Les Cellules Communistes d'Usines
LES CELLULES D’USINES
Avant d’aborder le vif du sujet, fixons un point, simple question de vocabulaire, sans doute, mais qui a son importance. Nos adversaires ont raillé bien souvent l’assonance barbare de quelques mots nouveaux : plus souvent ils ont profité de l’équivoque. On confond, on connaît mal la différence qui sépare noyau, cellule, comité d’usine.
La fraction communiste est constituée par l’ensemble des membres du Parti, adhérant à une autre organisation, qui se réunissent et se concertent sur les problèmes en discussion et l’attitude à tenir à l’intérieur de cette organisation. (Ex. : commissions syndicales, noyaux communistes à l'intérieur des organisations bourgeoises où se trouvent de nombreux prolétaires.)
La cellule communiste d’usine est composée des camarades membres du Parti travaillant dans la même usine ; nous en développerons le rôle dans les pages suivantes.
Le Comité d’Usine est un organisme tout à fait différent ; il est la représentation par voie d’élection, de tous les ouvriers d’une usine ; il y a dans chaque usine des syndiqués, des non syndiqués, des membres d’organisations chrétiennes : le Comité d’usine est nommé par tous les ouvriers, représente leurs intérêts et doit être l’instrument de la lutte directe et incessante contre le patronat. Il prépare la destruction de l’économie capitaliste et l’avènement de l’économie socialiste-communiste.
Aucune confusion n’est possible entre le Comité d’Usine, forme d’organisation de la classe ouvrière tout entière à l’intérieur des usines, et les fractions et cellules communistes, formes d’organisation du Parti.
La cellule ainsi définie et située par rapport aux noyaux et aux comités, nous avons à en examiner la valeur et la nécessité, le rôle et le fonctionnement, la création et le développement.
La question des cellules d’usines ne vient pas tout d’un coup, artificiellement ; ce n’est pas l’idée d’un camarade, c’est un aspect des transformations successives qui nous mène vers la forme véritable du Parti communiste. Dès maintenant le Parti est bien différent de l’ancien, mais il faut remarquer que si nous avons modifié notre programme, conçu clairement le rôle du Parti Communiste, nous ne lui avons pas encore donné des méthodes d’action correspondantes : pour un travail nouveau nous avons utilisé des méthodes anciennes de propagande et d’agitation, des formes insuffisantes d’organisation.
Si nous recherchons dans l’histoire du vieux Parti, à quelle besogne s’employait tout son effort, à quel but ultime tendait son activité, nous trouvons toujours en dernière analyse la préoccupation parlementaire.
Consultez la collection des comptes rendus de congrès, des journaux, partout apparaît le même esprit : les grandes questions de politique intérieure et extérieure étaient toujours considérées sous l’angle libéral, pacifiste légal, jamais sous l’angle purement prolétarien, marxiste, internationaliste, révolutionnaire. Les résolutions prises à l'issue de ces débats avaient pour la plupart en vue pardessus tout l’attitude du groupe à la Chambre. La lutte prolétarienne apparaissait comme l’opposition à la politique extérieure chauvine et nationaliste, à la politique intérieure réactionnaire du gouvernement au pouvoir et non comme une lutte systématique dirigée contre l’Etat bourgeois lui-même. Les parlementaires, alors, discutaient point par point l’argumentation des bourgeois, participaient assidûment aux commissions, collaboraient à de volumineux rapports, déposaient de longs projets de lois, caressant le fol espoir d’introduire une législation prolétarienne dans les cadres inflexibles du capitalisme.
A cette activité parlementaire correspondaient une presse et une propagande adéquates. L’arme principale de propagande était la réunion publique locale. Avec ce programme les périodes d’activité intense du Parti étaient contenues dans les mois de campagne précédant les élections législatives ou municipales, l’organisation conçue principalement en vue de cette lutte électorale était adaptée à la division administrative et électorale bourgeoise : groupe local, section, groupe départemental (fédération).
Pour l’ancien Parti, la base du groupe local était logique, commode et susceptible de donner le maximum de résultats : cette organisation peut-elle répondre aux besoins et au rôle d’un Parti Communiste ?
Il n’est pas inutile, en quelques mots, d’opposer au rôle de l’ancien Parti, le rôle du Parti communiste.
L’Internationale Communiste, la IIIe Internationale est née de la faillite de la IIe et de la liquidation du réformisme, de l’esprit de collaboration de classes et d^union sacrée, pour se placer irréductiblement sur le terrain de la lutte de classes. L’expérience de la révolution russe, venant confirmer les prévisions de Marx, a tracé aux Partis communistes la seule voie pour la révolution : renversement violent de l’Etat bourgeois, instauration d’une dictature et d’un Etat prolétarien provisoires pour protéger les premiers pas du communisme.
