Les Associations populaires de consommation, de production et de crédit/Deuxième leçon

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Les Associations populaires de consommation, de production et de crédit :
leçons publiques faites à Paris en janvier et février 1865
Dentu (p. 67-126).
DE L’ORGANISATION FINANCIÈRE ET DE LA CONSTITUTION LÉGALE DES ASSOCIATIONS POPULAIRES.


Modes et degrés divers de la responsabilité collective. — Principe de la responsabilité solidaire et de la responsabilité limitée. — Principe de la responsabilité proportionnelle.

Exposé des motifs d’un projet de loi sur les sociétés de coopération, considérées comme sociétés à responsabilité proportionnelle.


Messieurs,

Nous avons à nous occuper aujourd’hui d’une question toute spéciale de législation, question extrêmement difficile et, je dirais, extrêmement ennuyeuse, si je ne songeais que, pour des esprits sérieux, cette difficulté même, à supposer qu’elle soit heureusement vaincue, sera la source d’un vif intérêt. Quoiqu’il en soit, du reste, la question étant inévitable, j’aborde mon sujet sans plus de précautions oratoires, vous priant seulement de vous souvenir qu’en pareille matière, la précision et la clarté sont la seule éloquence qui me soit permise.

La seconde partie de ma première leçon a été, si vous vous en souvenez, exclusivement consacrée à la description du mécanisme propre des diverses espèces d’associations populaires, et tout particulièrement de celui des associations de production et de crédit, Nous savons donc, à présent, quel objet nous pouvons nous proposer en formant des associations de cette nature : nous voulons l’union la plus complète et la plus intime du capital avec le travail par la création du crédit personnel. Nous savons également par quels moyens nous devons poursuivre un tel objet : nous sommes des travailleurs qui faisons appel au capital, et nous entendons nous engager : 1o à rétribuer l’usage du capital, et 2o à restituer le capital lui-même ; nous demandons le crédit, et nous acceptons les deux conditions du crédit, qui sont : 1o d’en payer le service, et 2o d’en garantir la sûreté. Ainsi notre situation sera tout à fait sérieuse et digne. Maintenant, comment satisfaire à ces deux conditions, comment remplir surtout la seconde ? Une question se présente ici qu’il nous faut étudier dans le plus grand détail : c’est à savoir celle de l’organisation financière des associations populaires, et notamment de celle de production et de crédit.

Toute opération de commerce, d’industrie, de banque ou autre, offre à celui qui la lente l’alternative d’une réussite ou d’un échec. La nature même de l’opération, les études qui l’ont précédée, l’expérience, le soin et l’habileté avec lesquels elle est conduite, les circonstances au milieu desquelles elle s’exécute contribuent à amener la réalisation de la première ou de la seconde éventualité ; mais, d’une manière ou d’une autre, toute opération de ce genre met finalement celui qui l’a entreprise en état soit de gain, soit de perte ; et de même qu’un commerçant, un industriel, un banquier doit être assuré de jouir de son gain, s’il y a gain, de même il doit être contraint de supporter sa perte, en cas de perte.

Ce qui est vrai d’un individu est vrai d’une association. Toutefois, on aperçoit immédiatement quelle nécessité nouvelle résulte de ce fait que l’opération, au lieu d’être effectuée par un seul individu, l’aura été par plusieurs associés. En pareil cas, il est encore évident que l’association doit également, et selon l’occurrence, profiter seule de son gain ou souffrir seule de sa perte ; mais il ne l’est pas moins qu’en outre, pour chacun des associés, les chances respectives de perte et de gain doivent être exactement proportionnelles les unes aux autres, c’est-à-dire, en d’autres termes, que deux associés qui auraient réalisé, en cas de succès, un bénéfice égal, doivent aussi subir, en cas d’insuccès, un détriment égal.

Attribution certaine de ses pertes comme de ses gains à l’association, et répartition proportionnelle des gains ou des pertes entre tous les associés, tel est donc le double principe qui domine toute la question de l’organisation financière des sociétés de commerce, d’industrie et de banque, et dont la seconde condition n’est ni moins évidente ni moins essentielle que la première. Toute société pouvant être amenée à contracter des dettes à l’égard de tiers, il importe que ces tiers puissent compter sur le remboursement de leurs créances, et cela non pas seulement si la société prospère et peut s’acquitter au moyen des rentrées qu’elle effectue, mais alors même, alors surtout que les affaires de la société deviendraient mauvaises et qu’une liquidation ne pourrait se faire que grâce à une contribution prélevée sur les associés. Mais s’il importe que cette contribution soit prélevée pour que les tiers créanciers n’éprouvent aucun dommage, il n’importe pas moins, on en conviendra, qu’elle le soi de telle façon que certains d’entre les associés ne payent pas pour tous les autres. On voit par là combien cette question de l’organisation financière des sociétés est une question complexe et délicate, puisqu’il ne s’agit de rien moins que d’y donner à la fois satisfaction aux droits des tiers vis-à-vis de la société, et aux droits des associés vis-à-vis les uns des autres.

Trois types de sociétés commerciales sont reconnus et réglementés par le Code de commerce (Livre Ier, litre III, section 1re), les deux premiers reposant chacun sur un principe distinct de responsabilité collective, et le troisième sur une combinaison de ces deux principes. Ce sont :

1o La société en nom collectif, basée sur le principe de la responsabilité solidaire.

La dénomination de celle société indique suffisamment que tous les associés, en y entrant, exposent, avec leur nom, leur fortune, et, on peut le dire, sous l’empire des lois sur la contrainte par corps, leur personne. Ce-qui est engagé dans l’entreprise et offert en garantie, c’est non point un fonds social déterminé et fixe, mais bien l’avoir des sociétaires dans le présent et dans l’avenir. Chacun d’eux, en effet, répond pointons de la pleine et entière exécution des engagements sociaux ; chacun d’eux peut être actionné séparément par les tiers et contraint d’acquitter toutes les dettes de la société ;

2o La société anonyme, basée sur le principe de la responsabilité limitée.

L’appellation même de société anonyme fait assez connaître qu’ici, aucun associé ne donnant son nom, aucun n’expose ni sa fortune ni sa personne. Il n’y a d’annoncé et de risqué qu’une certaine somme de capitaux formant le fonds social. Chaque sociétaire ne participe, en aucun cas, à l’exécution des engagements sociaux que jusqu’à concurrence de sa quote-part dans le fonds social, et, cette quote-part absorbée, demeure affranchi de toute obligation ultérieure.

3o La société en commandite, basée à la fois sur les deux principes de la responsabilité solidaire et de la responsabilité limitée.

Dans cette combinaison, un ou plusieurs associés sont des associés en nom collectif, solidairement responsables ; les autres sont des associés commanditaires, responsables dans les seules limites du montant de leur commandite.

D’après ces définitions, une chose, ce me semble, est assez facile à voir, c’est que, des deux principes de la responsabilité solidaire et de la responsabilité limitée, l’un satisfait particulièrement, pour ne pas dire exclusivement, à la première, comme l’autre à la seconde des deux conditions que nous avons posées comme les deux conditions fondamentales de l’organisation financière d’une société. Le principe de la responsabilité solidaire assure avant tout l’attribution de ses pertes à l’association, au risque, il est vrai, de faire cette attribution à certains d’entre les associés plus qu’à d’autres. Le principe de la responsabilité limitée, en revanche, établit surtout une répartition proportionnelle des perles entre tous les associés, mais avec la chance, il faut le dire, que cette répartition soit insuffisante pour couvrir tout le passif social. On pourrait énoncer autrement, en toute rigueur, que, des deux principes en présence, l’un sacrifie en quelque sosie les droits des sociétaires vis-à-vis les uns des autres à ceux des tiers-créanciers vis-à-vis de la société, tandis que l’autre, au contraire, sacrifie jusqu’à un certain point les droits des tiers-créanciers à ceux des sociétaires.

