Les Bas-bleus/7
CHAPITRE VII
Mme DE GASPARIN[1]
I
Voici un livre mystérieux. Son titre se comprend à peine et il n’est signé d’aucun nom. La Critique littéraire, cette distraite trop souvent ou plutôt cette préoccupée, en avait dit, quand il parut, un mot en passant comme d’une jolie chose qui l’avait touchée, cette princesse ! Puis elle se tut pour reprendre avec son importance et son essoufflement ordinaires, l’examen de l’actrice en voyage et du vaudeville en vogue, la grande affaire pour le public français ! Nonobstant, le livre laissé là, qui est à peine une œuvre, se trouve être un chef-d’œuvre, de par une puissance bien plus rare encore que le talent. C’est un livre d’âme. Il ne fit d’abord aucun bruit et il méritait d’en faire un grand. Il fait mieux, du reste. Il fait au cœur et à l’esprit, — plus au cœur qu’à l’esprit encore, — une impression profonde qui y reste et qu’on y retrouvera, quand les livres à tapage seront oubliés. Il s’ancre en nous, et son charme est tel, à ce livre, que la Critique, cette vieille tête froide, presque enivrée, car l’attendrissement a ses ivresses, se met de la glace autour des tempes, pour convenablement en parler.
Les Horizons prochains ! En écrivant un pareil titre, que nous osons blâmer parce qu’il n’est pas clair, au front d’un livre qui est tout clarté, l’auteur a parlé, d’ailleurs, comme tant de mystiques, une langue intelligible pour lui seul. Les Horizons prochains rappellent par leur vague Les Torrents de Mme Guyon. Pour comprendre ces titres-là, chargés, comme d’électricité, de tant de significations secrètes, il faut avoir l’âme au diapason de celle qui écrit les Horizons prochains ! C’est une nuée, et l’on voit ce qu’on veut dans les nuées ! Est-ce de la politique menaçante ? Est-ce du socialisme pour ce soir ou de la morale pour demain ? Enfin une fatuité quelconque d’auteur qui se croit un prophète ? Eh bien ! non ! ce n’est rien de tout cela. Le titre de ce livre délicieux devient presque faux, quand il s’agit de le préciser. N’y croyez pas trop. Les horizons qu’il appelle prochains et qu’il entr’ouvre, sont lointains plutôt pour nos yeux et nos âmes, car ce sont les environs du Ciel.
Et l’écrivain qui les a décrits, ces horizons et ces environs, avec le sens et le goût des choses divines, qui est-il ?… Il a fait son livre comme une bonne action, et sa main gauche n’a pas voulu savoir ce que sa droite écrivait si bien. Il s’est caché sous les trois étoiles de l’anonyme. Ces trois vieilles étoiles si banales, si poncif, les voilà aujourd’hui de vraies étoiles, mystérieuses, brillantes et chastes, remplaçant le nom qu’elles ne disent pas par un symbole qui le traduit ! « Je ne le dirai pas devant vous, chastes étoiles ! » disait Othello en parlant de ce qu’il croyait un crime ; nous ne le dirons pas non plus devant vous, chastes étoiles, de ce que nous croyons une vertu.
Une femme seule a pu écrire ce livre et s’en cacher. C’est là deux mérites où un homme n’en aurait mis qu’un. Nous aimons, nous, que les femmes aient de la pudeur contre le succès et la gloire, et se voilent rougissantes, et par là plus charmantes, contre ces regards et ce jour. Mme de Staël a dit le mot, le fameux mot que tous les sots, depuis, ont fait tinter comme une clochette : « La gloire pour une femme est un deuil éclatant du bonheur. » Pour nous, c’est bien pis ; c’est une indécence. Mais l’auteur des Horizons prochains a eu la délicatesse du mystère. Ce n’est pas un bas-bleu, c’est un voile-bleu. C’est bien différent !
II
Et qu’elle n’ait pas peur ! Nous ne lui ôterons ni ne le dérangerons, son voile. Qu’elle le garde et qu’elle s’en entortille ! Nous parlerons d’elle comme si elle n’était pas dessous. Nous lui dirons mieux la vérité toute entière. Critique littéraire, de fonction, nous avons là précisément deux ou trois duretés dont nous voulons nous débarrasser. On est plus franc avec les femmes, quand on ne les regarde pas.
Nous avons dit qu’à ses qualités autant qu’à son voile, on reconnaissait l’auteur des Horizons prochains pour une femme. À ses défauts et aux faiblesses de son livre, on la reconnaîtrait pour telle encore, car elle y manque de ce qui manque à toutes les femmes, même à celles que le monde, toujours un peu séduit quand il s’agit de femmes, appelle galamment des génies, je veux dire de force constructive et de grande originalité. En ceci, l’auteur des Horizons prochains n’est pas plus littéraire qu’une autre femme qui écrit. Être original dans le sens profond du mot ; et, après l’avoir pensé, bâtir un livre dans la puissance équilibrée de son harmonie, voilà le signe de la virilité en littérature, et nulle femme ne l’a ni ne peut l’avoir. L’Histoire, sur ce point, ne nous donne pas de démenti.
