Les Bas-bleus/18

La bibliothèque libre.
Victor Palmé ; G. Lebrocquy (p. 225-236).


CHAPITRE XVIII

SOUVENIRS D’UNE COSAQUE[1]




I


La seule originalité de ce livre est dans le mot Cosaque. Les Cosaques n’écrivent pas tous les jours à Paris. Son seul succès a été le scandale. On y comptait bien. On l’avait calculé. Il n’a été écrit que pour cela. La femme qui l’a écrit,.. ou qui l’a inspiré est, — dit-on, — une vraie Cosaque, portant un nom cosaque, Madame Olga… je ne sais qui ! Si je ne sais qui s’écrivait Jenesayki, cela aurait assez l’air d’un nom cosaque, mais l’auteur a mieux aimé celui de Robert Franz. Ce M. Robert Franz, qui n’est peut-être personne, pourrait cependant être quelqu’un.

Qui ne le sait ? Il y a chez les éditeurs, au service des dames qui ne savent pas l’orthographe, des blanchisseurs qui se chargent du linge… douteux. C’est même de cette façon qu’on mit au blanc forcé, il y a plusieurs années, le linge des demoiselles Lola Montès et Céleste Mogador, qui, elles aussi, mais pour de plus joyeuses raisons que la dame cosaque d’aujourd’hui, eurent la fantaisie de publier leurs Mémoires… Seulement, si cet honnête M. Franz, avec sa préface admirative, mise à la tête du livre, pour nous apprendre que la dame cosaque, auteur ou muse de ce livre, au luxe et aux passions cosaques, est, après tous ses tapages de faste et de passion, réduite maintenant à la pauvre mansarde, où elle vit modestement, entre son piano et son lit de fer (je le crois de fer, effectivement), ce qui, par parenthèse, est très-peu cosaque ; si cet honnête et fort inconnu M. Robert Franz n’est pas, en pied, le blanchisseur de gros ou de fin de la Maison Lacroix et compagnie, mais simplement une invention, une forme littéraire, un procédé, employé pour faire mousser sans imprudence, ce livre-ci, je trouve, pour ma part, cette invention et ce procédé encore moins cosaques que le nom si tranquillement bourgeois et bon garçon de M. Franz. Les Cosaques peuvent tomber dans le Don et même s’y jeter la tête la première. Mais ici, nous tombons dans le pot d’encre de tout le monde. C’est du cosaque ratatiné… Quand on a les raisons que croit avoir la dame cosaque du livre de M. Franz, de déshonorer un homme, on le déshonore bravement, — à ses risques et périls, — en le nommant et en signant le déshonneur qu’on lui inflige… Certainement, dans nos idées, à nous, qui ne sommes pas Cosaque, cela ne serait ni très-noble, ni très-fier, ni, dans le cas présent, très-pudique ; mais cela serait effréné, sauvage, téméraire, à fond de train dans la vengeance, cosaque enfin ! puisque cosaque est la prétention et l’aigrette de ce livre ; tandis que, entre Robert Franz et M. X…, comme on dit, pour se dispenser de nommer l’homme qu’on traîne sur la claie et que tout le monde a nommé, on n’est plus qu’un bas-bleu, qui se venge en bas-bleu, et les bas-bleus ne sont pas des Cosaques ! Ils sont malheureusement de tous les pays !

Et voilà le reproche que je fais à ce livre tout d’abord, — sans préjudice des autres qui viendront après, — parce que les autres regarderont plus le temps où de pareils livres se publient, que la femme ou les femmes qui osent les publier…