Le fait est incontestable ; ce serait toutefois juger les choses superficiellement que de partir de là pour considérer tout de suite les deux principes de la responsabilité solidaire et de la responsabilité limitée comme deux principes également imparfaits. Un examen plus attentif fait reconnaître que tous deux sont, au contraire, excellents ; que, seulement, l’un et l’autre sont plus spécialement appropriés à un genre déterminé d’entreprises, le principe de la responsabilité solidaire aux entreprises commerciales, et le principe de la responsabilité limitée aux entreprises industrielles, le commerce se définissant économiquement comme un changement de place apporté à la richesse sociale, et l’industrie comme un changement de forme imposé à cette richesse.

En quoi consiste une entreprise commerciale quelconque, telle que l’établissement d’un magasin de nouveautés ou d’épicerie ? Elle consiste purement et simplement à acheter d’une part pour revendre de l’autre. On achète ordinairement à crédit, et l’on revend au comptant, ou, si l’on revend à crédit, on fait alors au consommateur un crédit un peu moindre que celui qu’on obtient du producteur, et l’on fait souvent, dans de telles conditions, un chiffre d’affaires très-élevé. Deux faits ici sont évidents : l’un, que ces opérations n’exigent point la mise en œuvre d’une très-grande masse de capitaux, et l’autre, qu’elles aboutissent à une situation qui s’établit par la balance à faire entre un passif et un actif tous deux considérables, le passif certain, l’actif plus ou moins douteux. D’où il suit, en supposant que ces opérations soient entreprises en société, qu’il ne faut point surtout à cette société un fonds social, et qu’il n’y a pas à se préoccuper de proportionner les chances de perte et de gain de chacun à sa quote-part dans le fonds social, mais qu’il y a à se préoccuper avant tout d’assurer le paiement des dettes de la société et qu’il faut à cette société des noms, et, avec ces noms, la fortune et la personne des associés. D’où il suit enfin que le principe de la responsabilité solidaire est tout à fait indiqué par les circonstances.

Qu’est-ce, au contraire, qu’une entreprise industrielle, comme l’établissement d’une usine ou d’un chemin de fer ? C’est la création d’un capital d’exploitation. On se procure des matériaux presque toujours d’espèces très-nombreuses, en très-grande quantité, et l’on y applique une main-d’œuvre le plus souvent fort compliquée et coûteuse, le tout se payant au fur et à mesure. Or ce qui apparaît très-nettement, c’est qu’en industrie, au rebours de ce qui se passe dans le commerce, on n’a pas lieu de contracter avec des tiers des dettes de quelque importance, et qu’on se trouve enfin dans une position qui n’est autre que l’exploitation-d’un capital industriel, exploitation plus ou moins fructueuse, selon que l’usage du capital est plus ou moins généralement recherché, son service payé plus ou moins cher. D’où il résulte qu’il n’y a pas ici à s’inquiéter tout d’abord d’assurer le paiement des dettes de la société, et qu’il n’est besoin ni du nom, ni de la fortune et de la personne des associés, mais qu’il est besoin en premier lieu d’un fonds social, et qu’il y a à s’inquiéter de proportionner les chances de perte et de gain de chacun à sa quote-part dans le fonds social. D’où il résulte en définitive que le principe de la responsabilité limitée est éminemment approprié à la situation.

Les deux principes de la responsabilité solidaire et de la responsabilité limitée étant ainsi définis, comparés et appréciés, il reste à nous demander lequel s’adapte le mieux aux opérations des associations populaires. Or c’est ici que la question devient jusqu’à un certain point difficile et embarrassante ; car il se trouve que ces associations, suivant qu’on les envisage dans la première ou dans la seconde partie de leur mécanisme, sont assimilables aux entreprises industrielles ou aux entreprises commerciales, du moins en ce qui touche aux droits des tiers-créanciers vis-à-vis de la société et aux droits des sociétaires vis-à-vis les uns des autres.

Étant, en effet, donnée une association populaire d’espèce quelconque, ne considérons d’abord que la première partie de son mécanisme, celle qui consiste à réunir un fonds social par le moyen de cotisations périodiques et à employer ce fonds social soit à acheter et revendre au comptant des denrées consommables, soit à exercer une industrie commune, soit à faire des prêts et avances à intérêt, nous trouvons que cette première partie a, sans contredit, le caractère d’une opération industrielle ; car elle exige la réunion d’une certaine somme de capitaux, et elle aboutit à l’exploitation d’un fonds établi. Peu importe d’ailleurs que les capitaux soient transformés en matière première et travail avant d’être exploités, comme dans les associations de consommation et de production, ou qu’ils soient exploités sans transformation, comme dans les associations de crédit ; ce n’est là qu’une différence de forme sans nulle différence de fond. Il n’y a pas là de dettes contractées vis-à-vis de tiers ; il n’y a que risque de perte sur le capital, si les denrées consommables ou les produits industriels restent pour solde, ou si les prêts et avances ne sont pas remboursés, avec chance de bénéfice sur le revenu, si les denrées et les produits trouvent un écoulement avantageux, ou si les prêts et avances sont remboursés avec l’intérêt dû.

Mais considérons maintenant la seconde partie du mécanisme de cette association populaire, celle qui consiste à faire appel aux capitaux étrangers et à les employer de la même manière que le fonds social lui-même, nous trouvons que cette seconde partie est de tout point analogue à une opération commerciale ; car il y a lieu de contracter immédiatement des dettes avec des tiers, et l’on se trouve finalement sous le coup d’un passif sûrement exigible balancé par un actif plus ou moins incertainement recouvrable. Peu importe, ici encore, que les capitaux appelés soient transformés en objets de commerce ou d’industrie avant d’être recédés, comme dans les sociétés de consommation et de production, ou qu’ils soient recédés sans transformation, comme dans les sociétés de crédit ; ce n’est encore là qu’une pure différence de forme, non de fond. Il n’y a là aucune mise en.œuvre de capitaux ; il n’y a que risque de passif excédant l’actif, si les denrées et les produits ne s’écoulent point promptement et facilement à des prix convenables, ou si les prêts et avances ne sont pas restitués, avec chance d’actif excédant le passif dans le cas contraire.

L’analyse une fois poussée à ce point, les conclusions s’en présentent en quelque sorte d’elles-mêmes. Aussi les tirerai-je très-rapidement en quelques mots.

En ce qui concerne d’abord les associations de consommation, celles-là peuvent le plus souvent, si même elles ne. doivent presque toujours, se réduire à la première partie de leur mécanisme. Comment et pourquoi ces associations achèteraient-elles ou vendraient-elles à crédit, si l’achat et la vente au comptant sont un des éléments essentiels de leur fonctionnement ? Ainsi les associations de consommation, qui ont l’aspect commercial en ce sens que leurs opérations consistent à acheter pour revendre, sont en réalité des entreprises industrielles en ce qu’elles achètent et revendent au comptant et non à crédit. Disons donc, sans plus tarder, qu’ici, le principe industriel de la responsabilité limitée répond à toutes les exigences.