Il y a bien, ici et là, quelques monstruosités en histoire, mais celle-là nous a été épargnée. Des femmes Homère, des femmes Sophocle, des femmes Shakspeare, ne s’y rencontrent pas. Vous y trouvez bien quelques Sapho qui y jettent un ou deux cris qu’on entend toujours, quelques âmes divines comme sainte Thérèse, qui a fait, elle, son saut de Leucade dans le ciel, mais le talent littéraire, dans son expression la plus haute, est bien plus que des émotions éloquentes, que de sublimes palpitations. Toujours Ève sortant du flanc d’un homme, la femme, cette réceptivité, comme ils disent en allemand, la femme n’est jamais que la réverbération de quelque chose, l’écho et le reflet de quelqu’un, et l’auteur des Horizons prochains n’a pas échappé à cette destinée. Il est resté le caméléon singulier qui prend toutes nos couleurs et nous les renvoie, mais qui a parfois l’heureux privilège de les concentrer, de les épurer, de les faire plus belles, en nous les renvoyant !
Ainsi, il procède de quelqu’un, ce charmant esprit qui vaut mieux que l’esprit dont il procède, et c’est ce qui frappe tout d’abord dès les premières pages de son livre. Ce talent, qui va peut-être tout à l’heure vous faire oublier, à force d’émotion, ses ressemblances et ses analogies, il semble que vous le connaissiez… que vous en ayez joui déjà. Ce n’est pas là une voix nouvelle, un timbre tout à fait inconnu. Seulement, c’est une voix qui s’est purifiée et qui monte dans un éther où jamais jusque-là on ne l’avait entendue. C’est la voix de cette autre femme qu’on appelle Michelet. L’auteur des Horizons prochains a en effet, dans le talent, la parenté la plus extraordinaire avec le talent de l’auteur de l’Amour. Cette parenté est-elle adoptive par l’imitation, l’admiration, l’étude ; ou est-elle simplement naturelle ? Mais elle existe et à un degré qui étonne, même quand on est le plus accoutumé à ces ressemblances de manière que l’histoire littéraire constate à chaque pas. Sans exagération, cela est prodigieux.
L’auteur des Horizons prochains a tout de Michelet. Elle en a la couleur, elle en a l’organisme de la phrase si svelte et si souple ; le tour, l’harmonie, la chute heureuse, la résonnance du dernier mot. Écoutez-la, vous vous y méprendrez : « C’est là, dit-elle, qu’on est bien perdu ; c’est là que s’exhalent de ces parfums sans nom, fraîches émanations de la terre, des vieux troncs, de la jeune feuillée. Vaste est la cage, l’ombre est toute pénétrée du soleil. Pas une brise, si ce n’est de temps à autre une bouffée, venue on sait d’où, qui soulève un peu la ramée, promène çà et là des senteurs plus suaves, puis tombe et vous laisse enivré. » Et ailleurs, après avoir peint la forêt et son monde de bruits, elle s’avance au point du fourré où il y a le calme. Le calme absolu. « Seul le coucou promène sa plainte de cachette en cachette. Elle arrive voilée. Le silence n’en est pas troublé. »
« Le martin-pêcheur, dit-elle encore, rase l’eau de son aile ; éclair bleuissant, il en suit le cours. » Le livre entier est de ce style, de ce pinceau, sans défaillance. On voudrait citer davantage ; l’espace manque, mais partout de la première page jusqu’à la dernière, c’est du Michelet qu’on croirait sincère, tant il est réussi ! Cependant, ne nous y trompons pas. C’est ici que l’auteur des Horizons prochains va gagner en s’élevant une originalité relative ; elle est un Michelet assaini, essuyé, clarifié, brillant d’une pureté que rien ne ternit et qui par ce côté écrase l’écrivain qu’elle rappelle et lui eût fait honte à lui, dont les dons étaient si beaux et qui en a tant abusé, s’il avait pu se regarder tel qu’il aurait pu être, dans ce miroir, tout ensemble faux et fidèle, taillé dans le diamant qu’il n’avait plus !
III
C’est par la pureté, en effet, c’est par l’immaculé de la pensée, l’adorable chasteté de la chrétienne, c’est par l’âme enfin, l’âme de la femme, que l’auteur des Horizons prochains l’emporte sur l’homme qu’intellectuellement, sans le vouloir ou le voulant, elle a subi ou accepté pour son maître. Comme toutes les femmes qui, dans le domaine de l’esprit, autant que dans la sphère du cœur, ne peuvent être jamais des grandeurs solitaires, elle a choisi son Seigneur par l’admiration, la lecture préférée, et elle a peint comme lui la nature ; et elle a écrit dans sa manière, mais, grâce à Dieu ! avec un sentiment qui est sa gloire, à elle, et que Michelet, le chrétien tombé, avait perdu.
