Les Cabots de la victoire

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LES CABOTS DE LA VICTOIRE




Avenue du Bois ; onze heures du matin, Maud, Suzie et Gilberte promènent leurs chiens.

Maud, l’Anglaise au teint rose, tire un colley muselé : elle paraît avoir assorti la fourrure fauve du bel animal à la nuance auburn de ses cheveux. Suzie, l’Américaine, retient à grand’peine un fringant berger d’Alsace. Et Gilberte, trop Parisienne pour n’avoir point des goûts exotiques, se fait traîner à la remorque d’un groendaël farouche qui résiste à la laisse, sauvage, noir et superbe.

Passe un jeune officier qui porte l’uniforme gris des alliés transalpins. Sa main serre négligemment une fine chaînette d’acier au bout de laquelle sautille une minuscule bestiole : un griffon argenté, une petite merveille de grâce animale.

À sa vue, les trois chiens sont pris de frénésie. Le groendaël s’élance, amical et bourru ; le berger gronde, hostile ; le colley, impérieux, aboie avec autorité.

Les trois amies, entraînées par leurs vigoureuses bêtes, vont buter contre l’officier qui, cherchant d’abord à se protéger contre l’avalanche hurlante de la meute, se défend beaucoup plus mollement lorsqu’il aperçoit cette triplice de jolies femmes.

Le griffon, épouvanté, jette des cris stridents et se réfugie dans les jambes de son maître. Excités, les grands chiens jappent de plus belle.

— Nous n’en finirons jamais ! se désole Maud, l’Anglaise, qui ne peut maîtriser son colley.

Alors, l’Américaine objecte d’un ton pincé :

— C’est la faute de monsieur, qui s’obstine à garder son chien… Il n’a qu’à le laisser courir librement ; et les nôtres ne crieront plus.

Ahuri, le jeune homme la considère avec stupeur.

Mais Gilberte s’est penchée vers le griffon ; tendre, elle le prend dans ses bras, le calme, le caresse, séduite à sa vue, — parce que les femmes, tout en possédant de gros chiens pour obéir à la mode, continuent à préférer secrètement les tout petits toutous par une attirance invincible.

— Pauvre petit coco… Comment s’appelle-t-il ? questionne la Parisienne.

— Fiume, madame, répond doucement l’Italien.

JEANNE MARAIS.