Il n’en est pas, à beaucoup près, de même des associations de production et de crédit. Pourquoi ces associations se dispenseraient elles d’emprunter, quand le crédit est leur objet principal et supérieur ? Mais si les associations de production et de crédit ne doivent pas être privées de la seconde partie de leur mécanisme qui en est le couronnement, elles ne peuvent pas davantage se passer de la première partie de ce même mécanisme qui en est la base. Comment ces associations donneraient-elles à leurs membres la propriété du capital sans la formation et l’accroissement d’un fonds social ? Ainsi les associations de production et de crédit tiennent à la fois, sous le rapport qui nous occupe, de la nature des entreprises commerciales et de celle des entreprises industrielles. D’où l’on peut conclure immédiatetement que des deux principes de la responsabilité solidaire et de la responsabilité limitée, ni l’un, qui est exclusivement commercial, ni l’autre, qui est exclusivement industriel, ne pourra leur convenir. Cette conclusion est effectivement rigoureuse.

Encore l’un des deux principes en présence, celui de la responsabilité solidaire, pourrait-il, jusqu’à un certain point, être adopté par les associations de production, où las capitaux étrangers sont sollicités dans l’intérêt commun de tous les associés considérés comme producteurs. Mais pour les associations de crédit, où les capitaux étrangers sont appelés dans l’intérêt particulier de, quelques-uns seulement d’entre les associés considérés, comme emprunteurs, les deux principes dont il s’agit, et surtout celui de la responsabilité solidaire, sont radicalement inacceptables. C’est ce que le raisonnement suivant va mettre en toute évidence.

Un certain nombre de personnes, A, B, C…L, M, N… ont formé entre elles une association de crédit. Elles sont arrivées à former un fonds social de 100,000 fr. par des cotisations hebdomadaires ou mensuelles, et elles ont fait en outre appel à 400,000 fr. de capitaux étrangers. De ces personnes, les unes, A, B, C… sont prêteurs, et les autres, L, M, N… sont emprunteurs dans l’association, ce qui revient à dire que les 100,000 fr. de fonds social et les 100,000 fr. de capitaux étrangers ont été mis sous forme de prêts et avances à la disposition de ces dernières. — Cela dit, supposons successivement que la société ait été établie sur la base de la responsabilité limitée et sur celle de la responsabilité solidaire, et voyons quelle sera, dans chacune de ces hypothèses, la situation des tiers-créanciers vis-à-vis de la société et celle des sociétaires vis-à-vis les uns des autres.

Dans le premier cas, chaque membre de l’association n’est engagé que jusqu’à concurrence de la somme de ses cotisations ou de sa quote-part dans les 100,000 fr. de fonds social. Quant aux créanciers, ils ont entre les mains pour 100,000 fr. d’effets souscrits par L, M, N… et endossés par l’association, ce qui leur donne la garantie du fonds social. Mais quelle est la forme affectée par ce fonds social ? C’est celle d’un portefeuille contenant pour 100,000 fr. de papier L, M, N… Que si L, M, N… font honneur à leurs engagements, tout ira bien ; mais que si, par incapacité, improbité ou fatalité, ils sont hors d’état de parer à leurs échéances, ils le seront à l’égard de l’association avant même de l’être à l’égard des tiers. Il ne faut pas s’appesantir longtemps sur ces faits pour en tirer cette conclusion que la garantie offerte en pareil cas par l’association aux tiers-créanciers est excellente dans le cas où L, M, N… sont solvables, c’est-à-dire alors qu’elle est inutile ; mais que cette même garantie ne vaut rien si L, M, N… sont insolvables, c’est-à-dire précisément quand elle est nécessaire. Cette garantie est donc illusoire.

Dans le second cas, tous les membres de l’association répondant solidairement les uns pour les autres, que L, M, N… soient insolvables, les tiers-créanciers s’adresseront à A, B, C qui sont solvables, et se feront rembourser par eux. Ainsi les créanciers ne perdront rien ; mais A, B, C… auront perdu d’abord leur quote-part dans les 100,000 fr. de fonds social, et ensuite les 100,000 fr. empruntés puis restitués par eux au dehors. Et le plus clair résultat de cette association entre A, B, C…L, M, N…sera d’avoir fait passer de 100,000 à 200,000 fr. de la poche de A, B, C… dans celle de L, M, N… Ce résultat serait inique.

Il est donc certain que ni l’un ni l’autre des deux principes de la responsabilité limitée et de la responsabilité solidaire ne sont à aucun prix acceptables par les associations de crédit. Et, ici, remarquez le bien, il s’agit non pas seulement d’une imperfection théorique dans l’organisation de ces associations, mais encore et surtout d’une difficulté pratique pour leur fonctionnement. Fondée sur le principe de la responsabilité solidaire, et sacrifiant ainsi les droits des sociétaires vis à-vis les uns des autres, l’association ne se constituerait que très-péniblement, personne n’en voulant faire partie. Fondée sur le principe de la responsabilité limitée, et faisant ainsi bon marché des droits des tiers-créanciers Vis-à-vis de la société, elle ne pourrait, une fois constituée, recevoir aucun développement, personne ne lui voulant accorder aucune confiance. Ni le principe de la société en nom collectif, ni celui de la société anonyme ne sauraient donc, vous le voyez, nous satisfaire pleinement du premier coup à l’endroit de l’organisation financière des associations populaires. Le premier, il est vrai, pourrait jusqu’à un cet tain point suffire aux associations de production, comme le second aux associations de consommation ; ni l’un ni l'autre,sen tout cas, ne peuvent convenir aux associations de crédit. Mais nous avons pris, il faut le dire, ces deux principes exactement tels que nous les ont fournis et le Code de commerce et la pratique la plus habituelle des entreprises commerciales ou industrielles. Ne nous décourageons, donc pas encore ; étudions de plus près la responsabilité solidaire et la responsabilité limitée, et recherchons jusqu’à quel point il y aurait lieu de modifier ou de développer l’un ou l’autre de ces deux principes en vue de les adapter complètement aux sociétés nouvelles. Nous demanderions alors qu’on fît au Code de commerce l’addition nécessaire à l’organisation financière des associations populaires.

Pour ce qui est d’abord de la responsabilité solidaire, je vous avouerai franchement ne pas entrevoir ce qu’il y aurait à faire pour en tirer un parti nouveau et avantageux. Cette responsabilité est ou n’est pas, et, quand elle est, ne saurait être de deux manières ; il faut en rejeter le principe ou le prendre tel qu’il est, et, le principe admis, l’application s’en impose d’une façon unique et rigoureuse. Je vous ai expliqué suffisamment pour quelles raisons je ne le recommande pas aux associations populaires. Mais je ne le proscris pas non plus d’une manière absolue : de même qu’il n’est pas absolument interdit de jouer agréablement d’un instrument médiocre, de même il n’est pas absolument impossible de faire réussir une société de coopération, et notamment une société de production, fondée sur le principe de la responsabilité solidaire. Voyons seulement-si, en cherchant bien, nous ne pourrons trouver mieux.

