Les Aventures de Nono/II. Premières aventures

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P.-V. Stock (p. 17-35).


II

PREMIÈRES AVENTURES


Lorsque Nono s’éveilla, il faisait grand jour. Mais, chose étonnante, au lieu de se trouver dans son lit, il était couché sur un gazon épais, rempli de fleurettes élevant leurs corolles au-dessus de l’herbe verte.

Le soleil éclairait cet endroit, faisant étinceler les couleurs florales, miroiter les ailes diaprées des innombrables insectes qui voltigeaient à travers ses rayons d’or, ou couraient affairés parmi les brins d’herbe. Le ciel, d’un azur profond, était sans nuages.

Nono s’était soulevé sur son coude, et, les yeux écarquillés par l’étonnement, il regardait tout autour de lui, ne se rappelant pas avoir jamais visité ce lieu.

L’air était doux et léger ; mille parfums s’échappaient des pétales entr’ouverts des mille et une fleurs champêtres qui tapissaient le gazon. Dans les arbres, dans les buissons, sous les taillis, une multitude d’oiseaux faisaient entendre les gazouillis les plus variés.

Quelques-uns, prenant leur essor, traversaient l’espace d’un vol léger, se poursuivant jusqu’à terre avec des pépiements courroucés, se disputant, par jeu, quelque graine, ouvrant le bec et les ailes pour se défendre, se dressant sur leurs ergots, pour s’arracher le grain disputé, se dérobant mutuellement leur proie à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’un dernier larron, aux mouvements plus prestes, au vol plus rapide, vînt mettre fin à la dispute en s’enfuyant avec l’objet du litige, réconciliant ainsi les adversaires dans une commune déception.

La sécurité avec laquelle ils semblaient se jouer dans ce bocage, le vol tranquille de ceux qui cherchaient leur pâture, tout démontrait qu’ils devaient vivre là en toute sécurité, n’ayant jamais été traqués ni par l’homme, ni par aucun autre être malfaisant.

Pour mieux se rendre compte où il était, Nono s’était levé sur son séant. Lorsqu’il lui sembla être bien éveillé il se mit debout, humant l’air avec délices ; mais un tiraillement d’estomac lui rappela la bonne soupe que sa mère lui faisait chauffer tous les matins, et lui fit chercher des yeux, tout autour de lui, s’il n’apercevait pas quelques traces de sa maison, fussent même les petits cochons qu’il se souvenait d’avoir charge de garder dans son rêve.

Mais nulle trace d’habitation ou d’êtres humains en ce lieu charmant. Et tout en cherchant à découvrir quelqu’un, Nono se demandait comment il se trouvait seul dans un pays qu’il ne connaissait pas.

Continuait-il de rêver ? Qu’étaient devenus ses parents ? Du reste ses idées étaient loin d’être nettes. Parce qu’il était encore mal éveillé sans doute ; mais les sorciers, les enchanteurs, hantaient encore vaguement son imagination, et il n’était pas éloigné de croire que quelque génie malfaisant ou quelque mauvaise fée l’avait emporté loin de chez lui, loin de ses parents, après avoir fait subir quelque métamorphose à ceux-ci et à lui-même. Et il se tâta par tout le corps, pour s’assurer qu’il n’était pas changé en singe ou en quelque autre animal aussi laid.

Mais non, il était bien toujours le même, avec son habillement habituel.

— Voyons, se disait-il, je me suis bien endormi hier soir chez mes parents. Comment se fait-il que je me réveille dans un pays inconnu ? Est-ce que, réellement, il existerait des fées qui peuvent vous enlever comme cela, sans que vous vous en aperceviez ! Si c’en est une qui m’a enlevé, elle ne va pas tarder à se montrer, j’imagine.

Et il regarda autour de lui ; mais personne ne se montrait.

Nono était un petit garçon courageux, qui n’avait peur que dans l’obscurité, auquel cas, alors, il chantait tout haut pour se donner du courage. Il était dans une situation qui aurait pu l’inquiéter. L’absence inexpliquée de ses parents l’aurait, en toute autre circonstance, certainement fort alarmé. Mais il était, en ce moment, en une situation d’esprit qui lui faisait accepter cette absence comme une chose, sinon comme naturelle, assez plausible tout au moins. Aussi, loin de s’effrayer en ne trouvant aucune réponse à ses appréhensions, il se mit à chercher quelque chemin qui le conduisît à un endroit habité.