L’auteur des Horizons prochains, cet esprit d’ange, et jamais ce mot n’a été plus vrai, est tellement chrétienne, qu’on dirait qu’elle l’était avant que d’être une âme, si cela n’était pas impossible. Protestante encore, comme, à plus d’un accord, son livre le révèle, mais catholique d’âme, catholique d’essence, faite pour venir à nous un jour, et si elle n’y vient pas, digne d’être de nous éternellement regrettée, elle a comme perdu sa personnalité de femme dans la profondeur de sa foi religieuse, et elle y a trouvé plus qu’elle ne pouvait y laisser, car l’ombre de Dieu sur notre pensée, vaut mieux que notre pensée, fût-elle du génie. C’est cette ombre de Dieu que l’auteur des Horizons a portée sur la sienne dans un livre qu’on peut classer plus ou moins haut comme production littéraire, mais qui, avant tout, pour celle qui l’a écrit, aussi bien que pour nous, est un acte, — un acte de christianisme, de consolation et de charité.
IV
Car c’est là que nous voulions en venir. Les Horizons prochains, à proprement parler, ne sont pas un livre. Ils n’ont pas de composition. C’est un album dont la rêverie d’une femme tourne les feuilles ; c’est un appel, sans ordre, à des souvenirs qui s’en viennent vers vous, un à un, évoqués par des paysages ; ce sont enfin les méandres d’une âme qui se replie sur elle-même, dans les mélancolies du passé. C’est dans des paysages, en effet, empruntés tous à la nature alpestre du Jura, probablement longtemps habité, que l’auteur des Horizons prochains a placé la scène de ces romans de courte haleine, dont il commence par nous dessiner la vignette.
Talent d’expression, non de composition, l’auteur des Horizons prochains est un conteur de la plus extrême simplicité ; ses Nouvelles (presque sans événements) sont plutôt des études de têtes sur fond de paysage qu’autre chose ; seulement le paysage est si exubérant et si foisonnant, et ces belles têtes pâles, mourantes ou malheureuses, y portent si bien ou le nimbe de la sainteté ou l’auréole de l’idéal, que l’effet qui résulte de tout cela va parfois, — malgré les ténuités de femme qui s’y mêlent, — jusqu’à la grandeur.
Aussi, l’attendrissement que nous causent ces simples histoires ne nous fond pas le cœur, mais nous le fortifie ; et c’est là la caractéristique de l’écrivain. Son livre vous pénètre, mais il ne vous dissout pas misérablement dans les larmes. Au contraire. Après l’avoir lu on se sent plus apte à vivre et plus disposé à accepter le calice d’amertume que nous tendent les Anges invisibles ! La sentimentalité est le sensualisme de l’âme, et l’auteur des Horizons prochains ne veut d’aucun sensualisme. Âme saine et vaillamment religieuse, elle cherche à exercer une influence meilleure que celle de l’art qui ne vise, lui, qu’à la beauté et à l’émotion, et cette influence, elle l’exerce, tout en produisant bien souvent l’émotion qu’elle ne cherche pas et en réalisant la beauté !
Il y a, en effet, l’une et l’autre, comme l’art les veut et les réalise dans ces histoires des Trois Roses, de la Tuilerie, des Sources, de Marietta, etc., — des Trois Roses surtout, le chef-d’œuvre du livre, dans cette variété de mourantes ; ces trois fleurs, d’un blanc si différent dans le lumineux et qui ne se fanent point pour mourir ! Mais cette émotion et cette beauté sont là comme par surcroît. La pensée de l’écrivain et son inspiration sont plus haut qu’elles.
Aimez Dieu et gardez ses commandements, dit le précepte, et le reste vous sera donné comme par surcroît. C’est l’histoire de la femme qui a écrit les Horizons prochains. Elle aime Dieu, avec quelle tendresse ! elle aime le prochain, avec quelle charité ! et elle a le reste, — le reste auquel elle ne tient peut-être que pour Dieu, pour le service de Dieu encore ! pour en faire un attrait vers lui ! L’auteur des Horizons prochains est évidemment une âme active, plus active que contemplative, quoiqu’il y ait de la contemplation dans tout peintre de la nature et de l’âme humaine. Or l’activité du cœur et l’ardeur de la foi poussent au prosélytisme ; et c’est ce prosélytisme embrasé d’une croyante qui voudrait partager le pain de sa vérité avec l’univers, qu’on respire dans ce petit livre, offert aux imaginations désoccupées dans un but que l’auteur est trop habile pour ne pas cacher !
Oui, le prosélytisme est le fond de ce livre, et en écrivant ce mot-là qui paraît bien gros en parlant d’une chose si finement touchée, nous avons dit le secret de celle qui l’a écrit. Cette femme n’écrit point pour écrire. Elle n’écrit pas pour l’honneur que cela rapporte aux femmes ; — à ses yeux, peut-être comme aux nôtres, un assez triste honneur ! Elle écrit pour entraîner les âmes du côté où elle croit la vérité. Pour nous, la vérité n’est certainement pas du même côté que pour elle ; mais les protestants ont encore de beaux fragments de ce que, hélas ! ils ont brisé ; et quand tout croule, pulvérisé par le rationalisme, une plume qui croit à la divinité de Jésus-Christ et qui la proclame, peut faire du bien à beaucoup d’âmes, et nous, catholiques, nous devons y applaudir et même y aider.