Je passe donc à la responsabilité limitée, et je déclare que cette forme me fait, à première vue, l’effet d’être beaucoup plus souple et beaucoup plus perfectible. Comment, en effet, celle responsabilité nous est-elle apparue jusqu’ici ? Elle nous est apparue comme proportionnelle pour chaque associé à sa quote-part d’un fonds social, lequel fonds social était susceptible de se trouver non pas seulement supérieur ou égal, mais aussi inférieur au passif éventuel de la société ; et c’est proprement en ce dernier sens que la limitation de cette responsabilité nous a paru offrir des inconvénients. Ainsi le principe de la société anonyme, tel que nous l’ont offert et le Code et la pratique, possède en réalité le double caractère d’une responsabilité proportionnelle et d’une responsabilité trop limitée. C’est en tant qu’il possédait le caractère de responsabilité proportionnelle qu’il nous a plu, comme donnant une satisfaction complète aux droits des sociétaires vis-à-vis les uns des autres ; et c’est en tant qu’il possédait celui de responsabilité trop limitée qu’il nous a déplu comme ne donnant qu’une satisfaction incomplète aux droits des tiers-créanciers vis-à-vis de la société. Cela étant, comment le modifier pour qu’il réponde à la fois à ces deux conditions financières ? Tout simplement en lui enlevant son caractère de trop grande limitation, sans lui ôter son caractère de proportionnalité. Que si donc on nous demande à présent quel est le genre de responsabilité collective qui s’approprie entièrement aux sociétés de coopération, nous répondrons que c’est la responsabilité proportionnelle pour chaque associé à sa quote-part d’un fonds social susceptible de se trouver soit supérieur, soit égal, mais jamais inférieur au passif éventuel de la société. Et le nom de responsabilité proportionnelle limitée restant acquis au principe de la société anonyme, nous donnerons, si vous voulez, au principe des sociétés nouvelles le nom de responsabilité proportionnelle intégrale.

Je lui donnerais volontiers ce nom, quant à moi, si ce n’était que déjà il est connu sous un autre. Et en effet, Messieurs, ce principe de responsabilité collective, auquel nous sommes arrivés par une série de déductions théoriques, nous le trouvons installé et fonctionnant à côté de nous dans la pratique de certaines sociéiés anonymes ; car il n’est autre que celui dit de la garantie mutuelle, d’après lequel sont organisées les Compagnies d’assurance contre l’incendie, la grêle, sur la vie, etc., non pas celles d’assurance à prime fixe, mais celles d’assurance mutuelle, et sur lequel aussi reposent d’autres sociétés, d’invention plus récente, celles connues sous le nom d’Unions de crédit mutuel, et qui existent en Belgique.

Les Compagnies d’assurance mutuelle se composent d’un certain nombre de personnes dont chacune se fait assurer jusqu’à concurrence d’une certaine somme déterminée contre telle ou telle espèce de sinistres. À la fin de l’exercice, le montant total des sinistres qui sont survenus pendant le cours de cet exercice est relevé, et ce montant est réparti sur tous les associés en primes proportionnelles pour chacun d’eux au chiffre de son assurance. Supposons maintenant que, pendant une année qu’on pourrait appeler à bon droit désastreuse, les assurés aient été tous incendiés, tous grêlés, tout autant qu’ils pouvaient l’être. Eh bien, dans ce cas, il se trouverait que la prime proportionnelle à payer par chacun d’eux serait en réalité une prime égale au chiffre de son assurance. Chacun en réalité supporterait son propre sinistre ; mais toujours est-il que le montant intégral des sinistres survenus serait acquitté. Vous devez donc le reconnaître : il est incontestable que le principe des compagnies d’assurance mutuelle est bien celui d’une responsabilité proportionnelle et limitée, mais limitée seulement pour chacun à sa quote-part d’un actif social, lequel peut être soit supérieur soit égal, mais non inférieur au passif éventuel de la société.

Dans les Unions de crédit mutuel, telles que celles de Bruxelles, de Liège, d’Anvers, de Gand, un certain nombre de commerçants, d’industriels, de banquiers, s’associent et souscrivent tous ensemble, chacun pour la part qui lui convient, un certain capital déterminé, 1 million si l’on veut. En même temps, ils versent une fraction, également déterminée, du capital par eux souscrit. Supposons que cette fraction soit de 1/10, le capital versé sera de 100,000 fr. Ces 100,000 fr. constituent un fonds de roulement avec lequel la société escompte, pour le réescompter ensuite, le papier créé ou endossé par les sociétaires. Dans ces conditions, le chiffre des affaires engagées à un moment donné pourrait, en principe, être indéfini ; mais il ne l’est point. Le maximum du crédit ouvert à chaque sociétaire est fixé à 10 fois son capital versé, de telle sorte que le montant des escomptes et réescomptes est fixé lui-même à 1 million tout au plus, c’est-à-dire borné au chiffre même du capital souscrit. Lorsque des effets ne sont point payés à l’échéance par les sociétaires auxquels ils ont été pris, la société, qui les a acceptés, les acquitte, et le montant en est réparti sur tous les sociétaires en proportion pour chacun du chiffre de sa souscription qui est aussi celui de son crédit. Supposons donc qu’à un moment donné, et par une crise qui serait aussi fâcheuse peur les unions de crédit mutuel que celle dont nous parlions tout à l’heure le serait pour les compagnies d’assurance mutuelle, les membres de l’union, après avoir tous épuisé leur crédit, manqueraient tous à leurs engagements. Eh bien, ici encore, il se trouverait que la répartition proportionnelle à effectuer sur chacun d’eux serait en réalité une répartition égale au chiffre de leur souscription et de leur crédit. Chacun, en réalité, aurait dissipé lui-même son propre capital. Mais le montant total des effets escomptés par la société n’en serait pas moins couvert. Il est donc encore incontestable que le principe des unions de crédit mutuel n’est autre que celui de la responsabilité proportionnelle intégrale.

Il est, je crois, assez curieux, et aussi rassurant, que, cherchant un principe de responsabilité collective applicable aux associations populaires, lesquelles, envisagées dans la seconde partie de leur mécanisme, ont pour unique objet de créer le crédit personnel en assumant sur elles-mêmes tous les risques de ce genre de crédit, nous soyons arrivés au principe de la garantie mutuelle qui est celui des sociétés d’assurance mutuelle proprement dites, et celui des unions de crédit mutuel qui ne sont elles-mêmes que des sociétés d’assurance mutuelle contre les risques du crédit. Il y a là, si je ne me trompe, une concordance qui tend à confirmer pleinement notre solution du problème de l’organisation financière des associations populaires.

Je ne ferai plus ici que deux petites remarques. La première, c’est que, dans les sociétés d’assurance mutuelle proprement dites, la société ne s’engage sur le pied de la responsabilité proportionnelle qu’avec ses propres membres, tandis que, dans les unions de crédit mutuel, et aussi dans les associations populaires, la société contracte sur le pied du même principe avec des tiers. La seconde, c’est que, dans les compagnies d’assurance mutuelle et dans les unions de crédit mutuel, le capital est explicitement souscrit par les sociétaires, et le chiffre du passif éventuel de la société déterminé en conséquence, tandis que, dans les associations populaires, ce dernier chiffre est indéterminé, et le capital souscrit implicitement par les sociétaires. La première remarque différencie les associations populaires des compagnies d’assurance mutuelle ; la seconde les différencie des unions de crédit mutuel. Mais, pour tout résumer en une proposition dont vous apprécierez tout à l’heure l’importance, je conclus que les compagnies d’assurance mutuelle, les unions de crédit mutuel et les sociétés de coopération sont purement et simplement trois espèces distinctes du genre commun des sociétés à garantie mutuelle, lesquelles sont des sociétés anonymes qui doivent être organisées financièrement sur le principe d’une responsabilité proportionnelle, limitée, pour chaque associé, à sa quote-part d’un capital qui ne peut jamais être inférieur au passif social éventuel.


