit des Associations « arrivées, » qui non seulement élèvent le montant de l’action[4], mais celui de l’apport immédiatement exigible. La porte n’est pas fermée aux membres de la corporation, mais elle ne s’ouvre que pour des personnalités choisies, déjà éprouvées depuis longtemps en qualité d’ « auxiliaires. » Sans doute, les fondateurs n’ont point connu ces obligations rigoureuses ; mais justement parce qu’ils ont franchi, au milieu d’angoisses longtemps renaissantes, les obstacles qui leur barraient la route, maintenant qu’ils tiennent le succès, ils ne veulent plus, au soir de leur vie, recommencer la partie aventureuse que, dans leur jeunesse, ils ont brillamment gagnée. Si ce sentiment reste pur de toute pensée égoïste ; s’ils n’ont véritablement d’autre souci que de conserver à leur corporation l’intégralité de sa conquête, on ne saurait blâmer absolument la rigueur des nouvelles obligations introduites.

Les Associations ouvrières de production sont en grande partie groupées dans quelques départemens industriels. La Seine en possède 198, dont 150 à Paris ; le Rhône, 22, les Bouches-du-Rhône, la Loire, la Haute-Vienne, le Finistère et le Jura, chacun une douzaine environ.

Mais le classement professionnel des Associations est beaucoup plus intéressant que leur distribution géographique. Tout d’abord, il convient de faire une distinction très importante. Les Associations qui vendent des produits fabriqués, comme la Verrerie ouvrière, la Chocolaterie ouvrière, sont bien des coopératives de production proprement dites. Mais les Associations de cochers, de charpentiers, de peintres, de paveurs et de typographes, les « salons de coiffure, » bien d’autres encore, ne sont pas autre chose que des « Associations de travail. » De plus, ces « Associations de travail » sont justement celles qui sont susceptibles de recevoir les commandes de l’État, ou des grandes municipalités ; et ce n’est pas là une simple présomption. La Chambre consultative des Associations de production défend avec passion les « droits » de ses clientes, en multipliant les démarches auprès des ministres, et faisant au besoin mouvoir, « pour le bon motif, » l’éternelle influence parlementaire. Ses délégués parcourent les départemens, reçoivent les doléances des Sociétés, réchauffent le zèle des préfets, signalent aux ministres de l’Intérieur et du Travail ceux dont la tiédeur coopérative est persistante. Aussi n’y a-t-il plus aujourd’hui de ministère, plus d’administration publique, où les « Associations de travail » ne soient assurées de trouver des travaux, soit par voie d’adjudication, soit de gré à gré, avec dispense de cautionnement, quand le devis est inférieur à 50 000 francs. Constructions de lycées et d’hôtels des postes, aménagement de « salles de fêtes » ministérielles, entretien des édifices diocésains, des théâtres subventionnés, pavage des rues, fournitures de bancs scolaires, réfection des fauteuils de la Cour d’appel, toutes ces entreprises occupent continuellement des ouvriers associés, charpentiers, menuisiers, maçons, peintres, tapissiers, serruriers, paveurs, replanisseurs de parquets. Le Journal officiel est imprimé « en coopération ; » l’Imprimerie Nouvelle, de la rue Cadet, travaille pour la Préfecture de police ; les Coiffeurs de France sont adjudicataires de la coupe des cheveux à l’hôpital Laennec.

Aussi, beaucoup de ces Associations tirent des commandes de l’État le plus clair de leur revenu ; elles ne subsistent, en réalité, que d’une façon factice ; et, dans la prospérité de toutes, il est une part plus ou moins grande qui n’est pas due à la seule puissance du travail associé. Cette remarque est d’autant moins négligeable que, par leur nombre et le chiffre de leurs affaires, les « Associations de travail » représentent la plus forte partie de l’activité coopérative[5]. C’est aussi parmi elles que se trouvent les deux grandes Sociétés, si souvent citées comme des modèles : les Charpentiers de Paris, et les peintres de la rue de Maistre.


L’histoire de l’Association des peintres, le Travail, est une véritable épopée ouvrière.

Les peintres n’ont pas, dans les annales coopératives, une très grande réputation de prévoyance. Leurs Associations ont pullulé dans ces trente dernières années ; la liste serait longue des Progrès, des Fraternelles, des Fourmis, des Abeilles, des Floridors, des Solidarités, et même des « Travailleurs chrétiens » qu’on a vus végéter et périr. Cependant, en regard de cette triste série de revers, l’énergie d’un homme a produit une exception brillante.

En 1882, un jeune fouriériste, M. Henry Buisson, avec quelques camarades, louait, pour 60 francs, un hangar minuscule, à la fois atelier et « siège social, » sur l’avenue de Saint-Ouen, « au fond d’un jardin, en contre-bas. » Les associés étaient aussi pauvres d’expérience que de numéraire. « Aucun de nous, a dit plus tard M. Buisson, n’aurait seulement pu indiquer le prix d’un mètre de peinture ! » L’épreuve fut effroyablement dure. Parfois, appauvris par le paiement d’une grosse dette, n’ayant pas reçu les avances espérées, nos peintres rentraient au logis le cœur gros, appréhendant des récriminations désolées. « Nous avons souffert, a dit encore M. Buisson, tout ce que des hommes peuvent souffrir et supporter. »

Ces temps héroïques sont passés. Aujourd’hui, le Travail possède un capital de 600 000 francs ; il a fait l’an dernier un million de francs d’affaires ; il a participé à la décoration de presque tous les ministères, de cinq lycées de Paris, de l’Odéon, de la gare de Lyon, du palais de l’Elysée ; ses ouvriers ont même « fait des ambassades » à Vienne et à Berlin. Le directeur est toujours M. Buisson, chevalier de la Légion d’honneur, personnage considérable en coopération : le succès ne l’a point gonflé ; il parle de ses origines sans embarras, et de son œuvre sans exubérance.

Mais le Travail est-il demeuré, au sens vrai du mot, une Association coopérative ? On aimerait à l’affirmer sans hésitation. Ses origines sont humbles ; la ténacité de ses fondateurs fut admirable. Les « auxiliaires » participent aux bénéfices ; l’intérêt servi au capital ne peut jamais excéder 7 p. 100. Ce sont bien là des caractères de la coopération véritable. Seulement l’Association comprend aujourd’hui 80 sociétaires ouvriers, 200 actionnaires étrangers à la profession, et 450 auxiliaires. C’est beaucoup dire en peu de mots. Sans doute, l’imprévoyance connue des peintres ne permet pas d’admettre au sociétariat les premiers venus, et ainsi peut s’expliquer l’énorme proportion des auxiliaires. Mais, quoiqu’elle soit d’une parfaite orthodoxie fouriériste, la présence des « capitalistes » paraît moins justifiée, et elle s’aggrave de la pluralité des voix dont chacun d’eux dispose. Enfin, l’œuvre s’incarne dans un homme ; et elle peut entrer dans une phase inquiétante, lorsque l’homme aura disparu.

