Les Avadânas, contes et apologues indiens/43

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Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 162-164).


XLIII

L’IDIOT ET SA FEMME.

(Des effets de l’illusion.)


Il y avait jadis un imbécile qui avait une femme d’une beauté remarquable. Il l’aimait tendrement, mais sa femme, qui n’était ni sage ni fidèle, se livra honteusement à d’autres hommes. Entraînée par la passion, elle voulut s’attacher à un voisin et abandonner son époux. Là-dessus, elle dit secrètement à une vieille femme : « Quand je serai partie, procurez-vous le cadavre d’une jeune femme, déposez-le dans ma maison, et dites à mon mari que je suis morte. »

Quelque temps après, la vieille femme, ayant épié un moment où le mari était absent, plaça un cadavre dans sa maison, et lorsqu’il fut de retour, elle lui dit : « Votre femme est morte. » Le mari alla la voir et crut que c’était sa propre femme. Il poussa des cris et s’abandonna à la douleur. Puis, il fit un bûcher qu’il arrosa d’huile, brûla le cadavre, et après en avoir recueilli les cendres, il les mit dans un sac qu’il tenait jour et nuit sur son cœur. Quelque temps après, sa femme, dégoûtée du voisin, revint dans sa maison et dit à son mari : « C’est moi qui suis votre femme.

— Ma femme est morte depuis longtemps, lui dit son mari. Qui êtes-vous pour venir me tromper ainsi ? »

La femme répéta jusqu’à deux et trois fois la même affirmation, mais il ne voulut point la croire.

Le mari imbécile ressemble à ces hérétiques qui, à force d’entendre des discours pernicieux, se plongent de plus en plus dans l’erreur. Ils les croient solides et vrais, et ne peuvent jamais se corriger. Quand ils entendraient la pure doctrine, ils ne sauraient y croire et l’observer.

(Extrait de l’ouvrage intitulé Pe-yu-king, ou le Livre des cent comparaisons, partie I.)