Les Auxiliaires/I

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Charles Delagrave (p. 1-3).
I. — Objet de ces récits

I

OBJET DE CES RÉCITS

Un soir du mois de mai, l’oncle Paul et ses neveux étaient assis sous le grand sureau du jardin. Louis se trouvait avec eux, Louis, assidu compagnon de Jules et d’Émile depuis l’histoire des Ravageurs. — Or, aux dernières clartés du jour, des vols criards de martinets tourbillonnaient au-dessus du village, tantôt se précipitant vers le clocher pour surveiller leurs nids dans les trous des murailles, tantôt s’élevant à des hauteurs où le regard les perdait. Quelques chauves-souris voletaient, d’un essor irrégulier, autour de la maison, avec un petit cri bref jeté par intervalles. Du sein des gazons en fleur s’élevait le monotone concert des grillons ; dans le carré de laitues résonnait le chant de la courtilière, semblable au bruissement continu d’un rouet ; un crapaud solitaire, établi au frais sous une dalle, donnait de loin en loin sa note flûtée, tandis que les grenouilles remplissaient les fossés des prairies voisines de leurs rauques coassements. D’un saule creux à l’autre, les chouettes alternaient leur douce voix d’appel ; enfin, en des couplets enthousiastes, la fauvette donnait l’adieu du soir à la couveuse sommeillant déjà sur ses œufs.

Paul. — En terminant l’histoire des Ravageurs, je vous ai promis celle des Auxiliaires. Le moment me paraît propice de tenir ma parole. Vous avez maintenant sous les yeux, vous entendez quelques-uns des précieux défenseurs de nos cultures.

J’appelle auxiliaires les animaux qui, vivant en dehors de nos soins, nous viennent en aide par leur guerre aux larves, aux insectes et aux divers mangeurs, qui finiraient par rester maîtres de nos récoltes, si d’autres que nous ne s’opposaient à leur excessive multiplication. Que peut l’homme contre leurs hordes faméliques, se renouvelant chaque année dans des proportions à défier tout calcul ; aura-t-il la patience, l’adresse, le coup d’œil nécessaires pour faire une guerre efficace aux moindres espèces surtout, fréquemment les plus redoutables, lorsque le hanneton, malgré sa taille, brave tous nos efforts ? Se chargera-t-il d’examiner ses champs motte par motte, ses blés épi par épi, ses arbres fruitiers feuille par feuille ? À ce prodigieux travail, le genre humain ne suffirait pas, concertant ses forces pour cette unique occupation. La dévorante engeance nous affamerait, mes enfants, si d’autres ne travaillaient pour nous, d’autres doués d’une patience que rien ne lasse, d’une adresse qui déjoue toutes les ruses, d’une vigilance à qui rien n’échappe. Guetter l’ennemi, le rechercher dans ses réduits les plus cachés, le poursuivre sans relâche, l’exterminer, c’est leur unique souci, leur incessante affaire. Ils sont acharnés, impitoyables ; la faim les y pousse, pour eux et leur famille. Ils vivent de ceux qui vivent à nos dépens, ils sont les ennemis de nos ennemis.

À ce grand œuvre travaillent les martinets qui tourbillonnent en ce moment au-dessus de nos têtes, les chauves-souris qui voltigent autour de la maison, les chouettes qui s’appellent dans les saules creux de la prairie, les fauvettes qui gazouillent dans le bosquet, les grenouilles qui coassent dans les fossés ; bien d’autres y travaillent, le crapaud lui-même, objet d’horreur pour la plupart. Béni soit Dieu qui, pour la défense de notre pain quotidien, nous a donné la chouette et le crapaud, la chauve-souris et la couleuvre, le lézard et le hibou. Tous ces maudits, ces calomniés, sottement poursuivis de nos répugnances et de nos haines, en réalité nous viennent vaillamment en aide et doivent être réhabilités en notre estime. Je ne manquerai pas à ce devoir à mesure que l’histoire de chacun viendra. Béni soit Dieu qui, pour nous protéger contre le grand mangeur, l’insecte, nous a donné l’hirondelle et la fauvette, le rouge-gorge et le rossignol. Ceux-là, joie du regard et de l’ouïe, gracieuses créatures parmi les plus gracieuses, aurai-je encore à les défendre ? Hélas ! oui ; leurs nids sont ravagés par le barbare dénicheur.

Je me propose aujourd’hui, mes enfants, de vous faire connaître ces divers auxiliaires de l’homme en ses travaux des champs ; je vous raconterai leurs manières de vivre, leurs mœurs, leurs aptitudes ; je vous dirai les services qu’ils nous rendent. Mon but est atteint si je parviens à vous inspirer un peu de l’intérêt qu’ils méritent. Je commencerai par ceux dont la bouche est armée de dents ; mais d’abord donnons un coup d’œil général à la structure, à la forme des dents elles-mêmes, car de cette forme dépend le genre d’alimentation.