Les Aventures de Nono/XXII. Recherches infructueuses

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P.-V. Stock (p. 317-329).


XXII

RECHERCHES INFRUCTUEUSES


Réveillés de bonne heure le lendemain matin, les artistes descendirent sous prétexte de prendre l’air, et de faire le tour du village ; mais en réalité pour interroger les domestiques et servantes de l’auberge, ayant imaginé de dire qu’un camarade de leur troupe les avait perdus, ce qui leur permettait de questionner et de donner son signalement, en s’informant si on l’avait vu.

Mais le village était placé sur une route peu fréquentée, et quoi qu’il fût plus facile, à cause de leur rareté, de remarquer les voyageurs qui le traversaient, personne ne put leur donner aucun renseignement.

S’étant fait servir à déjeuner, ainsi qu’à Penmoch, ils firent leurs préparatifs de départ, sans que personne essayât de les retenir. L’intérêt qu’ils avaient excité était passé. Chacun regrettait de ne pas avoir eu l’idée du gros richard, mais ne se souciait plus de les entendre après lui.

Munis de leurs instruments, Penmoch trottinant à côté d’eux, ils se remirent en route.

Au premier village, ils n’eurent aucun succès, ne récoltèrent pas un liard ; ce qui, du reste, les préoccupait peu ; mais non plus aucun indice qui les mît sur les traces de celui qu’ils cherchaient.

Au suivant, les gamins du village les poursuivirent à coups de pierres, parce qu’ils leur arrachèrent des mains une malheureuse hirondelle blessée, qu’ils voulaient plumer toute vive. Vu le nombre des gamins, ils auraient été fort maltraités, et la fuite ne leur aurait pas été facile, si Solidaria, qui les protégeait de loin, n’eut fait passer, dans leurs jambes, toute la force de la communauté, ce qui leur donna une vélocité telle que, en moins de rien, ils étaient à une si grande distance qu’ils n’entendirent plus les hurlements des petits Argyrocratiens. Ils se retournèrent : les méchants gamins ne leur apparaissaient plus sur la route que comme un amas de fourmis.

Hans et Mab, étonnés, se doutèrent bien que c’était leur amie Solidaria qui était venue à leur secours. En leur cœur, ils lui adressèrent un chaleureux remerciement. Penmoch, à côté d’eux, agitait joyeusement sa queue qui se contournait de gauche à droite, et de droite à gauche. En son groin, il tenait un large morceau d‘étoffe arraché au fond de culotte d'un des petits bandits.

Un ruisseau faisait entendre ses glouglous joyeux, en un pré au bord de la route ; ils s‘y dirigèrent. Il s’agissait de panser la malheureuse bestiole qu’ils avaient arrachée à la cruauté des petits Argyrocratiens et que Hans tenait haletante dans sa main.

— Pauvre petite chose ! fit Mab, en lavant les plaies de la bête. Puis, tirant de leur bissac une petite boîte d’un onguent merveilleux que leur avait remise Solidaria, ils en oignirent les plaies de la blessée.

L’hirondelle guérie comme par enchantement, s’échappa des mains de Mab, faisant entendre un gazouillis joyeux, restant à voltiger autour de ses sauveurs qui, sollicités par l'appétit et le charme de l’endroit, s’étaient mis à déjeuner, ayant eu la précaution de faire garnir leur bissac avant de quitter le bourg où ils avaient passé la nuit. Et, lorsqu’ils se remirent en route, l’hirondelle les suivit.

Et ils marchèrent ainsi de compagnie, l’hirondelle ayant fini par faire connaissance avec Penmoch, qu’elle taquinait parfois.

Ils marchèrent ainsi, des jours, sans rien découvrir de leur ami.

Un matin qu’ils déjeunaient près d’une source, ils virent venir sur la route deux archers à cheval, conduisant, enchaîné, un jeune gamin de leur âge.

Les deux soldats, ayant aperçu la source, y dirigèrent leurs chevaux pour les y faire boire, après avoir permis au petit garçon de s’y désaltérer.

Puis ayant aperçu nos trois voyageurs, l’un d’eux, d'un ton bourru, leur demanda qui ils étaient ? ce qu’ils faisaient ? où ils allaient ? où ils avaient volé le cochon qu’il traînaient avec eux ?

Mais Solidaria avait avisé à cela. Hans sortit de sa poche un papier qui leur donnait, au nom de Monnaïus, le droit de circuler sur les routes ; puis il fit remarquer à l’archer que le cochon était son ami, qu’il ne l’avait pas volé.

— N’est-ce pas, mon vieux Penmoch ? fit-il en le caressant ; fais voir à M. l’archer que nous sommes deux bons camarades.

Penmoch se serra contre les jambes de Hans, et fit entendre un rrouan !... rrouan furieux à l’adresse de l’archer, lui montrant les dents d’une façon terrible.

Cela fit rire les deux archers qui devinrent plus sociables.

Mab en profita pour demander au petit garçon ce qu’il avait fait pour qu’on le conduisit ainsi enchaîné comme un criminel ?

Tout en pleurant, le malheureux leur raconta que ses parent étant morts, personne n’avait voulu le recueillir. Alors, il avait couru de village en village, travaillant quand on voulait l’employer, vivant d'aumônes, un peu de maraude, couchant à la belle étoile, lorsqu’on refusait ses services. Les archers venaient de l’arrêter parce qu’il n’avait pu justifier d’aucun gîte.

Ils l’emmenaient au prévôt de la prochaine ville qui, probablement, l’enverrait en prison.

