Les Bains de mer/01

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Les Bains de mer
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 3 (p. 374-377).
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LES


BAINS DE MER.


I.

LA MAISON.


Sage qui tient son âme ouverte à l’avenir :
Hélas ! je vis d’espoir moins que de souvenir.
Mon chant mêlé de plainte est pour tout ce qui tombe
Je visite un berceau moins souvent qu’une tombe.
Ce que j’aime ira-t-il sous la commune loi ?
Verrai-je en mon pays, ô mon cher de Belloy,
Tout pâlir, les enfans au langage infidèles,
Et les men-hîr brisés pour les routes nouvelles ?
Je veux, poète ami, dans un vivant tableau,
Montrer le temps ancien devant le temps nouveau.

La maison du marin, dans la mer réfléchie,
D’une chaux vive et claire est récemment blanchie ;
Une vigne l’entoure, et devant l’humble lieu,
Son fils entre ses bras, est la mère de Dieu.
Malgré le poids des ans, brave encore et légère,
Voici comme un matin parlait la ménagère :

« — La chaleur est venue et la saison des bains ;
Mon mari, mes enfans, n’épargnons pas nos mains :

Mettez dans chaque lit une couche de paille,
D’un bel enduit de chaux recouvrez la muraille,
À défaut de richesse ayons la propreté,
Une maison riante et pleine de clarté.
Ceux que l’été conduit sur ces pauvres falaises
Dans leurs grandes maisons avaient toutes leurs aises :
À ces corps épuisés, à ces esprits souffrans,
Soyons hospitaliers… Enfin, pour être francs,
Cette saison apporte au logis une somme
Telle que nul filet n’en recueille, mon homme !
La dot de notre fille ainsi va s’amassant,
Et le fils a déjà gagné son remplaçant,
Pour Dieu, ne grondez plus ! Des moissons aux vendanges
Habitons le hangar, les étables, les granges ;
À d’autres la maison : quand ils seront partis,
Riches nous rentrerons, pauvres étant sortis. »

D’une voix qui commande, ainsi parlait la mère ;
Mais sombre était le fils et sombre aussi le père.

Avec leurs voiles verts, avec leurs feutres gris,
Arrive cependant de Nantes, de Paris,
Le monde des baigneurs. Assemblés sur la grève,
Ils contemplent les flots qu’ils n’avaient vus qu’en rêve.
Le grand spectacle emplit leur esprit et leurs yeux ;
Tous, jusques aux parleurs, deviennent sérieux :
Quel magique opéra, quelle ardente peinture
Devant toi ne pâlit, souveraine nature !

Chaque jour a sa fêté, et d’abord dans la mer,
Dans ces flots écumeux chargés de sel amer,
On se plonge, on reçoit les assauts de la lame,
Et le corps affaibli se ranime avec l’âme.
De nageurs se faisant apprentis matelots,
Ils suivent les pêcheurs au milieu des îlots.
Noirmoutiers à leurs pas ouvre son sanctuaire :
Moines qui blanchissez cet antique ossuaire,
Vous morts dans le silence et les austérités,
Que vous devez gémir de ces légèretés !…
Mais vous vous rendormez paisibles dans vos tombes
Au long roucoulement de vos sœurs les colombes. —
Visitant chaque îlot et leurs roches à pic,
Les barques vont ainsi tout le long de Pornic.


Dans les terres parfois de longues promenades
Emportent à grand bruit désœuvrés et malades.
Les dames, hardiment suivant leurs cavaliers,
Passent, brillans éclairs, à travers les halliers ;
D’autres, qu’a transportés leur calèche superbe,
Descendent et gaîment font un repas sur l’herbe,
Tandis que sur le bord d’un taillis, à l’écart,
Son album déployé, rêve un ami de l’art.
Au retour, les bains frais où vient trembler la lune,
Le bal sous les bosquets, le concert sur la dune,
Mille intrigues ; enfin, baigneurs, vous le savez,
Les plaisirs… et les maux de Paris retrouvés.

Quel est donc parmi vous, sous un chapeau de paille,
Ce porteur éternel d’un binocle d’écaille,
Tout de la tête aux pieds habillé de nankin,
Qu’une rime très riche a surnommé faquin ?

Oh ! le fils du marin et de la bonne hôtesse
À senti son esprit déborder de tristesse.
Il quille pour trois mois son logis, son bateau.
Adieu ! — Comme il passait sous les murs du château,
Trouvant le vieux recteur, il découvre sa tête ;
Puis, sa course reprise, à la fin il s’arrête
Près d’un immense amas de dôl-men renversés,
Énigmes pour nos temps, titres des jours passés ;
Là, tourné vers le port et sa maison natale,
Le jeune Gratien pleure, et son cœur s’exhale :

« Adieu donc, mon pays, puisqu’on n’y vit plus seul !
Enclos où dans ses bras me portait mon aïeul,
Église où tout enfant j’allais servir la messe,
D’où si léger, si pur, je sortais de confesse,
Adieu ! Mais, flots amers, nids des bois, prés en fleurs,
J’emporte vos parfums, vos chansons, vos couleurs.
Ah ! de loin j’aperçois ma barque et ses deux rames !
Demain avec un autre elle fendra les lames…
C’est une chose étrange en moi, cœur si chrétien,
Frère de tous, cherchant toujours quelque lien :
Tout, hors de mes amis, m’emplit d’inquiétude,
J’ai besoin du silence et de la solitude.
Bonheur de vivre seul et maître dans son bourg !
Tout le jour on travaille, et le soir on discourt

Attablés en buvant sur le seuil de l’auberge,
Puis chacun va dormir sous ses rideaux de serge.
Le dimanche, après messe et vêpres et sermon,
Les boules bruyamment courent sur le gazon.
Dans mon heureuse enfance ainsi vivaient nos pères :
Les fronts étaient joyeux, les mœurs étant sincères…
Oh ! par les citadins nos champs sont envahis !
Mais nos souliers ferrés vont-ils dans vos pays,
Hommes vains et légers, et vous, ces élégantes
Par qui nos libres sœurs deviennent des servantes ?
Ah ! si là, dans ce fond, j’en voyais un marcher,
Ma main ferait bondir sur ses pas ce rocher !…
Non, adieu. Dans mon cœur n’allumons point la haine,
Et de retour, Seigneur, à la saison prochaine,
Que, passant mon chemin sans me voir coudoyer,
Je retrouve la paix assise à mon foyer ! »

Il partait, mais Odette avait suivi son frère :
— « Vous me quittez, dit-elle, et vous quittez la mère ? »
Puis elle s’arrêta, triste, sur le chemin,
Attendant sa réponse : il lui tendit la main,
D’une larme il mouilla ce gracieux visage,
Et sans autre parole : « O ma sœur, soyez sage ! »

Il s’enfuit, et bientôt la poudre des sentiers
D’un nuage blanchâtre enveloppait ses pieds.

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