Les Aventures de Nono/XXIII. Premières traces

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P.-V. Stock (p. 331-338).


XXIII

PREMIÈRES TRACES


Cependant le voyage durait depuis quelque temps, et nos amis se désolaient de n’avoir rien pu découvrir, faisant les plus tristes conjectures sur la sort de leur ami. Ils se dirigeaient vers la capitale, partout on leur disait que c’était là que se rendaient les étrangers.

Enfin un jour ils arrivèrent au village où Nono avait fait ses débuts de musicien.

Lorsque, selon leur habitude, ils eurent donné leur concert, en y mêlant des airs d’Autonomie, la bonne femme qui avait été secourable à Nono, et qui reconnut un des airs de l’accordéon merveilleux s’informa auprès de Hans si, lui aussi, ne venait pas d’Autonomie ?

Hans, qui ignorait dans quel but lui était faite cette question, l’interrogea sur ce qui pouvait lui avoir fait penser cela ?

La femme leur expliqua qu’il y avait quelque temps déjà, un enfant de leur âge était passé, jouant des airs comme eux venaient d’en jouer, airs que l’on n’entendait nulle part ailleurs.

Et au signalement qu’elle leur donna du jeune garçon, Mab et Hans reconnurent leur ami. Leur cœur battit d’allégresse, ils avaient donc enfin un fil conducteur. Et la femme ayant ajouté qu’elle avait encouragé le jeune voyageur à se rendre à Monnaïa, ils se remirent en route immédiatement.

Dans les villages, sur la route, la musique de leur ami avait laissé quelques souvenirs ; ils purent ainsi suivre ses traces sans trop de difficultés.

Un après-midi, vers le soir, ils arrivèrent à la ferme où Nono, moyennant sa musique, avait trouvé l’hospitalité. Pour rester dans leur rôle, nos artistes proposèrent leur musique et les gentillesses de Penmoch en échange d'un morceau de pain, et d’une place dans le foin.

Mais le fermier, occupé à réparer un poulailler dans sa cour, et fort peu sensible tous les jours, surtout en voyant trois écuelles de soupe à donner, exigea d’être payé, espérant bien avoir la musique par-dessus le marché.

Hans sortit quelque menue monnaie de sa bourse et la donna au fermier qui s'en contenta, et les fit entrer dans la salle commune, où ils s’installèrent dans un coin avec Penmoch.

La grosse servante s’occupait de préparer la soupe, le vieux grand-père était toujours sous le manteau de la cheminée, le fils et sa famille au dehors s'occupaient de divers travaux, un des valets de la ferme était en train de réparer le manche d’une bêche.

Le valet et la servante causaient, sans s’occuper des musiciens, ni de l’aïeul que l’âge rendait sourd. Le valet se plaignait de la dureté des maîtres qui l’accablaient de travaux et refusaient de lui accorder une légère augmentation.

— Dame, faut être juste aussi, disait la servante, le maître a des frais. Pense donc qu’il te donne déjà trente écus par an. À ce prix-là, les valets de ferme ne lui manqueront pas. Il en passe tous les jours qui ne demanderaient pas mieux que de se louer, même pour moins.

— Oui, mais lui feraient-ils la besogne que je lui fais ?

— Oh ! pour ce qui est de ça, tu ne dors pas sur la besogne, et tu n’es pas embarrassé à n’importe quels travaux de la ferme. C’est bien pour cela que le maître tient à toi. — Mais deux écus de plus, c'est une somme, sais-tu ?

— Deux écus, qu’est-ce que c’est pour lui ! Mais il est avare. Il préfère entasser ses pièces d'or, sans compter le champ qu’il vient de prendre à ce pauvre diable de Jean Bidou qui n’a pas pu lui rembourser les pistoles qu’il lui avait prêtées, et qui en vaut le double. Et le pré qui jouxte sa roseraie, est-ce qu’il n’y a pas de mon travail dans la valeur qu’il a acquise ?