Je ne suis pas assez niaisement pédant pour parler morale à une Cosaque qui fait sauter son désir, — comme son cheval, — par-dessus toutes les barrières, sous lesquelles les autres femmes, qui ne sont pas Cosaques, coulent parfois subtilement le leur. Elle me répondrait superbement que la morale n’est qu’une hypocrisie, si elle n’est pas la liberté (je m’épargnerai cette vieille guitare) ; mais je lui dirai et je lui répéterai la chose qui devra le plus la toucher : c’est que précisément, dans le livre qu’elle vient de lancer, elle n’est point aussi Cosaque qu’elle se vante de l’être ; c’est que la tournure qu’elle se donne, en commençant son livre, n’est pas du tout la tournure qu’elle prend, en le publiant. C’est qu’après l’avoir lue, cette femme indisciplinée qui ne relève que d’elle-même, — qui a l’ivresse et la folie du plus satané orgueil que le diable, auquel elle ne croit pas, mais à qui elle fait croire, ait jamais départi à une aimable femme, on n’a plus sous les yeux qu’une personne ou assez modeste, ou assez prudente, ou assez sournoise pour se mettre derrière le nom de M. Franz et faire des X comme un mathématicien, quand il s’agit de nommer les gens par leur nom, car il n’y a pas que son amant qui s’appelle X… dans ses Souvenirs. Là je ne reconnais plus la poésie cosaque sur laquelle j’avais compté. Je ne reconnais plus la fille de la race d’Ivan le Terrible, — cette fille qui s’annonçait si bien, — qui (dit-elle) aurait tué un jour, aussi simplement qu’on avale un verre d’eau, un de ses frères, si on n’avait pas oublié les pistolets des fontes de la selle, — parce qu’en sautant une rivière, il avait pu voir qu’elle avait eu peur… Quelle débâcle de caractère quand il s’agit d’un livre ! C’est bien la peine d’avoir toujours au poing la cravache de Lola Montès, pour finir prosaïquement par le parapluie de Sainte-Beuve !


II


Encore une fois, c’est la Cosaque promise dans le titre que je voudrais et que tout le monde voudra… C’est elle qui m’y fait faux bond et qui m’y manque, car une femme qui raconte publiquement ses amours n’est pas plus une merveille cosaque que française. En France, nous avons maintenant de ces femmes-là, qui les racontent très-bien avec tous les détails de la chose. C’est autorisé. Les critiques graves trouvent cela curieux et s’en pourlèchent… Bien avant même que la dame cosaque existât, l’homme qu’elle a aimé avec tant de furie, dit-elle, avait été aimé par des femmes non moins furieuses, qui n’étaient pas Cosaques, et l’une d’elles l’enleva, qui plus cosaque est !! Ni les attitudes et les volontés masculines, ni l’indépendance absolue qui se soucie de la réserve et de la pudeur comme d’un vieux jeton, et qui fait de la femme, si charmante autrefois, le plus désagréable inconvénient qui puisse tomber maintenant dans la vie d’un homme, ne sont des choses essentiellement cosaques. Le maniement des armes, les chevaux, le révolver, le poignard, la cravache non plus ! Tout cela est tombé dans les idées communes, même au théâtre ! Lola Montès, dont j’aime à faire planer la mémoire sur ce chapitre, car c’était une bonne fille au fond (quoique très-menteuse et elle s’en vantait !), Lola Montès, qui n’était pas Cosaque, a joué dans son temps de la cravache (c’était là sa spécialité) avec une exubérance qui divertissait toute l’Europe, et la dame cosaque en est beaucoup plus sobre. Dans son livre, si je m’en souviens bien, elle ne cravache que son mari : à tout seigneur tout honneur ! Mais elle a la modération, pleine d’un ancien bon goût, étonnant avec ses attitudes, de n’envoyer de cartel à personne, tandis que la femme la plus joliment blonde et ronde du bas-bleuisme contemporain (Mme Olympe Audouard) a, un jour, proposé un duel à un directeur de journal qui s’amusa beaucoup de cette bravacherie ! Tuer un homme endormi, après possession préalable, bien entendu, — une idée qui a passé dans la tête, et jusque dans la main de la dame cosaque d’aujourd’hui, car son poignard était déjà levé, quand l’homme menacé se réveilla ; — le tuer, cet homme endormi qui avait été à tant de femmes, pour qu’il ne fût plus à personne, n’est pas une idée d’originalité très-cosaque, mais du plus vieux, du plus usé et du plus plat romanesque de partout, à cette heure, sotte et folle, de ce beau monde civilisé !