D’ailleurs, nous l’avons déjà dit, la femme des Horizons prochains est une âme catholique qui s’ignore. Elle n’a rien, du moins dans ce livre d’aujourd’hui, ingénu et fin, — ingénu de ton, mais fin de visée, — elle n’a rien de la raideur et de la sécheresse proverbiales qu’on attribue aux protestants. De nature, elle ne l’est point, si elle l’est de secte. Talent très-féminin, qui touche et qui sait plaisanter, et qui doit cacher une charmante femme, supérieure de sa personne à son talent, quand il y a tant de gens qui de leurs personnes sont plus petits, elle a l’enjouement, comme elle a les larmes, comme elle a le feu, — le feu sacré, l’étincelle pour l’encensoir. Assurément elle a dans l’esprit trop de grâce (c’en est une, en attendant l’autre) pour être jamais puritaine.
Lord Byron ne se serait pas moqué de sa sainteté, à celle-là, et qui sait ? peut-être aurait-elle ramené à Dieu le grand poëte. Lorsque dans ce livre, qui ne dogmatise pas, qui ne prêche pas, qui ne professe pas, elle fait, par hasard ou par habitude, un petit mouvement protestant, elle le rend si joli, par ce qu’elle y met, qu’on le lui pardonne. Ainsi, dans sa nouvelle intitulée l’Hégélien, la protestante s’échappe dans l’exhibition de la Bible qu’elle donne à ce beau capitaine, — rouge d’idées comme de barbe, — qui n’a plus que la religion de M. Hegel et qui se prépare à devenir un Robespierre, mais voyez ce qu’elle y ajoute !
« Je me risquai, dit-elle avec un petit roucoulement d’ironie qui lui sied, à faire une chose que le monde élégant trouve essentiellement ridicule, puritaine même, c’est tout dire ! Je pris mon livre des Évangiles et je le lui donnai. » Certes, le geste est protestant, mais la manière dont elle raconte qu’elle le fit, l’est-elle ? N’est-ce pas spirituel et de la meilleure plaisanterie ? Jamais, n’est-il pas vrai ? on ne croirait que la femme qui se moque ainsi du monde élégant avec une légèreté, pour le moins égale à la sienne, soit cependant de la même religion que miss Edgeworth ou Mme Necker ?…
V
Oui, elle en est. Mais en sera-t-elle toujours ? et sa nature donnée peut-elle rester protestante ? Ardente à Dieu, presque mystique, la femme des Horizons prochains n’en est pas moins de cet esprit aérien, mouvementé, épanoui, que le monde adore et qu’il appelle l’esprit du diable, — qu’il a tort de nommer ainsi, mais qu’il a raison d’adorer. Facultés contrastantes, électriques, multiformes, elle est vive comme Mme de Staël, mais non triste, car les êtres faits pour la lumière sont très-gais, telle nous la voyons aujourd’hui dans ses Horizons prochains et à travers son anonyme. En parlant du livre qu’elle nous tend du fond de son voile, ce que nous aurions désiré, c’eût été de donner une idée, à peu près juste, de cette aimable femme qui quête aux cœurs au nom de sa foi ; de cette sirène religieuse pour le compte de Dieu !
Dans tous les cas, lisez son livre. C’est un livre imparfait littérairement, mais d’une grande séduction d’accord, pour bien des âmes irrésistible ! Tout imparfait qu’il est, il renferme deux ou trois chefs-d’œuvre, gros comme rien, suaves comme tout. Nous avons cité les Trois Roses, mais les Trois Roses sont dans la teinte d’aurore familière à cette imagination qui se tient à la porte du Paradis, pour en recevoir les rayons. Dans une couleur plus sombre et plus terrestre, il y a un Pauvre garçon qui commence, net, cru et observé comme un conte de Crabbe, — qui se transforme et s’illumine dès que l’Évangile entre dans le grenier du scrofuleux, — puis finit brusquement dans une beauté vraiment tragique.
Il y a encore le Forçat dont le dénoûment est d’une réalité si profonde, et où vous trouvez ce que l’auteur ne cesse de mettre partout dans ses récits, du reste, — les délicatesses surhumaines de la charité. Lisez, enfin, ce livre exquis, mais qui n’est pas exquis à la manière des livres littéraires, car le charme en vient de la femme et de la nature.
L’auteur, nous l’avons vu plus fort, plus peintre, plus savant de touche dans Michelet, avant que Michelet eût dégradé sa palette ; mais ce que nous n’avons vu nulle part, c’est la tendresse infinie qui imbibe ces pages où l’esprit parfois étincelle ! Après cela, qu’importent quelques faiblesses ! La Vallière était plus touchante, de cela seulement qu’elle boitait !