L’existence des Charpentiers de Paris, qui est plus simple, provoque les mêmes réflexions. L’Association emploie 500 ouvriers, presque tous épars sur des chantiers divers ; je n’en ai trouvé au siège social, rue Labrouste, qu’une cinquantaine. Mais le bruissement des fraises qui mordent dans des arbres tout entiers, le mouvement lent et rythmé des scieurs de long, piétés sur de longues poutres, le cri périodique des perceuses et des cisailleuses, la trépidation du moteur central, le ronflement des forges volantes, montrent de quelle importance est la seule préparation des travaux. L’aspect des bureaux, où chiffrent les comptables, où les dessinateurs exécutent des épures, est aussi tout à fait suggestif. Le cabinet du directeur l’est davantage. J’ai vu des cabinets de ministres : celui de M. Favaron est plus beau, et sa personne ne le dépare point. Un peu chauve, l’air jeune encore, d’une mise soignée, officier de la Légion d’honneur, on le dirait de grande lignée bourgeoise. C’est pourtant un ancien « compagnon du Devoir, » un « bon Drille, » un « enfant du Père Soubise ; » et c’est de degrés en degrés, rapidement franchis, qu’il est devenu le chef d’une des plus grandes « maisons » parisiennes, qui fait deux millions d’affaires. Statutairement, il reçoit le cinquième des bénéfices, et ses émolumens varient de 40 000 à 80 000 francs ; ceux du « gâcheur de charpente » sont de 10 000 à 20 000 francs C’est une belle rémunération du « talent. »

À ne voir que les statuts, l’Association est rigoureusement coopérative ; mais quand on a causé quelques minutes avec M. Favaron, on a l’impression qu’elle est patronalement administrée ; qu’elle est la chose d’un directeur presque inamovible, et qu’il en fera ce qu’il voudra. Quoique la réserve y soit d’un million, il n’existe pas, chez les Charpentiers de Paris, de « fonds collectif et inaliénable ; » et comme la durée de la Société n’est que de quinze ans, elle risque de n’être que l’instrument éphémère de l’émancipation corporative.

L’Union des Serruriers, plus modeste que les Sociétés précédentes, est tout aussi remarquable ; et, elle aussi, a gardé le même chef pendant de longues années. Son magasin de la rue Stendhal, où des ouvrages d’art sont en montre, sa belle grille d’entrée, indiquent au passant qu’on ne se borne pas à y fabriquer des serrures. Le directeur, M. Pasquier, un esprit ouvert et alerte, m’a conté avec bonne humeur son histoire. Il y a vingt-cinq ans, un petit patron serrurier ne « s’entendait pas » avec son associé. Un jour, il dit à son « camarade » Pasquier ; ouvrier dans sa maison :

— Mon vieux, si on faisait une coopérative ?

Et à eux deux, ils « firent une coopérative, » prenant pour modèles les statuts des « vieux de 48, » les ouvriers en limes de la rue des Gravilliers. Bientôt, la direction échut à M. Pasquier, qui l’a constamment conservée. L’Union des Serruriers est dans sa main, qu’on sent ferme et « doigtée. » Elle fait annuellement 450 000 francs d’affaires ; mais travaille peut-être autant pour l’État que pour les particuliers ; elle a « l’adjudidication des serrures » au Palais-Bourbon ; et au cours de mon entretien avec M. Pasquier, j’avisai, posés contre un mur, de grands arcs métalliques dédorés, qui provenaient du dôme des Invalides !

L’Union a trente auxiliaires pour trente membres. La proportion est un peu forte ; mais ces « auxiliaires » sont les « ferrailleurs, » véritables coltineurs aussi indispensables qu’ils sont difficiles à gouverner. Sans motifs apparens, ils disparaissent brusquement, « font la bombe, » reviennent au bout de quelques jours, et s’en vont, si on leur demande dos explications. On voit que pour préserver du désordre une association de ce genre, le directeur ne doit pas être le premier venu.

Ainsi, dans les Associations du bâtiment, le succès paraît lié à la stabilité de la direction, et les sociétaires seuls y discernent la nuance qui distingue le directeur du patron. Faut-il conclure de ces faits que MM. Favaron, Buisson, Pasquier, d’autres encore, ont systématiquement déformé l’idée coopérative dans leurs Associations, pour s’y tailler un rôle approprié à leurs vues égoïstes ? Ce serait fort mal connaître le milieu où ils ont fait leur apparition naturelle.

Dans les corporations du bâtiment, la mentalité des masses n’est point adaptée à la coopération. La vie de plein air, les voyages de ville en ville, éloignent trop les ouvriers du logis familial, façonnent en eux une sorte d’indépendance insouciante et « blagueuse ; » les lourdes fatigues du métier favorisent l’alcoolisme. Mais, s’ils ne sont pas faits pour la coopération ouvrière, ils entrent volontiers, comme ils entreraient ailleurs, dans les Associations déjà fortement organisées par des individualités puissantes, et que leur présence obligera de s’organiser plus fortement encore. Il est, après tout, naturel qu’avec ces hommes qui appellent leurs directeurs « patrons, » les directeurs prennent peu à peu des allures patronales. Le talent de ceux-ci consiste à s’entourer d’un noyau d’ouvriers « sérieux, » qui resteront sédentaires, ou deviendront chefs de chantier ; de se les attacher comme sociétaires, en conservant ainsi de la forme coopérative ce qui peut en être conservé ; et de gouverner les autres, en les excluant de toute participation au gouvernement.

Les « Associations de travail » valent ce que vaut l’homme qui est à leur tête, s’élevant ou se perdant avec lui : ce n’est pas parmi elles qu’il faut chercher nos exemples. C’est la situation des Associations de production proprement dites, gouvernées par elles-mêmes, vivant d’une clientèle exclusivement privée, qui nous révélera, sans équivoque, l’état de puissance réelle des producteurs associés. Et il ne s’agit pas seulement de savoir si ces Associations vivent honorablement : la pensée des coopérateurs n’embrasse pas simplement ces conquêtes modestes. Leur prétention est de conquérir peu à peu la grande industrie ; ils assurent même que la classe ouvrière a déjà établi sa capacité magistrale ; qu’en de certains endroits, elle a déjà créé des ateliers grandioses ; et que si, partout ailleurs, elle est paralysée dans son essor, c’est en raison de l’insuffisance du capital. Ce sont là des affirmations qu’il faut vérifier.


Certes, nous connaissons, sous le nom d’Associations ouvrières, deux maisons très anciennes, dont la prospérité est éclatante : le Familistère de Guise et les Lunettiers de Paris ; elles font annuellement neuf et cinq millions d’affaires. Mais le Familistère, où l’on fabrique des appareils de cuisine et de chauffage, n’est que la création personnelle d’un grand patron philanthrope, Jean-Baptiste Godin, qui a pris des mesures merveilleuses pour en assurer la perpétuité. Pénétré d’une sympathie profonde pour la classe ouvrière, mais en même temps d’une défiance raisonnée pour sa capacité directrice, il lui a légué une fortune, en la pourvoyant d’une tutelle. Il a rendu obligatoires l’ordre et la stabilité de la gérance ; il a condamné les travailleurs à la possession collective de la propriété, il les a conduits par la main au but que les Associations libres ont vainement poursuivi ; il a conçu et il leur a imposé le gouvernement qui leur convenait. Loin de mettre en lumière la puissance de la coopération intégrale, le succès du Familistère, supérieur à toutes les créations de l’initiative ouvrière, est plutôt une contre-épreuve significative, dont pourraient se prévaloir les adversaires de la coopération.

Quant à la Société des Lunettiers, fondée en 1849, par 13 ouvriers, et d’abord installée dans une pauvre boutique de la rue Saint-Martin, elle n’est plus aujourd’hui qu’un patronat collectif de 70 membres qui emploie 1 400 ouvriers, et où se trouve réalisé l’idéal élargi de la participation aux bénéfices, mais non celui de la coopération productive. Du reste, la devanture de son magasin de la rue Pastourelle porte ces simples mots : « Lunetterie et Optique. »

La « grande industrie » coopérative doit donc être recherchée ailleurs, et dans les entreprises que le prolétariat seul a constamment dirigées.


