Les Avadânas, contes et apologues indiens/23

La bibliothèque libre.
Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 102-104).


XXIII

LE CHACAL PRUDENT.

(Il faut savoir sacrifier une partie pour sauver le tout.)


Un chacal, qui vivait au milieu des bois, suivait assidûment les lions, les tigres et les léopards, pour se nourrir des restes de leurs proies. Se trouvant une fois au dépourvu, il sauta, au milieu de la nuit, par-dessus un mur, et entra dans l’intérieur d’une maison pour y chercher de la chair fraîche. N’en ayant point trouvé, il se blottit dans un coin pour dormir et ne fit qu’un somme.

Quand la nuit fut passée, il se sentit dévoré d’inquiétude et à court de ruses. « Si je m’enfuis, dit-il, j’ai peur de ne pouvoir me sauver ; si je reste, je redoute les douleurs de la mort. » En achevant ces mots, il se décide à faire le mort, et s’étend tout de son long par terre. Une multitude de gens étant venue le voir, il y eut un homme qui dit : « J’ai besoin des oreilles d’un chacal, » et tout de suite il les coupa et les prit.

Le chacal se dit en lui-même : « Quoique l’amputation de mes oreilles ait été bien douloureuse, ma vie reste intacte. » Puis vint un autre homme qui dit : « J’ai besoin de la queue d’un chacal, » et aussitôt il la coupa et partit.

Le chacal réfléchit encore, et se dit : « Quoique l’amputation de ma queue m’ait bien fait souffrir, c’est encore une bagatelle. »

Enfin, vint un homme qui dit : « J’ai besoin des dents d’un chacal. »

Le chacal songea en lui-même et dit : « Les demandeurs ne font que s’accroître. Si quelqu’un venait prendre ma tête, c’en serait fait de ma vie. »

À ces mots, déployant toute l’énergie de sa prudence, il s’élance de terre d’un seul bond, franchit agilement la porte et trouve son salut dans la fuite.

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Ta-tchi-tou-lun, livre XIV.)