Les Belles-de-nuit ou Les Anges de la famille/Tome V/4

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Méline, Cans et Compagnie (Tome Vp. 65-82).


XX

la vengeance de penhoël.


Le matin de ce jour, pour la première fois depuis deux mois, des regards étrangers avaient pu mesurer l’affreuse misère du grenier où se mouraient les anciens maîtres de Penhoël.

Jusqu’alors, le secret de ce dénûment absolu et de cette mortelle détresse avait été surpris seulement par les deux filles de l’oncle Jean.

Madame Cocarde, la principale locataire, qui montait parfois l’escalier roide avec sa robe de satin et son bonnet aux rubans couleur de feu, pour demander le pauvre loyer du taudis, avait connaissance officielle de cette lugubre agonie ; mais la petite femme ne se mêlait point des affaires d’autrui. En descendant du grenier, où la faim torturait toute une famille, elle s’asseyait à sa table solitaire et mangeait avec cet appétit concentré des amoureuses en retraite.

Madame Cocarde eût appris que ces malheureux locataires étaient décidément morts de faim, qu’elle n’en eût pas perdu la moindre bouchée.

Il avait fallu que le hasard donnât l’éveil à un voisin charitable.

Le matin même, on était monté dans le grenier de Penhoël, et tout d’abord, on avait transporté à l’hôpital le pauvre père Géraud, qui s’en allait lentement dans l’autre monde, sans autre maladie que l’épuisement et la famine.

Car, depuis que sa faiblesse l’avait cloué sur le matelas, le vieil aubergiste refusait obstinément de manger, pour ne point diminuer la part de pain de la pauvre famille.

En se retirant, le voisin, qui emmenait Géraud à l’hôpital, mit sur le coin du matelas un petit écu de trois livres.

Il était pauvre aussi et ne pouvait faire davantage.

Dès que le matelas fut vide, René de Penhoël se glissa sur ses mains et ses genoux dans la poussière, afin de prendre la place encore chaude du malade. Il trouva l’écu de trois livres et le glissa furtivement dans sa poche.

Sa face hâve et comme pétrifiée eut un sourire idiot.

Madame était toujours assise à la place où nous l’avons vue la veille. Ses deux mains se croisaient sur ses genoux. Elle s’appuyait à la muraille et demeurait immobile. Sa figure amaigrie était si pâle qu’on aurait pu croire que la vie l’avait abandonnée.

L’oncle Jean était à genoux auprès d’elle et la contemplait en silence.

On frappa à la porte du grenier. L’oncle en sabots pensa que c’était le voisin qui revenait.

— Entrez…, dit-il.

La porte s’ouvrit, et un homme, portant le costume de velours râpé des commissionnaires, entra.

Il regarda tout autour de lui d’un air étonné.

— C’est ici que demeure M. Jean de Penhoël ?

— Oui…, répliqua l’oncle c’est moi qui suis Jean de Penhoël.

— Alors, reprit l’Auvergnat, c’est à vous que je dois donner cette lettre.

Puis il ajouta tout d’un trait, pour avoir le droit de s’échapper, car la vue de cette misère lui chargeait le cœur :

— Il n’y a pas de réponse et la commission est payée… Salue bien, messieurs et madame !

Il sortit brusquement ; on l’entendit descendre l’escalier quatre à quatre.

L’oncle avait entre les mains la lettre que Robert avait tracée à la hâte chez un écrivain public du faubourg Saint-Honoré.

Cette lettre disait en substance :

« Vous avez du courage, vous aimez madame Marthe, et vous êtes désormais le seul gardien de l’honneur de Penhoël.

« Blanche, votre nièce, est entre les mains d’un homme riche et puissant… si puissant et si riche qu’on n’aurait point raison de lui en s’adressant à la justice humaine.

« Vous avez été soldat, et vous êtes gentilhomme.

« Le personnage dont on vous parle est un Anglais du nom de Berry Montalt ; vous le rencontrerez au Cercle des Étrangers, rue Saint-Honoré, n°…

« Pour être introduit au Cercle, le meilleur passe-port est le nom de Berry Montalt lui-même. »

Tandis qu’il lisait, Marthe avait relevé sur lui son regard.

