Les Avadânas, contes et apologues indiens/53

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Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 190-193).


LIII

L’HOMME EXPOSÉ À TOUTES SORTES DE DANGERS[1].

(De ceux qui se laissent aveugler par la convoitise.)


Il y avait une fois un homme qui avait eu le malheur d’être condamné à mort. On l’avait chargé de chaînes et jeté en prison. Surexcité par la crainte du dernier supplice, il brisa ses fers et s’enfuit. D’après les lois du royaume, si un homme condamné à mort s’échappait de la prison, on lançait après lui un éléphant furieux pour qu’il l’écrasât sous ses pieds. Sur ces entrefaites, on lança un éléphant furieux à la poursuite du condamné. Celui-ci voyant l’éléphant approcher, courut pour entrer dans un puits qui était à sec ; mais, au fond, il y avait un dragon venimeux, dont la gueule béante était tournée vers l’orifice du puits ; de plus quatre serpents venimeux se tenaient aux quatre coins du puits. À côté, il y avait une racine de plante. Le condamné, dont le cœur était troublé par la crainte, saisit promptement cette racine de plante[2], mais deux rats blancs étaient occupés à la ronger. Dans ce moment critique, il vit au-dessus du puits un grand arbre, au centre duquel il y avait un rayon de miel. Dans l’espace d’un jour, une goutte de miel tomba dans la bouche de ce malheureux. Le condamné ayant obtenu cette goutte délicieuse, ne songea plus qu’au miel ; il oublia les affreux dangers qui le menaçaient de toutes parts, et il n’eut plus envie de sortir de son puits.

Le saint homme (le Bouddha), puisa dans cet événement diverses comparaisons. La prison figure les trois mondes ; le prisonnier, la multitude des hommes ; l’éléphant furieux, la mort ; le puits, la demeure des mortels ; le dragon venimeux qui était au fond du puits, figure l’enfer ; les quatre serpents venimeux, les quatre grandes choses[3] ; la racine de la plante, la racine de la vie de l’homme ; les rats blancs, le soleil et la lune qui dévorent par degrés la vie de l’homme, qui la minent et la diminuent chaque jour sans s’arrêter un seul instant. La foule des hommes s’attache avidement aux joies du siècle, et ne songe point aux grands malheurs qui en sont la suite. C’est pourquoi les religieux doivent avoir sans cesse la mort devant les yeux, afin d’échapper à une multitude de souffrances.

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Tchong-king-siouen-tsi-pi-yu-king, ou Choix de comparaisons tirées des livres sacrés.)
  1. Nous avons déjà traduit un conte du même genre. Celui-ci est placé dans la section qui regarde les personnes qu’aveugle la convoitise ; mais l’homme dont il s’agit est poussé de péril en péril par l’amour de la vie.
  2. Il voulait évidemment se servir de cette racine pour se laisser glisser dans le puits.
  3. La terre, l’eau, le feu et le vent (Dictionn. San-thsang-fa-sou, livre XIX, fol. 6.)