Bien des fois déjà, des travailleurs ont voulu exploiter le sous-sol minier, les carrières d’ardoise, l’industrie du verre. Dès le premier coup de pic, dès la première bouteille soufflée, les « militans » du socialisme et de la coopération ont annoncé le grand triomphe du prolétariat organisé. La réalité a démenti tristement ces prophéties hâtives.

En 1886, la Société des houillères de Rive-de-Gier, trouvant son exploitation improductive, abandonna sa « concession » à ses ouvriers ; l’État, puis Mme Arnaud de l’Ariège, donnèrent à ceux-ci chacun 10 000 francs. Ces ouvriers, anciens paysans de l’Ardèche et de la Haute-Loire, qui ne voulaient point retourner à la terre, s’acharnèrent à la besogne, travaillant douze heures par jour. Ils parvinrent, avec des cordes usées et une machine de fortune, à « exhaurer » un puits abandonné. Leur malheur voulut qu’ils gagnassent un procès avec la Société des Houillères ; ils reçurent 200 000 francs. Cette aubaine les perdit. Désormais, ils n’admirent plus de nouveaux membres, pour n’être point obligés de partager ; leurs aspirations égoïstes et courtes se donnèrent un libre cours. On était riches, à quoi bon « s’esquinter ? » Ils travaillèrent mollement, pas même huit heures par jour : le rendement s’appauvrit. Ils prirent enfin le parti qui leur souriait depuis longtemps. Propriétaires d’un capital qui ne leur avait rien coûté, réduits à un petit nombre, ils liquidèrent l’Association (1897) et se partagèrent l’avoir : ce fût pour chacun d’eux une petite fortune. Cette fameuse « Mine aux mineurs » aboutit, en fin de compte, non à « émanciper » la corporation des mineurs, mais à affranchir quelques ouvriers de l’obligation de travailler désormais. Une telle abdication est plus affligeante qu’une défaite.

La seconde « Mine aux mineurs, » celle de Monthieux, près de Saint-Étienne, a la même genèse : l’arrêt d’une exploitation improductive, la transmission presque gratuite d’une mine entre les mains des ouvriers. Mais l’entrée de jeu fut plus belle : les Conseils municipaux de Paris et de Saint-Étienne votèrent 10 000 francs, le Parlement 50 000, et M. Marinoni donna encore 50 000 francs. Le capital fut réparti entre les « fondateurs, » qui reçurent, sans bourse délier, des actions de 100 francs. Ces anciens révolutionnaires conçurent tout de suite un sentiment très vif de la propriété, et manifestèrent une opposition irréductible à l’admission de nouveaux venus. Les auxiliaires, postulans naturels, s’irritèrent, envahirent un jour l’Assemblée générale, pour y siéger de force. Pendant plusieurs années, ce fut dans la mine une confusion inouïe : chaque administration nouvelle commençait par expulser ses adversaires, qui se faisaient réintégrer par une assemblée générale et, à son défaut, par le tribunal civil. En 1902, le syndicat des mineurs de la Loire, ayant décidé une grève, voulut contraindre la « Mine aux mineurs » à y participer. 500 grévistes envahirent le siège social, renversèrent les voitures, saccagèrent les bureaux. Le président, affolé, implora l’arrivée des gendarmes « pour protéger le travail. » Quand ceux-ci apparurent, il était temps : déjà les grévistes, penchés à l’orifice du « puits Saint-Simon, » jetaient des pierres sur les mineurs ; d’autres coupaient les amarres des bennes pour écraser une équipe à l’entrée de la « fendue Basly. »

Ce président jouissait parmi ses camarades d’un petit prestige : il savait lire ; il suivait les cours d’adultes, et « faisait ses devoirs » dans la salle du Conseil. Un ingénieur des mines faisait les fonctions de directeur ; c’est à sa présence que la mine dut de vivre pendant près de dix-huit ans. Mais il était vite usé ; au bout de deux ans, un an, quelques mois, il faisait place à un autre. Quant aux gouverneurs, tout ce qu’ils pouvaient dire à un mineur qui les injuriait, c’était : « Je te ferai monter au Conseil. » Et l’autre de répondre : « Je me moque du Conseil ! » en termes plus énergiques. Il comparaissait pourtant ; le « Conseil » délibérait hors de sa présence ; et, parfois, à la majorité, lui infligeait un blâme, que le président, constitutionnellement, lui communiquait. Alors, le condamné ouvrait une enquête, pour savoir qui « avait voté contre lui. » Mais, prudemment, les conseillers se retranchaient derrière le « secret professionnel. »

Le comptable, isolé des affaires disciplinaires, goûtait seul une paix profonde. Il venait à son bureau quand il voulait, nul ne vérifiait ses comptes. Si par hasard, à une séance du Conseil, un membre s’avisait de demander une explication, on lui criait en chœur : « Tu nous fais… rire, toi ! » Je n’imagine pas ces détails ; je ne fais que les gazer.

On ne s’étonnera pas que, pendant dix ans, la mine ait été en perte. Chaque année, elle recevait de l’État 5 000 francs, non pour combler le déficit grandissant, mais pour parer aux nécessités urgentes. Cependant, en 1900, une hausse sur le marché des houilles amena des bénéfices. On décida alors de « foncer » le « Puits Saint-Simon » à 340 mètres. L’idée était bonne, le devis fut estimé à 250 000 francs. Mais les mineurs, payés à la journée, travaillèrent si lentement, que le fonçage coûta 500 000 francs ; et la perte ne fut pas compensée par le surcroît d’extraction. Ce bel ouvrage fut pourtant célébré dans la presse coopérative comme un effort gigantesque. Décidément, la classe ouvrière était mûre pour la grande industrie ; et ce que l’État avait de mieux à faire, après la catastrophe de Courrières, c’était de remettre la mine aux ouvriers de la Compagnie déchue !

Les travaux se ralentirent encore, les sociétaires ne travaillant plus que pour le salaire fixe, huit heures « en principe, » mais venant en retard, partant en avance, « cassant la croûte, » . prenant pour eux les bons chantiers, laissant les mauvais aux auxiliaires. L’indiscipline devint invraisemblable ; je n’en donnerai qu’un exemple, que m’a cité le dernier ingénieur. Le repos hebdomadaire étant établi « par roulement, » celui-ci désigna un dimanche une équipe restreinte pour descendre. D’autres, qui n’étaient pas désignés, se présentèrent pour gagner leurs six francs. Le lampiste leur refuse les lampes ; ils s’en emparent de force, descendent, s’installent d’office au travail. L’ingénieur les avertit que leur journée ne leur sera pas payée. Ils l’injurient et en appellent au Conseil. Le Conseil leur « rendit justice ! »

Cette anarchie aboutit à la liquidation prévue. J’ai vu, l’an dernier, peu après la débâcle, la mine abandonnée. À côté de la haute cheminée morne du « Puits Marinoni, » réduction grêle du « Voreux » de Germinal, un pauvre baraquement en planches, qui abritait la comptabilité, et la « salle du Conseil. » La salle du Conseil ! Une petite cabine obscure, au plancher nu et poussiéreux, meublée d’une grande table constellée d’encre et de chaises toutes désarticulées. Le « fauteuil présidentiel » étalait une étoupe jaunie et rare, bordée d’un reste de cuir vert effiloché. Il était encore occupé légalement par le dernier titulaire ; un brave homme « revenu de tout, » qui m’a confirmé avec franchise tout ce que je savais déjà, en y ajoutant des détails d’une bouffonnerie extraordinaire, difficiles à reproduire.