Quoique jeune, il possédait déjà une certaine dose de raisonnement. Il se disait qu’un endroit si joli devait certainement attirer des visiteurs et qu’il n’aurait pas grand chemin à faire pour trouver soit une habitation, soit des promeneurs.

Un sentier s’étendait devant lui, il le suivit à l’aventure. Ayant machinalement, en marchant, mis la main dans sa poche, il en tira un petit canif dont son oncle lui avait fait cadeau pour tailler ses crayons à l’école. Cette découverte lui donna l’idée de se couper une baguette dans un des taillis qui bordaient la route ; l’envie ne se fut pas plus tôt formulée que, déjà, il était à la besogne. Il eut bientôt une canne dont il se servit pour fouiller le sable en marchant, faire le moulinet, ou décapiter les hautes herbes des bords du sentier.

Il marcha ainsi quelque temps, sans avoir aucune idée de l’endroit où pouvait aboutir le sentier qu’il suivait. Il avait dû s’éveiller très tard dans la matinée, car le soleil commençait à être haut dans le ciel, et ses rayons, quoique tamisés par le feuillage, ne cessaient de chauffer l’atmosphère. Nono, que la soif commençait à tenailler, cherchait autour de lui s’il n’apercevrait pas quelques fruits pouvant le désaltérer en même temps qu’ils tromperaient sa faim.

Mais rien, que des arbres forestiers, lorsqu’en traversant une clairière, son attention fut attirée par une scène palpitante : un petit pinson, dont les pépiements annonçaient la détresse, se tenait sur une branche, essayant de se cacher. Son corps était agité d’un tremblement convulsif, ses yeux fixés sur un émouchet qui, après avoir plané un instant dans les airs, commençait à descendre en spirales de plus en plus serrées pour fondre sur la pauvre bestiole affolée.

Prompt comme la pensée, Nono leva sa badine et comme l’émouchet allait atteindre sa proie, d’un coup sec il le jeta à terre la poitrine brisée.

La peur avait tellement paralysé le pinson qu’il était tombé à terre, le corps agité de petits frissons. Nono le ramassa tout palpitant et le prit délicatement dans ses mains en l’embrassant.

Peu à peu l’oiselet se remit de sa frayeur et, par un gazouillis plaintif, fit comprendre à son sauveur qu’il désirait reprendre sa liberté.

Nono ouvrit les mains, l’oiseau agita ses ailes avant de prendre son essor ; puis, joyeux, il s’éleva en l’air, claironnant à son sauveur, en guise d’adieu, un chant d’allégresse.

Cet intermède avait fait oublier à notre voyageur la soif qui le pressait ; mais lorsqu’il eut vu disparaître l’oiseau, il la sentit le chatouiller un peu plus fort. Il reprit donc sa marche, continuant à quêter d’un œil inquiet quelque fruit à une branche d’arbre, et surtout si, à travers le gazon, il ne découvrirait pas une source fraîche ou il pût se désaltérer à longs traits.

Mais rien ne se présentait à ses regards déçus, qu’un insecte pris par une patte, empêtré dans les brindilles d’un buisson, étalant son ventre noir au soleil, et se démenant désespérément sans arriver à se raccrocher pour reprendre son équilibre et sortir de sa position périlleuse.

Déjà visiblement fatigué, ses efforts devenaient moins vigoureux et plus espacés. Placée au-dessus, une mésange charbonnière aiguisait son bec à la branche qui la portait, s’apprêtant à fondre sur cette proie assurée.

Nono courut au buisson, faisant s’enfuir la mésange, et détacha délicatement l’insecte qu’il trouva être un superbe carabe des jardins, aux élytres d’un beau vert doré, aux reflets métalliques.

Le sauveteur remit à terre l’insecte qui, passant ses pattes de devant sur ses antennes, sembla lui faire un salut de remerciement avant de disparaître ensuite dans l’herbe du gazon. Et Nono reprit sa marche.

À l’angle d’un petit sentier obliquant sur la gauche de celui qu’il suivait, il retrouva son pinson perché sur un des arbres bordant le chemin. L’oiseau, qui semblait l’attendre, s’envola dans la direction du nouveau chemin.

