Les Blasons du Plaisir/Elle

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ELLE

Au souvenir de mon amie
Toutes, comme d’une fumée
Éteinte, aussitôt consumée,
En vain, comme d’une folie

Par son propre excès abolie,
Meurent de l’heure dépassée ;
Il lui suffit d’être annoncée
Pour posséder toute ma vie.

Je voudrais vaincre la matière,
Je me défends, mon âme altière,
Ordonne, mais je n’obéis

Qu’à mon bonheur, il est si grand
Que je ne sais si je comprends,
Ni vois, combien j’y suis soumis.



La peau douce d’un corps si beau
Évapore un charme insensé !
Voici qu’elle éclot. C’est assez.
Le reste a fermé son tombeau.

J’ignore si j’existe encor
Alors que je suis au plus haut !
Ma main retrouve son anneau
Dans le flot de tes cheveux d’or.

Te voici là. Nous voilà nous.
Tu m’as déjà donné ton cou.
Ma bouche fond contre la tienne.

Je ne veux souffrir que plus tard
J’ignore tout de ton retard.
Notre querelle est trop ancienne…


Ce ventre infléchi doucement
Pour renfler mieux au mont suprême
Sous les mousses de son diadème
L’asile de l’enchantement

Possède si parfaitement
Ses cuisses rondes où s’achève
Autour du tabernacle d’Ève
Le ton d’or de son firmament

Qu’il illumine ton corps blanc
Teinté de rose et de safran.
Il me parle comme un visage ;

Quand le tien se détourne ou ment,
Il m’est, silencieusement,
Ton plus véridique message.


Pas une place qui ne fonde
En somme de perfection
La ligne, à la fois, longue et ronde
Que moule ta dilection

Afin que tout y corresponde
— Délire, attente, inaction, —
À sa merveille et qu’y réponde
Le rêve au cœur de l’action

Enfin conquise, dépassée,
La Grâce ici réalisée
Toujours par la possession

Où le meilleur de la donnée
Humaine à soi-même ordonnée
Berce sa propre passion.


Qu’importe mon lot si mes bras,
Refermés sur autant d’extase,
Retiennent la meilleure phase
Que l’existence offre ici-bas !

Grandir vers le plus doux trépas
Pour en renaître, clos au vase
Du secret, sûr de cette base
Et de n’en être jamais las !

Tu m’as toujours été plus belle,
Meilleure, et si l’aile éternelle
N’a pas encor livré ton âme,

C’est, sans doute, pour mieux, moins sûrs,
Perpétuer aux chenets durs
Du Temps les feux de notre flamme.


Ne lutte plus. Reste liée
Sur la fatigue, dans mes bras ;
Le silence heureux permettra
L’aile que tu retiens pliée.

Laisse-toi dormir peu à peu
Que je puisse l’éployer toute ;
Elle éventera cette route
Dont tu récuses le ciel bleu.

Je pourrai t’aimer sans surprendre
Ce qui blesse un souci trop tendre
Quand il s’abandonne ou s’y voue !

J’adorerai ton corps splendide,
Je rêverai que je te guide
Vers plus d’amour qu’il n’en avoue.


Ton sommeil apaisé dénoue,
Ce que la vie en toi oppressé,
Il semble, contre la tendresse,
Alors que ma voix y échoue.

Mes baisers auraient-ils dissous
La rébellion que ton front dresse
Pour que plus femme, moins maîtresse,
Tu me laisses dans tes genoux ?

Je crois que je t’ai recréée
Au point de t’avoir délivrée
Du Mal au cercueil qu’il te cloue

Et que ton âme, retrouvée,
T’apprend comme tu es aimée,
Son souffle aux roses de ta joue.


Tes yeux d’or orangés d’agathe
Sous leurs paupières et leurs cils,
Quand tu dors, à quoi songent-ils ?
Leur onde métallique éclate,

Mais, muette à ce qui la dérange
Quand j’interroge ses exils…
Tes yeux dorés, d’où viennent-ils ?
Ils bercent plus d’un mauvais ange.

Je ne sais rien de leur secret,
Joyaux de mon plus cher coffret
Qui tient tout le bonheur du monde ;

Rentrés en eux dans ton mystère,
Peut-être, vers une autre sphère
T’entrainent-ils, ô Vagabonde !


La volupté mène plus loin
Que la femme ne sait le voir
l’homme dont l’être, sans déchoir,
A dépassé son propre soin.

En moi, comme dans ton miroir
Le plus vrai, demeuré sans tain,
Toute la nuit, jusqu’au matin.
Tu as vécu sans le savoir.

L’infini du plus beau poème
Entrait en toi mieux que moi-même
Vers ton cœur… Y a-t-il atteint ???

Peut-être le bon grain qu’il sème
Renaît-il, par delà toi-même,
Dans l’inconnu de ton destin…