Messieurs, en même temps que le Code de commerce impose aux diverses sociétés commerciales en nom collectif, anonymes ou en commandite, certains principes de responsabilité collective, il leur impose aussi certaines formalités de publicité dont l’objet est précisément d’assurer l’exacte application du principe. Il est assez évident qu’il n’en saurait être autrement, et qu’à telles ou telles conditions d’organisation financière correspondent nécessairement telles ou telles conditions de constitution légale.

Je ne fatiguerai point inutilement votre attention en énumérant ici la série de ces dispositions, que la plupart d'entre vous connaissent au surplus aussi bien, sinon mieux, que je ne les connais moi-même. Rappelons-nous seulement deux choses : d’abord, que toutes ces dispositions tendent à porter à la connaissance des tiers ou du public : 1o les noms, prénoms, qualités et demeures des associés en nom collectif solidairement responsables, et 2o le montant des valeurs fournies ou à fournir par les actionnaires ou commanditaires non solidairement responsables. Rappelons-nous ensuite, et c’est là le point qui nous intéresse à présent, que ces mêmes dispositions supposent toutes que 1o le nombre des associés en nom collectif, et 2o le chiffre du capital social peuvent être déterminés au moment où les sociétés se constituent, et ne doivent plus varier à partir de cette époque. Et maintenant constatons que cette dernière circonstance est un obstacle invincible à la constitution légale des sociétés à garantie mutuelle.

Je dis des sociétés à garantie mutuelle et non des sociétés de coopération. Et en effet, Messieurs, je tiens essentiellement à conserver à la question qui nous occupe toute la largeur que je lui ai donnée en rassemblant en un même groupe les compagnies d’assurance mutuelle, les unions de crédit mutuel et les associations populaires. Vous allez comprendre immédiatement pourquoi, j’en suis bien convaincu. Si, en effet, les sociétés de coopération ne sont en réalité, comme j’ai tâché de l’établir, qu’une espèce distincte dans le genre commun des sociétés à garantie mutuelle, la question de la réforme de la législation doit être traitée par rapport aux sociétés à garantie mutuelle et non par rapport aux sociétés de coopération, c’est-à-dire par rapport au genre et non par rapport à l’espèce. N’est-il pas vrai qu’on est, à ce point de vue, bien plus autorisé pour la soulever et pour la résoudre ? Je dis, quant à moi, que cette méthode seule est rationnelle, et que toute autre est empirique. Je persiste, en conséquence, à réunir en une même famille toutes les sociétés qui ont pour objet essentiel ou pour objet accessoire de leurs opérations l’assurance mutuelle contre certains risques, et je dis que toutes ces sociétés, en même temps qu’elles doivent être organisées financièrement sur le principe de la responsabilité proportionnelle intégrale ou de la garantie mutuelle, doivent être constituées légalement dans des conditions d’indétermination et de variabilité et du nombre des associés et du chiffre du capital social.

Quel est, Messieurs, le but de l’assurance mutuelle ? C’est de substituer la certitude du payement d’un certain nombre de primes aussi régulières et, par cela même, aussi faibles que possible à l’éventualité du dommage que l’on appréhende de subir à l’improviste dans des proportions ruineuses. Dès lors, est-il besoin d’insister sur ce fait que plus le nombre des personnes mutuellement assurées est grand, plus les calculs de la prévoyance l’emportent ainsi sur les caprices du hasard ? Il est assez clair qu’on ne peut s’assurer mutuellement à soi tout seul, qu’on n’est que bien faiblement assuré si l’on n’est que deux, qu’on l’est, à trois, un peu davantage, qu’on commence à l’être véritablement quand on est cent ou mille. Les sociétés qui ont l’assurance mutuelle pour but soit principal, soit secondaire, doivent donc avoir toute latitude pour que le nombre de leurs membres s’accroisse indéfiniment.

Mais chaque associé nouveau qui se présente occasionne à la fois dans la société l’ouverture d’un crédit et l’inscription d’un débit égal. C’est la somme des débits inscrits qui constitue le capital social explicitement ou implicitement souscrit. Ainsi, et par cela seul qu’il est de l’essence des sociétés d’assurance mutuelle que le nombre de leurs membres augmente indéfiniment, il l’est aussi que le chiffre de leur capital augmente en même temps de la même manière. Il en est à cet égard des associations populaires comme des compagnies d’assurance mutuelle et comme des unions de crédit mutuel, avec cette différence toutefois que, dans ces associations, le capital social augmente non-seulement en raison de l’entrée de sociétaires nouveaux, mais encore au fur et à mesure du versement de cotisations périodiques par les sociétaires anciens. Il est d’ailleurs inutile, je pense, d’ajouter que le nombre des associés et le chiffre du capital, dans les sociétés dont nous parlons, doivent aussi bien pouvoir diminuer que s’accroître.

De toutes ces observations il résulte, en fin de compte, que si le Code de commerce n’offre pas aux sociétés à garantie mutuelle, et particulièrement aux associations populaires de consommation, de production et de crédit, la base qu’il leur faudrait pour s’organiser financièrement d’une manière convenable, il leur offre moins encore, s’il est possible, les facilités dont elles auraient besoin pour se constituer légalement d’une manière quelconque ; car, en supposant qu’elles accepteraient le principe de la responsabilité solidaire, elles devraient renoncer par cela seul à l’indétermination du nombre de leurs associés, et, en supposant qu’elles se contenteraient du principe de la responsabilité limitée, elles devraient renoncer par cela même à la variabilité dans le chiffre de leur capital social et notamment à la formation de ce capital par cotisations périodiques.

Dans cette conjoncture, une réforme de la législation est doublement motivée et indispensable. Non-seulement nous la demanderons, mais encore nous nous permettrons d’en préciser les points principaux. En thèse générale, c’est à la fois un droit et un devoir pour l’économie politique de proposer ses indications au législateur dans les circonstances de cette nature. En fait, il est certain que nos observations seraient oiseuses si elles n’avaient eu pour but d’arriver à des conclusions positives ; et il ne l’est pas moins que, si elles sont justes, elles doivent conduire à des conclusions précieuses. Toutefois vous comprendrez que nous sommes tenus ici, tout en restant au point de vue des économistes, de nous placer aussi, dans certaines limites, à celui des jurisconsultes.

C’est en effet, Messieurs, une considération dont je suis, pour ma part, très pénétré, et que, sans doute, vous partagerez avec moi, que toute réforme du Code doit être faite, autant que possible, conformément à l’esprit du Code, en même temps que conformément aux exigences de l’économie politique ; car autrement elle serait non une réforme, mais une révolution, et si rien n’est plus illusoire que d’accorder une réforme quand il faut une révolution, rien n’est plus sol que de faire une révolution quand il suffit d’une réforme. Sans doute il est vrai que nos Codes, et en particulier notre Code de commerce, ont été rédigés à une époque où la science économique naissait à peine, et sous l’inspiration de préjugés plus ou moins anti-économiques. Peut-être, en conséquence, y aura-t-il lieu tôt ou tard de les rédiger à nouveau pour y faire pénétrer les principes de la science au lieu et place de bien des traditions plus ou moins erronées, empruntées aux époques antique ou féodale. Mais je ne vois pas, et j’espère que vous serez en cela de mon avis, qu’il soit nécessaire de rien demander ni de rien tenter de pareil à propos des sociétés de coopération.

