Les Aventures de Til Ulespiègle/LXXXVI

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Anonyme
Traduction par Pierre Jannet.
À l’enseigne du pot cassécoll. Scripta Manent, n°44 (p. 202-203).

CHAPITRE LXXXVI.


Comment un Hollandais mangea une pomme cuite dans
laquelle Ulespiègle avait mis des mouches.



Ulespiègle ne fut pas en reste avec certain Hollandais. Comme il séjournait pendant quelque temps à Antdorf, dans une auberge, il y avait là des marchands hollandais. Ulespiègle fut un peu indisposé, en sorte qu’il ne pouvait manger de la viande, et qu’on lui faisait cuire des œufs à la coque. Comme les hôtes étaient à table, Ulespiègle vint y prendre place, apportant ses œufs à la coque. Un des Hollandais, qui le prit pour un paysan, lui dit : « Comment, paysan, tu n’aimes pas la cuisine de l’hôte ? il te faut des œufs à la coque ! » En disant cela, il prit les deux œufs, les cassa l’un contre l’autre, les avala, remit les coquilles devant Ulespiègle, et dit : « Tiens, avale la coquille ; le jaune n’y est plus. » Les autres hôtes se moquaient d’Ulespiègle avec lui. Le soir, Ulespiègle acheta une belle pomme, la vida, et la remplit de mouches, puis il la fit cuire tout doucement, et la saupoudra de sucre et de gingembre. Le soir, lorsqu’on se remit à table, Ulespiègle apporta sa pomme cuite sur une assiette, et quitta la table comme s’il voulait aller chercher autre chose. Aussitôt qu’il eût tourné le dos, le Hollandais saisit vivement la pomme et l’avala. Tout de suite il se mit à vomir, et vomit tout ce qu’il avait dans le corps ; il se trouva très malade, au point que l’aubergiste et les autres hôtes croyaient qu’il s’était empoisonné avec la pomme cuite. Ulespiègle dit : « Ce n’est pas du poison ; c’est seulement pour lui nettoyer l’estomac, car à un estomac glouton rien ne profite. S’il m’avait dit qu’il voulait avaler cette pomme si goulûment, je l’aurais averti ; car dans les œufs à la coque, il n’y avait pas de mouches ; mais il y en avait dans la pomme, et il faut qu’il les rende. Le Hollandais, voyant qu’il n’y avait pas de danger, se rassura, et dit à Ulespiègle : « Tu peux manger et cuisiner ce que tu voudras ; je ne mangerai plus avec toi, quand même tu aurais des grives. »