La Mine aux mineurs de Monthieux n’est pas morte par défaut de capital, mais anémiée par la paresse, ruinée par l’anarchie et l’imprévoyance ; son succès eût été un miracle social.

Les échecs des deux « Mines aux mineurs » sont les plus célèbres ; mais ils n’ont pas été les seuls. Les mineurs des Petits-Châteaux (Saône-et-Loire) ; les ardoisiers de la Grée-Saint-Jean, de Saint-Vincent des Landes, d’Harcy-Rimogne, ont repris aussi des « puits abandonnés ; » tous ont échoué misérablement. La Verrerie aux verriers, de Rive-de-Gier, improvisée il y a quinze ans, au cours d’une longue grève, ouverte comme un asile de nuit au passant qui y venait souffler quelques bouteilles, n’a été que le théâtre où s’est agité pendant deux ans, supportant courageusement la misère, mais impuissant à sortir du chaos, le prolétariat inorganisé. D’autres verreries ont pourtant subsisté ; celle de Venissieux, remarquable en son genre, a gardé depuis vingt ans le même directeur. Ne parlons que de la plus grande et de la plus fameuse, la Verrerie ouvrière d’Albi. Son histoire est longue, touffue, dramatique ; je ne puis qu’en marquer les traits essentiels.


Le but est l’ « affranchissement » de tous les travailleurs verriers ; l’occasion a été une grève de physionomie révolutionnaire ; les circonstances ont nécessité l’exode de toute une population. Enfin, par une organisation dont il n’est pas d’autre exemple en France, la propriété et l’administration de l’usine, soustraites aux verriers, appartiennent aux syndicats et aux Sociétés de consommation socialistes, à peu près seules actionnaires. Le premier noyau du capital a été un don de 100 000 fr., qu’une vieille femme un peu bizarre, Mme Dembourg, envoya à M. Henri Rochefort dans une vieille valise. L’usine n’est pas la « Verrerie aux verriers ; » c’est la verrerie « fédérale. » Pour les socialistes, par qui l’œuvre est née, et qui songeaient peut-être aux Lunettiers de Paris, la « Verrerie aux verriers » était un rêve sentimental auquel aurait succédé une réalité dangereuse : l’accession des travailleurs au patronat oligarchique, la transformation de leur mentalité en mentalité bourgeoise, l’oubli de leurs origines et de leurs « devoirs de classe, » la révolution sociale retardée, et l’idéal de la coopération rétréci. Ils ont donc imposé aux verriers une transformation qui réduit ceux-ci au rôle d’employés du prolétariat. Il faut convenir que cette transformation a eu des effets heureux, auxquels ses promoteurs n’avaient peut-être pas songé. Les ouvriers de la verrerie d’Albi ont été protégés contre leur propre faiblesse ; les folies anarchiques de la seconde « Mine aux mineurs » n’ont pu être renouvelées, et la stabilité de la direction a été assurée.

Cependant, les premières années furent terribles pour les verriers. Luttant désespérément pour la subsistance de leurs familles, pour la construction hâtive de leur abri, puis pour la conservation de leur conquête, ils firent preuve de cet héroïsme dont les collectivités ouvrières sont, plus que d’autres, susceptibles. Ils s’improvisèrent terrassiers et maçons, les « angles » étant faits par des « professionnels ; » et la verrerie une fois en train, ils travaillèrent avec des salaires réduits de moitié ; malgré cela, jamais sûrs du lendemain.

La production et la vente sont maintenant régulières. Répartis en trois équipes, les 400 ouvriers travaillent d’une façon ininterrompue, assez bien disciplinés. J’ai vu évoluer sur chaque « plate-forme, » devant la gueule enflammée des fours, le groupe traditionnel de la verrerie moderne. En face de l’usine, dont les toits sombres, rayés de lanterneaux vitrés, semblent s’abaisser jusqu’au sol, s’étendent les appentis noirâtres, lavés par les pluies, où sont entassées des centaines de milliers de bouteilles. C’est partout le spectacle du travail, dans sa période de régime, avec ses locaux animés, son personnel repris par les anciennes habitudes, l’étalage de sa production normale. Le citoyen Charpentier, directeur depuis l’origine (1895), a la physionomie placide du bon employé, sûr de terminer sa carrière dans une maison solide : avec son logis modeste, guère plus grand que celui d’un concierge, ses 330 francs par mois, cet ancien verrier est content de son sort. Il se remémore sans amertume le passé aventureux de la verrerie, juge sans acrimonie ses « adversaires de classe » et parle de son rôle sans jactance.

— Voulez-vous voir, me dit-il, la « salle des syndicats ? » Il y a quelque chose d’intéressant.

Nous allons ; et dès l’entrée, au fond de la salle vide, à côté d’un vaste drapeau rouge frangé d’or, une toile de grande allure, en triptyque, attire violemment les regards. Elle fait face à l’assistance, comme le « Jeu de Paume » des assemblées parlementaires. Au-dessus du triptyque, cette légende inscrite : Par la violence, Par la pensée, Par l’amour, résument les trois phases de l’évolution sociale. À gauche, dans le chaos ténébreux d’une mêlée finissante, Jacques Bonhomme, l’éternel vaincu, appuyé sur sa faux, désespéré et farouche. Au centre, le même personnage, au sommet d’une sorte de colline sacrée, domine du regard les deux champs d’action du prolétariat : dans le passé, la violence ; dans l’avenir, l’amour. Sa figure douloureuse est crispée dans une méditation aiguë ; on y lit un regret intense et une espérance infinie. Il revoit les hécatombes inutiles ; il sourit à un avenir enchanté, que lui désignent d’illustres prophètes, enveloppés de la clarté atténuée des demeures élyséennes : Voltaire, Renan, peut-être Zola ; s’il n’était notre contemporain, on y chercherait M. Anatole France. C’est le temps présent, époque de transition et de transaction, où le vice et l’iniquité subsistent, mais où quelque progrès est déjà visible. Assise au premier plan, une fille, dont les traits vicieux s’ennoblissent d’une douceur maternelle, donne du café au lait à son enfant. C’est la « joie de vivre, » mais qui n’est pas sans mélange ; et le « prix de la honte, » comme dit le citoyen Charpentier, est étalé symboliquement sur la jupe. Le « prix de la honte » n’est pas le sequin d’or romantique des grandes courtisanes ; c’est une simple pièce d’argent divisionnaire. Enfin, à la droite du triptyque, Par l’amour, sous un soleil radieux, Jacques Bonhomme embrasse son ennemi séculaire, un personnage vêtu de pourpre, qui incarne la royauté et le capitalisme ; et, derrière eux, s’étend sur la plaine blonde


Le sourire paisible et rassurant des blés.


Le tableau des « Etapes de Jacques Bonhomme » n’inspire donc pas absolument des sentimens révolutionnaires ; et, devant lui, on songe involontairement aux « étapes » des verriers eux-mêmes. Encore meurtris de leurs dures épreuves, on dirait qu’ils se sont résignés à la lenteur pacifique des transformations sociales. Leur beau courage, leur mode spécial de gouvernement rendent leur entreprise extrêmement curieuse et sympathique. Mais les grandes espérances n’ont pas été remplies ; le chiffre des affaires est à peine d’un million ; les retenues sur les salaires d’origine n’ont pas encore été entièrement remboursées ; l’État continue d’aider la verrerie de ses subsides. C’est une expérience que le temps n’a pas encore consacrée ; ce n’est pas la « grande industrie » coopérative.


