Les Calvaires d’Armor

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Les Calvaires d’Armor (Kroaziou Arvor)
(p. 3-7).

LES CALVAIRES D’ARMOR


À J.-B. Hernot fils, sculpteur à Lannion

Quand les vieux Saints vinrent en Bretagne pour évangéliser nos Pères, une croix de chêne fut érigée sur les tables de pierres (dolmen) des Druides.

Du sommet du peulvan placé au haut de la montagne, la croix de Jésus-Christ fit voir que le règne du péché était passé, ainsi que celui du paganisme.

Quand le Celte, alors chrétien, passait dans les ravines, il courbait respectueusement sa tête arrogante devant le signe de la Rédemption.

Quand il eut bâti des églises, il plaça la croix sur les autels du vrai Dieu, et la mit également à la pointe de ses clochers à jour.

Mais le temps rongeait les croix de bois et les faisait tomber en poussière ; quelqu’un, voyant cela, dit en riant : « Mettons la pierre à l’extérieur, et le bois à l’intérieur. »

Et le voilà qui se met à l’œuvre pour transformer en calvaire une pierre fine et dure ; est-ce que les Celtes, ses pères, ne confectionnaient pas leurs armes avec des galets !

En peu de temps on vit ériger en Bretagne un grand nombre de calvaires ; mais beaucoup d’entre eux étaient informes, Hernot n’étant pas encore né.

Les nouvelles croix n’étaient donc pas rares et se perfectionnaient chaque jour ; mais quand le fer fut découvert, une révolution s’opéra dans la sculpture religieuse.

On en fit des marteaux, on en fit quantité de coins ; marteaux et coins, masses et ciseaux faisaient voler en éclats les rochers de la Bretagne.

Tous les artistes travaillaient avec courage ; et, aidés par les conseils des prêtres, ils se jetèrent à l’envi sur la pierre, et apprirent à lui donner des formes gracieuses.

Pendant bien des siècles, les calvaires s’élevaient paisiblement en Armor, mais vint le règne des méchants, et ceux-ci firent changer la face des choses.

Le vrai Dieu fut méprisé ; on le révoqua même en doute, et ses croix furent fort maltraitées : elles furent mutilées, brisées, détruites par les mains sacriléges des pécheurs furieux.

Les statues par eux furent étêtés ; les morts mêmes n’étaient pas respectés ; une tombe faisait peine à voir à ces malheureux que la mort n’a pas épargnés.

C’était un bien triste spectacle que d’assister à toutes ces horreurs, et les pauvres Bretons gémissaient comme les vents qui soufflent dans les vieilles masures.

L’herbe avait cru sur le sol et couvrait les chefs-d’œuvres mutilés ; on ne voyait çà et là que des troncs de croix debout, et au pied le Christ gisant dans un fort mauvais état.

Les premiers artistes étaient morts, et leur souvenir n’existait plus ; c’est pourquoi on laissa longtemps en ruine les monuments religieux détruits par les vandales.

Mais un beau jour cependant un sculpteur célèbre se montra dans notre pays : la Bretagne est pleine de son nom, qui passera aux siècles futurs.

Il vit toujours avec tristesse ces vieilles croix en ruine ; et un jour, tressaillant dans son corps et dans son âme, il dit :

« Pour faire honneur à Dieu le Père, il serait bon de restaurer le culte de la croix ; le Ciel me donnera le pouvoir de sculpter des calvaires. »

Sans aucun doute, personne n’ignore qu’il donne à la pierre les contours et les formes qu’il veut, et que ses croix sont partout dans les cimetières et les chemins.

Pourquoi le louer sans cesse ? il est ton père, mon petit ami, et c’est avec joie et bonheur qu’il voit les belles œuvres que tu exécutes si bien.

Jeune et déjà renommé, tu t’es distingué dans la lutte artistique par le gain d’une prime ; tu feras plus tard, je le dis hautement, beaucoup d’honneur à la Bretagne.

J.-M. LE JEAN.