La guerre a créé dans tous les pays une situation révolutionnaire, mais il n’y a pas dans chaque pays une classe ouvrière capable d’exploiter cette situation et capable d’entraîner le prolétariat au combat et a la victoire. Le but de l’Internationale Communiste est de créer une élite ouvrière oui constituera dans le monde entier de puissants Partis. Le 2e Congrès mondial de l’I.C. disait :
« Le prolétariat mondial est à la veille d’une lutte décisive. Plus que jamais, en ce moment, la classe ouvrière a besoin d’une solide organisation. »
« Si la classe ouvrière, pendant la Commune de Paris (en 1871), avait eu un Parti communiste, solidement organisé, bien que peu nombreux, la première insurrection de l’héroïque prolétariat français aurait été beaucoup plus forte et elle aurait évité bien des erreurs et bien des fautes. »
Et la résolution définissait ainsi l’allure d’un vrai Parti communiste :
« Le Parti communiste est une fraction de la classe ouvrière et bien entendu il en est la fraction la plus avancée, la plus consciente révolutionnaire… Le P.C. n’a pas d’intérêts différents de ceux de la classe ouvrière… »
Le 3e et le 4e Congrès de l’I.C. ont adapté la tactique des Partis communistes au rythme plus ou moins accéléré du développement. de la révolution mondiale. Notre tâche primordiale est d’améliorer sans cesse notre Parti, par l’éducation des militants, l’entrée de militants nouveaux, l’expulsion des éléments indésirables ou défaillants. Nous devons « aller aux masses », c’est-à-dire être un Parti nombreux sans perdre de cohésion et surtout avoir une influence incontestable sur la majorité des ouvriers. Pour cela nous devons apparaître très clairement aux yeux de tous les ouvriers comme l’organisation qui est toujours sur la brèche, à la pointe du combat et nous avons à arracher à l’influence réformiste et contre-révolutionnaire les ouvriers trop nombreux, encore qui ont l’illusion d’amélioration progressive et de transformation sociale sans heurts : lutte pour les revendications immédiates vers des buts toujours plus révolutionnaires et front unique.
Quant à l’action parlementaire nous en faisons un usage bien différent des gens de la IIe. La IIe internationale compte dans ses rangs des hommes considérables, comme Scheidemann, Vandervelde, Ramsay Macdonald, demain sans douté Blum. La IIIe n’en possédera jamais de cette espèce : ils partiront ou seront expulsés bien avant. Nous ne voulons connaître comme « leçons de parlementarisme » que celles données par Lénine aux députés bolcheviks prêts à entrer à la Douma. « A quoi te sert, disait-il, le budget, l’amendement, le projet des cadets ? Tu es un ouvrier et la Douma n’est pas faite pour toi. Va tout simplement dire à toute la Russie quelque chose sur la vie ouvrière. Dépeins les horreurs des bagnes capitalistes, appelle les travailleurs à la révolution, jette à la face de cette noire Douma l’épithète de « misérables » et « d’exploiteurs ». Dépose un projet de lot en vertu duquel, dans trois ans, bourgeois, nous vous pendrons aux réverbères. Et ce sera notre vrai projet de loi. »
Toute notre activité doit se porter à l’intérieur de la classe ouvrière et mener de front ces différentes tes besognes : lutte efficace pour les revendications immédiates, front unique, recrutement et éducation, préparer la révolution. Le groupe local actuel peut-il nous permettre d’accroître notre influence et d’entraîner les masses ?
Si nous voulions instruire le procès du groupe local, la tâche serait facile, mais c’est beaucoup plus une analyse critique qui s’impose. L’activité du groupe local a déjà fait l’objet de nombreuses discussions dans les organismes dirigeants du Parti et jamais pourtant la question n’a été mise au point.
Ce point est intéressant surtout pour les centres industriels où l’on est frappé de l’aspect d’anémie offert par la vie de nos sections.
Prenons un premier point : liaison du Centre du Parti avec tous les adhérents, discussion des mots d’ordre de nos campagnes et même éducation. Peut-on dire que tous les adhérents du Parti suivent bien l’impulsion donnée par le Centre ? En général, les réunions de la section, dans les grandes villes, ne sont jamais fréquentées par plus de 50 % de l’effectif total, quand encore ce résultat est obtenu. Les causes en sont diverses : fatigue de l’ouvrier qui ne sort pas après dîner, éloignement du lieu de réunion. Ainsi jamais la masse tout entière du Parti n’est constamment au courant de la marche de son organisation, ne discute à fond le contenu de chacune de nos campagnes et se contente de l’exposé forcément restreint et insuffisant pour un militant actif fait par notre presse.
