Les Bigarrures/Chapitre 7

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Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords (1572)
chez Loys Du Mesnil (p. 114-126).


DES EQUIVOQUES
DE LA VOIX ET PRONON-
CIATION, FRANCOIS ET LATINS.

CHAP. VII.


NOnobstant que ces Equivoques se pourroient mettre sous les tiltres des Equivoques & des Entends-trois, comme toutesfois ceste espece semble estre particuliere, j’ay mis ces suivans en un rang à part : Car il ne pourroit pas proprement estre adaptez aux Equivoques, qui font d’un mot deux ou trois, ou de deux ou trois mots un. Comme aussi ce n’est pas proprement Entend-trois, parce qu’un mesme mot, selon qu’ils s’orthographie, ne pourroit pas signifier deux diverses choses ainsi que tu verras les exemples suivans, pris & tirez de l’ambiguité seule, qui provient de la parole prononcée par la voix humaine. Et comme telle espece d’ambiguité approche plus de l’Entend-trois, je l’ay mis immediatement apres.

Un bon vieil Gentil-homme de Languedoc disoit ordinairement, en saluant toutes les belles Madones qu’il voyoit en son chemin, Bon vit & long Madone, Dieu vous doint ce que vostre cul desire. Et le prononçoit fort brusquement, tellement, qu’il sembloit qu’il dist, bonne vie & longue Madone, Dieu vous doint ce que vostre cœur desire. Un autre de Bourgongne disoit à toutes les filles qu’il rencontroit, Pleust à Dieu, m’amie, que nous eussions mis les culs ensemble. Quelques unes moins rusees, estimant qu’il dist mille escus, le mercioient avec une grande reverence : Quelques autres plus fines frotees, qui entendoient son jargon, luy respondoient, Prenez tout monsieur, encor vous donnay-je cent aupres. Entendans sens, autrement sentez, au lieu du cent.

Un jeune Advocat faisoit un souhait, qu’il desiroit perdre la premiere lettre de ce mot, Aprenant, afin devint Advocat prenant, Gardez lors, dit un bon personnage, que n’augmentiez plustost, & que ne deveniez aspreprenant,

Un vieil Advocat, quand il trouvoit dans un sac la principale piece, c’est à dire l’escu, il souloit dire.

Dimidium facti qui bene cepit, babes.

Durant que la barbare & cruelle armée des Reistres ravageoit la Bourgongne és années 1575. & 1576. les pauvres villageois fuyuoient de toutes parts, disoient qu’il y avoit un Comte Machefer, au lieu de Mansfeld : tellement qu’ils pensoient que ce fust un grand diable de Geant qui mangeoit les charrettes ferrées. Sur laquelle creance un certain asseuroit & se persuadoit, qu’il luy auoit veu manger à un des-jeuner un roüet d’arcquebouze, avec quatre fers de chevaux fricassez en beurre noir. Le semblable Equivoque fut fait de Casimir, qu’on appelloit Casse-mille, pource que d’un coup de poing il en avoit cassé mille. Et estimoit-on que ce fust une de ces lourdes masses de Geans, armez de pierre de taille, qui estoit resté de la deconfiture de ceux qui allerent combattre contre Pantagruel, à la suitte du Roy Loupgaroux. Il y eut jadis en une Senechaussée un Sergent Royal, (je ne croy pas que ce fut Toussainct Patris, car il estoit trop de mes amis) auquel le Lieutenant ayant enjoint d’aller crier l’arriereban, faisant un Equivoque de l’aureille, il se mit à crier alarme tant qu’il peut, derriere le ban ou l’on estoit assis.

Azo & Lothaire, les deux plus grands Jurisconsultes de leur siecle, estant entrez en dispute, Sçavoir si la puissance du glaive est propre au Prince Souverain, & si les Magistrats n’ont que la simple exécution d’icelle, ou bien si les Magistrats ont aussi bien cette puissance, quand elle leur est communiquee par le Prince, firent gageure d’un cheval, & choisirent pour juge de leur different, Henry 7. Empereur : lequel jugea suivant la premiere opinion, qui estoit celle de Lothaire, laquelle neantmoins estoit contre celle de toute la commune de ce temps-là. De sorte que on fit un Proverbe, & disoit on que Lotharius iniquum dixerat & equum tulerat, Azo verò aquum dixerat & iniquum tulerat. Alciat. l. 2. c. 3. de ses Parad. le rapporte, mais le tres sçavant Bodin l. 3. c. 5. de sa Repub, monstre bien comme neuter equo dignus erat.