VI
Il y a neuf mois à peu près que nous parvinrent ces Horizons prochains, dont l’auteur, qui est une femme connue par d’autres écrits, a fait le meilleur de ses titres, et qu’elle préfère à son nom. Ces Horizons prochains étaient, comme vous venez de le voir, un recueil de nouvelles d’un ton fort rare, dans la littérature contemporaine, car ce ton était celui d’une mysticité singulièrement émue, mêlée aux réalités extérieures d’une observation très-bien faite. Malgré les ressemblances de manière et des incertitudes de touche, les Horizons prochains étaient un vrai chef-d’œuvre tremblé, il est vrai, mais tremblé par une main exquise, et nous dîmes sincèrement, — si on se le rappelle, — et les débilités (presque charmantes) du chef-d’œuvre et la beauté pure de la main. Aujourd’hui, l’auteur des Horizons prochains vient de nous donner des Horizons encore. Ce sont les Horizons célestes qui ont bien mérité leur nom. Ils sont à leur tour un chef-d’œuvre non tremblé, mais appuyé plutôt. La main qui les a tracés s’est affermie. L’indécision a disparu dans la lumière, et l’originalité a jailli, nette, du fond lumineux !
L’auteur des Horizons célestes n’est plus que lui seul. Dans ces premiers Horizons il avait trop lu Michelet. C’était son Satan littéraire. Eh bien ! ce Satan est maintenant vaincu. Il n’induira plus dans la tentation de sa forme un esprit qui péchait contre soi-même, en l’imitant, car toute imitation est un péché et un triste péché, le péché des faibles en littérature. Or l’auteur des Horizons célestes est devenu fort, en ces neuf mois qui suffisent à créer la vie. Comme un aigle qui se serait pris dans un rayon de miel, et qui se dégage de toute cette glu d’or, d’un coup d’aile, il s’est séparé de toutes les influences de la terre et il est monté d’une aile essuyée jusqu’au niveau de son sujet.
Et ce sujet-là est très-haut. Plus haut que jamais à cette heure où nous vivons bas, les mains, le cœur, le front, occupés et plongés dans les plus viles poussières. Quel temps pour parler de la vie future ! car ce sujet n’est rien moins que la vie future et le secret de notre destinée éternelle. Mon Dieu, oui ! Tout cela pour nous, et que cela pour tant d’autres, mais vous n’y trouverez pas autre chose. Vous n’y trouverez que ce sujet où il s’en va du tout, disait cet imbécile de Pascal, et qui n’est pour les nombreux hommes de génie de ce temps-ci qu’une assez piètre rêverie. Vous n’y trouverez que ce problème résolu de la vie future, pressentie, et nécessitée par la misère de la vie actuelle et par la lettre, la lettre même des promesses divines.
Or qui dit promesses divines, entend la foi. Nous sommes donc en plein mysticisme, diraient les philosophes, et c’est vrai, nous y sommes dans ce livre. Mais celle qui l’a écrit n’a pas peur de ce mot, méprisé par la raison. Dans les Horizons prochains, le mysticisme de l’auteur des Horizons célestes n’était qu’une douce lueur entre ciel et terre et qui ressemblait à une aube, le point blanchissant qui s’est enfin étendu, comme le jour, sur sa pensée, un jour si plein maintenant qu’il ne grandira plus !… Mme de Gasparin… nommons-la ! car l’incognito du talent est impossible, et le voile qu’elle avait mis sur le sien a été levé… Mme de Gasparin est une chrétienne qui n’écrit que pour des chrétiens, et ce n’est pas moins pour tout le monde, car son livre est bien capable d’en faire naître ; mais n’y eût-il dans ce livre divinisé par le sentiment chrétien que l’imagination humaine où il y a le génie des plus saintes croyances, qu’il faudrait admirer encore le poëme touchant et sublime que l’imagination aurait composé avec les idées de la foi !
D’autant plus grande, cette poëte qui s’ignore, abîmée dans l’humilité et le flamboiement de sa foi, qu’elle ne veut pas l’être, — qu’elle ne pense pas une minute à l’être, pas plus qu’elle ne pense à la science, à la sûreté de sa divination, vraie pour elle, mais qu’elle ne donne pas comme l’éclair fixé de la certitude. Le grand cœur qui seul est évident ici, le grand cœur à qui la douleur de la vie mortelle a expliqué la vie d’après la mort, n’a pas plus voulu être poëte que la tête qui a déduit de telles espérances des faits et des paroles de l’Évangile ne veut être théologienne. Répète-t-elle assez de fois qu’elle ne l’est pas, dans son livre !… Elle a raison. Il ne faut pas qu’on s’y méprenne, et certainement on s’y méprendrait.