C’était quelque chose de si étrange qu’une lettre arrivant au milieu de cette misère abandonnée.

L’oncle Jean lui baisa les deux mains.

— Je vais sortir, ma fille…, dit-il, courage ! Dieu aura pitié de nous.

Marthe secoua la tête et baissa les yeux. Elle n’interrogea point. Elle n’avait plus la force d’être curieuse.

L’oncle prit son chapeau de paysan et s’éloigna.

Marthe était seule avec le maître de Penhoël. Pareille circonstance ne s’était pas présentée une seule fois depuis leur départ du manoir ; il y avait toujours eu entre eux soit l’oncle Jean, soit le pauvre père Géraud.

Durant les deux mois qui venaient de s’écouler, personne n’avait jamais fait allusion à cette scène de violence sauvage qui avait eu lieu dans le grand salon de Penhoël au moment du départ.

René semblait l’avoir oubliée, Marthe ne voulait point s’en souvenir.

Quant à l’oncle Jean, il avait exercé longtemps sur Penhoël une surveillance active et cachée ; mais, depuis quelques semaines, cette surveillance s’était peu à peu ralentie. Tout semblait mort chez René, jusqu’à la colère, et il suffisait de le voir de près pour acquérir la certitude qu’il était incapable de se relever désormais jusqu’à une pensée de vengeance.

Sa nature morale et sa nature physique avaient fléchi pareillement. C’était un vieillard imbécile et faible ; sa pensée dormait engourdie, comme le ressort de ses membres, autrefois si robustes.

Il restait des journées entières, accroupi dans son coin, immobile et ne secouant son inerte apathie que pour porter à ses lèvres la bouteille fêlée, où l’oncle Jean mettait parfois quelques gouttes d’eau-de-vie.

Quand il n’y avait plus rien dans la bouteille, il laissait retomber sa tête barbue sur sa poitrine, et restait plongé, depuis le matin jusqu’au soir, dans un pesant sommeil.

Il ne bougeait pas ; il ne parlait pas. Il recevait les soins de sa femme sans témoigner ni plaisir ni peine. Et quand son regard éteint tombait sur elle par hasard, on eût cherché en vain dans cette morne prunelle l’indice d’un sentiment quelconque : haine ou tendresse.

L’oncle Jean se fiait à ces signes et ne craignait plus.

Une fois qu’on avait allumé une chandelle dans le pauvre grenier, le père Géraud disait avoir vu, en s’éveillant au milieu de la nuit, René de Penhoël, dressé de son haut contre le mur, regarder sa femme avec des yeux flamboyants.

Ses lèvres blêmes tremblaient en murmurant de menaçantes paroles, qui arrivaient, confuses, jusqu’à l’oreille du malade.

Marthe dormait, couchée sur sa paille.

Les doigts de René se crispaient convulsivement ; on eût dit qu’il allait s’élancer sur elle et l’étouffer entre ses bras décharnés.

Mais le vieux Géraud avait la fièvre qui amène les visions terribles et les mauvais rêves…

Le lendemain René était toujours accroupi dans son coin et rien n’avait troublé le pauvre sommeil de Marthe.

L’oncle Jean ne songeait plus à cette circonstance. L’idée ne lui vint même pas de craindre tandis qu’il fermait la porte du grenier sur René de Penhoël et sur sa femme.

René était étendu sur le matelas, à la place du père Géraud, et faisait mine de dormir.

Dès que le bruit des sabots de l’oncle Jean s’étouffa au bas de l’escalier, il rouvrit les yeux pour jeter autour de lui son regard indécis et lourd.

Puis il se souleva lentement et s’assit sur le matelas.

Il prit dans sa poche l’écu de trois livres ; il le plaça dans le creux de sa main ; il le tourna, le retourna, l’examina dans tous les sens.

Un vague sourire venait à sa lèvre.

Quand ses yeux quittèrent la pièce de monnaie, ce fut pour se tourner vers sa bouteille qu’il avait laissée à son ancienne place.

Son sourire se renforça plus joyeux.

Mais quand son œil, en faisant de nouveau le tour du grenier, vint à tomber sur Marthe qui lui tournait le dos, il n’eut plus de sourire.

