Les Auxiliaires/XXVIII

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Charles Delagrave (p. 170-173).
XXVIII. — Le troglodyte. — Le roitelet

XXVIII

LE TROGLODYTE. — LE ROITELET

Paul. — Encore un architecte de haut talent, passé maître en construction de nids. C’est le troglodyte, la pétouse de la Provence, le roi bertaud ou robertot des provinces de l’Ouest. Si vous me demandez ce que signifie le nom assez étrange de troglodyte, je vous répondrai que c’est un mot grec qui veut dire habitant des trous. Quelque nomenclateur, plus ami du grec que désireux de se faire comprendre, a cru bien faire en donnant ce nom au petit oiseau qui furette dans les trous à la manière des souris. Ma description sera peut-être mieux comprise. Le troglodyte est une bouffée de plumes couleur de bécasse, qui, l’aile pendante, le bec au vent, la queue relevée sur le croupion, toujours frétille, sautille et babille : tiderit, tirit, tirit.

Jules. — Je le connais, cet oiseau guère plus gros qu’une noix. Il rôde, chaque hiver, autour de la maison ; il circule dans les tas de fagots ; il visite les trous de murs ; il pénètre au plus épais des buissons. De loin on le prendrait pour un hardi petit rat.

Paul. — C’est bien lui, c’est le troglodyte. Dans la belle saison, il habite les bois touffus. Là, sous l’arcade de quelque grosse racine à fleur de terre et couverte d’une épaisse toison de mousse, il se construit un nid imité de celui de la penduline. Les matériaux sont des brins de mousse, pour que l’édifice se confonde d’aspect avec le support. Il les assemble en grosse boule creuse, percée sur le côté d’une ouverture très étroite. L’intérieur est garni de plumes. D’autres fois il choisit pour emplacement un toit de chaume, une pile de fagots, une épaisse fouillée de lierre, une cavité naturelle sur la berge d’un ruisseau ombreux. La ponte est d’une dizaine d’œufs blancs, pointillés de rougeâtre au gros bout.

Les froids venus, il quitte les forêts pour se rapprocher des fermes. On le voit alors, sans cesse remuant et affairé, entrer dans les noirs passages des piles de bois, des vieilles murailles, des arbres morts et des buissons touffus, pour inspecter coins et recoins et donner la chasse à toute espèce de vermine qui prend ses quartiers d’hiver dans les gerçures des écorces et les crevasses du mortier. Il suffit de l’avoir vu fureter une fois dans un tas de broussailles, aller et venir dans les défilés de la ramée, entrer, sortir, rentrer, sans un instant de repos, pour être convaincu de l’activité de ses recherches.

Jules. — Oui, mais il est si petit qu’il ne doit pas faire beaucoup de travail.

Paul. — Si le troglodyte chassait le gros gibier, certes, au bout de la journée ses captures ne se compteraient pas par douzaines. Que ferait-il d’un hanneton, lui si petit ? De plusieurs jours il ne verrait la fin de sa trop riche victuaille.

Jules. — Et trop dure aussi pour son bec.

Troglodyte.
Troglodyte.

Paul. — Il lui faut les moindres chenilles, les moucherons imperceptibles. Ce sont bouchées plus tendres et mieux en rapport avec son fin gosier. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que les ennemis les plus redoutables de nos récoltes sont précisément les plus petits. Un vermisseau de rien met en péril nos céréales ; d’autres aussi menus ravagent les fruits dans leur germe. Que faut-il pour détruire une fleur qui produirait une poire de la grosseur des deux poings ? Une larve, une seule, tout juste visible. Eh bien, le troglodyte s’attaque à ces destructeurs nains, d’autant plus à craindre qu’ils échappent à notre vigilance par leurs dimensions exiguës. Devinez maintenant ce qu’il faut par jour en petites chenilles à un troglodyte pour l’entretien de sa nichée. Des observateurs, dont j’admire la patience, en ont fait le dénombrement.

Jules. — Mettons dix chenilles par oisillon et dix petits dans le nid. Cela ferait cent chenilles dans la journée. C’est beaucoup.