L’on dit en un Equivoque Latin aussi que,

Vitis amat colles.

Ce que par Equivoque aucuns rapportent à caules, qui sont néantmoins les mortels ennemis de ceste divine plante, au lieu que la montagnette exposée à l’Orient, est la vraye resjouïssance d’icelle, que je monstreray au chapitre du vin. J’ay veu quelques uns qui font un Equivoque de ces mots : J’ay et Geay, en latin gratulus, et disent : Si je faisois ce que Geay fait, je ferois ce que je ne fis jamais ; si je voulois, je les ferois, & si ne le sçaurois faire. On entend Geay au lieu de J’ay, & volous pour voulois.

Maistre Jean Chinfreneau, voyant une sienne amie, qui s’estoit mignardement fait portraire, avec une coiffure de lassis, & un ouvrage de mesme entre ses mains, luy dit qu’elle s’estoit fait peindre avec du lacif & qu’elle devoit plustost se faire peindre, comme sa voisine retinee, qui avoit pour contenance en sa main, le bout de sa ceincture ou demiceinct, qu’on appelle vulgairement le pucelage.

Pour signifiance, dit un bon compagnon, que jamais ne l’avoit porte autrement de sa souvenance. Le conte est vulgaire de celuy qui disoit qu’il ne falloit que deux points pour faire taire une femme, equivoquant sur deux poings. Mais je croy qu’il n’y a ny points, ny raisons qui en puissent donner une, si elle l’a mis dedans sa teste, tesmoin celle qui ne desista jamais d’appeller son mary pouïlleux. Et combien qu’en fin, pour la master, il la plongeast en l’eau, jusques par dessus la teste, si levoit elle encore les bras, & avec les ongles de ces poulces, qu’elle cracquoit l’un contre l’autre, l’appeloit encor, par demonstration, poüilleux, Comme recite le veridique Pogius.

Ce suyvant, pour avoir l’ouye dure fit un plaisant Equivoque en plaidant, Car ainsi qu’on luy souffloit par derriere, une ordonnance du roy Philippe le Bel, par luy obmise, qui estoit decisive de sa cause, il alla alleguer, à la risee d’un chacun, l’ordonnance du roy Philibert. Croyez que c’estoit un grand Historien François.

Je viendray donc maintenant à en rapporter quelques uns, qui se peuvent faire en lisant quelque escriture. Comme advint à l’Apothicaire de Tante Pissepin, lequel lisant la recepte que luy avoit donnee un medecin, pour purger sa melancholie, en ces mots, R. Manip, verari, etc., il alla dire veretri, & au lieu de luy preparer de lebore, luy dit qu’elle estoit en danger de mort, si elle ne trouvoit quelque gros vieuxdaze pour la guerir.

Un autre ayant veu la recepte d’un Medecin, qui avoit mis R. Rubarbati opi, qui est une abbreviation d’optimi, alla imaginer qu’il y avoit opii : et en mit tant en la medecine de son patient, qu’il l’endormit si bien, qu’onques puis ne se resveilla. C’est pourquoy l’on dit ordinairement qu’il se faut garder d’un qui pro quo d’Apoticaire.

L’empereur Charles le Quint, retint prisonnier le Landgraff de Hess, sous ombre de l’Equivoque d’une lettre où il y avoit ce mot Enich, que le Langraff estimoit Evic, deux mots Allemans directement contraires : car l’un signifie avec l’autre sans, Mais je trouve qu’il estoit bien aise à l’empereur de lire ce qu’il vouloit, puis que l’autre estoit en sa puissance encor qu’il n’y ait point de doute que souventes fois en lisant on ne face plusieurs Equivoques, principalement quand l’escriture est à la main.

Et en moule on s’y abuse aussi bien souvent mesmes des pauvres Curez de village, comme quand ils lisent rondit au lieu de respondit : enim au lieu de eum ; Jesum Nazum, au lieu de Nazarenum, et autres infinis semblables.

L’on fait encor de gaillards Equivoques, quand par la transposition des points on coupe des mots. Comme Celuy rapporte par Cardan, de Martin Abbé de Asello, qui avoit fait mettre sur la porte de son abbaye ce vers :

Porta palens esto nulli, claudaris honesto.