Ses prunelles éteintes brûlèrent tout à coup ; les rides de son front se creusèrent.

Quiconque eût vu ce regard aurait frissonné à la pensée d’un crime.

Le crime devait être hideux dans ce réduit tout nu, entre ces deux êtres affaiblis et brisés par la misère…

Marthe ne savait pas. Elle songeait, comme toujours, au martyre présent et au bonheur passé. Trois noms étaient sur sa lèvre et au fond de son cœur.

Diane, Cyprienne… Blanche ! Blanche, surtout, qui vivait, Blanche, l’idole adorée à genoux, l’amour de ce cœur flétri, l’espoir de cette vie brisée !

Les autres étaient mortes ; elles avaient le bonheur aux pieds de Dieu. Mais Blanche qui souffrait, Blanche, la victime d’un piége mystérieux, inexplicable ! Blanche, la pauvre vierge, qui allait être mère !

Car Marthe avait compté les jours ; la jeune fille devait s’étonner, épouvantée, aux tressaillements de ses flancs…

Que faisait-elle ? Qui la sauvait de ses terreurs ? Dans quel sein cacherait-elle son front rougissant à l’heure fatale ?

Et l’enfant ! le cœur de Marthe battait, soulevé par une émotion double : car il y avait un souvenir qui se mêlait à l’angoisse présente.

Le malheur de la fille avait été le malheur de la mère, et il semblait que la colère de Dieu eût jeté deux fois cette calamité dans la maison de Penhoël, comme un funeste héritage.

Un soir, la pauvre Marthe s’était enfuie de sa chambre, alors qu’elle était jeune fille. Son cœur était vierge comme celui de Blanche ; mais son flanc douloureux lui criait : « Tu es mère ! »

En même temps, bien qu’il n’y eût rien dans ses souvenirs, une voix mystérieuse parlait au fond de son âme et lui disait le nom du père de son enfant… un homme qu’elle aimait d’une tendresse pure et dévouée, son premier, son seul amour, l’aîné de Penhoël qui l’avait abandonnée…

Car il y avait déjà plusieurs mois que Louis avait quitté la Bretagne.

Elle se voyait descendre la pente ombreuse qui menait des portes du manoir à la rivière d’Oust.

Elle allait, affolée par la souffrance, épouvantée, découragée.

Et la porte du pauvre Benoît Haligan, le passeur, s’ouvrait pour la recevoir. Là, sur un lit de paille, à la lueur tremblante d’une résine, Marthe mettait au monde deux enfants jumeaux… deux belles petites filles dont le premier sourire passait, en ce moment, devant ses yeux et la faisait pleurer.

Pauvre Diane ! pauvre Cyprienne ! leur malheur avait précédé leur naissance !…

Chez Benoît, le passeur, Marthe n’était point seule. Jean de Penhoël était auprès du lit avec sa femme. Ils n’abandonnèrent point la jeune accouchée, les amis dévoués.

La femme de Jean de Penhoël emporta les deux enfants, et devint leur mère.

Oh ! que Blanche était bien plus malheureuse encore ! Point d’amis auprès de son chevet ! Il n’y avait autour d’elle que le mépris et l’insulte peut-être…

Marthe songeait ainsi.

René, pendant cela, semblait subir une transformation étrange. L’animation revenait à son visage inerte ; ses yeux roulaient, vifs et hagards.

Un éclair venait de traverser la nuit profonde de son intelligence, et pour un instant son idiotisme montait jusqu’à la folie.

Il regardait toujours l’écu de trois livres. Ses lèvres remuaient, produisant un son vague et inarticulé. Son poing fermé menaçait Marthe par derrière, et sa bouche s’entr’ouvrait en un sauvage sourire.

Il se leva tout chancelant ; ses jambes n’étaient plus habituées à le porter ; quiconque l’eût aperçu ainsi debout se fût effrayé de sa maigreur cadavéreuse. On voyait, en quelque sorte, ses os à travers les trous de ses haillons souillés.

Il n’y avait plus rien en lui du maître de Penhoël, et ceux qui, autrefois, avaient bu le vin de sa table se seraient refusés à le reconnaître.

Il se rendit d’abord auprès de la petite croisée à charnière qui s’ouvrait sur le toit, et l’examina soigneusement. Il hocha la tête d’un air satisfait.