Mme de Gasparin a marqué des signes d’un protestantisme trop ardent et trop déterminé les précédents écrits que nous avons d’elle pour qu’on ne suppose pas, dans une de ses publications, une intention de théologie au compte et au profit de son Église, et ici, qu’on le sache bien, cette intention n’existe pas. Dans l’auteur des Horizons prochains et des Horizons célestes, la chose sèche, arrêtée, définie, ergoteuse, qui est la protestante, se fond et se perd de plus en plus en ce dissolvant de feu qui est l’amour de Notre Seigneur Jésus-Christ, et nous espérons bien qu’elle s’y consumera tout entière. Aujourd’hui, ce n’est encore qu’une âme chrétienne qui dit simplement, sincèrement, mais passionnément aussi, tout ce qu’elle pense et ce qu’elle croit. Seulement, même pour nous catholiques, ce qu’elle dit est puissant et beau !
Pour ma part, j’ai vu peu de choses sentimentalement aussi belles. J’ai peu vu de ces langages, inouïs d’ardeur, de mouvement, d’aspiration, d’expression inspirée, poignante, navrée ou héroïque dans la douleur et dans l’amour ; j’en ai peu vu de pareils, même dans les livres, religieux ou profanes, qui passent pour les plus passionnés, pour les plus chauffés au feu des brûlantes larmes humaines. Je n’ai rien entendu de plus déchirant d’abord et de plus consolant et de plus fortifiant ensuite que ce livre qui commence par des cris et qui finit par des cris encore, car l’Alléluia des Saints dans le Paradis est un cri !
VII
C’est une conception du Paradis, en effet, et c’est sa raison suffisante, que ce livre des Horizons célestes. D’une simplicité toute féconde, cette conception a du moins pour elle l’innocence, si elle n’a pas le réel de la vérité. L’Église, en laquelle nous croyons, nous ; l’Église qui a tiré le voile du mystère sur le bonheur réservé à ses Justes, n’a pas défendu, que je sache, à l’imagination des hommes de se figurer cette félicité des élus, pourvu qu’on n’altérât jamais la pureté sans tache de cette félicité divine.
L’Église a laissé faire au Dante son rêve immense et elle a souffert dans son sein ces autres poëtes, appelés mystiques, qui souvent ont été des Saints, et qui, eux aussi, ont cherché à percer le ciel de leur regard et à voir ce qu’il y avait derrière cette éternité éblouissante ! Eh bien ! ce que l’Église nous permet à nous, une femme qui n’est pas de notre communion, — une glaneuse libre de vérités ; privée, hélas ! du bonheur de sentir le lien de l’orthodoxie autour de sa gerbe mystique, qui peut se rompre tout à l’heure et s’en aller, comme les épis au vent, à l’erreur, — Mme de Gasparin l’a fait, comme elle s’en croyait le droit, et le Paradis qu’elle a vu, comme Dante a vu le sien, est, autant que celui du Dante, une vision chrétienne ; mais splendide encore plus d’intelligence et de pureté que splendide de sa splendeur même. La vision de la simple femme doit, à ce qu’il semble, étancher mieux que la création du génie, la soif dévorante de connaître, qui prend la créature raisonnable et immortelle devant le mur de son tombeau !
C’est que l’auteur des Horizons célestes a peut-être plus senti la vie que Dante lui-même, et plus senti aussi la consolation et l’espoir enfermés dans le mystère de la Croix ! Sombre Maudissant, si ce n’est un Maudit, Dante m’a toujours produit l’effet d’un inconsolable. Il rallumerait la foudre éteinte — avec son cœur — qu’elle aurait frappé. L’âme d’une femme, inférieure à la sienne par ce qu’on appelle le génie, peut bien avoir sur l’âme du Dante la supériorité de la douleur et de l’amour. Oui, une femme dont nous ne savons pas l’histoire, et qui l’a gardée dans les chastes parois de sa poitrine, tandis que, comme un pélican, Dante entr’ouvrait la sienne pour nourrir de ses souffrances, l’univers avide et charmé, a peut-être plus aimé Dieu et plus cruellement éprouvé la vie que cet aigle muselé si fièrement contre la douleur ; et voilà pourquoi le paradis qu’elle a vu, dans ses intuitions ou ses rêves, nous paraît à nous, qui n’avons pas les superbes et amères consolations du génie, mieux fait pour des hommes et des âmes chrétiennes, et nous paraît, comme à elle, meilleur et plus vrai !
VIII
Car elle a osé, l’humble femme, repousser le ciel inventé par le Dante, de toute la force de son âme chrétienne ; de toute la force d’une âme que cette vie mortelle a trompée, mais que la vie future doit venger. Dans ce livre modeste et hardi, tout à la fois, des Horizons célestes, il est un passage d’une audacieuse nouveauté intitulé : « du Paradis qui ne fait pas peur, » et dans lequel le Paradis du Dante ne tient pas plus sous le regard de la femme, qui en veut un taillé à la mesure de son âme, que les plus vulgaires notions de ces paradis légendaires qui préoccupent depuis des siècles l’humanité, cette grande songeuse.