Ce que lisant quelquefois un pape, passant par là, et voyant un point après nulli, irrité de l’incivilité de cest Abbe, le deposa, et en mit un autre en place, lequel, sans oster le vers, ne fit que changer le point, et le mettre après esto. En memoire dequoy on fit ce distique :

Porta patans esto. nulli claudaris honeslto :
Ob solum punctum caruit Martinus. Asello.

Et encores en court le proverbe françois mal entendu : Pour un seul point Martin perdit son asne.

J’ay leu dedans un vieil livre manuscrit de l’Abbaye Sainct Benigne, de Dijon, ceste histoire : Un Capitaine combatant sous Charlemaigne contre les Saxons, voyant ses soldats mal-endurans, et qui à toute force s’en vouloient retourner, leur escrivit une epistre en laquelle estoient ces mots : Qui vulter. Recedut pergat, ego, autem non hic stabo. Laquelle estant tombee entre les mains de ce grand Roy, il estoit en volonte de luy faire un mauvais tour : mais un point rabilla tout avec la perseverance de ce capitaine, qui fit entendre qu’il entendoit dire : Qui vult recedere pergat : ego autem non : hic stabo.

Un magister de Picardie, irrite de ce que quelques avant-coureurs du camp de la Royne de Hongrie luy avoient rompu une cage, fit par despit ce verset,

Reginam albam occidere bonum est timere, nolite etiam si omnes censerint, ego non.

Qui se peut autrement interprester, ainsi ponctué : Reginum albam occidere bonum est timere, nolite, &c.

Une femme bonne compagne avoit mis pour sa devise : À Dieu honneur : l’on mit après À Dieu, un virgule. De sorte qu’il sembloit qu’elle mist au loing l’honneur, disant vale honor, au lieu qu’elle entendoit, peut estre, Deo honor & gloria.

Un certain de peu honneste maison, priant un Senateur avec lequel Ciceron devisoit, de luy vouloir estre favorable à la poursuite d’un office & charge qu’il pretendoit en la ville de Rome, comme le senateur luy eut favorablement fait response par ce mot : Favebo : Ciceron, sans attendre qu’on le priast, dit : Ego quoque tibi favebo, dont l’autre senateur, estonné, cogneut bien que Ciceron luy remettoit au devant l’indignité de la poursuitte de cet homme, qui de cuisinier vouloit estre officier, par ce mot quoque qui se raporte à coque au vocatif.

Par le vice des langues d’une nation à l’autre il s’en fait aussi de gracieux : comme de la Damoiselle de Mont-pellier, qui assistant au soupper d’une grande Princesse qui se plaignoit de la fureur des gros vins de ce pays là, elle dit, Certes, Madame, nous autres n’aven pas daquestis petis vins blancs : mas ben de gros vins rouges. Dont certaines damoyselles presentes, à qui l’eau en venoit à la bouche ignorans que vi signifie vin en ce pays, disoient que la damoyselle de Mont-pellier avoit raison, & qu’elles seroient bien de son advis.

Une Religieuse, qui apprenoit son chant, prononçant, Qui vivis, elle abbrevioit fort la première syllabe. De quoy la reprenant Madame la chantre luy disoit : Mamye, faictes le vi long, & il sera meilleur.

Une jeune damoiselle, interrogee en quelle espece d’oyseau elle desiroit voir son amy, si nous estions au temps des metamorphoses d’Ovide. Elle dit qu’elle le voudroit veoir en Phaisant. Vrayement, vous avez raison, dit dame Jaquette Caquillon, il ne sçauroit estre plus agreable, qu’en le faisant. Les Gascons ont aussi ce vice qu’au lieu d’un V, ils prononcent un B. Dont Du-Bellay a fait un vers qui conclud ainsi :

Namque haud

Vascones norunt vivere, sed bibere.

Quelques uns qui parlent du nez, & principalement quand ils ont passé la zone torride par delà le Duché de Bavière pour aller en Surie, prononcent aussi un F. au lieu du P. Tesmoing un cholere Juge, qui disoit : Ces fendars de Farisiens, je les feray fendre à une fotence au Falais de Faris, voulant dire : Ces pendars de Parisiens, je les feray pendre en une potence au Palais de Paris.

Un de Chaalon voulant blasonner proprement les armoiries de sa ville, disoit qu’il y avoit trois anneaux en or traict. Et parce qu’il begayoit un peu, l’on pensoit qu’il eust dit : Il y a trois anneaux en nos retraicts.