Nono quitta le sentier qu’il suivait et s’engagea dans celui suivi par l’oiseau. Mais celui-ci se mit à battre des ailes, s’éleva en gazouillant, et alla se poster sur un arbre plus loin, semblant de nouveau attendre son sauveur.

— Tu as donc peur de moi ? fit Nono, se parlant plutôt à lui-même qu’à l’oiseau.

Comme s’il avait compris, celui-ci vint voltiger autour de lui ; toujours méfiant, se posa un instant sur son épaule, pour reprendre ensuite son vol, et aller se poser plus loin.

Nono ne connaissait rien de l’endroit où il se trouvait ; il suivit donc la bestiole, indifférent à une route autant qu’à une autre. Ils arrivèrent ainsi à une clairière, à l’extrémité de laquelle un amas de roches rougeâtres s’élevaient, couvertes de lichens, de mousses et de bruyères.

Sur une des parois des rochers, filtrait une petite source d’eau claire et vive qui descendait en cascatelles, sur le flanc taillé en gradins, pour tomber, au pied d’un rocher, dans une sorte de vasque naturelle formée par le roc qu’elle avait creusé et d’où elle s’échappait en un ruisseau limpide qui serpentait à travers la clairière pour aller se perdre sous bois. Un magnifique bouleau, à l’écorce argentée, qui avait pris racine dans une fissure de la roche, l’abritait de son feuillage délicat, un peu retombant comme la chevelure d’une naïade éplorée.

Nono courut à la fontaine, où il s’agenouilla pour puiser avec ses mains l’eau dont il se désaltéra goulûment, et qui lui sembla si délicieuse qu’il la trouva la meilleure de toutes les boissons.

— Tout de même, pensa Nono, sans le pinson, je ne serais pas venu ici. C’est pour le suivre que j’ai quitté ma première route, et il le chercha des yeux pour le remercier. L’oiseau avait disparu.

Nono se pencha à nouveau vers la source pour boire encore une fois de cette eau si fraîche. Enfin rassasié, il allait se relever, lorsqu’il aperçut une pauvre abeille qui se débattait au milieu de la vasque, et que, malgré tous ses efforts, le courant allait entraîner et submerger dans ses remous. De sa badine qu’il n’avait pas quittée, Nono sortit la bestiole de l’eau et la posa délicatement sur la mousse, où donnait le soleil, pour qu’elle pût se sécher, s’attardant à voir ce qu’elle allait faire, malgré les tiraillements d’estomac que lui faisait éprouver la faim qui, elle, n’était pas calmée.

Pendant un moment, l’insecte se traîna lourdement sur la mousse, le corps alourdi par l’humidité, les ailes froissées par le contact de l’eau, ayant du mal à se tenir sur les pattes. Puis, lorsqu’elle eut un peu repris la liberté de ses mouvements, elle commença à se passer les pattes de derrière sur les ailes afin de les sécher. Enfin, lorsqu’elle fut assez forte à son gré, elle prit son vol et s’élança dans l’espace en bourdonnant.

Mais, chose étrange, il semblait à l’enfant étonné que ce bourdonnement prenait forme de langage ! Il lui sembla comprendre que l’insecte lui disait : « Tu as eu soif, l’oiseau que tu as sauvé t’a mené à cette fontaine où tu as pu te désaltérer, et où je me serais noyée sans ton secours. Suis-moi, je te guiderai là où tu pourras te rassasier. »

Nono savait fort bien que les insectes ne parlent pas ; mais il avait tellement lu des livres de contes où l’on faisait parler les animaux, tellement récité de fables à l’école où l’on faisait parler non seulement les animaux, mais aussi les insectes les plus infimes, jusqu’aux plantes et aux minéraux qui faisaient des discours que bien des êtres humains auraient été incapables de tenir, et dont très peu de gens seraient à même de comprendre la sagesse, — lorsque ces discours s’avisaient d’être sages — ce qui n’était pas toujours le cas.

Notre affamé ne fut donc pas étonné outre mesure, non pas d’entendre parler l’abeille — il n’était pas très sûr qu’elle lui eût tenu ce petit discours, convaincu plutôt que c’était le fruit de son imagination — mais, il aimait à penser qu’elle pouvait le lui avoir tenu. Il suivit donc l’abeille tout réconforté ; le vol de l’insecte, du reste, lui permettant de le suivre sans fatigue.