Puis il redescendit vers la cloison, derrière laquelle nous avons vu Diane épier, les larmes aux yeux, la misère de la pauvre famille.

Il y avait à cette cloison une très-grande quantité de trous et de fentes. René les compta l’une après l’autre, sans omettre la plus petite fissure.

Il paraissait se complaire à ce patient travail.

Il était maintenant devant Marthe, qui pouvait suivre chacun de ses mouvements ; mais la pauvre femme ne jetait sur lui qu’un regard machinal. Sa pensée allait ailleurs ; elle ne savait pas pourquoi Penhoël comptait ainsi les fentes de la cloison ; elle ne cherchait pas à savoir.

René mit son doigt dans la dernière fissure et hocha la tête encore. Ses grands cheveux gris suivaient le mouvement de son front et tombaient en désordre sur sa joue have.

Il les rejeta en arrière à deux mains ; puis il fixa ses yeux assombris sur Marthe, qui ne le regardait plus.

— Je suis le maître !… murmura-t-il avec emphase.

Il prit sous son bras la bouteille fêlée, où il ne restait plus une seule goutte d’eau-de-vie, et se dirigea vers la porte avec le pas incertain d’un homme ivre.

Marthe entendit la porte s’ouvrir, puis retomber.

Elle était seule.

Bien des fois, déjà, elle avait erré dans ce grand Paris, cherchant sa fille au hasard et toujours en vain ; mais l’espoir est immortel dans le cœur des mères. Sa première pensée fut de fuir et d’aller encore si loin que ses pas pourraient la porter, de maison en maison, le long des rues inconnues, demander Blanche.

Elle se leva ; sa faiblesse, qui était grande, n’aurait pu l’arrêter ; mais René avait fermé la porte en dehors.

Marthe revint tristement à sa place et se laissa retomber sur sa paille.

Elle ne devait pas attendre longtemps le retour de son mari. Au bout de quelques minutes, la porte s’ouvrit de nouveau et le maître de Penhoël rentra.

Marthe put entendre sa respiration essoufflée et pénible.

Il avait remonté à la hâte les six étages et revenait bien chargé, malgré sa faiblesse.

L’écu de trois livres y avait passé tout entier. La bouteille fêlée était pleine d’eau-de-vie. Il apportait en outre un assez grand panier, plein de charbon, un cahier de papier et un pot plein de colle.

Il s’assit sur le matelas pour reprendre haleine et pour boire une longue gorgée d’eau-de-vie. Son excitation, loin de se calmer, semblait augmenter de minute en minute.

— Oui !… oui !… murmurait-il la tête haute et l’œil brillant ; je suis le maître !

Quand il se fut reposé durant un instant, il déchira le papier par bandes et l’enduisit de colle, pour boucher, l’une après l’autre, toutes les fentes de la cloison.

Cela dura longtemps, car les planches vermoulues se déjetaient de tous côtés.

Marthe pensait que René en agissait ainsi pour éviter le froid des nuits d’hiver.

Mais la première fois que son regard rencontra celui du maître de Penhoël, sa croyance changea. Sans savoir pourquoi encore, elle se sentit frissonner.

René travaillait tant qu’il pouvait. Des gouttes de sueur glissaient sur sa tempe jaunie ; il ne s’arrêtait que pour boire.

Et à mesure qu’il buvait, un enthousiasme sauvage secouait la morne apathie de ses traits.

Tout le cahier était employé, mais il n’y avait plus de trous à la cloison. Avant de sortir, René avait bien pris sa mesure.

Il passa le revers de sa main sur son front humide, et regarda joyeusement son ouvrage terminé.

— Celui qui vint, l’autre fois, se mettre entre nous deux…, grommela-t-il, n’est pas ici… Je suis le maître !

Il prit dans un coin un gril rongé de rouille, oublié là, sans doute, par les anciens locataires du grenier, et disposa dessus, en pyramide, tout le contenu de son panier de charbon.

Puis il battit le briquet et mit le feu au brasier.

Marthe le regardait faire maintenant. Durant un instant, ses yeux tout grands ouverts peignirent l’épouvante. Elle comprenait.