Où donc est la grande industrie coopérative ? Dans la métallurgie ? On a bientôt compté les créations : la fonderie de cuivre de la rue Oberkampf, qui coule des « bronzes d’art » pour les cheminées bourgeoises ; quelques ateliers de « nickelage ; » et en province, quelques fonderies de fer, grandes comme la boutique d’un maréchal. L’Association des ouvriers en limes est la plus intéressante ; mais c’est tout au plus si sa production est de 80 000 francs.

Les Ouvriers en limes n’ont jamais quitté, depuis 1848, la rue des Gravilliers. Etroite, avec ses maisons hautes qui l’assombrissent, remplie du bruissement des scies, du sifflement des meules et du halètement des forges, la vieille rue révolutionnaire n’a pas changé depuis un siècle. L’Association légendaire est toujours là avec sa grande enseigne ; toujours pareille, — les ouvriers s’y succèdent de père en fils, — ayant gardé son esprit coopératif un peu restreint, son idéal de démocratie modérée, n’ayant pas grandi, n’ayant pas bougé. Dès qu’on a traversé le petit bureau sombre, où gisent, par terre, des paquets de limes, on découvre une forge d’aspect provincial, où quelques ouvriers, demi-nus, tirent le soufflet, forgent, trempent, travaillent de menues tiges d’acier. « On fait tout à la main, me dit le chef d’atelier ; à la main, on ne fait pas de camelote. » Mais aussi on s’interdit les grandes affaires.

La confection des chaussures, la chapellerie, la teinturerie le tissage, ont-ils révélé la grande industrie coopérative ? Pas davantage. Depuis 1848, que de cordonneries coopératives ! Cordonneries communistes, cordonneries « bourgeoises, » cordonneries « chrétiennes, « remarquables surtout par la brièveté de leur existence ; il y en a encore aujourd’hui une vingtaine, dont deux ou trois seulement font d’assez bonnes affaires. La liste des chapelleries n’est qu’un nécrologe. Rue des Blancs-Manteaux, il y a huit ans, les Ouvriers casquettiers se vantaient de fabriquer « depuis le béret du gosse jusqu’au képi administratif : » cet appel laissa également insensibles les pères de famille et les sous-préfets. Les « Teinturiers dégraisseurs communistes » de la Seine n’ont abouti récemment qu’à fonder une maison pour leur directeur !

Les tisseurs, les veloutiers, les rubaniers, les « chemisiers coopérateurs » n’ont vécu que quelques années, ou végètent entre 10 000 et 40 000 francs d’affaires. Je suis allé tout exprès à Roubaix pour voir le Tissage aux tisseurs, dont je connaissais déjà les origines curieuses.


À Roubaix, royaume de l’industrie textile, les salaires ne dépassent pas 4 fr. 50 par jour pour une journée de dix heures ; les femmes gagnent de 3 francs à 3 fr. 50 ; de sorte que la famille ouvrière, si elle n’a pour vivre que le travail de son chef, est presque réduite à la misère ; et que si la femme travaille, elle est, avec plus de bien-être, moralement dissoute. Dans aucune ville de France, peut-être, l’existence du prolétariat n’est plus resserrée et plus attristante.

Rue de la Redoute, entre les grandes maisons patronales, longs bâtimens de briques, où s’entend le rythme strident et monotone des métiers, la manufacture coopérative semble une masure déteinte ; sa haute bâtisse, où cinq ou six ouvriers travaillent, paraît morne et inhabitée. Aux étages supérieurs, les plafonds ruinés laissent apercevoir les lattes. Une grande salle, nue et délabrée, sert de « cabinet » au directeur. Une sorte d’ « établi » y tient lieu de bureau ; il y a, sans plus, deux chaises paillées. C’est assez pour le directeur, M. Dubus, et pour moi. Nous causons.

Orphelin à six ans, élevé à l’hospice, M. Dubus connut, dans sa jeunesse, un vieux « quarante-huitard » qui l’initia au mouvement coopératif. Plus tard, il puisa, dans l’Ecole de Nîmes, une idée fondamentale : que la coopération distributrice doit réserver ses bénéfices, pour commanditer des associations de production. En bon disciple, il fonda une petite Société de consommation, avec un estaminet, bien entendu ; car, sans estaminet, une coopérative du Nord ne se pourrait pas concevoir ; il en fit réserver tous les bénéfices pour la manufacture, qu’il dirige depuis la fondation (1903). Elle ne fait encore que 20 000 francs d’affaires. N’importe : M. Dubus n’est point découragé ; il me parle du capital, du travail et du talent ; et dans cette vaste caserne lézardée, où un seul métier fonctionne, il prophétise la « grande industrie coopérative » : une conviction froide se lit dans ses yeux rêveurs… En m’en allant, je passe avec lui par l’estaminet, la plus belle pièce de l’établissement. Au-dessus d’un magnifique comptoir, s’étage, en bouteilles multicolores, toute la variété des « liqueurs-fantaisie ; » sur les petites tables de noyer, s’alignent, en forme d’urnes électorales, les « chaufferettes » des fumeurs : et contre le mur, une cible en liège reçoit les flèches des habitués, lorsqu’ils jouent une « tournée. » Telle est la Société de consommation qui a commandité la manufacture : une société où l’on « consomme. »

Toute l’alimentation coopérative se résume en une charcuterie « syndicale, » une biscuiterie, et trois chocolateries. La Chocolaterie Ouvrière de la rue de Belfort, la plus ancienne, ne trouble pas encore le sommeil des grands « chocolatiers. » La fabrique est d’une exiguïté charmante ; tout s’y fait à peu près à la main ; et, avec le peu de place dont on dispose, on est obligé de poser par terre les tablettes molles, où resplendissent, en relief, les armes de l’Association ; en face, de l’autre côté de la rue, dans le magasin de vente, quelques femmes diligentes les habillent d’étain, puis d’un beau papier jaune glacé, lorsqu’elles sont durcies.


C’en est assez. L’affirmation que la classe ouvrière est déjà capable d’entreprendre la grande industrie, est d’ordre purement mystique ; elle est contredite par l’universalité des faits observés. Cela dit, il faut convenir que plusieurs associations, bien dirigées, rivalisent heureusement avec les maisons patronales de moyenne importance.

Au premier rang de celles-ci est la Lithographie parisienne, qui a débuté en 1866, a fait deux fois faillite, et s’est deux fois relevée en payant toutes ses dettes. Avec son imagerie religieuse et laïque, ses cartes postales polychromes, ses « poissons d’avril, » ses affiches-réclame, ses bons points d’écoliers, elle fait 600 000 francs d’affaires. Il est remarquable que le même homme, à travers des désastres renaissans, ait eu la volonté et le pouvoir d’y demeurer pendant trente ans le chef responsable ; dans plus d’un autre endroit, il eût été sacrifié dès la première heure, ou se serait dérobé de lui-même aux responsabilités. Mais les qualités de la corporation lithographique ne sont pas ordinaires. Le métier de lithographe, plus que beaucoup d’autres, exige la précision, l’attention soutenue, la probité professionnelle ; et les exigences mêmes du travail y sélectionnent le recrutement. La puissance syndicale y a été de bonne heure sérieuse ; comme les associés étaient déjà unis par des liens solides, ils ont gardé la cohésion ferme qui les a préservés du découragement et de l’indiscipline.