Ils traversèrent ainsi le bois qui commençait derrière les rochers, et arrivèrent à un vallon agreste, tout rempli de fleurs des champs. Toutes les variétés qui, ailleurs, fleurissent à des époques différentes, se trouvaient là, réunies, en pleine floraison.

Coquelicots étalant leurs pétales d’un rouge éclatant, bleuets d’un beau bleu plus sombre s’élevaient à côté pendant que les genêts mariaient leurs fleurs d’un suave jaune d’or au violet sombre des campanules, au carmin des digitales. Ailleurs, les pâquerettes étalaient leur disque d’or entouré de blancs pétales, et les saponaires roses donnaient une note plus discrète.

Le serpolet, le fenouil, la menthe, embaumaient l’air de leurs balsamiques senteurs, tandis que dans l’herbe, sous les buissons, s’épanouissaient violettes et primevères de toutes sortes, que le muguet ouvrait ses clochettes au doux parfum ; les narcisses, les jonquilles et les jacinthes formaient des tapis diaprés des couleurs les plus diverses, alors que le chèvrefeuille montait à l’assaut des arbres dans les branches desquels il s’accrochait, étalant sa floraison aux senteurs de miel.

Nono s’arrêta émerveillé, sans se demander comment il se faisait que toutes ces fleurs s’épanouissent en même temps. À neuf ans, on n’est pas tenu de posséder les connaissances d’un jardinier, et cela ne le choquait pas plus de les voir, là, pousser sous ses yeux, que de le lire dans l’œuvre d’un romancier à la mode.

Jamais notre petit ami n’avait vu tant de fleurs réunies ; ce n’était pas la tentation d’en cueillir un bouquet pour sa mère qui lui manquait, mais la peur de voir paraître un jardinier bourru ou quelque gardien non moins hargneux, qui l’empêcherait d’y porter la main et le chasserait honteusement. Et puis, il faut bien le dire aussi, la faim surtout, qui le talonnait et lui faisait avoir hâte de trouver un endroit où il pût la satisfaire.

Mais l’abeille, qui avait vu Nono s’arrêter, vint bourdonner plus fort un moment près de lui, et notre affamé reprit inconsciemment sa marche, guidé sur le vol de l’insecte qui se dirigea à l’orée du bois, vers un gros arbre autour duquel voltigeaient en grand nombre d’autres abeilles qui s’avancèrent vers l’arrivante.

Mais elles ne l’eurent pas plutôt reconnue, qu’elles cessèrent leur bourdonnement de guerre, pour en faire entendre un plus doux, semblant lui souhaiter la bienvenue, et la gronder de les avoir laissées dans l’inquiétude par suite de sa longue absence.

Nono les examinait curieusement, les voyant se frotter les antennes les unes contre les autres, signes qu’elles répétaient aux nouvelles compagnes qui sortaient constamment de la ruche, et quand toutes se furent communiqué ce qu’elles avaient appris, elles vinrent voltiger autour de Nono, semblant le regarder curieusement, sans chercher à lui faire du mal. Mais ce dernier, qui savait combien sont douloureuses leurs piqûres, battit prudemment en retraite.

Les abeilles continuaient leur vol autour de lui, parfois elles s’arrêtaient pour frotter leurs antennes contre celles d’une camarade, semblant échanger quelque réflexion, puis, à un moment, elles reprirent toutes leur vol vers l’arbre qui servait de ruche, pendant que quelques-unes, revenant vers le voyageur, reprenaient ensuite leur vol vers la ruche, semblant par là l’inviter à les suivre.

Mais Nono n’avait garde de comprendre, et se rappelait les histoires de ceux qui, par trop téméraires, avaient payé d’horribles souffrances l’imprudence de s’approcher trop près de l’habitation de ces insectes susceptibles. De plus, parmi ce flot mouvant d’insectes, tous pareils, de même couleur, il ne reconnaissait plus celle qu’il avait sauvée de l’eau. Il lui sembla être, cette fois-ci, tout à fait perdu et abandonné, et il se laissa aller, tout découragé, sur un tronc d’arbre couché à terre, se demandant anxieusement ce qu’il allait devenir.