Et son éducation n’est pas plus cosaque que sa personne, à cette Cosaque, qui, du moins, dans son livre, a perdu, à mon grand regret, sa nationalité ! Les livres qu’elle a lus, « qu’elle a dévorés d’une façon absurde », dit-elle dans un éclair de bon sens, rare dans sa tête, rare dans les têtes de tous les pays, — c’est Eugène Sue, Balzac, Dumas, George Sand, Michelet, qui l’électrise (ici le bon sens disparaît !), Buffon, Sur l’Homme, l’Histoire naturelle de Franklin, et certes tous ces gens-là ne sont pas des littérateurs cosaques. Elle a lu tout cela avec frénésie ; elle s’est bourrée de tout cela, entre deux juments, dans les écuries de son père, son cabinet de travail, — comme le premier jockey venu aurait pu, sans être Cosaque, y étudier, entre les deux bêtes qu’il étrille, une théorie imprimée de l’entraînement et du pansage ! Assurément, ici pas plus qu’ailleurs, je ne vois la couleur locale et cosaque à laquelle, avec son titre, je m’attendais. Et, de fait, donnez à la jeune fille que vous voudrez, Cosaque ou non, pour lecture et pour éducation, les Eugène Sue, les Dumas, les Michelet, les Sand et tous les propagateurs des gales modernes, vous verrez si vous n’obtenez pas identiquement les mêmes résultats moraux et intellectuels, qui brillent dans la dame cosaque en question. Vous verrez si vous n’obtenez pas les mêmes cosaqueries de conduite, si être cosaque, c’est être extravagant, ce que je ne crois point pour l’honneur de l’Ukraine ! Donc de la Cosaque que je rêvais, et qui aurait pu donner à ce livre, que tous les bas-bleus de France sont capables de confectionner tel que le voilà, un arome, un piquant, une nouveauté, un inconnu dont j’aurais fait beaucoup plus de cas que d’une vengeance d’écritoire, vous voyez si, même en cherchant, de cette Cosaque on trouve la moindre trace ! Excepté une chasse aux loups, racontée presque avec la rapidité du traîneau sur lequel la dame est montée et avec des nerfs auxquels je reconnais la vraie femme, je n’aurais pas, littérairement, le moindre détail cosaque à me mettre sous la dent ; et encore le petit cochon de lait que je n’y mets pas, et qu’en cette chasse où les chasseurs sont chassés, on traîne au bout d’un cordon, derrière le traîneau, pour exciter les loups, qui finissent par le dévorer, ce petit cochon me gâte cette scène cosaque, avec son petit air français. Le cochon de lait n’est pas un animal cosaque. Il est très-commun en France, — plus commun même que les femmes qui y racontent impudiquement leurs amours, quoiqu’elles s’y multiplient beaucoup. Pauvre cochon de lait, du reste, qui me fait l’effet d’un symbole, — le symbole du pauvre Monsieur, traîné par sa Cosaque qui se venge, tout le long du livre, devant tous les loups et tous les chacals de l’Europe ; devant tous ces envieux, féroces et bas, qui sont heureux d’avoir, — n’importe d’où il tombe, — un morceau de grand artiste, dans leurs sales gueules, à déchiqueter !

Le petit cochon de lait criait comme un beau diable de petit cochon qu’il était, au bout de sa corde, sous le museau des loups, qui le humaient comme leur dîner ; mais le Monsieur que la dame cosaque traîne dans le mépris et le ridicule, tout le long de son livre, criera-t-il ?… Telle est la question.


III


S’il criait, — quel joli tapage ! Vous rappelez-vous Elle et lui, un livre de Souvenirs aussi, et auquel le frère d’Alfred de Musset répondit par un autre livre… de Souvenirs encore, qui coupa le sifflet à la couleuvre qui s’était mise à siffler sur le tombeau du poëte et avait cru, de son venin, y laisser une tache immortelle ?… S’il criait aujourd’hui, le M. X… de la dame cosaque, qui sait ce que serait son cri ?… Criera-t-il ?… Les curieux, les commères, les friands de scandale, excités par ce premier, écoutent et en attendent un second ; mais moi, non ! Que m’importe ! Que m’importent, à moi, les querelles, les ressentiments, les vengeances de deux conjoints disjoints d’un mauvais ménage qui n’est plus, et dont, si je m’en rapporte au récit d’une femme qui n’est pas plus dans la vérité humaine que dans la vérité cosaque, je suspecte jusqu’à l’amour !