Au milieu d’une impasse de la rue des Trois-Bornes, où résonnent les ferrailles martelées, et toutes les vibrations cacophoniques de la chaudronnerie, une grande maison, aux larges baies vitrées, est plus tapageuse que toutes les autres : c’est là que travaillent, au nombre d’une centaine, les Ferblantiers de Paris. Sous la direction paterne de M. Méneveau, ininterrompue depuis trente-cinq ans, ils sont parvenus à la même fortune que les lithographes, sans avoir subi d’épreuves. En 1868, ils fabriquaient des compteurs à gaz ; ils en fabriquent toujours, et j’ai pris plaisir à les voir faire. Ils vont bien, de temps à autre, à leur fantaisie, prendre un apéritif, un « casse-croûte ; » mais « cela n’a jamais eu d’inconvénient, » dit en souriant M. Méneveau ; d’ailleurs, ils sont « aux pièces, » et gagnent de 8 à 15 francs par jour. La physionomie de M. Méneveau n’est pas celle d’un homme qui a eu des « ennuis : » il a son logement, les appointemens d’un petit employé parvenu au faîte de ses ambitions ; il vient d’être décoré ; il est parfaitement heureux.

J’ai rencontré, rue de Maistre, à la tête d’une Association beaucoup plus modeste, les Tapissiers de Paris, un homme fort estimé dans le monde coopératif, M. Ladousse, qui est là depuis vingt-sept ans. On ne se douterait pas, à voir cet homme posé, parlant excellemment des devoirs de la classe ouvrière, assis devant un bureau d’acajou où tout est bien en ordre, qu’il fut jadis un combattant de la Commune, Il m’a montré avec orgueil un fauteuil de la Cour d’appel, qu’on venait de restaurer, splendide avec ses larges clous de cuivre, étincelans sur l’étoffe rutilante, et une chaise à porteurs vétusté, à laquelle on allait restituer encore une fois la grâce fragile du XVIIIe siècle… J’ai vu encore, — que n’ai-je pas vu ! — dans une rue neuve au nom prédestiné, la rue Charles-Fourier, les Ouvriers en instrumens de précision, dont la principale occupation est de fabriquer des « multiples » pour l’administration des téléphones. Rien qui ressemble ici à la maison patronale : pas d’auxiliaires, et tous les membres touchent le même salaire, dix francs pour dix heures. « On donne, me dit le comptable, une besogne plus facile à ceux qui sont moins habiles. » Eh bien ! cette Association m’a paru avoir des chances de durée ; car la puissance organisatrice y réside réellement dans la masse ; la nature du travail, la finesse de son exécution, le raffinement de soin qu’il exige, ont sélectionné automatiquement les aptitudes et les hommes.

Je n’ai pas perdu mon temps chez les « Tailleurs » de la rue Vivienne. À la bonne heure ! dans cette maison, les tendances sociales sont claires, du moins au second coup d’œil. Dans un joli salon d’attente, assis confortablement dans un « fauteuil Louis XIV, » j’attire à moi, pour amuser mes loisirs, les journaux qui couvrent la table. Ce ne sont pas ceux qu’on trouve ordinairement dans les salons d’attente des tailleurs et des dentistes. Ce sont des numéros de l’Assiette au Beurre, de la Guerre Sociale, de la Voix du Peuple, organe officiel de la Confédération générale du Travail. Je lève les yeux : mes yeux se reposent sur une reproduction lithographique des Étapes de Jacques Bonhomme, et le portrait d’Émile Zola. Cependant, le directeur paraît, la bande métrique passée autour du cou : un jeune homme très doux, qui parle net, et satisfait poliment ma curiosité. Fondée depuis quelques années, l’Association occupe six ouvriers, dont quatre « appiéceurs, » un « pompier » et une « dame spécialiste. » Lui, le directeur, est payé « comme les autres, » et reçoit seulement, en plus, 200 francs par an, pour « frais de représentation. » Il ne récrimine pas ; « ce sont ses idées. » Ici, me dit-il, « il n’y a pas d’autorité ; je n’ai qu’un rôle représentatif ; chacun, dans sa sphère, agit comme il veut et comme il doit. » Je ne puis me le dissimuler : cette association, de clientèle bourgeoise, établie dans un appartement presque luxueux, à deux pas de la Bourse, est un foyer discret de compagnons libertaires. Au risque de contrister son directeur, j’ajouterai d’ailleurs qu’elle m’a paru bien dirigée.

Je suis loin d’avoir énuméré toutes les Associations, qui paraissent définitivement « lancées. » Il en est aussi en province, comme l’Imprimerie ouvrière de Nîmes, originalement installée dans l’ancienne chapelle des « Saintes Maries ; » et la Société des Menuisiers, de Limoges, qui après avoir débuté dans une écurie, il y a quinze ans, fait maintenant 500 000 francs d’affaires. En tout, on en pourrait citer une cinquantaine.

Mais sur le plus grand nombre des autres, on ne peut rien dire. D’ailleurs, rien que pour les découvrir, il faut souvent une patience inaltérable, et une forte obstination. À Paris, quelques-unes se dissimulent, sans enseigne apparente, dans des arrière-cours, à des étages supérieurs ; pour y accéder, il faut opter, à l’aveuglette, entre des escaliers multiples, enfiler des corridors, respirer des odeurs diverses, et recourir, devant les portes obscures, à la ressource désespérée des allumettes-bougies. Il en est même, suprême déception ! que leurs concierges ignorent. Je me souviendrai longtemps d’une certaine porte de grenier, rue de Charonne, sur laquelle une inscription à la craie décelait seule l’existence de la « Toilette Anglaise ; » et, rue des Petits-Champs, d’un atelier de « fleuristes-plumassières, » Société mystérieuse, presque secrète, où les clientes devaient donner un mot de passe, comme dans le Petit Chaperon rouge.

Sans doute, quelques-unes de ces Sociétés minuscules, malades ou agonisantes, pourront survivre ; mais il y a de fortes présomptions pour que le plus grand nombre disparaisse. Rien qu’à Paris, plus de 400 ont sombré depuis soixante ans ; et depuis que des statistiques sont dressées, on sait que, dans l’ensemble, quarante ou cinquante meurent chaque année. Le tableau officiel des Associations ouvrières n’est qu’un cadre décevant, où, à côté de quelques images déjà fixées, défile confusément la figuration fuyante d’activités éphémères. À défaut même de la statistique, tout ce que nous savons de la genèse et de la vie intérieure des Associations suffirait à nous édifier.


Toute création coopérative devrait être précédée d’une période préparatoire, pour amasser le capital, plus encore pour lier, d’une façon solide, des travailleurs d’élite, connus les uns des autres. Au lieu de cela, c’est ordinairement au milieu d’une grève, au moment d’une crise industrielle, que l’idée d’association prend de la consistance. Il est certain que, sous l’éperon de la misère, excités d’un violent désir de libération, les ouvriers sont capables d’un élan inaccoutumé. Mais l’angoisse même où ils vivent, la nécessité d’aboutir vite, créent une atmosphère défavorable au calcul et à la méditation. Ce n’est pas quand on attend son pain de la générosité publique, et de la solidarité syndicale, qu’on peut former le petit capital dont on a besoin. Ce n’est pas non plus quand on combat côte à côte, qu’on est libre de se grouper entre bons ouvriers, et d’écarter les autres. Enfin, en temps de crise industrielle, il est insensé de croire qu’avec un outillage de fortune, il suffira de produire plus mal pour pouvoir « écouler » mieux, alors qu’on est justement en mal de surproduction. Mais ces considérations n’ont jamais arrêté les initiateurs ; et l’Association, telle qu’elle devrait être conçue, lorsque l’existence normale réserve un champ libre et tranquille à la prévoyance et au conseil, cette Association est un être social exceptionnel. Les grévistes, les chômeurs, se précipitent vers l’Association libre comme à une bataille ; ils campent dans une sorte d’ivresse mystique, clamant les cantiques révolutionnaires, soldats et apôtres à la fois. Ils jettent bravement leurs pauvres économies dans le fonds social ; ils s’imposent des retenues fabuleuses sur leurs salaires ; ils acceptent des besognes étrangères à leur métier ; ils vivent d’une existence que, dans leurs plus mauvais jours, ils n’ont pas connue à l’usine patronale. Et si, d’aventure, ils sortent victorieux de cette terrible épreuve, ils ont bientôt à compter avec les « militans. »

C’est parmi les « militans » qui ont provoqué et dirigé la grève, que s’est formé le noyau de l’Association. Mais tout n’est pas toujours pur dans la physionomie du « militant. » Le militant est parfois un ouvrier de capacité médiocre, ou de minime moralité, aigri d’être maintenu dans une situation inférieure, qui s’est jeté dans l’Association, moins par haine de l’autorité patronale que par haine de l’autorité proprement dite. Il est promptement exaspéré de la discipline ouvrière, si on lui a refusé le rôle de chef. Il est celui qui veut « tout casser ; » et si l’Association n’a pas l’énergie de l’expulser, lui et ses pareils, elle est perdue.

