Les Bretons/Préface

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Les BretonsAlphonse Lemerre, éditeurvol. 2 (p. 3-10).
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PRÉFACE


À mon pays j’offre aujourd’hui, plus rassuré[1], ce fidèle tableau de ses mœurs : sous cette histoire particulière, peut-être aussi l’on découvrira comme un ensemble de la vie humaine, ce fonds éternel de toute poésie.

Ainsi, bien que consacré à un seul peuple, ce livre pourrait ailleurs éveiller quelque sympathie.

Faut-il dire que si j’ai exposé les origines de la Bretagne, et sa fin honorable après de longues résistances, puis évoqué ses prêtres, ses bardes et ses rois, de nos jours je devais montrer avant tout ce qui permet aux Bretons de porter encore le nom de leurs pères : les mœurs poétiques qui les font aimer ?

Telles sont d’ailleurs les tendances générales, qu’un poème entièrement historique serait en tous lieux impossible : non plus que les hauts faits de notre roi Conan, les exploits du roi Clovis ne seront désormais chantés.

Dans ces nouvelles conditions faites à l’art, heureux donc le chantre de mon pays ! Ici, à vrai dire, point d’aventures étranges ni de passions outrées, mais toujours la naïveté et la profondeur du sentiment. Le roman n’est nulle part dans la vie simple et franche du Breton ; mais la poésie, elle y est partout.

Quatre cantons principaux (ceux de Vannes, Tréguier, Léon et Cornouailles, ayant chacun et avec une infinie variété son dialecte, ses costumes et ses usages, sont les lieux ou se déploie cette vie à la fois stoïque, enthousiaste et religieuse. `

Petit enfant, longtemps en robe, chanter seul dans la lande en gardant les bestiaux ; vers douze ans, accourir par les chemins creux, d’une lieue et plus, au catéchisme ; bientôt fleurir en de fraîches amours au milieu des Pardons, des luttes et des veillées, — amours qui, après la grande épreuve du tirage au sort, se termineront à l’église ; — et, dès lors, tout au travail sérieux, élever dans les mêmes mœurs la jeune famille, puis ensevelir les grands parents : voilà les phases invariables, et les mêmes pour tous, de cette existence sévèrement réglée. Un pèlerinage lointain à Sainte-Anne d’Auray ou à Saint-Jean-du-Doigt, quelque foire célèbre comme celle de Kemper ou de la Martyre, seront les événements notables ; mais le chant, les croyances, les traditions merveilleuses sauront bien animer de leurs couleurs riantes ou sombres cette apparente monotonie.

Tel est l’harmonieux ensemble qu’il fallait reproduire dans sa simplicité variée, afin que, lisant ce récit, on pût dire : « Les choses se passent ainsi en Bretagne ; cette histoire doit être vraie. »

Et même à ceux-là qui s’enorgueillissent, mais souffrent, au milieu d’une civilisation plus avancée, le calme de ces mœurs primitives, à mon sens, devait sourire ; j’y croyais voir un intérêt sincère et durable. Aussi ma crainte était grande de ne pouvoir mener à terme cette douce mais laborieuse entreprise, tant j’avais à cœur d’offrir à ces esprits tourmentés un poème heureux, si l’on peut dire, d’opposer aux pensées troublantes une œuvre qui rassérène.