En ce qui concerne spécialement le commerce, l’industrie, le crédit, la spéculation, l’association, et généralement la production économique de la richesse sociale, le Code actuel se prête à certaines opérations ou à certaines entreprises, et non à d’autres, comme un bâtiment ancien qui aurait été disposé pour recevoir un certain nombre dé personnes et non davantage. De temps en temps, il se présente des groupes inattendus, qui sont sur le pavé, et qui demandent à être logés. Alors les économistes, qui sont des architectes hardis, et qui ont en poche des plans plus ou moins mûris et satisfaisants, parlent volontiers de jeter bas le bâtiment et d’en construire un autre. Cependant les jurisconsultes, comme des propriétaires ou des gérants enclins à considérer leur bâtiment comme un chef-d’œuvre, soutiennent le plus souvent que les nouveaux venus sont des gens sans aveu et de mauvais sujets, qui apporteront avec eux la confusion et le désordre, et qu’on fera bien de laisser à la porte. Sans se prononcer plus vite qu’il ne faut en faveur des uns contre les autres, il est sage, on pareil cas, si on le peut, d’ajouter provisoirement au bâtiment, déjà pourvu de lien des annexes et dépendances, une petite bâtisse provisoire aussi logeable que possible. Bornons là, si vous m’en croyez, notre ambition pour les associations populaires.

Cela étant, notre chemin nous est, en quelque sorte, tracé rigoureusement. Nous voulons pourvoir au sort non pas seulement des sociétés de coopération, mais à celui de toutes les sociétés à garantie mutuelle. Or les sociétés à garantie mutuelle, fondées sur le principe de la responsabilité proportionnelle intégrale, peuvent être considérées comme une dérivation pure et simple des sociétés anonymes fondées sur le principe de la responsabilité proportionnelle limitée. Prenons donc, à la section 1re du titre III du livre 1er du Code de commerce, tous les articles relatifs aux sociétés anonymes ; retenons tous ceux de ces articles qui ne sont contraires ni au principe de la responsabilité proportionnelle ni à l’indétermination et à la variabilité du nombre des associés et du chiffre du capital ; et, quant aux autres, faisons-y seulement les modifications indispensables pour assurer aux sociétés nouvelles ce principe d’organisation financière et ces facilités de constitution légale. Cette ligne générale est facile à suivre ; nous avons, en outre, un guide pour nous y conduire : c’est la loi du 5 mai 1863 qui a déjà établi certaines dérogations au droit commun des sociétés anonymes proprement dites en faveur des sociétés dites à responsabilité limitée.

Ainsi se déduit eu quelque sorte de lui-même le projet de loi suivant :


PROJET DE LOI.
Article premier.


Il peut être formé, sans l’autorisation exigée par l’article 37 du Code de commerce, des sociétés commerciales dans les-quelles aucun des associés ne répond solidairement des engagements de la société.

Ces sociétés prennent le titre de Sociétés à responsabilité proportionnelle.

Elles sont soumises aux dispositions des articles 29, 30, 31, 32 et 40 du Code de commerce.
Article 2.

Tous les associés répondent du payement intégral du passif social ou de l’entière exécution des engagements pris par la société à l’égard soit des autres associés, soit des tiers, proportionnellement au montant de leur quote-part dans l’actif social ou des engagements pris par la société à leur propre égard.

L’article 33 du Code de commerce porte que, dans la société anonyme, « les associés ne sont passibles que de la perte du montant de leur intérêt dans la société. » — Cet article consacrant ainsi le principe de la responsabilité proportionnelle limitée, tel que nous l’avons défini et analysé, il était indispensable de lui en substituer un autre consacrant le principe différent de la responsabilité proportionnelle intégrale, ou de la garantie mutuelle. C’est à quoi tend précisément l’article 2 de notre projet de loi que je viens d’énoncer.

Quant à l’article 1er, il a principalement pour objet, en même temps qu’il impose aux sociétés nouvelles le principe de la responsabilité proportionnelle, de les affranchir de la nécessité de l’autorisation préalable du Gouvernement. Les deux effets sont corrélatifs et se compensent, selon moi, l’un par l’autre. Toute satisfaction devant être donnée, par le principe de la garantie mutuelle, aussi bien aux droits des tiers créanciers vis-à-vis de la société qu’à ceux des sociétaires vis-à-vis les uns des autres, l’intervention du Gouvernement ne saurait avoir, je ne dirai pas nul motif, mais nul prétexte.

Les articles 29, 30, 31, 32 et 40 du Code de commerce sont ceux qui n’ont spécialement rien de contraire ni de défavorable soit à la garantie proportionnelle intégrale, soit à l’indétermination et à la variabilité du nombre des associés et du chiffre du capital social dans les sociétés fondées sur ce principe. Ils sont ainsi conçus :

« Art. 29. La société anonyme n’existe point sous un nom social : elle n’est désignée par le nom d’aucun des associés.

Art. 30. Elle est qualifiée par la désignation de l’objet de son entreprise.

Art. 31. Elle est administrée par des mandataires à temps, révocables, associés ou non associés, salariés ou gratuits.

Art. 32. Les administrateurs ne sont responsables que de l’exécution du mandat qu’ils ont reçu.

Ils ne contractent, à raison de leur gestion, aucune obligation personnelle ni solidaire relativement aux engagements de la société.

Art. 40. Les sociétés anonymes ne peuvent être formées que par des actes publics.  »

Article 3.

Le nombre des associés pourra augmenter par adjonction de sociétaires nouveaux ou diminuer par retrait d’anciens.

Article 4.

Les associés qui auront cessé de faire partie de la société demeureront responsables pour tous les engagements pris avant le moment de leur sortie.

Les statuts pourront énoncer que les nouveaux associés ne seront responsables que pour les engagements pris à partir du moment de leur entrée. Mais, à défaut de cette énonciation, les associés seront responsables pour tous les engagements qui seront à exécuter à partir du moment de leur entrée, quand même ils auraient été pris auparavant.

De ces deux articles, l’un a pour but de permettre l’indétermination et la variabilité du nombre des associés dans les sociétés du nouveau type ; l’autre a pour bût d’assurer, dans ces conditions, l’entière application du principe de la responsabilité proportionnelle intégrale. Comme nous l’avons dit, il est de l’essence même des sociétés à garantie mutuelle que le nombre des associés puisse augmenter par adjonction de sociétaires nouveaux et diminuer par retrait d’anciens. Il y a donc à se préoccuper de la responsabilité des associés entrants et surtout de la responsabilité des associés sortante.

En ce qui concerne ces derniers, il est évident qu’ils ne sauraient être affranchis de toute responsabilité par le seul fait de leur retrait de la société. En effet, un ou plusieurs associés pourraient alors, en donnant leur démission, se décharger du poids de leur part de responsabilité, et changer ainsi les conditions de la responsabilité collective de la société vis-à-vis des tiers. À la rigueur même, tous les associés pourraient donner leur démission, et faire ainsi évanouir totalement la garantie sociale. Le premier paragraphe de l’article 4 a pour résultat de faire que les conditions de la responsabilité collective ne puissent être ainsi changées, ni la garantie sociale diminuée, entre l’instant où une affaire est entamée et celui où elle est liquidée.