Deux éliminations successives ont déjà singulièrement réduit le contingent des Associations : le désordre financier en opère une troisième sur les survivantes. Souvent, pour les fondateurs improvisés, la comptabilité n’est qu’un grimoire inutile. On n’achète pas de « livres ; » les recettes et les dépenses sont inscrites sur des feuilles éparses, chargées de ratures, étoilées de « renvois, » qui traînent dans des tiroirs, mêlées à des brosses ou à des morceaux de chandelles, sur des rayons, sur des établis, dans les poches des administrateurs ; ou même ne sont pas inscrites du tout. On a constaté, il y a quelques années, qu’aucune des coopératives du Centre n’avait jamais eu de comptabilité, sauf une Société de peintres, dont un « camarade, » à ses momens perdus, « faisait les écritures : » c’était le meilleur peintre des comptables et le meilleur comptable des peintres.

Le désordre est surtout curieux dans les petites Associations du bâtiment. Persuadées qu’il suffit de travailler pour vivre, elles recherchent, par adjudication, tous les travaux possibles, consentent des rabais fous pour les « enlever, » exultent naïvement quand elles les ont obtenus.

— C’est du « boulot » pour l’hiver ! s’écriait un jour joyeusement un de leurs directeurs.

Hélas ! avec de pareils rabais, le « boulot » risque d’être fort compromis. De plus, les adjudicataires s’aperçoivent avec terreur qu’avec leurs faibles avances, ils ne pourront exécuter les travaux énormes dont ils sont chargés. Alors, ils implorent les éternelles divinités tutélaires : l’État, le « legs Rampal[6], » surtout la Banque coopérative. Pour eux, la Banque coopérative est un réservoir inépuisable, alimenté par une puissance mystérieuse, qui doit ouvrir ses écluses, dès la première réquisition, aux Associations en détresse. Des « imprimeurs sur étoffes, » ayant entendu dire que les « camarades de Lyon » avaient reçu « quelque chose de l’État, » ne doutèrent plus de rien. Sans un sou dans leur poche, ils dressèrent les plans d’une superbe manufacture, rédigèrent bravement leurs statuts et, cela fait, écrivirent à la Banque coopérative comme on écrit à son notaire : 20 000 francs leur suffiraient, « pour commencer. » Quand on leur demanda des garanties, ils furent frappés de stupeur. On avait pourtant donné aux camarades de Lyon !

Une autre cause, plus générale et plus profonde, suffirait à expliquer non seulement l’insuccès d’un grand nombre d’Associations, mais la limitation du succès, chez celles qui ont réussi. Partout, l’ardeur des associés diminue, dès qu’ils croient toucher au port. En dépit des « apéritifs » et des « bombes, » l’activité subsiste, mais elle est paisible et, quand le travail est payé à la journée, intermittente et molle. L’ouvrier associé moyen n’a pas véritablement conscience de travailler pour lui-même ; il mesure, d’une façon instinctive, l’étendue de ses risques, et règle là-dessus sa conduite. Il ne songe pas à se croiser les bras ; mais la recherche légèrement abusive de sa commodité, le souci simplement passable de la perfection, ces négligences qu’un patron ne supporterait pas une heure, il sait trop qu’elles ne seront pas réprimées par le directeur élu. Les meilleurs subissent la contagion de l’exemple ; chacun se persuade que la probité de son effort se perdrait dans le relâchement général. De telles habitudes ont une répercussion sensible sur le prix de revient, la qualité des produits, la durée de l’exécution, et sur la prospérité sociale.

Mais, en plus d’un endroit, la discipline n’est pas seulement réduite à une subordination affaiblie ; elle laisse singulièrement à désirer. Il en coûte beaucoup moins d’obéir au patron, homme d’une autre classe, qu’au « camarade directeur, » toujours révocable. Devant le patron, l’ouvrier se sent contraint par une fatalité inéluctable. Mais si le « camarade directeur » fait seulement son devoir, on a bientôt fait de dire qu’il « fait ses embarras. » Et tandis qu’il va chercher du travail, qu’il confère avec des cliens, ou qu’il surveille un chantier, les ouvriers, ne le voyant plus à l’atelier, en concluent qu’il ne fait plus rien, qu’il « se la coule douce ; » et s’il prend une voiture pour gagner du temps, qu’il va « en ballade. » À tous les petits griefs que chacun nourrit contre lui, se superpose une jalousie latente qui achève de miner son pouvoir fragile. Aux banquets d’anniversaires, on a l’illusion d’une fraternité touchante : on sert des « brochets à la Fourier, » des « filets Saint-Simon, » des « poulets Robert Owen, « des « gâteaux Tolstoï ; » on chante un peu l’Internationale ; c’est délicieux. Le directeur est le roi de la fête ; on boit à lui ; il boit à tous ; il semble que la Société ne puisse vivre sans lui, ni lui sans elle. Cependant, l’année suivante, ouvrez l’Annuaire : nouvelle dénomination directoriale ; le malheureux a subitement cessé de plaire. Aussi ne faut-il pas juger de la longévité des directeurs par les exemples remarquables que j’en ai cités ; elle varie ordinairement entre deux ans et quelques mois.

On dit volontiers que l’instabilité des fonctions directrices est la cause de la ruine, et que la stabilité est la première condition du succès : l’explication est superficielle. La stabilité de la direction n’est que l’aboutissement logique de l’état d’esprit des Associations. Quelques-unes conservent le même homme à leur tête, sans pensée suivie, par l’instinct qui a groupé leurs membres dociles sous une direction presque imposée ; l’élection du chef y fut une sorte de fiction ; c’est bien plutôt le chef-fondateur qui a choisi lui-même les membres qui devaient l’élire. Pour une raison très différente, quelques autres, dont les membres avaient fortement pratiqué l’action syndicale, ont choisi et gardé librement le plus digne d’entre eux, suppléant à l’autorité restreinte qu’ils lui ont déléguée, par une certaine maturité éducative. Quant aux autres, la grande majorité, n’ayant pas voulu s’asservir, elles n’ont pas su se discipliner. Puissant ou misérable, le directeur est l’homme qui convient à l’Association ; et presque toujours une corporation a la coopérative qu’elle mérite.