C’était la mort qui était là tout près d’elle.

La pensée de l’Ange de Penhoël lui vint. Elle voulut se lever et se défendre, pour que sa fille, si elle vivait encore, ne fût point une orpheline.

Mais, avant qu’elle eût quitté sa place, une autre idée vint à la traverse de sa terreur. Ses grands yeux bleus eurent un rayonnement doux.

— Dieu me les rendra au ciel pensa-t-elle ; toutes trois !

Elle croisa ses bras sur sa poitrine et s’adossa contre la muraille.

Les vapeurs du charbon commençaient à emplir la chambre. René, agenouillé auprès du gril, soufflait de toute sa force. Le brasier s’allumait et mettait un sanglant reflet sur sa joue décharnée.

Il riait. Il prononçait le nom de sa femme. Il prononçait avec plus de haine encore le nom de son frère.

Et il répétait d’une voix sourde :

— J’étais riche !… j’étais heureux !… j’aimais !… Qui m’a pris mon bonheur, mon amour et ma richesse ?… Elle et lui !… Oh ! cette fois, personne ne viendra… Je suis le maître !

Sa tête tournait déjà. Le brasier ne formait plus qu’un seul monceau de feu. Il avala d’un trait le reste de sa bouteille d’eau-de-vie et se laissa choir, comme une masse, sur le matelas.

Marthe avait les yeux fermés. Ses idées vacillaient et s’égaraient dans ce songe enchanté qui précède, dit-on, la mort par asphyxie.

En ce moment, comme toujours, elle était avec ses filles, la pauvre mère !

Mais, entre ses trois filles, il n’y avait plus de différence. Elle pouvait les aimer d’une tendresse égale et partager entre elles ses baisers heureux.

Oh ! les trois beaux anges, vêtus de longues robes blanches, et couronnés de fleurs !

Dieu les lui amenait par la main, et les saints du paradis souriaient à son bonheur de mère.

Un poids était sur sa poitrine haletante, mais elle ne le sentait point, tant elle avait de joie.

Diane, Cyprienne, Blanche ! pauvres enfants perdues et retrouvées, qui riaient et qui pleuraient sur son sein.

Comme elles s’aimaient toutes trois, et comme elles l’aimaient !

Et derrière leurs visages angéliques, à travers le voile diaphane qui couvre les visions, Marthe entrevoyait une autre figure : les traits mâles d’un homme qui semblait avoir honte et se cacher.

Oh ! Dieu pardonne à tous, et ce n’est pas au ciel qu’il faut garder souvenir du mal enduré sur la terre.

Au ciel, tout amour est chaste, toute passion s’épure sous l’œil de Dieu. Le sourire de Marthe appelait Louis de Penhoël…

Le voile s’épaississait ; la nuit se faisait ; Marthe se sentait mourir.

Tandis qu’elle essayait d’assembler les mots de sa suprême prière, sa léthargie reçut un choc soudain ; un souffle d’air frais tomba sur sa bouche vivifiée ; elle rouvrit les yeux… ou plutôt elle crut les rouvrir, et c’était sans doute une nouvelle phase de son dernier rêve, car ce qu’elle voyait maintenant était encore l’impossible.

Ses deux filles mortes étaient auprès d’elle, Diane et Cyprienne, non plus en longues robes blanches, mais avec ce costume des vierges de Bretagne qu’elles portaient lorsqu’elles lui étaient apparues dans la loge de Benoît Haligan…

— Pauvres belles-de-nuit !… pensait Marthe ; aujourd’hui comme alors.

Et ses yeux s’étaient refermés.

L’air frais continuait, cependant, de tomber sur son front et sur sa bouche.

Elle entendait autour d’elle un bruit de pas légers.

Elle essaya encore de soulever ses paupières. Il y avait un nuage sur son regard.

Elle put voir, néanmoins, durant une seconde, Diane et Cyprienne qui lui souriaient de loin.

Puis la vision disparut, comme si les jeunes filles eussent percé la cloison.

Le brasier était éteint ; la fenêtre ouverte laissait passer à flots l’air libre. Comme elle baissait les yeux, Marthe vit briller quelque chose auprès d’elle dans la poussière.

C’était une poignée de pièces d’or.