— Oui, te voilà revenu aux billevesées qui te trottent par la tête depuis que cet « innocent » qui prétendait venir d’un pays au nom si baroque, que l'on ne connaît seulement pas, est passé par ici.

Hans et Mab dressèrent l’oreille. Penmoch fit entendre un léger grognement.

— Innocent ! innocent ! reprit le valet, pas si innocent que cela, il m’est avis. Il y avait du vrai dans ce qu’il nous a dit. Je n’ai reçu aucune instruction, vois-tu, je ne sais pas lire, — Hans et Mab se regardèrent, semblant se demander, comment il était possible qu’un homme ne sût pas lire — Mais j’ai ma jugeotte qui me dit qui si le maître n’avait pas de pauvres diables comme toi et moi pour faire son travail, s’il était seul, avec sa famille, il ne pourrait pas cultiver toute la terre qu’il a. Tout l’argent que cette terre en plus lui rapporte est donc du travail de toi, moi, Pierre, Claude, et de tous ceux qu'il embauche quand il en a besoin. Et voilà !

— Heu ! heu ! mon pauvre ami, le maître te l’a expliqué pourtant ; si on partageait les terres entre tout le monde, il y en a qui ne voudraient rien faire et vendraient leur part, et ça reviendrait comme ça est maintenant. Tu vois donc bien que t’as tort d’avoir des idées semblables, puisque c'est pas possible.

— Oui, tout ça, ça va bien, ce sont les maîtres qui disent cela. Mais je trime bien, et dur encore, pour le nôtre, pourquoi que je ne travaillerais pas aussi bien pour moi ? Non, vois-tu, la Jeanne, il y a quelque chose là qui me dit que tout n’est pas comme ça devrait être.

Et je regrette beaucoup de ne pas avoir demandé au p’tiot où se trouvait ce joli pays dont il nous a parlé. Je crois qu'il existe, moi ; et je voudrais y aller.

En ce moment, malgré sa prudence, Hans intervint dans la conversation, affirmant l'existence d’Autonomie, et demandant de plus amples renseignements sur le voyageur en question que lui et sa compagne connaissaient et qu’ils avaient hâte de retrouver.

La servante et le valet ne purent donner que fort peu d’indications. Tout ce qu'ils savaient, c’est que le jeune voyageur avait parlé qu’il se rendait à la ville, et qu’il en avait pris la route.

Puis le valet questionna Hans sur le pays d’Autonomie, où il se trouvait ?

Mais les deux Autonomiens ne pouvaient, sans se trahir, indiquer leur route, — qui s'était refermée derrière eux, du reste — ils ne purent que donner des indications fort vagues, des renseignements fort peu précis.

Et ces renseignements incomplets laissèrent le valet toujours aussi perplexe.

La servante apercevant venir le fermier, engagea les enfants à ne pas parler du pays d’Autonomie. Elle avait remarqué que, lorsqu’on parlait de ce pays et de ses mœurs, cela mettait le fermier de fort mauvaise humeur.

Celui-ci entra en grommelant que le travail n’avançait pas. Et il alla fumer sa pipe près du feu.

Peu à peu, les habitants de la ferme arrivèrent l’un après l’autre. Puis la belle-fille, qui était en course dans le village, arriva avec ses deux enfants qui eurent bientôt fait connaissance avec Penmoch.

On se mit à table. Les deux Autonomiens, pour leur argent, eurent une écuellée de soupe, avec une tartine de pain.

Puis, le repas fini, et quand tout fut rangé, nos deux artistes firent quelque musique pour plaire aux deux enfants. Mab dansa avec Penmoch, et l’heure d’aller se coucher étant venue, on mena les trois artistes dans la grange où ils se blottirent dans la paille, heureux de voir qu’ils ne perdaient pas les traces de celui qui était l’objet de leur sollicitude.