Mais s’il y a inconvénient à ce que la garantie sociale puisse être diminuée par le retrait d’anciens sociétaires, il n’y en a pas à ce qu’elle reste égale à elle-même malgré l’adjonction de sociétaires nouveaux, et il y a certainement avantage à ce qu’elle se trouve augmentée par le fait de cette adjonction. C’est pourquoi, par le second paragraphe de l’article 4, nous laissons aux sociétés à responsabilité proportionnelle la faculté d’énoncer, dans leurs statuts, que les sociétaires entrants ne seront responsables que pour les engagements sociaux relatifs aux affaires entamées après leur entrée, et pourquoi nous énonçons aussi qu’en cas de silence des statuts sur ce point, ils seront également responsables pour les engagements relatifs aux affaires liquidées après leur entrée, alors même qu’elles auraient été entamées auparavant.

Article 5.

Le capital des sociétés à responsabilité proportionnelle pourra être d’un chiffre indéterminé et variable. Il pourra être formé par versements successifs.

Article 6.

Ce capital sera constitué en parts nominatives, et ne pourra être divisé en actions négociables.

Les articles 34, 35 et 36 du Code de commerce sont ainsi conçus :

« Art. 34. Le capital de la société anonyme se divise en actions et même en coupons d’actions d’une valeur égale.

Art. 35. L’action peut être établie sous la forme d’un titre au porteur ; dans ce cas, la cession s’opère par la tradition du titre.

Art. 36 La propriété des actions peut être établie par une inscription sur les registres de la société. Dans ce cas, la cession s’opère par une déclaration de transfert inscrite sur les registres et signée de celui qui fait le transfert ou d’un fondé de pouvoirs. »

Les articles 5 et 6 de notre projet de loi se substituent en quelque sorte d’eux-mêmes à ces articles 34, 35 et 36 du Code de commerce. Il est, nous le répétons encore, de l’essence même des sociétés à garantie mutuelle que le nombre de leurs associés et, par suite, le chiffre de leur capital social soient indéterminés et variables. Il est, en outre, de l’essence même des sociétés de coopération que leur capital social se forme peu à peu et progressivement par le moyen de cotisations périodiques. Il suit de là que le capital doit se diviser non en actions égales, mais en parts inégales.

Quant à l’incessibilité des quote-parts du capital social, elle intéresse à la fois les sociétaires eux-mêmes et les tiers créanciers ; car il importe à la fois aux uns et aux autres que certaines personnes ne se substituent point à certaines autres dans la garantie proportionnelle. Cela intéresse surtout les sociétaires en ce sens qu’il leur importe de ne pas donner leur garantie aux tiers en faveur de telle ou telle personne au lieu de telle ou telle autre. Cela intéresse surtout les tiers en ce sens qu’il leur importe de ne pas recevoir en faveur d’une personne la garantie de tels ou tels sociétaires au lieu de tels ou tels autres. En tant qu’elle n’intéresserait que les sociétaires eux-mêmes, l’incessibilité des quote-paris du capital social pourrait sans inconvénient être abandonnée, quant à son énonciation, aux soins des rédacteurs des statuts ; mais, en tant qu’elle intéresse les tiers créanciers, elle doit être énoncée par la loi. Les statuts pourront seulement régler le mode de constitution du capital en parts nominatives par inscription sur des registres ou livrets.

Article 7.

Dans la quinzaine de la constitution de la société, les administrateurs sont tenus de déposer au greffe du Tribunal de commerce une expédition de l’acte de société.

Toute personne a le droit de prendre communication de la pièce sus-mentionnée, et même de s’en faire délivrer une copie à ses frais.

Le même document doit être affiché d’une manière apparente dans les bureaux de la société.

Article 8.

Dans ce même délai de quinzaine, un extrait de l’acte énoncé dans l’article précédent est transcrit, publié et affiché suivant le mode prescrit par l’article 42 du Code de commerce.

L’extrait doit contenir les noms, prénoms, qualités et demeures des administrateurs, la désignation de la société, de son objet et de son siège social, la mention qu’elle est a responsabilité proportionnelle, l’époque où la société commence et celle où elle doit finir, et la date du dépôt au greffe du Tribunal de commerce prescrit par l’article 7.

L’extrait est signé par les administrateurs de la société.

L’article 45 du Code de commerce, relatif à la publicité des actes des sociétés anonymes, porte que a l’acte du Gouvernement qui autorise les sociétés anonymes devra être affiché avec l’acte d’association et pendant le même temps. » Cette disposition est la conséquence de celle de l’article 37 ainsi conçu : « La société anonyme ne peut exister qu’avec l’autorisation de l’Empereur et avec son approbation pour l’acte qui la constitue. Cette approbation doit être donnée dans la forme prescrite pour les règlements d’administration publique. » L’article 37 se trouvant aboli par l’article 1er de notre projet de loi à l’égard des sociétés à responsabilité proportionnelle, l’article 45 devait également disparaître.

Or, la loi du 5-23 mai 1863, qui a affranchi de la nécessité de l’autorisation préalable du Gouvernement certaines sociétés anonymes dites « à responsabilité limitée, » et qui a dû régler les conditions de constitution légale de ces sociétés, leur a imposé, par ses articles 8 et 9, les formalités de publicité que nous imposons, par nos articles 7 et 8, aux sociétés à responsabilité proportionnelle. La loi du 23 mai 1863 semble avoir ainsi voulu, en enlevant les sociétés à responsabilité limitée au droit commun des sociétés anonymes, les faire rentrer dans le droit commun des sociétés en nom collectif ou en commandite. Nous avons dû suivre ce précédent à l’égard des sociétés à responsabilité proportionnelle.

Il est impossible toutefois de se dissimuler que la nécessité de se former par des actes publics, celle de déposer au greffe du Tribunal de commerce une expédition de l’acte de société, celle enfin de transcrire, publier et afficher un extrait du même acte suivant le mode prescrit par l’article 42 du Code de commerce pour les sociétés en nom collectif et celles en commandite, constituent autant de nécessités plus ou moins gênantes, et, en tout cas, très-onéreuses, en raison surtout des droits de timbre et d’enregistrement qui s’augmentent sous nos yeux, d’année en année, dans des proportions véritablement exorbitantes. Ces frais ne seront pas sans doute un obstacle trop difficile à franchir pour les compagnies d’assurance mutuelle et pour les unions de crédit mutuel, non plus qu’elles n’en sont un pour les sociétés à responsabilité limitée ; mais elles opposeront très-certainement des entraves sérieuses aux associations populaires. C’est là une vérité incontestable. Et cependant, il ne saurait entrer, je l’avoue, dans mes idées de solliciter pour les associations populaires, des franchises exceptionnelles. Je les soumets donc au droit commun, en profitant seulement de l’occasion pour exprimer le vœu qu’on se préoccupe enfin de soustraire toutes les sociétés, quelles qu’elles soient, aux charges si lourdes que leur impose, dès leur début, la rapacité fiscale.

Article 9.

Il sera tenu, par les soins des administrateurs des sociétés à responsabilité proportionnelle, un registre indiquant :

1o Les noms, prénoms, qualités et demeures de tous les associés ;

2o La quote-part de chacun d’eux dans le capital social.

