Les Aventures de Til Ulespiègle/LXXXVI
CHAPITRE LXXXVI.
laquelle Ulespiègle avait mis des mouches.
lespiègle ne fut pas en reste avec certain
Hollandais. Comme il séjournait pendant
quelque temps à Antdorf, dans une auberge,
il y avait là des marchands hollandais. Ulespiègle
fut un peu indisposé, en sorte qu’il ne pouvait
manger de la viande, et qu’on lui faisait cuire
des œufs à la coque. Comme les hôtes étaient à table,
Ulespiègle vint y prendre place, apportant ses œufs
à la coque. Un des Hollandais, qui le prit pour un
paysan, lui dit : « Comment, paysan, tu n’aimes pas
la cuisine de l’hôte ? il te faut des œufs à la coque ! »
En disant cela, il prit les deux œufs, les cassa l’un
contre l’autre, les avala, remit les coquilles devant
Ulespiègle, et dit : « Tiens, avale la coquille ; le
jaune n’y est plus. » Les autres hôtes se moquaient
d’Ulespiègle avec lui. Le soir, Ulespiègle acheta
une belle pomme, la vida, et la remplit de mouches,
puis il la fit cuire tout doucement, et la saupoudra
de sucre et de gingembre. Le soir, lorsqu’on se remit
à table, Ulespiègle apporta sa pomme cuite sur une
assiette, et quitta la table comme s’il voulait aller
chercher autre chose. Aussitôt qu’il eût tourné le
dos, le Hollandais saisit vivement la pomme et
l’avala. Tout de suite il se mit à vomir, et vomit tout ce qu’il avait dans le corps ; il se trouva très
malade, au point que l’aubergiste et les autres hôtes
croyaient qu’il s’était empoisonné avec la pomme
cuite. Ulespiègle dit : « Ce n’est pas du poison ; c’est
seulement pour lui nettoyer l’estomac, car à un estomac
glouton rien ne profite. S’il m’avait dit qu’il
voulait avaler cette pomme si goulûment, je l’aurais
averti ; car dans les œufs à la coque, il n’y avait pas
de mouches ; mais il y en avait dans la pomme,
et il faut qu’il les rende. Le Hollandais, voyant qu’il
n’y avait pas de danger, se rassura, et dit à Ulespiègle :
« Tu peux manger et cuisiner ce que tu voudras ;
je ne mangerai plus avec toi, quand même tu
aurais des grives. »