Ici, ce n’est plus la moquerie incrédule qui se rit de ces idées du ciel, tombées d’en haut, montées d’en bas ; c’est la foi, c’est la volonté, c’est l’esprit, c’est tout l’être humain qui se révolte et se cabre devant ces imaginations naïves ou laborieusement combinées qui n’offrent rien que puisse éteindre et dont puisse jouir ce quelque chose qui s’appelle le moi, dans sa plénitude impérieuse ! Ce qui distingue l’auteur des Horizons célestes de tous les grands inventeurs chrétiens, c’est que le paradis de sa pensée est le paradis du moi intégral, de ce moi qui a aimé et qui a vu mourir ce qu’il aimait, et qui ne veut pas accepter la notion affreuse d’un ciel terrible où le moi serait mutilé dans son bonheur même.
Selon nous, rien de plus courageux et d’un accent plus inconnu, dans la littérature religieuse, que cette critique de tous les paradis chrétiens, depuis celui du Dante, avec ses orbes éternels, inexorables ; gouffres et tourbillons de lumière, qui nous épouvante, jusqu’aux « têtes d’anges empilées, » le Ciel des légendes populaires, dont la monotonie ennuie ; rien de plus surpris dans le cœur de l’homme, de plus accouché du fond des âmes. Par cela même que ce cœur qui aima ne comprend pas un paradis sans l’éternité de ses affections terrestres, il ne le comprend pas sans mémoire, sans identité personnelle, sans tout ce qui constitue l’âme entière.
« Dieu, dit intrépidement Mme de Gasparin, veut l’homme armé de toutes pièces. Si vous mutilez mon être moral pour rendre à Dieu la tâche aisée, Dieu refusera de telles facilités. » Ni le repos promis par les uns, ni la contemplation immobile dans la lumière, décrite par les autres, car, le repos, « c’est l’oubli du passé, l’effacement de tout, excepté de l’ardeur présente, éternelle, identique, » ne peuvent satisfaire l’âme exigeante qui veut vivre dans les cieux avec des intensités plus grandes que celles de la terre, et qui demande au Paradis un Dieu personnel à aimer de toute l’énergie de sa personnalité à elle-même. « Le paradis de mon Dieu, dit-elle éloquemment après avoir traversé ces paradis qui ne lui paraissent que des ombres et des effacements spirituels, le paradis réel de mon Dieu ne ressemble pas à ceux-là ! J’en connais les bords, et de ces bords émergent tant de clartés ardentes, que mon cœur brûle en moi. Son paradis, je m’y retrouve perfectionnée, sanctifiée, avec mon âme, avec mes affections, avec tous mes souvenirs. Son paradis, oh ! qu’il est plus simple et plus splendide à la fois, plus grand et plus voisin de moi ! la vie dans le définitif, l’individualité dans l’harmonie ! »
IX
Certes, de telles idées n’ont pas la rigueur d’un enseignement. Nous le savons. Mme de Gasparin nous a suffisamment prévenus. Ce ne sont là que des inductions sublimes, des désirs qui s’élèvent de la coupe d’un cœur embrasé ; mais qui sait, disait profondément le vieux Gœthe, qui n’était pas toujours profond, si le désir n’est pas le pressentiment du possible ? Seulement, intuition dans le vrai ou erreur sans inconvénient, il faut avouer que l’âme qui projette ces idées est d’une énergie de personnalité incomparable ! C’est là ce que la Critique est tenue de constater. L’auteur des Horizons célestes, en transbordant la vie de la terre et de la mémoire dans les délices du sein de Dieu, l’auteur des Horizons célestes nous a donné un livre de la sensibilité humaine et même chrétienne la plus profonde et la plus tendre ; un livre dont tous ceux qui aimèrent voudraient partager l’illusion, s’il y a illusion, et qui leur rapprendra les larmes.
À une époque où les philosophes étouffent la double personnalité de Dieu et de l’homme dans le je ne sais quoi bête de la substance, avoir essayé de montrer que la notion même du paradis, pour n’être pas incompréhensible, était obligée de se construire de la personnalité de Dieu et de l’homme en présence, sans diminution, ni retranchement de la créature par son créateur, est un mérite certain, mais relatif, tandis que faire une étude animée, haletante, d’une prodigieuse éloquence et pénétration sur l’âme humaine, est dans tous les temps, un mérite absolu. Voilà l’histoire de Mme de Gasparin. À sa manière elle a fait plus sur la question de personnalité divine que beaucoup de philosophes ; que M. Émile Saisset, par exemple. (Voir le Ier volume des Œuvres des Hommes, Philosophes et Écrivains religieux, Ire série.) Ce n’est pas tout. Une grande moraliste, une des moralistes les plus pathétiques, les plus renseignées de douleurs, est au fond de cette rêveuse chrétienne, qui en nous donnant à son tour sa poésie sur le Ciel, y mêle les réalités saignantes de la vie ; amer charme de plus !
