Les Aventures de Nono/XXVI. Le Réveil

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P.-V. Stock (p. 361-370).


XXVI

LE RÉVEIL


Le cœur battait bien fort à nos amis lorsque, accompagnés de Penmoch, ils descendirent de leur mansarde, assez tard dans la soirée. Ils devaient retrouver l’Insoumis près de l’esplanade.

Consultée, la Taupe s’était fait fort de creuser en peu d’heures un souterrain assez grand pour faciliter la fuite du prisonnier. Aussi, n’avaient-ils pas hésité à donner suite à leurs projets. L’Hirondelle les suivait voletant.

Il était près de minuit lorsqu’ils arrivèrent près de l’esplanade où les attendait l’Insoumis. Il faisait un clair de lune magnifique. Cela gênait bien un peu nos conspirateurs, mais cela permit à Hans de distinguer la lucarne du cachot de Nono, en grimpant à un haut eucalyptus, et de la désigner à l’Hirondelle en lui remettant la lime qu’elle devait lui porter avec un mot d’avertissement.

Mais le fenêtre était fermée. Il s'agissait d'attirer l’attention du prisonnier, de lui donner l’idée de l’ouvrir ; elle se trouvait au-dessus de sa tête, dans le mur où il était enchaîné. Hans et Mab eurent l’inspiration de chanter une improvisation sur un de ses airs favoris.

Toujours par précaution, ils étaient sortis avec leurs instruments, poussant la conscience, en venant, jusqu’à aller jouer en quelques établissements sur leur chemin.

Assourdissant leurs voix, accordant leurs instruments dans le ton mineur, pour que leur chant allât jusqu'aux oreilles de Nono sans trop éveiller l’attention des sentinelles, ne leur arrivant que comme un écho éloigné, ils préludèrent à leur air favori en y adaptant ces paroles de circonstance :

A l'horizon le soleil fuit,
La nuit paraît ;
Tout est calme ; plus aucun bruit ;
L’oiseau se tait.
Dans les grands bois, tout repose.
Le cœur transi,
Désespéré, seul, je n’ose
Dormir aussi.

Aux premières notes, Nono qui s’assoupissait, rêvant à tous ceux qu’il aimait, fut aussitôt debout. Haletant, ravi, en extase, il écoutait frémissant, croyant reconnaître les voix des chanteurs.

Et l’Espérance, doucement portée par cette musique qui semblait flotter en l’air, pénétrait jusqu’à lui, le réconfortant de ses douces paroles ; pendant que par un mystérieux effet de son pouvoir magique, elle lui rendait la muraille transparente, alors que la lune éclairait le groupe de ses amis, sous un arbre.

Nono leur envoya des baisers ; mais lorsque leurs voix se turent, l’Espérance avait disparu, la muraille était redevenue sombre.

Anxieux, le prisonnier porta la main à son cœur qui battait avec violence, tendant l’oreille, dans l’espoir d’entendre encore.

Et la voix des chanteurs reprit, plus douce et plus grave :

Insensible à mes larmes,
Un faux ami,
Se riant de mes alarmes
Un jour s’enfuit ;
Et cependant l’Espérance
Me dit tout bas
Qu’il a gardé souvenance
Et reviendra.

Quand les chanteurs se turent, les yeux du captif étaient baignés de larmes. Il avait compris que ses amis étaient près de lui, à sa recherche. Imprudemment, il allait crier, les appeler, se faire reconnaître d’eux, lorsqu'un léger frappement sur le carreau de la fenêtre attira son attention. S’aidant des pieds et des mains, il atteignit la lucarne et ouvrit le châssis qui la fermait.

Une hirondelle pénétra portant en son bec un petit paquet qu’elle lui remit. C’était la lime qu’enveloppait une lettre où Hans lui disait de limer ses fers et de faire attention à ce qui se passerait autour de lui, d’écouter au sol, et de soulever, à l’aide de sa lime, la dalle sous laquelle il entendrait frapper ; de ne pas avoir peur, et de s’engager sans crainte dans le souterrain qui s’offrirait à lui.

Ce ne fut qu’un jeu pour Nono de se débarrasser de ses fers, tant la lime mordait bien.

Puis, après une attente qui lui sembla interminable, trois coups discrets furent frappés à une dalle. Il eut vite fait de la soulever, étant animé d’une force inconnue, et il découvrit un sombre boyau, assez large cependant pour lui donner passage en marchant à quatre pattes. Quelques instants après, il était dans les bras de ses amis, riant, pleurant tout à la fois. Même Penmoch qui, pas plus que la Taupe, ne fut oublié dans les embrassades, avait quelque chose comme une larme au coin de son œil si malicieux.

Mais Hans avait hâte de fuir. Sortant de sa poche le ballon que lui avaient remis les vers à soie, il le déploya, et la légère sphère d'étoffe se gonflant aussitôt présenta à nos amis une ouverture par laquelle ils pénétrèrent à l’intérieur. L’Insoumis, ayant voulu les suivre, y monta avec eux, après y avoir auparavant hissé la Taupe et Penmoch. L’Hirondelle avait ses ailes.

Et le globe s’éleva joyeusement dans les airs.

Mais tant d’émotions avaient tellement brisé Nono, qu’une fois à l'abri il tomba en défaillance. Il lui sembla que l'étoffe se dérobait sous eux, qu'il roulait dans le vide.

L'étoffe, que sa couleur « air du temps » rendait invisible, ne les empêchait pas de voir autour d’eux, et c’est ce qui donnait à Nono cette sensation.

Tout près, flottait l’étendard royal agité par le vent. Nono crut voir le vampire qui servait d’emblème à Monnaïus prendre son vol et fondre sur lui.

Il jeta un cri effroyable et tout tremblant,


ruisselant de sueur... il s’éveilla dans les bras

de sa mère qui essayait de le consoler, lui demandant ce qui avait pu troubler son sommeil.

Car notre pseudo-voyageur, qui s’était endormi la tête farcie de ses histoires, vous l'avez sans doute deviné déjà, venait tout simplement de rêver les aventures que vous venez de lire.

Encore tout haletant, Nono raconta les phases principales de son rêve.

— Gros bêta, lui dit sa mère, tu sais bien qu’il n’y a ni fées, ni sorciers, ni animaux parlants, sauf les perroquets et les pies qui ne font que répéter les quelques mots qu’on leur apprend.

Tu te casses la tête avec tes lectures, et c'est ce qui te donne le cauchemar.

Allons ! grand serin, rendors-toi, et ne pense plus à toutes ces niaiseries. Et en même temps, elle le caressait de bons gros baisers.

Mais le père, qui était survenu et avait écouté le récit du rêve d’un air attentif, prit la parole et dit à son fils :

— Ta mère a raison. Il n’y a pas de fées, il n’arrive jamais aucun événement sans que l’on puisse en expliquer les causes par des raisons naturelles. Mais tu sais que dans les livres de contes que l’on te fait lire, sous le récit d’événements merveilleux, on cache souvent une vérité, — ou que l’on croit telle — une leçon.

Et ton rêve, pour être d’un petit garçon de ton âge, me semble en contenir un très grand nombre qui échappent peut-être à ton entendement.

Si tu te le rappelles encore demain, je t’engage à l’écrire, tu le reliras plus tard en le méditant. Et sans doute, il t’aidera à connaître beaucoup d’injustices, beaucoup d’erreurs, que tu n’apercevrais peut-être pas autrement.