Car voilà le grand mot ! l’amour ! Aime-t-on, a-t-on réellement aimé, dans ce livre de Souvenirs, qu’un critique, qui croit un peu trop vite ce qu’on dit, appelait dernièrement les indiscrétions de l’amour ?… Les rares, les très-rares livres qui expriment l’amour, — l’amour pour le compte des cœurs qui les ont écrits, ont un accent sur lequel il ne peut y avoir ni méprise ni doute. Même dans les Lettres d’une religieuse portugaise, par exemple, à l’authenticité desquelles je crois cependant assez peu, il y a un accent… qui n’est pas plus dans les Souvenirs d’une Cosaque que la couleur locale et l’accent cosaque de son pays… Franchement, voyons ! la main sur la conscience, ce n’est pas parce qu’on s’est donnée à un homme ; parce qu’on s’est jetée à sa tête comme un projectile ; qu’on a pris la poste, du fond de la Russie, pour aller le prendre, lui, à Rome et qu’on l’y a pris, car le Don Juan ici, c’est Madame, — si on en croit Madame, — et Monsieur, c’est Mademoiselle Jocrisse, qui fait bien quelques petites façons mais qui enfin y passe, comme disaient gaiement nos pères ! — non, ce n’est point parce qu’on a fait tout cela, parce qu’on a vécu en plein ciel d’indiscrétions d’abord et en plein enfer d’indiscrétions ensuite, avec un homme moralement violé (drôle d’alliance de mots !), qu’on aime nécessairement, sincèrement, ingénument cet homme. Non ! non ! mille fois non ! Ce sont là, sans doute, des gesticulations expressives…, trop expressives même, mais qui ne prouvent rien de plus que l’envie de gesticuler ! La dame cosaque des Souvenirs peut très-bien n’avoir pas aimé son Monsieur X…, mais au ton de son livre, puisque personnellement je n’ai pas l’honneur de la connaître, je ne crois point qu’elle l’ait aimé, et je vais aller bien plus loin, je vais désespérer ses amoureux, je ne crois pas qu’elle puisse jamais aimer personne !

Ce qu’elle aime, c’est le bruit ! Par Dieu, oui, elle est musicienne, et c’est parce qu’elle est musicienne qu’elle est allée droit, — ou de travers, — à l’homme qui fait le plus de bruit avec sa musique en Europe depuis quarante ans ! Ni l’âge de cet homme, ni les cheveux blancs de cet homme, ni la robe de cet homme, qui n’est pas encore descendu complétement dans la soutane du prêtre catholique, mais qui s’est arrêté à moitié, dans la soutanelle de l’abbé romain, ni la vocation ou l’affectation ecclésiastiques de cet homme n’ont pu la retenir. Au contraire, ils l’ont excitée. Ils ont été une raison de plus pour se jeter à cet homme, qui, à lui seul, vaut un orchestre et qui joue de la réputation des femmes, comme de ses pianos qu’il éreinte ! Elle a voulu qu’il jouât sur la sienne un de ses plus retentissants morceaux. Cette femme, dont le cœur est dans les oreilles, qui adore le bruit, comme Pythagore adorait l’écho, voudrait faire du bruit à tout prix ; voudrait monter sur le bruit, sur ce vent que souffle la bouche des hommes, comme sur un hippogriffe préférable à tous les chevaux qu’elle a montés, cette écuyère ! Et comme elle aime à la folie ce souffle qui est parfois le scandale et quelquefois la gloire, pur ici et là infecté ! cet engoulevent de renommée a pris aujourd’hui le scandale, en attendant la gloire. Mais est-ce là le moyen de la faire venir ?


IV


Il en est d’autres qui valent mieux et qui sont peut-être à sa portée… On dit qu’elle a un grand talent de musicienne, — un vrai talent d’artiste, — et comme écrivain, — écrivain en français, — cette Cosaque n’en manque pas non plus. Elle a de l’expression. On sent le jet de l’écrivain dans ce style haché et hachant, rapide (c’est sa qualité), mais tendu, forcé, violent, audacieux et de parti pris, abracadabrant ! L’effet y est cherché et cela devait être, du reste, avec une femme de cette nature, amoureuse de tout ce qui résonne, et qui, parce qu’elle a été quittée par un homme, la belle affaire ! crie à nous briser le tympan !

Certes ! pour une femme qui joue à l’Alfieri, dans la première partie de son livre ; pour une Amazone de cette force, ceci est mesquin… de stoïcisme et même de vengeance ; mais c’est que faire du bruit, pour elle, vaut beaucoup mieux que de se venger ! Allez, soyez tranquille ! ce n’est pas elle qui jamais, comme certains sauvages, dans leur frénésie, aurait, avec ses dents, coupé sa langue pour la cracher à la face de son ennemi ; elle aime mieux la garder pour parler contre lui et faire des conférences, — car elle en fait, à ce qu’il paraît, ce qui n’est pas du tout équestre, du tout amazone, du tout Alfieri, du tout cosaque, — mais ce qui est parfaitement parisien, parfaitement bas-bleu, et parfaitement conforme au genre d’âme qu’elle a — une âme d’actrice, qui préfère à tout, à tous les amours comme à toutes les vengeances, les yeux des galeries et les applaudissements des parterres !