Personne n’a mieux fait qu’elle l’histoire ironique et vraie pourtant de la consolation humaine ; personne n’a levé une empreinte plus poignante du cœur déchiré par la mort et resté seul dans la vie. Mme de Staël, dans son livre d’un sensualisme noir, intitulé de l’Influence des passions sur le bonheur, a aussi un chapitre sur la séparation par la mort, et Mme de Staël est aussi une grande âme et une enivrée de ses larmes ; mais comparez ce cruel chapitre aux pages adorables de Mme de Gasparin, et vous aurez mesuré la distance qui sépare la femme pieuse de la philosophe, même pour le bien qu’elles font à l’âme avec un livre, toutes les deux !
Tel est réellement le céleste pouvoir de l’auteur des Horizons célestes. Elle fait du bien à l’âme. Elle sait toucher aux cœurs brisés. Elle les brise même parfois, mais elle les guérit de leurs brisures en leur faisant partager ses religieuses espérances. Nous l’avons indiqué déjà. La donnée du livre de Mme de Gasparin est des plus simples. C’est avec la parole de Dieu qui a promis une récompense à ses fidèles, la nécessité d’un paradis qui soit la divinisation des affections où notre cœur se résuma pendant la vie et dont la sensibilité doit être éternelle.
Voilà le cercle dans lequel, pour ainsi dire, ce cœur qui ne veut pas mourir renferme le Dieu dont elle exige l’immortalité. Cela est presque naïf, mais d’un autre naïf que celui du Fiesole, le peintre de paradis. Ce n’est plus du naïf de moine, mais de femme ; et que le sentiment qui anime tout cela, qui féconde tout cela, a de force ! Comme la plupart des mystiques, — et des mystiques libres qui vagabondent sur le terrain sans assiette de l’examen individuel, — la femme des Horizons célestes peut aberrer ou aller trop loin dans la lettre même de son ouvrage, mais elle doit être pardonnée pour la pureté de ses motifs et la beauté de ses affections. On n’est pas accoutumé à entendre de tels accents dans l’Église dont elle est la fille.
Et même ailleurs, — rendons-lui cette justice, puisqu’elle n’est pas avec nous, et précisément parce qu’elle n’est pas avec nous, — on a rarement aimé Dieu mieux qu’elle. Il y a un rayon égaré de l’âme de sainte Thérèse dans cette protestante que la personnalité divine de Notre Seigneur Jésus-Christ transporte, mais c’est une sainte Thérèse comme le protestantisme peut en faire des plus grandes âmes qui naissent dans son sein. C’est une sainte Thérèse restée dans la famille, répandant à pleins bords sur ses parents, ses enfants, ses amis, ce cœur si généreusement intraitable, qui ne veut rien sacrifier de ses affections ; mais ce n’est pas l’héroïque vierge d’Avila, avec la circoncision austère de son cœur par amour de l’Époux Unique et ses trente monastères derrière elle ! La beauté humaine cède ici devant la beauté surnaturelle, et on a jugé par le contraste entre une religion qui produit des Saintes comme sainte Thérèse et celle qui ne fait d’une âme, naturellement propre à tout ce qu’il y a de plus grand, rien de plus peut-être que la femme la plus méritante du protestantisme contemporain, et certainement le cœur le plus vaillant qui y ait jamais palpité !
X
Je l’ai déjà dit une première fois, à propos des Horizons prochains, la femme qui écrivait ces choses où l’amour de Dieu s’élevait déjà à une passion inconnue à tant d’âmes qui croient l’aimer pourtant, appartient de toute éternité, à nous autres catholiques, qui avons la vraie religion de l’amour ! Mais, je le dis bien plus haut après la lecture de ces Horizons célestes où l’amour déborde et submerge tout, la femme, la religieuse femme qui a écrit ceci, qu’a-t-elle qui la sépare de nous ? Comme nous, elle adore Jésus-Christ ; comme nous, elle croit à la prière, à la toute-puissante efficacité de la prière, et à la rédemption du péché par le sacrifice.
Quand elle est le plus protestante, dans ce livre qu’elle publie aujourd’hui, elle prend la lettre des Écritures et l’invoque et la cite avec une simplicité d’enfant, au lieu de la torturer pour y chercher l’esprit qui n’y est pas, comme tant de protestants dans leurs gloses orgueilleuses. Il n’y a donc plus qu’un rien qui la sépare de nous, mais ce rien restera-t-il donc tout pour elle ?… Elle qui sait aimer Jésus-Christ, ne sera-t-elle pas tentée par ce qui doit ravir les âmes comme la sienne, qui comprend tous les plus violents miracles de l’amour ? Ne sera-t-elle pas tentée par cette grande et mystérieuse possession du corps et du sang de Notre-Seigneur par le moi, et, pour parler comme elle, le moi tout entier !… Elle qui a voulu nous donner une idée du paradis qu’elle rêve, au lieu de nous en écrire un livre et un à peu près comme aujourd’hui, n’en fera-t-elle pas un jour descendre, avec l’hostie sainte, le sentiment complet dans son cœur ?
- ↑ Les Horizons prochains (Sans nom d’auteur). — Les Horizons célestes. — Chez Lévy.