Enfin, la concurrence qu’elles se font entre elles affaiblit un grand nombre d’Associations. Rien qu’à Paris, il y a des Charpentiers de Paris, des Charpentiers parisiens, des Charpentiers de la Seine, des Charpentiers français, des Charpentiers réunis ; quatre ou cinq sociétés de biseauteurs de glaces ; dix de peintres, quatre de serruriers, qui, dans les adjudications, « misent » les unes sur les autres ; deux « chocolateries, » douze sociétés de cochers. En province, c’est pis encore. Dans une même ville, des coteries rivales, des animosités personnelles engendrent des sociétés similaires, qui se disputent comme une proie la clientèle locale, un Hôtel de Ville à décorer, les « impressions » de la Préfecture, une fourniture de galoches au Bureau de bienfaisance ; et chacune, végétant avec de maigres ressources, cherche, par de petites manœuvres sournoises, à s’étendre aux dépens de la « Société-sœur. » Même celles qui sont installées dans des régions différentes, si elles ne peuvent vivre de la clientèle urbaine, les verreries, les cordonneries, les imprimeries, sont obligées de recourir à une intense réclame extérieure. Presque toutes font de chaleureux « appels à la solidarité » auprès des Sociétés coopératives de consommation :

— Quand vous réassortirez votre rayon de chaussures, citoyens, n’oubliez pas la Fraternelle !

— Souvenez-vous de l’Avenir, camarades !

— Pensez à l’Émancipatrice !

— Et aussi à la Rénovatrice !

Les Sociétés de consommation sont sans doute disposées à « faire leur devoir. » Mais, comme a dit un moraliste, le difficile n’est pas de faire son devoir, c’est de le connaître ; et il y a vraiment trop de cordonneries ! Puis, la solidarité est un beau mot, mais elle devient une duperie, quand elle n’est pas réciproque. Au nom de la solidarité, les Sociétés de consommation ne peuvent cependant pas s’encombrer de « rossignols, » et chausser de semelles cartonnées les pieds des coopérateurs ; or, de ces semelles, je le sais, on en fournit parfois. Sans aller jusqu’à la fraude, qui est l’exception, nombre d’associations qui revendiquent « la préférence, à prix égal, » ne se préoccupent pas de fournir l’égale qualité.


Ainsi, un enfantement hâtif et douloureux, rarement précédé d’une gestation naturelle, est le sort commun d’innombrables Associations avortées ; l’inexpérience des fondateurs, le désordre des finances, les misères de la direction, déciment chaque année, au sens exact du mot, la plupart de celles qui ont pu venir au jour ; la mollesse du travail, l’éparpillement de chaque puissance corporative en associations rivales, anémient un grand nombre des survivantes. Loin de confesser ces maux réels, les ouvriers découragés allèguent le manque de capital. Ils jettent un regard chargé d’impuissance et de haine sur les entreprises capitalistes, colossales dès leur naissance, et s’écrient qu’il n’est pas difficile de gagner la partie avec une entrée de jeu formidable. Mais le trésor des entreprises capitalistes a été amassé jadis par des hommes qui n’avaient pas un sou vaillant. Le jeu des transmissions héréditaires, l’ardeur laborieuse de quelques hommes, les manœuvres de la spéculation l’ont accru et fait passer entre des mains plus ou moins dignes. C’est la « Société capitaliste : » or, les socialistes ont la prétention de la détruire, et les coopérateurs de s’en passer. Si ces derniers savent ce qu’ils veulent, ils doivent élaborer progressivement une « Société nouvelle ; » et pour cela, à force d’énergie méthodique, créer le capital comme ont fait les parvenus d’autrefois. Si vraiment l’idée d’association n’est pas un vain mot, ils doivent y réussir comme ont fait ceux-ci ; car les armes paraissent égales, non entre eux et les capitalistes d’aujourd’hui, c’est entendu ; mais entre eux et les pauvres hères des temps passés, qui devinrent capitalistes dans une société déjà fortement « capitalisée. »

Puisque le capital est si rare dans les mains prolétariennes, il faudrait d’abord ne pas disséminer ses ressources entre plusieurs Associations concurrentes. Et, j’en demande pardon à l’ombre auguste de Fourier, les travailleurs ne devraient pas recourir au capital étranger, qui est plutôt un péril de mort. Ils devraient, renonçant à le rémunérer trop fortement, et sans tomber dans l’exagération communiste, accroître leur faible avoir par l’accumulation des réserves, imposant ainsi un stage bienfaisant à leur activité inexpérimentée. Il viendrait alors un moment où, songeant à une plus vaste entreprise, ils pourraient la créer « à coups de capitaux, » tout comme les grands industriels et les « fils à papa. »

Le « manque de capital » est donc une de ces raisons de sentiment par lesquelles la classe ouvrière, partout où elle est vaincue, veut masquer la faiblesse prodigieuse de son éducation sociale. Si le progrès de l’Association est si lent, ce n’est pas qu’un obstacle se trouve sur la vraie route : un artifice permettrait, de le tourner, un effort court et violent suffirait à le détruire. C’est que, trop souvent, les ouvriers associés s’aventurent, d’un pas inégal, sur des routes incertaines, ignorant même que l’innombrable foule de leurs devanciers s’y est perdue avant eux ; se bousculant les uns les autres, changeant incessamment de guides ; errant sans boussole, et quelquefois sans but.

Écartons toutefois les suggestions d’un pessimisme exagéré. Oui, les Associations ouvrières de production n’ont point rempli les espérances que l’on avait fondées sur elles ; et si, dans les succès, on pouvait faire exactement la part de ce qui revient à la coopération pure, on la trouverait singulièrement réduite. Mais enfin, une cinquantaine ont résisté, qui ne sont pas toutes des modèles, mais sont, à certains égards, des exemples. Les innombrables tentatives avortées ne comptent pas devant le petit nombre des victoires définitives. Nous savons de mieux en mieux que les créations les plus admirables du génie humain ne sont, dans le moment éphémère où nous vivons, que le dernier état connu d’innombrables ébauches infructueuses, où d’obscurs chercheurs ont consumé leur vie. Telles qu’elles sont, ces Associations très vivantes représentent le plus grand effort pacifique que la classe ouvrière ait jusqu’ici déployé pour améliorer son sort. L’ampleur qu’elles ont atteinte, demeurée moyenne, donne la juste mesure de la puissance limitée dont est actuellement capable l’élite de quelques corporations. Mais il est permis d’espérer que cette limite reculera, à mesure que progressera, avec notre éducation démocratique, l’éducation sociale des travailleurs, qui en est inséparable.


JOSEPH CERNESSON.

  1. Cette subvention est aujourd’hui de 300 000 francs. Depuis quelques années, la plus grande partie de cette somme est répartie aux Associations, sous forme de prêts, par l’intermédiaire de la Banque coopérative. L’intérêt exigé n’est que de 2 pour 100.
  2. Les Associations « sillonistes, » récemment fondées à Nancy, Lille, Lieusaint, Fougères, s’inspirent des mêmes principes.
  3. Nous ne connaissons que trois exceptions à cette règle : le Travail, association de peintres, l’Avenir du Bâtiment, à Paris ; et l’Ebénisterie de Clichy.
  4. L’action est de 300 francs, chez les Charpentiers de Paris, et doit être libérée en huit mois ; elle est aussi élevée dans les 12 Associations de cochers parisiens, et doit être libérée immédiatement.
  5. Sur les 510 Associations, 151 sont de travaux publics, 71 d’imprimerie, 52 de transports, 34 de lits militaires ; 27 comprennent des carriers, des afficheurs, des coiffeurs, etc. ; soit 335 au total, qui ont fait l’an dernier près de 40 millions d’affaires sur un chiffre global de 65 millions.
  6. M. Rampal (1812-1879) a laissé à la Ville de Paris une somme de 1 411 000 francs, qui doit être employée en prêts aux Associations coopératives ; l’intérêt du prêt est de 3 pour 100.