Second point : propagation, de nos mots d’ordre et portée de nos campagnes. Dans la transmission des directives de notre action du centre du Parti à tous les adhérents, par l’intermédiaire de la section du groupe local, il y a déjà déperdition de plus de 50 %. Dans quelles conditions s’opère notre liaison avec la classe ouvrière sympathisante, syndiquée ou non organisée ? Constatons d’abord que toute notre propagande s’opère sur le terrain local, soit par meetings, compte rendu de mandat, réunions publiques ou fêtes, soit par distribution de tracts dans les moyens de transport ou a la porte de quelques usines. Le premier moyen a fait ses preuves : le meeting a une valeur d’agitation dans un cercle restreint de sympathisants et de syndiqués ; il exalte plutôt qu’il ne convainc l’auditoire, ne se renouvelle presque jamais. Sa propagande est insuffisante et superficielle. Le deuxième moyen est employé par intermittences dans les sections où l’on déploie beaucoup d’ardeur et d’initiative : il n’est pas fréquent et ne représente qu’en tout petit ce que nous devons pouvoir réaliser sur une vaste échelle.
Il est à remarquer que dans toute cette propagande est omise le plus souvent la vente de notre presse et de nos brochures.
Troisième point : activité individuelle de chaque membre du Parti, recrutement. Nous avons tous entendu la plainte de nos militants de section. « Ce sont toujours les mêmes qui travaillent » disent-ils. C’est vrai et c’est grave pour un Parti Communiste. Dans la section, à laquelle participe régulièrement la moitié, pas plus, de l’effectif, une dizaine de militants font tout, non seulement parce qu’on manque de bonnes volontés, mais parce que l’organisation même rend difficile la division du travail : chaque camarade n’a pas une besogne bien définie à accomplir.
Cela subsiste à l’extérieur dans la propagande, lorsque le camarade, simple adhérent du Parti, est livré à lui-même, sans directive et sans contrôle. Il est ainsi permis que certains restent simplement inactifs, que d’autres s’affirment beaucoup en réunion sans fournir l’effort correspondant au dehors.
La propagande en souffre, notre influence et le recrutement s’en ressentent.
Nous avons cherché bien des moyens pour remédier à cela. Dans la Fédération de la Seine, plusieurs sections ont supprimé leurs « groupes de quartier » dont toute l’activité se concentrait bien souvent en discussions oiseuses et en bavardages : elles les ont remplacé par des groupes de travail consacrés principalement à l’éducation mais dont le rôle ne fut pas suffisamment défini et qui ne reçoivent pas toujours l’aliment nécessaire. Alors d’autres camarades proposèrent la création de sections par quartier : cela comporte encore plus d’inconvénients.
La réalité est claire après ce court examen : le groupement basé sur le lieu d’habitation, ne répond pas à nos besoins, il n’impose pas l’obligation d’être actif à chaque adhérent, il réalise fort mal la liaison entre le Centre du Parti et tous les adhérents, il nous fournit un mauvais et insuffisant recrutement, il ne peut réaliser notre désir de toucher les masses. En ce qui concerne nos principaux travaux, le groupe local démontre son inaptitude totale : nous devons le reconnaître : cette structure était bonne pour l’ancien parti dont les groupes de quartier et les sections se passionnaient pour la législation et le municipalisme. A ce point de vue le groupe local est un monstre organique social-démocrate auquel le communisme ne peut insuffler la vie.
Sur le terrain local, il nous rend des services presque uniquement pour la propagande électorale et l’action dans les coopératives (sauf bien entendu dans les localités et les régions rurales où l’organisation est naturellement locale).
En face de toutes ces insuffisances du groupe local, la propagande dans les usines nous offre des avantages certains, un champ d’action nouveau à défricher. Nous pouvons, pour le croire, nous référer à l’exemple des partis plus avancés que nous dans cette voie.