Oui, une âme d’actrice ! Voilà selon moi la meilleure explication à donner de cette Cosaque par trop décosaquée… Une âme d’actrice plus que de femme, ce qui n’est pas monstrueux du tout, quoique j’en aimasse mieux une autre… Une pareille âme a obéi à sa nature et suivi son courant, en s’affolant (même avant de l’avoir vu) d’un acteur comme elle, — d’un très-grand artiste j’en conviens, — mais du plus éclatant des saltimbanques, du fameux pianiste, au sabre hongrois qu’il a remplacé par le bréviaire. C’était presque fatal qu’elle s’en affolât… Aussi s’en est-elle affolée.

Il a été son sabre hongrois, à elle. Elle se l’est mis à la ceinture. Elle a moins vécu avec cet homme qu’elle n’a paradé avec lui. Elle l’a aimé pour l’effet plus que pour lui-même, comme elle veut s’en venger aujourd’hui plus pour l’effet que pour lui faire mal. Elle a mieux fait que de se monter la tête, elle s’est fait des têtes, comme on dit au théâtre, une tête d’amour d’abord, puis une tête de vengeance. Mais, au fond, elle n’est ni si Médée ni si Méduse que cela ; elle n’est pas si diablesse. Qui sait si, hors de son livre, elle n’est pas aimable et bonne enfant, comme de grandes actrices le deviennent après la représentation ?… Je ne dis pas que, dans son livre, elle en impose, mais je dis qu’elle y pose… Elle s’y peint en fer, et même en fer rouge ; mais c’est pour l’effet qui, avec cette femme de bruit, est du bruit encore, car l’effet c’est le bruit des yeux. Y a-t-il en définitive autre chose que du bruit dans son livre ?… Ce n’est qu’une fantasia arabe, fusil en l’air, poudre brûlée mais sans balles, pour le plaisir de faire du bruit ! Avec l’impétuosité, la fierté, le mépris à l’Ajax pour Dieu et les hommes, l’intraitabilité qu’elle y affecte, on s’attend à y voir surgir des tragédies et des catastrophes, et il n’y a que son mari de cravaché, ce qui n’est pas une grande catastrophe. En somme, nous n’avons pas à y déplorer de malheurs. Quand elle veut tuer son frère pour sa peine de l’avoir vue pâlir, les pistolets n’étaient pas dans les fontes de la selle. Quand elle lève le poignard sur M. X… endormi, — la lune était plus aimable : elle embrassait Endymion, — M. X… se réveille ! Plus tard, il est vrai, elle le menace très-nettement de lui brûler la cervelle, à M. X…, devant d’autres lettres de l’alphabet, mais elle ne la lui brûle point. Elle rapporte d’Amérique, pour l’empoisonner, un poison de première qualité, qui n’est point un vil poison de blanchisseuse, mais c’est elle qui s’empoisonne. Seulement elle prend du contre-poison immédiatement et se sauve ! Il n’y a d’empoisonné que son amour, de sorte que l’en voilà guérie, et que tout le monde sort en bonne santé de ce livre dont on peut dire, comme dans les lettres de faire part : La mère et l’enfant se portent bien !


V


Mais l’enfant mourra… et avant peu ! De pareils livres ne durent pas longtemps. Demandez-vous où est maintenant le Glenarvon contre Byron, et dans quel mépris est tombé Lui et Elle, et toutes les Elles qui ont écrit contre leurs Lui ! Je veux la mort de son péché, mais je ne veux point la mort de la pécheresse qui peut nous écrire autre chose que des pamphlets de cœur. Pamphlets, soufflets, camouflets, sottes choses ! Puisque nous avons de la fierté, il faut laisser tous ces extravasements et ces extravagances, odieux dans d’autres livres où des femmes déshonorent elles et leurs amants pour le seul plaisir de les déshonorer, tandis qu’ici on a au moins pour excuse l’abandon ! — l’abandon dans une société qui a exaspéré toutes les vanités de la femme jusqu’au délire de vouloir devenir des hommes contre les hommes, et qui, pour les consoler de ces abandons qui prouvent bien qu’elles ne sont pas des hommes, ces pauvres orgueilleuses, ne leur a même pas laissé Dieu !





  1. Chez Lacroix.