Les Bons amis de Paris

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LES BONS AMIS DE PARIS



Ma fortune était mince,
Mais j’avais un parent
Dont le rang
Annonçait que du prince
Il était bien connu,
Bien venu…
Chacun me flatta,
Chacun me fêta,
Chacun me visita…
Qu’ils sont polis,
Qu’ils sont jolis,
Nos bons amis,
D’Paris.

Mais (affreuse disgrâce !)
Par un coup du destin,
Un matin
De mon parent en place
La faveur disparut ;
Il mourut !
Chacun défila,
Chacun détala,
Chacun me planta là.
Qu’ils sont polis, etc.


L’acte testamentaire
Qu’avait fait mon parent,
En mourant,
Me nommant légataire
D’un large coffre-fort
Rempli d’or,
On me reflatta,
On me refêta,
On me revisita…
Qu’ils sont polis, etc.

Lancé dans les affaires
Par l’appât d’un butin
Incertain,
Des calculs téméraires
Ayant réduit à rien
Tout mon bien,
On redéfila,
On redétala,
On me replanta là…
Qu’ils sont polis, etc.

Par pure bonté d’âme,
La charmante Élisa
M’épousa.
Des charmes de ma femme
Le bruit se répandit,
S’étendit…
On me reflatta,
On me refêta
On me revisita…
Qu’ils sont polis, etc.


L’un d’entre eux, qui sans cesse
D’amitiés me comblait,
M’accablait,
Un jour de ma princesse
M’enleva les appas,
Les ducats :
On redéfila,
On redétala,
On me replanta là…
Qu’ils sont polis, etc.

De mon argenterie
Je fis ressource, et crac
Dans un sac,
Vite à la loterie
Le magot fut donné :
Je gagnai…
On me reflatta,
On me refêta,
On me revisita…
Qu’ils sont polis, etc.

Une fièvre, soudaine
M’ayant glacé de son
Noir frisson,
Chez moi l’on vit à peine
Succéder le docteur
Au traiteur,
Qu’on redéfila,
On redétala,
On me replanta là…
Qu’ils sont polis, etc.


Malgré soins et prières,
La fièvre prévalut ;
Il fallut
Mettre ordre à mes affaires
Au bruit du testament,
Poliment,
On me reflatta.
On me refêta.
On me revisita…
Qu’ils sont polis, etc.

Mais, comme sur leur compte,
J’ouvrais enfin les yeux
Un peu mieux,
Aucun d’eux, à sa honte,
N’étant même héritier
D’un denier,
On redéfila,
On redétala,
On me replanta là…
Qu’ils sont polis, etc.

Voyant chez mes ancêtres,
Mon voyage remis,
J’ai promis
Qu’après ma mort les prêtres,
Devant le trépassé
Délaissé,
Pour tout oremus,

Pour tout in manus,
Chanteraient en chorus :

Qu’ils sont polis,
Qu’ils sont jolis,
Nos bons amis
D’Paris !


FIN