Les Aventures de Nono/XXV. La visite à la prison

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P.-V. Stock (p. 351-360).


XXV

LA VISITE À LA PRISON


Le jour du rendez-vous arrivé, les deux artistes, laissant Penmoch et la Taupe à la maison, se rendirent à l’endroit où ils devaient trouver le cousin du geôlier.

Celui-ci les attendait, tout joyeux. Il avait parlé à son cousin de deux étrangers dont il avait fait connaissance et qui désiraient visiter une prison. Il était permis aux geôliers, lorsqu’ils étaient de service, de recevoir leur famille, car alors ils ne pouvaient pas sortir de tout un mois.

Moyennant deux pièces d’or, son cousin acceptait de les faire passer pour des neveu et nièce, et de les promener dans la partie de la prison où il leur était permis de circuler. Le lendemain, dimanche, était justement un bon jour.

L’Insoumis, c’était le nom de leur nouvel ami, viendrait les prendre chez eux.

Et comme c’était convenu, le lendemain, à l’heure fixée il vint les chercher.

Comme de juste, pour aller dans la prison, on n’entrait pas par la porte d’honneur du palais, mais par la poterne d’une des tours.

Arrivés à cette poterne, une sentinelle leur demanda où ils allaient. Sur leur réponse qu’ils voulaient voir le porte-clefs, Tourment, la sentinelle appela un soldat qui les conduisit près de celui qu’ils demandaient.

Celui-ci les embrassa comme s’il était réellement l'oncle qu’il prétendait, serra la main de son cousin, lui demandant des nouvelles de leurs parents et amis, puis les fit asseoir en leur offrant de se rafraîchir. Justement son service venait de finir, il avait trois heures de libres devant lui.

Ce geôlier, malgré le métier répugnant qu’il faisait, était plutôt un ignorant qu’un méchant homme. Sa double physionomie tenait plutôt du chien de garde que de la bête féroce.

À vingt ans, il avait été enrôlé parmi les soldats de Monnaïus. Là, il avait pris l’habitude d'obéir et de vivre sans s’inquiéter de rien. Chez ses parents il avait vu combien était difficile la vie de l’ouvrier, excédé de travail à certains moments, sans cesse hanté par la crainte du chômage et de la misère. Aussi, son temps fini, il avait sollicité cette place que sa bonne conduite lui avait fait avoir tout de suite.

Et c’était sans se rendre compte de la triste idée qu’il donnait de son caractère qu’il racontait cela ; avec fierté, même.

Mab lui demanda si ça ne le rendait pas triste de voir les prisonniers. Il devait y avoir, en la prison, des désespoirs terribles, des crises de larmes et de sanglots !

Le geôlier haussa les épaules. Ceux qui se faisaient mettre en prison n’étaient pas bien intéressants. Ils n’avaient qu’à faire comme tout le monde, à obéir et à travailler. Les maîtres ne pouvaient ordonner que des choses justes. Et lui obéissait à ses maîtres.

D’un air indifférent, Hans lui demanda s’il n’y avait pas en ce moment, dans les cachots du palais, quelque prisonnier intéressant, et si on pouvait le voir ?

Et le geôlier, qui était bavard, leur détailla la vie des prisonniers. Justement Nono était dans son service, et il n’eut garde de l’oublier dans son récit, son affaire ayant fait, à son moment, assez de bruit. Il promit à ses visiteurs de le leur faire voir par un petit judas percé dans la porte de chaque cachot.

Puis, se levant, il prit un trousseau de clefs et les engagea à le suivre, s’ils voulaient visiter avec lui la prison.

Il les conduisit d’abord dans quelques cachots inoccupés, puis en différentes salles plus sombres les unes que les autres, jusqu’à ce qu’ils arrivèrent dans une qui était garnie d’armoires.

— C’est là-dedans, fit-il en désignant les armoires, que l'on enferme les instruments de torture.

— Comment, de torture ? fit l’Insoumis, mais elle est abolie.

Une centaine d’années auparavant, en effet, les Argyrocratiens avaient fait une révolution où l’on avait aboli la torture.

Mais le geôlier leur expliqua que l’ingéniosité des conseillers au Parlement n'avait pas tardé à inventer des instruments nouveaux qui faisaient souffrir autant le prisonnier, avec l’avantage de ne pas laisser trace de blessure.

Ouvrant une armoire, il leur fit d’abord voir la prévention qui enlevait le prévenu de sa famille, de son milieu et qui, compliquée de la mise au secret, le faisait passer par toutes les phases de l’angoisse et de l’inquiétude.

Il y avait ensuite l’instruction secrète, les fausses dépositions, et infinité d’autres instruments qui garnissaient les armoires. On parlait d’empêcher les juges de se servir de l’instruction secrète, mais ceux-ci n’avaient que l’embarras du choix pour terrasser le prisonnier le plus robuste, et il ouvrait les armoires les unes après les autres, leur montrant une infinité de petits instruments, acérés et aigus comme des serres d’oiseaux de proie.

