Les Boutiques (Verhaeren)
LES BOUTIQUES
Les sonnettes dansent à l’huis
Des petites boutiques,
Dans les ruelles,
Les jours de foire et de marché ;
Elles se hèlent et s’interpellent
Lacets, fils et bobines
Sont achetés chez le mercier ;
Comme le monde ;
Le quincaillier fournit des chaudrons clairs
Comme un juillet rayé d’éclairs,
Et les marins s’abordent
Mais, du matin jusqu’au soir,
Quoi qu’on débite et qu’on achète,
Les sonnettes mènent la fête
Et dominent le branle-bas
Et l’autre éclate, ainsi qu’un rire,
Et d’autres font des bonds de sons,
Qui tout au loin se répercutent,
Sitôt que leurs battants se butent
Bourgeois précis et uniformes,
Campagnards roux en sarrau bleu,
Et ceux du port lointain, et ceux
Augmentent du remous de leurs dos
Le tas houleux de la foule bourrue.
Mais que les fracs, les schalls, les mantelets
Soudain s’immobilisent ou tout à coup s’agitent,
Toujours, comme les dés d’un gobelet,
Les battants clairs se précipitent
Et s’enragent terriblement.
Des boutiques et des tavernes,
Les sons menus vont ricocher
Jusques au seuil de l’évêché,
Pour s’engouffrer sous la poterne
Et dans la cour du « Lion d’or » ;
Et puis, là-bas, dans les rigoles,
Quand sautèrent les folioles
Au vent des Nords,
Les sonnettes, prestes et nettes,
Rythment la danse et la guident encor.
L’ombre descend enfin, chacun s’en va ;
Leurs marchés faits, les conducteurs attellent
Aux chars-à-bancs leurs haridelles
Et les fouettent à tour de bras ;
Trot des chevaux vers les campagnes,
Les sonnettes vous accompagnent
Une dernière fois de leur dreling dément,
Puis se calment, et, d’heure en heure,
Dans le soir et la nuit, se meurent