Paul. — Beaucoup ! Ah ! que vous êtes loin de compte ! En moyenne, le troglodyte apporte à manger trente-six fois par heure à ses petits. Il leur sert un mélange d’insectes, de larves et d’œufs. Au bout de la journée, le nombre d’insectes détruits, sous une forme ou sous l’autre, s’élève à cent cinquante-six mille. Nous voilà bien loin de votre maigre calcul, mon pauvre Jules.

Jules. — Les chenilles doivent être bien petites, autrement la nichée du troglodyte étoufferait d’indigestion.

Paul. — Sans doute, elles sont très petites, et puis beaucoup sont encore dans l’œuf. Le résultat pour nous n’en est pas moins d’une haute importance ; autant d’œufs avalés, autant de ravageurs de moins pour l’avenir.

Louis. — En admettant que le troglodyte fît exclusivement choix de la vermine qui s’attaque aux poires, ce serait donc cent cinquante-six mille poires que le petit oiseau conserverait à l’homme dans un jour ?

Paul. — Évidemment.

Louis. — C’est à ne pas y croire.

Paul. — Je conviens que le résultat est prodigieux, relativement aux moyens mis en œuvre. Un tout petit oiseau, auquel nul ne prend garde, s’en va becquetant par-ci par-là. Tout compte fait, au bout de la journée, il se trouve que l’échenilleur a détruit dans l’œuf, sous la forme de nymphe, ou bien à l’état parfait, des milliers d’insectes qui, laissés en vie, auraient prélevé sur nos récoltes d’énormes corbeilles de fruits, des boisseaux de grains par centaines. S’il fallait chiffrer la valeur des biens que sauvegardent les oiseaux mangeurs de vermine, ce serait par sommes fabuleuses. Paix, mes enfants, paix et protection à ces vaillants qui empêchent la famine d’entrer dans nos maisons.

Puisque nous y sommes, parlons d’un autre petit Poucet des oiseaux, échenilleur acharné comme le troglodyte. Il se nomme le roitelet, c’est-à-dire petit roi, à cause de la couronne d’un jaune d’or et bordée de noir qui lui ceint la tête. C’est le plus petit de nos oiseaux. Il est olivâtre dessus, blanc-jaunâtre dessous. Les belles plumes de sa couronne peuvent se dresser en forme de huppe.

Le roitelet niche dans les pays froids de l’Europe, surtout dans les forêts de sapins de la Norvège. Son nid est une petite boule de la grosseur du poing, ouverte par le haut, artistement façonnée au dehors avec de la mousse, de la laine, des toiles d’araignée ; au dedans, avec le duvet le plus doux. Il repose à plat sur quelque branche de sapin, à des hauteurs inaccessibles. Les œufs, au nombre de six à huit, sont couleur de chair uniforme.

Quoique d’apparence très délicate, le roitelet supporte vaillamment le froid. Il nous arrive en petites bandes de son pays natal vers l’époque des brouillards d’automne et de la chute des feuilles. Ces bandes, au nombre de cinq ou six individus au plus, se répandent dans les bois, les promenades publiques, les vergers, pour inspecter les gerçures des écorces, fouiller les paquets de feuilles mortes et visiter les bourgeons en se cramponnant à l’extrémité des plus petits rameaux. La mésange n’est pas plus habile en gymnastique, pour se suspendre la tête en bas et travailler dans toutes les positions. L’œuvre d’échenillage est accompagnée d’un continuel petit cri de ralliement : zi-zi-zi, zi-zi-zi. Le roitelet est plein de confiance en l’homme. Sans aucune crainte, au bruit des pas et de la conversation des promeneurs, il continue ses évolutions, ses chasses, ses zi-zi-zi. Il se laisse approcher de très près, à tel point qu’on croirait pouvoir le prendre à la main. Mais le rusé, qui n’a pas l’air de vous voir tant il est affairé, s’esquive d’un vol preste et va quelques branches plus haut poursuivre son travail.