Ce registre sera communiqué à tout requérant.

Article 10.

Il sera, en outre, dressé chaque mois, par les soins des mêmes administrateurs, un état indicatif des entrées et des sorties d’associés, des versements effectués, et du mouvement résultant de ces entrées et sorties et de ces versements dans le nombre des associés et dans le chiffre du capital social.

Cet état mensuel sera affiché dans les bureaux de la société.

L’extrait dont la remise, la transcription, l’affichage et l’insertion dans les journaux d’annonces légales sont imposés aux sociétés er nom collectif, en comnandite et à responsabilité limitée par les articles 42 et 43 du Code de commerce et par l’article 9 de la loi du 23 mai 1863 doit contenir, entre autres indications, « les noms, prénoms qualités et demeures des associés autres que les actionnaires ou commanditaires, » et « le montant des valeurs fournies ou à fournir par actions ou en commandite, « pour les sociétés en nom collectif ou en commandite simple ou par actions ; le même extrait doit contenir « renonciation du montant du capital social, tant en numéraire qu’en autres objets, » pour les sociétés à responsabilité limitée. Mais ces indications ne peuvent être demandées aux sociétés à responsabilité proportionnelle, eu égard à l’indétermination et à la variabilité du nombre de leurs associés et du montant de leur capital social. Cela, toutefois, n’est pas une raison pour que les noms des associés proportionnellement responsables du payement du passif social et pour que le montant de l’actif social ne soient pas portés à la connaissance des tiers et du public. Il me semble qu’ils le seraient, en vertu des deux articles 9 et 10 ci-dessus, à peu de frais, d’une manière satisfaisante.
Article 11.

Tous actes et délibérations ayant pour objet la modification des statuts, la continuation de la société au delà du terme fixé pour sa durée, la dissolution avant ce terme et le mode de liquidation sont soumis aux formalités prescrit-s par les articles 7 et 8 ci-dessus.

Article 12.

Dans tous les actes, factures, annonces, publications et autres documents émanés des sociétés à responsabilité proportionnelle, la dénomination sociale doit toujours être précédée ou suivie immédiatement de ces mots, écrits lisiblement en toutes lettres : Société à responsabilité proportionnelle.

Ces deux articles sont empruntés à la loi du 23 mai 1863 sur les sociétés à responsabilité limitée. Le premier est un complément obligé des articles 7 et 8 ; l’autre est un complément également obligé non de tel ou tel article en particulier, mais de l’ensemble de la loi même.

Tel est, Messieurs, mon projet de loi que je recommande à toute votre indulgence. Je ne vous dirai point que je n’ai demeuré qu’un quart d’heure à le faire, car il m’a pris beaucoup plus de temps et d’efforts ; mais je vous dirai, ce qui est vrai, que c’est la première fois que je m’essaye aussi hardiment à ce genre de composition, qui est un genre très-difficile. Je vous promets donc d’accueillir avec déférence toutes les critiques qui seront faites de mon œuvre, toutes, dis-je, sauf toutefois une seule que j’accepterais, je l’avoue, malaisément.

Ce seul reproche dont je veuille me défendre, ce serait celui d’avoir fait mon projet trop simple et trop large, de n’y avoir pas fixé, par exemple, un minimum au-dessous duquel le nombre des associés ne pourra pas descendre, un maximum au-dessus duquel le montant du capital social ou celui des versements successifs ne pourra pas s’élever ; de n’y avoir pas, en un mot, introduit assez de dispositions restrictives. Messieurs, je vous le déclare sincèrement, mon esprit se refuse à saisir la valeur de ces chiffres tombés on ne sait d’où dans la loi avec le caractère mystérieux d’une limite en deçà de laquelle un principe est sain, et au delà de laquelle il deviendrait tout à coup pernicieux et funeste. La preuve de l’excellence d’un principe, à mes yeux, c’est que l’application en soit féconde dans la mesure la plus étendue. Et quant à ces restrictions arbitraires, toutes les fois que je les ai rencontrées dans la loi, et que je leur ai demandé leur raison d’être, j’ai trouvé, si elles étaient nécessaires, que les principes étaient douteux, ou, si les principes étaient sûrs, qu’elles étaient inutiles. Et la question de réforme législative que soulève l’apparition des associations populaires dans le monde commercial, industriel et financier, offre précisé-ment à cet égard un exemple que je crois bien digne d’être médité.

Supposez en effet que, s’arrêtant à la surface de cette question, au lieu d’en pénétrer le fond, on la réduise à celle de l’abolition des formalités qui s’opposent à la constitution légale des associations populaires. Sans poser pour les sociétés de coopération aucun principe distinct de responsabilité collective, on se bornerait alors à la suppression des articles du Code de commerce qui supposent le nombre des associés et le chiffre du capital social déterminés et fixes dans une société quelconque en nom collectif, anonyme ou en commandite. Il est certain que dès lors, en effet, le Code de commerce se trouverait lui-même abrogé si l’on n’y pourvoyait par des dispositions restrictives ; car il est certain que toutes les sociétés commerciales et industrielles pourraient passer par la porte qu’on aurait ouverte aux associations populaires, si cette issue n’était sévèrement surveillée. Mais supposez, au contraire, qu’agrandissant la question, au lieu de l’amoindrir, on y joigne celle de la définition du principe qui convient à l’organisation financière des associations populaires, toutes ces précautions deviennent superflues. Avant de permettre aux sociétés de coopération l’indétermination et la variabilité dans le nombre de leurs associés et dans le chiffre de leur capital social, on pose en ce cas, pour ces sociétés, le principe de la responsabilité sociétés dont les opérations sont plus spécialement commerciales, et celui de la responsabilité limitée qui convient aux sociétés formées pour des entreprises tout particulièrement industrielles. Or, pourquoi des sociétés dont l’objet est exclusivement commercial ou exclusivement industriel renonceraient-elles à des principes de responsabilité collective qui leur sont imposés par leur nature même, pour en adopter un autre qui serait pour elles soit insuffisant, soit excessif ? Et si, au lieu d’entre-bâiller une porte, nous avons ouvert une voie nouvelle dans une direction bien choisie, qu’avons-nous affaire d’y poser des barrières ?

De telles entraves se justifieraient alors non plus par la nécessité d’arrêter l’envahissement de toutes les sociétés commerciales ou industrielles, mais par celle d’intervenir pour contenir et modérer la marche des associations populaires. Je pense, quant à moi, que la loi n’a pas à intervenir de cette manière. La loi définit la nature des engagements que l’on peut prendre, et règle le mode suivant lequel on doit les prendre. La justice veille à ce que les engagements, une fois pris et régulièrement pris, soient tenus. Quant à ce qui est de savoir si nous voulons ou non nous engager, et dans quelle mesure, cela ne regarde que nous seuls. Cette préoccupation de nous protéger, ainsi qu’on le dit, contre nous-mêmes, qui a été celle des législateurs d’autrefois, ne doit pas être celle des législateurs de nos jours. En tout cas, elle n’est pas celle des économistes ; et quand vous rencontrerez la véritable économie politique, vous la reconnaîtrez, Messieurs, à ce double signe qu’elle fournit des principes sûrs, parce qu’elle les tire de la nature même des choses, et qu’elle en permet une application libérale, parce qu’elle la confie à la raison de l’homme.