Les Avadânas, contes et apologues indiens/72

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Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (2p. 3-5).


LXXII

LES DEUX PLANTEURS DE CANNES À SUCRE.

(De ceux qui perdent deux choses à la fois.)


Il y avait jadis deux hommes qui cultivaient ensemble des cannes à sucre. L’un des deux se dit en lui-même : « Les cannes à sucre sont extrêmement douces ; si j’en pressais une certaine quantité et qu’avec leur jus j’arrosasse les autres cannes qui sont sur pied, ces dernières acquerraient infailliblement une bonté extraordinaire, et je l’emporterais sur mon rival. »

Il écrasa donc des cannes à sucre et en prit le jus pour arroser les autres cannes, dans l’espoir de communiquer à celles-ci une saveur délicieuse. Mais il fit périr tous ses plants, et perdit en outre le jus de cannes dont il les avait arrosés.

Telle est la conduite des hommes du siècle. Dans le désir d’obtenir le bonheur que procure la pratique du bien, ils abusent de leur puissance pour opprimer le petit peuple, et arrachent violemment les richesses et les biens de leurs subordonnés pour les employer en bonnes œuvres. Ils espèrent par là recueillir des fruits de vertu ; ils ne savent pas qu’un jour à venir, ils ne recueilleront que le malheur, semblables en cela à celui qui pressa des cannes à sucre, et perdit deux choses à la fois.

(Extrait du Livre des cent comparaisons, Pe-yu-king, Ire partie.)