Hans demanda comment les prisonniers passaient leur temps.

Ils étaient forcés de travailler pour le compte d’entrepreneurs qui, en faisant des cadeaux aux administrateurs, aux directeurs, achètent le droit exclusif de faire travailler les prisonniers, au prix qui leur convient, bien au-dessous de ce qu’ils seraient forcés de payer à un ouvrier libre. Ce qui leur permettait de réaliser de grands bénéfices et de vivre en grands seigneurs.

Hans demanda comment il se faisait que Monnaïus tolérât ces injustices.

Mais le geôlier leur expliqua qu’il n’y avait rien de répréhensible dans cela. C’était aux prisonniers à ne pas se mettre hors des honnêtes gens. Ils étaient en prison pour leur punition.

Hans et Mab pensèrent que ceux qui se chargeaient de mettre les autres en prison devaient valoir beaucoup moins qu'eux. Mais ils se contentèrent d'échanger leurs réflexions en un regard.

Le geôlier continuait :

— Sur ce que gagne le prisonnier, l’administration s’empare de la moitié si c’est la première fois qu’il est condamné, des trois et quatre cinquièmes dans les autres cas.

Sur ce qui leur reste, les prisonniers peuvent en dépenser une autre moitié, le reliquat leur est remis à leur sortie de prison.

Ce que les prisonniers achètent, ils sont forcés de l’acheter dans la prison, à un fournisseur autorisé pour cela, celui qui les fait travailler ordinairement ; autre source pour lui de très grands bénéfices.

L’inspection de la salle terminée, son récit aussi, il leur fit traverser un grand couloir sombre ; puis s’arrêtant à une porte, il fit signe à ses visiteurs de venir regarder par un trou percé dedans.

C’était un cachot. Dans un coin, un prisonnier, un vieillard, était assis d’un air accablé.

Mab ayant demandé si Nono était dans ce couloir, le geôlier leur désigna une porte. Le cœur de nos amis battait bien fort à la pensée de voir enfin celui qu’ils cherchaient depuis si longtemps.

L’abattement était passé. De son petit air résolu, Nono se promenait dans son cachot, un peu comme un ours en cage, car ses chaînes ne lui permettaient pas de faire grand chemin. Mais les amis durent s’arracher de la porte, le geôlier les pressant d’aller plus loin.

Et il les fit pénétrer dans les jardins que les dignitaires de la prévôté s’étaient réservés, où ils faisaient cultiver pour eux, par les prisonniers, des fleurs et des légumes.

Puis, il les entraîna dans une cour où prenaient jour les meurtrières des cachots, et montra aux visiteurs un espace étroit où on permettait aux prisonniers de venir, une heure par jour, prendre l’air.

Hans fit quelques questions pour savoir quels étaient les cachots dont les meurtrières donnaient sur cette cour, car les détours dans la prison l’avaient désorienté. Et il eut la satisfaction, arrivé au pied d'une grande tour carrée qui dominait les autres bâtiments, de voir une lucarne grillée, à quelques pieds du sol seulement, que lui montra le geôlier, en lui affirmant, que c’était celle du cachot du jeune prisonnier.

Et Hans remarquait avec joie qu’il était situé au rez-de-chaussée. Il se rendit bien compte de sa situation, gravant dans sa mémoire les moindres détails, faisant la remarque de signes qui pourraient le guider, s'assura que la cour où ils se trouvaient n'était séparée de l’extérieur que par un mur d’enceinte, garni de sentinelles, il est vrai ; mais cela importait peu…

En montant sur la plate-forme de la tour, le geôlier ayant voulu leur montrer le panorama de la ville, il constata avec joie que la cour où donnait le cachot donnait elle-même sur une esplanade plantée d’arbres, que Hans connaissait bien, et qui était ordinairement déserte.

Le cœur des amis débordait de joie, car tous les trois, sans s’être rien dit, à cause du geôlier, avaient fait les mêmes remarques ; ils avaient hâte de sortir maintenant pour se communiquer leurs impressions.

Il n’y avait plus rien du reste à visiter. L’heure pour le geôlier de reprendre son service approchait. Les deux jeunes étrangers remercièrent leur pseudo-parent, et c’est avec un sentiment de soulagement qu’ils se retrouvèrent hors de la prison.

Ils eurent vite fait de se décider. S’ouvrir au geôlier était très aléatoire. On ne savait comment il prendrait la proposition.

Puisque la Taupe avait la facilité de creuser, peut-être pourrait-elle creuser une ouverture assez grande pour permettre au prisonnier de sortir. On la consulterait en rentrant, et si la chose était possible, on enverrait l’Hirondelle avertir Nono, avec une lime pour scier ses fers, et on tenterait l’entreprise le soir même.