Ma tâche finie, c’est avec regret que je m’en sépare. La vie de mon peuple, celle de mes personnages était devenue la mienne. Si Daûlaz, le jeune clerc, son livre sous le bras, allait au pays de Vannes (mélancolique voyage !) se distraire des scrupules religieux de la blotide fille d’Hoël, j’aimais à le suivre au milieu des pierres druidiques de Carnac, dans les îles saintes du Mor-Bihan, et, au retour, à trouver Anna et sa sœur Hélène plongeant un enfant malade dans l’eau bienfaisante de la fontaine. Guidé par le pâle vicaire, j’aimais à suivre le conscrit Lilèz et sa pieuse cousine sur les mers sauvages de Cornouaille, à prier avec eux dans les chapelles de Léon, et, avant de clore ce long pèlerinage, à descendre dans ces abîmes, où, pour soulager les mineurs, soupirent le cor d’Arthur et la voix de la duchesse Anne. Puis, après les gens de la côte, ceux de la montagne et des terres ; les joyeuses fileries, ou des luttes telles que l’antiquité n’en eut pas de plus vigoureuses ; l’agonie du fermier Hoël et le désespoir forcené de sa veuve ; enfin, le tumulte des foires, les combats des réfractaires, et, avec l’intervention des saints (car le merveilleux, ce rêve des poètes, s’offrait ici de lui-même), les fiançailles et les noces du clerc accomplies au chant des cornemuses et des bardes… Oui, tous les événements de cette épopée familière semblaient être autant d’événements qui m’étaient propres ; j’étais entré dans cette vie synthétique ; et, mêlant à ces jouissances réelles les jouissances de l’artiste, j’essayais sur les grèves, par les landes, sous les bois, dans les montagnes, de mouler sur tant de sites et de scènes diverses la forme ondoyante de mon poème, et de faire jaillir un vers sain, loyal, né du sol.

Ce poème, d’un genre franchement rustique, ne semble pas avoir d’antécédent parmi nous : ce serait là un titre, si ce qu’on voudra bien approuver dans cet ouvrage ne revenait au pays qui l’a fait naître. Jamais poète n’eut sous la main plus abondante moisson de poésie.

Cependant, cette moisson, commencée dans le volume de Marie, il fallait la recueillir avant qu’elle fût étouffée sous l’impitoyable niveau des idées modernes. À ceci j’ai mis tout mon zèle : dans l’avenir terne et glacé qui les menace, peut-être les miens sauront-ils s’en souvenir !

Déjà même, hors de Bretagne, si ce livre se recommande par un fonds général et humain, qui est de tous les temps et de tous les lieux, il pourra, je l’espère, exciter aussi quelque intérêt par cette vie de croyance, de sentiment et d’imagination, ailleurs éteinte et disparue.

C’est que, ramené à son principe, ce poème des Bretons pourrait s’appeler Harmonie.

Décembre 1846.


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PERSONNAGES




CORNOUAILLE, OU PAYS DE KEMPER


Le vieux Moal, curé.
Le Vicaire, né en Léon.
Le clerc Loïc Daulaz.
Armel, sa mère.
Hoël, fermier au hameau de Coat-Lorhi.
Guenn-Du, sa femme.

Anna,

Héléna,

leurs filles.

Le petit Nannic, leur fils.
Lilèz, leur neveu, conscrit.
Tal-Houarn, fermier de Ker-Barz, parrain de Liléz.
Ronan, laboureur, détenteur des biens de Liléz.

Le meunier Ban-Gor, joueur de bombarde (hautbois),
Le Tailleur, joueur de biniou (cornemuse),
entremetteurs de mariages

Alan, garçon de ferme.
Giletta, pauvresse.


PAYS DE VANNES.


Mor-Vran, marin de Carnac.
Nona, sa fille.
Un Vieillard.
Pêcheurs de l’Ile d’Hœdic,

PAYS DE LÉON


 
Le Vicaire.
Un Patron de chasse-marée.
Habitants de Loc-Maria.
 

PAYS DE TRÉGUION.


Hervé, tisserand au bourg de Lan-Leff.
Jeanne, sa femme.
La petite Mana, leur fille.
Le Grand-père.
L’aveugle Jean-le-Guenn, chanteur ambulant.
Une Vendeuse de prières.
Doussal, saunier du pays de Nantes.
Un Gallois.



Pàtres, lutteurs, sonneurs de cloches, pilleurs de côtes, mineurs, mendiants, gendarmes, etc.
Druides, chefs de clans, bardes, saints de Bretagne, l’Ankou ou la Mort, la Fille-Jaune, lutins, etc.
  1. Deuxième édition.