Émus de pitié, Hans et Mab demandèrent la permission de donner à ce pauvre garçon le reste de leurs provisions. Les deux archers grommelèrent bien un peu, mais ils accordèrent la permission demandée, et repartirent emmenant leur prisonnier. Penmoch, allant derrière eux en tapinois, mordit la jambe du cheval de l’un d’eux, évitant la ruade de l’animal, qui manqua jeter le cavalier sur la route.

Celui-ci s’étant retourné pour voir ce qui arrivait à son cheval, mons Penmoch, à dix pas en arrière, broutait tranquillement une touffe de gazon.

Un autre jour, ce fut un pauvre vieux qu’ils virent ainsi emmener. Il leur raconta qu’il avait travaillé tant qu’il avait pu, mais il gagnait peu et les chômages et les maladies, du reste, lui permettaient à peine de vivre et d’élever sa famille ; il avait vieilli, vivant au jour le jour.

Maintenant, il était trop faible pour travailler ; sa femme était morte d’épuisement, sa fille était disparue un beau jour, son fils enrôlé de force comme soldat de Monnaïus. Il était sans ressources, on l’emmenait en prison.

Hans et Mab, navrés de ne pouvoir rien faire pour déliver le malheureux, ce qui ne lui aurait pas été d’un grand secours du reste, lui remirent en pleurant quelques pièces de monnaie, fort peu pour ne pas éveiller la défiance des archers, et c’est en devisant sur le mauvais sort des pauvres gens, et la cruauté des Argyrocratiens, qu’ils continuèrent leur route.

Mais au milieu de ces incidents, toujours aucune nouvelle de leur ami.

Un soir, à l’orée d’un bois qu’ils venaient de traverser, leur attention fut attirée par la vue d’un jeune homme qui, couché sur le sol, semblait épuisé, hors d’état de marcher.

Ils s’approchèrent de lui. Hans tira de son bissac une fiole. Il fit boire quelques gouttes de la liqueur qu’elle contenait à l’inconnu que cela ranima et qui put leur raconter que, traqué par les archers, il se cachait dans ce bois ; depuis deux jours n’ayant pu trouver à manger, il avait voulu essayer de gagner le prochain village, mais il venait de tomber là à bout de forces.

Aussitôt nos voyageurs lui vidèrent leur bissac sur les genoux, et, tout en se restaurant, il leur raconta que l'on avait voulu le faire soldat de Monnaïus, qu’il n’avait pas voulu se laisser enrôler, et qu’il avait quitté son village, cherchant du travail sur sa route. Il y avait trois jours, il était arrivé en ce pays, exténué de fatigue, personne n’ayant voulu l’employer, il était entré en une villa dont le propriétaire était à table devant un succulent dîner.

Il lui avait demandé un morceau de pain, mais l’autre lui avait répondu que c’était honteux à son âge de demander l’aumône, qu’il ferait mieux de chercher du travail, et avait appelé sa bonne pour lui fermer la porte au nez.

Rendu furieux par l’injustice de ce mauvais riche, il l’avait battu, emportant ce qu'il avait pu ramasser de victuailles sur la table, et était venu se cacher dans ce bois, dont il n’avait plus osé sortir, ayant vu les archers qui étaient à sa recherche.

Hans lui remit une poignée de monnaie pour lui permettre de gagner un endroit où il ne serait pas connu. Puis, comme partout où il passait, il lui demanda s’il n’aurait pas rencontré Nono dont il lui donna le signalement. Mais l’autre n'avait rencontré personne qui lui ressemblât.

Et nos quatre voyageurs (ils étaient quatre maintenant que l’hirondelle les suivait), se remirent en marche tristement.

Un jour encore, comme ils s’approchaient d’un village, près d’un enclos ils virent un rassemblement qui s’était formé.

Ils s’approchèrent, curieux de voir quelle en était la cause, et au pied d’un arbre ils virent étendu, le corps d’un enfant d’une douzaine d’années. La figure blanche comme de la cire, les yeux grands ouverts, mais sans regard, une blessure sanguinolente sur le côté de la tête tout indiquait qu’il était mort et quelle était la cause du trépas.

Un archer interrogeait un gros paysan dont la mine vermeille annonçait la florissante santé, ainsi qu’une certaine aisance. Le rustre expliquait que, furieux de voir piller son poirier dont les plus beaux fruits disparaissaient au fur et à mesure qu’ils mûrissaient, il s’était embusqué pour surprendre les voleurs. Il avait vu le jeune garçon l’escalader ; mais lorsqu’il avait voulu courir après, le garçon s’était sauvé ; alors il

l’avait atteint d’une grosse pierre qui l’avait

jeté à terre.

Il terminait son récit lorsqu’une femme échevelée, toute en larmes, fendit la foule et vint tomber à genoux devant le petit cadavre qu’elle embrassait éperdument.

Fou de douleur, le père la suivait et lorsqu’il vit le meurtrier de son enfant, il voulut se précipiter dessus et le frapper ; mais d’autres archers qui étaient venus joindre le premier se saisirent de lui, lui disant de se tenir tranquille, s’il ne voulait pas aggraver son cas ; que le paysan était dans son droit, en défendant sa propriété, et ils l’emmenèrent chez le prévôt, lui disant qu’il aurait à répondre des dégâts causés par son fils dans le verger.

Pénétrés d’horreur, Hans, Mab et Penmoch traversèrent le village sans s’y arrêter. L’hirondelle elle-même fit un long détour pour éviter d’y passer.