Comme on disoit qu’à Paris estoit arrivé un Chapellier de Mantouë, qui donnoit pour deux vieux chappeaux un œuf, plusieurs recherchèrent leurs vieux chappeaux, pour en aller demander un nœuf, estimans qu’on leur donneroit un chapeau nœuf.

Les Allemans naturellement aussi prononcent f, au lieu de v, consone, & la lettre o, comme font les courtisans d’aujourd’hui assez grossièrement, ou  : Comme pour dire chose, gros, repos, &c., chouse, grous, repous, &c. De sorte qu’un Allemant pensant bien faire l’honneste à une jeune damoiselle qui luy demandoit comme il se portoit, il respondit : À foutre commandez me en la part qu’il vous plaira, pour dire : À vostre commandement, la part qu’il vous plaira.

Le vulgaire aussi en fait en sa prolation : comme pour exemple, quand on prononce un infinitif, le plus souvent r, se mange : Comme au lieu d’aimer, adoter, courir, frotter & autres, on dit aimé, adoré, courir, Dont advint qu’une femme voyant son mary au lict fort malade, le consolant avec larmes commandées, luy disoit : Helas ! mon amy, j’aimerois mieux Mori que vous. Dont le mari, joyeux de voir sa femme si cordiale envers luy, l’institua heritière de tous ses biens, & pour recompense après sa mort, ceste femme se remaria deux mois après avec un nommé Mauris ou Moris, & cogneut bien qu’elle avoit dit vray à son mary, quand elle disoit qu’elle aimoit mieux Mauris que luy. Encor peut on noter en ce conte là, comme s, par vulgaire ne se prononce pas au bout de chasque mot, dont toutesfois quelques autres sont si curieux, que pour sembler bons François, & monstrer qu’ils parlent proprement, ils prononcent à tort & à travers, au bout de chasque mot, une s. Et diront Monsieur je me recommandes à vous de tous mon cœur, &c. Avec tel son qui semble qu’ils sifflent en l’air à chasque s.

Quelques-uns le font pour la magnificence, & sembler estre plus seigneuriaux, comme la Roche-tomas, qui ne vouloit pas qu’on le servist en singulier, mais en pluriel : Tellement qu’un jour sa servante luy ayant apporté chez un sien voisin, un poulet entre deux plats, ayant demandé à ceste servante. Qu’est-ce qu’elle luy apportoit, ayant icelle respondu, Un poulet, Monsieur se mit en cholère, et dit : Il faut dire des poulets, & parler en pluriel, grosse beste. Ce qu’ayant bien entendu ceste servante, & apris que c’estoit à dire, pluriel, portant une autre fois à son maistre du mouton & du bœuf, estant interrogée qu’est-ce qu’elle apportoit, elle dit : Des moutons & des bœufs. Dont la Roche-tomas, tout scandalisé, ne voulut onc plus que sa servante parlast en pleuriel.

ADJONCTION
de l’Autheur.

Les Parisiens prononcent une r au lieu d’une s : & une s où il faut une r, comme tu as peu voir au chapitre des Rébus de Picardie.

Ils prononcent encor un a au lieu d’un e, sur tout quand il suit un i : comme en ces mots moyen, Doyen, rien, bien, chien, comme celuy qui disoit : Et bian, bian, je varron si monsieur le doyan, qui a tant de moyan, ayme les citoyans & à la coustume des ancians, il ne leur baillera rian.

Je viendray aux autres nations, comme Italiens, Espagnols & Allemans, qui prononcent tous nostre u, François ou, tellement qu’un certain, auquel on avoit commandé d’aller par Paris chercher un bon feutre, faute de prononcer à la Françoise, fut renvoyé honteusement, & injurié quasi par toutes les boutiques. Car, s’adressant aux femmes aussi bien qu’aux hommes, il disoit : Madame, je vous un foutre : pour dire, Je veux un feutre. Et quand il fut de retour, il disoit à son maistre, Je fous par toute la ville, & ne trouvay aucun foutre, Pour dire, Je fus par toute la ville, & ne treuvay aucun feutre. Qui ne l’eût interpreté, c’estoit un énigme plaisant.

Les jeunes filles sont bien ayses de jouer a x. petits jeux sans vilanie, & à plus penser que dire, quand elles disent ces suivans :

Revenans de Sainct Amant
Je trouvay un fol tondant.
Je luy dis, que fais-lu là ?

Madame, dit-il, je tond.
Et fol tond donc

Item.

