Les Avadânas, contes et apologues indiens/122

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Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (2p. 146-147).


CXXII

LE VIEUX TIGRE ET LE SINGE.


Il y avait une fois un vieux tigre qui avait envie de manger un singe. Celui-ci lui dit pour le tromper : « Mon corps est bien petit, et il ne pourrait même vous fournir un seul repas. Sur la montagne qui est vis-à-vis, il y a un grand animal qui est capable de satisfaire votre noble appétit. Je vais marcher devant et vous y conduire. »

Quand ils furent arrivés tous deux sur la montagne, un cerf, armé d’un bois formidable, aperçut le tigre et soupçonna qu’il voulait le dévorer. Il alla au-devant du singe et lui dit : « Mon jeune ami, vous m’aviez promis dix peaux de tigre, aujourd’hui vous ne m’en apportez qu’une ; vous m’en devez encore neuf. »

À ces mots, le tigre fut effrayé et dit : « Je n’aurais jamais cru que ce petit singe fût aussi méchant. Il paraît qu’il veut me sacrifier pour payer ses anciennes dettes[1]. »

  1. Il y a ici un jeu de mots intraduisible. En chinois, le mot tchang, numérale des peaux, s’écrit et se prononce de même que tchang, compte, calcul, dans la locution Ti-tchang, régler ses comptes, payer ses dettes.
      Le vieux tigre qui avait l’oreille dure et la vue basse, n’a probablement entendu que les derniers mots du cerf, et il a dû détaler au plus vite pour ne pas être dévoré, à son tour, par le grand animal dont il se promettait de faire sa proie.