Les Baisers (Dorat)/Le Baiser deviné

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Les BaisersLambert, imprimeur rue de la Harpe, Delalain, rue de la Comédie Françoise Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 83-86).


LE BAISER DEVINÉ


 
Un soir d’été, quand l’astre de Vénus
Verse un jour doux sur les fleurs rafraîchies,
Joue à travers les rameaux plus touffus,
Et sert l’amour errant dans les prairies ;
Thaïs, quittant l’ombre de ses berceaux,
Court respirer l’air serein des campagnes,

Et va chercher ses folâtres compagnes
Qui l’attendoient sur le bord des ruisseaux.
Un jupon court, un air de négligence,
Sans les contraindre, ajoute à leurs appas ;
On s’entrelace ; on croit marcher, on danse ;
Sur le gason l’essain vole en cadence ;
Leur pied l’effleure, et ne le courbe pas.
Leur ame pure aux soucis est fermée.
Les sauts finis, on propose des jeux ;
Thaïs attache un bandeau sur ses yeux ;
Voilà Thaïs en amour transformée.
On fait silence, on s’approche, et soudain
Plus ramassé le cercle l’environne ;
Zémis imprime un baiser sur le sein,
Ciane au col, Rofire sur la main :
Chaque baiser tour à tour se moissonne,
Et ma Thaïs, qui se dépite en vain,
Doit deviner la bouche qui le donne :
Mais, qu’est-ce, hélas ! Que ce jeu si charmant,
Si l’on exclud les baisers d’un amant ?

Toujours le piége est près de l’innocence.
Je voyois tout, à travers un buisson ;
Et je voulois, dans mon impatience,
Cueillir aussi ma part de la moisson.
Mon sein palpite, et mon œil étincelle ;
Dans tous mes sens circule un feu nouveau :
J’avance et fuis, me résous et chancelle :
L’amour me dit : ose, et sois moi fidelle ;
Thaïs toujours n’aura point mon bandeau.
Je crois l’amour ; il m’applaudit de l’aîle,
Et je m’élance au milieu du troupeau.
L’éclair moins vîte a silloné la nue.

Belles de fuir ; moi de les appaiser.
Je joins Thaïs, et ma bouche éperdue
Brûle son sein par un triple baiser.
Thaïs se trouble, et ne peut s’y méprendre ;
Fille jamais n’en donna de pareil ;
Le cœur lui bat, son front est plus vermeil :
On l’interroge, et je crains de l’entendre ;
Elle est muette : un doux frémissement,
Ô ma Thaïs ! S’

élève dans ton ame ;
Elle s’allume aux rayons de ma flamme,
Et ton silence a nommé ton amant.
La nuit survient ; c’est un temps d’indulgence ;
Son voile sert ma crainte et ta pudeur :
Ta voix jura de punir mon offense ;
Mais le serment vint mourir dans ton cœur.
Contre mes feux tes compagnes sévères
Vouloient encor t’armer, en te quittant,
Te rappelloient ces baisers téméraires,
Et demandoient un exemple éclatant :
Chacune insiste, et chacune, en soi-même,
Forme des vœux pour que celui qu’elle aime,
Le lendemain, lui veuille en faire autant.