Monsieur de Monrouge vit,
Et madame Pair le vid,
Et sa fille fol tua.

Ainsi que l’on disoit un jour ce proverbe ordinaire.

Il est bien fol, qui fol marie.

Quelqu’un qui eust volontiers couché avec Marie, de laquelle il pensoit qu’on parlast, dit qu’il voudroit bien estre le fol pour faire l’entree.

Autres y a qui prononcent à la Parisienne in comme ain. Exemple, J’ay beu de bon vain à la pomme de pain. Pour dire, J’ay beu de bon vin à la pomme de pin.

Item, ils prononcent oua quand il y a ay ou oy : comme pour dire : Je ne vay jamais sans laquais, ils diront : Je ne voua jamoy sans laqua. Et pour dire : Je n’en fay que rire, diront, Je n’en foua que rize. Et pour lize en ce chapitre, ils dizont des æquivocles de la vouas. Pour une gentille démonstration de quoy faut lire l’Epistre du jeune fils de Pazy, avec la responce de la damoiselle, selon qu’elle est imprimée aux dernières œuvres de Clement Marot. Afin que chacun cognoisse au vray la dialecte de ceste blanche nation.

Les begues ont aussi naturellement les bl & rr en horreur : Comme l’advocat d’Auvergne, qui allegua en l’audience, l’Ordonnance de Blois & dit que vraysemblablement les procedules se doivent envoyer à la table de Mabe, puis qu’il est question de mol bois & bois mol, & qu’au gland il ne falloit touchel, Pour dire : Ordonnance de Blois, bois mort, mort bois, procedures, table de marbre, &c.

Ce que l’on dit aujourd’hui un o en forme d’ou à la cour, c’est un langage Courtisan affetté, sans raison, qui n’avoit lieu anciennement qu’en ces mots, mol, col & fol, qu’on prononçoit : mou, cou, fou. Et faut bien que des fols ils ont pris l’exemple : Car quelle apparence y a-il de dire ou au lieu de o ?

Sur ce propos il me souvient qu’il y eut une dame au milieu d’un disné, qui pensa faire regobillier la compagnie, pource qu’elle disoit, Qu’elle avet veu les grous pous d’un homme, qui n’avat que des ous. Car on pensoit qu’elle disoit avoir veu les poulx d’un homme qui n’avoit que les os. Au lieu qu’elle entendoit dire qu’elle avoit veu les gros pots d’un homme, qui n’avoient dedans que des os. Et croy qu’en fin on verra le langage Ouistisien s’en aller en fumée.

ADJONCTION
d’autruy.

Tu as cy devant Jesum Nazum pour Jesum Nazarenum : mais voicy la suite de la lecture. Voyant Erat autem Barabas lutro : ne sçachant que vouloit dire cela, prononçoit brouillifiquement : E, e, eras autem bilebaratro, et n’en faisoit qu’un morceau, tant il estoit gourmand. Tout de mesme, en lieu de dire : Ego sum alpha & omega, disoit : Ego sum alphati tout menga. Mais que dirons nous de cest habile homme (que l’on nommoit Monsieur l’esprit, per ironiam) qui, lisant és feste de Noël ce traict des Actes, où il y avoit en lettres abregees (car notez, que c’estoit en de ces vieux livres escrits à la main) Ihlim, Ihlim, quæ occidis prophans : le bon homme, de peur de s’embourber, entonna tout à coup ces mots incogneus, comme s’il y eust eu : Iarlim, Iarlim, quæ ocque cedisse profans. Je n’en diray d’avantage, sinon que c’estoit grand dommage qu’une telle beste chaussee se mesloit d’un estat, auquel il estoit du tout inepte.

Ceux-cy sont un petit tantillon bien sales, mais si passeront-ils. Un quidam ventru ayant la langue grasse, disoit en lieu de Bon-jour Monsieur, bon chou mon chieur. Et pour dire : Et bien, messieurs, prononçoit, mes chieurs. Mais ce n’est rien au prix de sa civilité, quand il faisoit asseoir ses amis à table, car il disoit ainsi : Mon chieur chiez vous là, je chieray icy ; en lieu qu’il devoit dire, s’il eust peu, Monsieur seez vous là, je seerai icy, Mais dira quelque marmiteux à ma concience, voylà des contes bien vilains : & qui ne sont dignes, &c. Je respons qu’ils sont tels qu’ils sont, & n’y a rien à remordre.