Les Aventures de Télémaque/Fables/26
XXVI. Chasse de Diane.
Il y avait dans le pays des Celtes, et assez près du fameux
séjour des druides une sombre forêt dont les chênes, aussi
anciens que la terre, avaient vu les eaux du déluge, et conservaient sous leurs épais rameaux une profonde nuit au milieu du jour. Dans cette forêt reculée était une belle fontaine
plus claire que le cristal, et qui donnait son nom au lieu où
elle coulait. Diane allait souvent percer de ses traits des
cerfs et des daims dans cette forêt pleine de rochers escarpés
et sauvages. Après avoir chassé avec ardeur, elle allait se
plonger dans les pures eaux de la fontaine, et la Naïade se
glorifiait de faire les délices de la déesse et de toutes les Nymphes. Un jour Diane chassa en ces lieux un sanglier plus
grand et plus furieux que celui de Calydon. Son dos était armé d’une soie dure, aussi hérissée et aussi horrible que les
piques d’un bataillon. Ses yeux étincelants étaient pleins de
sang et de feu. Il jetait d’une gueule béante et enflammée une
écume mêlée d’un sang noir. Sa hure monstrueuse ressemblait
à la proue recourbée d’un navire. Il était sale et couvert de
la boue de sa bauge, où il s’était vautré. Le souffle brûlant
de sa gueule agitait l’air autour de lui, et faisait un bruit effroyable. Il s’élançait rapidement comme la foudre ; il renversait les moissons dorées, et ravageait toutes les campagnes
voisines ; il coupait les hautes tiges des arbres les plus durs,
pour aiguiser ses défenses contre leurs troncs. Ses défenses
étaient aiguës et tranchantes comme les glaives recourbés des
Perses. Les laboureurs épouvantés se réfugiaient dans leurs
villages. Les bergers, oubliant leurs faibles troupeaux errants
dans les pâturages, couraient vers leurs cabanes. Tout était
consterné ; les chasseurs mêmes, avec leurs dards et leurs épieux,
n’osaient entrer dans la forêt. Diane seule, ayant pitié de ce pays,
s’avance avec son carquois doré et ses flèches. Une troupe de
Nymphes la suit, et elle les surpasse de toute la tête. Elle est dans
sa course plus légère que les zéphyrs, et plus prompte que les
éclairs. Elle atteint le monstre furieux, le perce d’une de ses
flèches au-dessous de l’oreille, à l’endroit où l’épaule commence.
Le voilà qui roule dans les flots de son sang : il pousse des cris
dont toute la forêt retentit, et montre en vain ses défenses prêtes à déchirer ses ennemis. Les Nymphes en frémissent.
Diane seule s’avance, met le pied sur sa tête, et enfonce son
dard ; puis se voyant rougie du sang de ce sanglier, qui avait
rejailli sur elle, elle se baigne dans la fontaine, et se retire
charmée d’avoir délivré les campagnes de ce monstre.