Le grief principal imputé à la charge du groupe local est qu’il nous fait tourner sans un dans le même cercle, les mêmes auditoires, les mêmes convaincus et qu’il ne nous permet absolument pas « d’aller aux masses ». Où trouverons-nous la classe ouvrière tout entière, avec son exploitation et ses souffrances, sinon à l’usine même ? Notre propagande générale par réunions publiques se heurte à l’incompréhension, l’indifférence ou la prévention. Comment pouvons-nous atteindre le travailleur le moins conscient, le moins soucieux de ses intérêts de classe, ou même l’adhérent d’un syndicat jaune ou d’un parti bourgeois, si ce n’est dans l’atelier ? Lorsqu’ils passent la porte de sortie ils partent et se dispersent avec leurs opinions, leurs aspirations, leurs conceptions particulières. Sur le lieu même du travail, ils sont mêlés, rapprochés les uns des autres sans distinction de tendances, par l’uniformité dans l’exploitation et la souffrance.
Notre programme, qui ne se borne plus à un exposé de principes en vue d’une bataille parlementaire mais se hase sur l’exploitation des ouvrier et leurs besoins quotidiens, peut, là, être développé et exposé avec chances de succès auprès de camarades qui nous ignorent ou ne nous connaissent qu’à travers des légendes et de calomnies. Par sa propagande dans les usines, le Parti Communiste pourra vraiment aider la classe ouvrière dans sa lutte de chaque instant contre le patronat et pour ses revendications immédiates, l’entraîner vers des revendications qui menacent plus le capitalisme.
Quand nous proposons le front unique à un Parti ou à une organisation quelconque, notre offre s’accompagne de publicité (publication de la lettre, commentaires, articles et polémiques ; parfois même campagne de réunions), mais cela est connu surtout de nos militants, de nos lecteurs et des membres de l’organisation à laquelle nous avons offert le front unique. Le but recherché n’est pas atteint. Nous voulons nous faire départager par la majorité des travailleurs des usines et non simplement par nos adversaires avérés et par nous-mêmes. Si notre propagande se développe dans les ateliers, nous pourrons alors faire une très large utilisation du front unique, à toute occasion, à tous les degrés. S’agit-il d’une campagne nationale : presse, tracts, réunions d’usine auront un autre caractère que nos assemblées de fidèles. S’agit-il d’une usine ? Là où des influences diverses se disputent l’estime des ouvriers, nous pourrons noue mettre et les mettre à l’épreuve. Un vrai Parti Communiste doit planter son drapeau partout où des prolétaires souffrent et demandent à combattre ; loin de nous contenter d’un cercle d’influence notoire, nous devons l’élargir sans cesse ; la force du Parti Communiste est de pouvoir se livrer le plus possible au jugement de la classe ouvrière.
La propagande communiste dans les usines révélera notre force… et nous montrera nos faiblesses. Monatte a dit : « La grève des gaziers parisiens est là pour montrer que le Parti Communiste comptait des jaunes dans son sein ». Il peut aussi se trouver des communistes qui ne fassent pas tout leur devoir dans l’usine, même lorsqu’il n’y a pas de grève. En dehors des aptitudes a des capacités individuelles, il ne suffit pas, pour un membre du Parti, de « marcher » ou de « suivre le mouvement », mais il lui faut l’estime et la confiance de ses camarades de travail comme l’un des plus hardis, des plus combatifs et le plus courageux, sinon le plus apte à les entraîner. Le Parti, ne l’oublions pas, autant au moins que par sa doctrine et son attitude générale, est considéré d’après le respect que peut imposer chacun de ses militants par son attitude et son action personnelles. Or, en ce moment, quel contrôle sur l’activité des communistes dans leur usine, nous permet le groupe local ? La propagande dans les usines entraînera un pas de plus vers la pureté de nos rangs, et la formation d’une véritable élite du prolétariat.
Notre recrutement aussi y gagnera beaucoup ; les adhésions que nous recueillons à la fin ou à la suite de réunions ne sont pas nombreuses, et nous nous entourons de nombreuses garanties avant de les accepter définitivement. Il est bon de tamiser scrupuleusement rentrée des adhérents nouveaux, mais c’est un succès négatif au point de vue de l’augmentation de nos effectifs. Allons donc chercher où ils se trouvent les bons éléments qui nous manquent ; à l’usine, on ne fait pas d’adhésion de principe ou d’enthousiasme, on entre dans le Parti après avoir montré déjà sa valeur dans le combat ingrat et tenace contre l’exploitation patronale, après que le nouvel adhérent et le Parti ont fait réciproquement leurs preuves et se sont jugés dignes l’un de l’autre.
Enfin, la propagande communiste dans l’usine a son ultime nécessité : nous ferons la révolution avec et dans l’usine. Toute notre action actuelle, toute notre activité est animée par la certitude que nous portons en nous de lancer un jour ce cri : « Tout le pouvoir aux Soviets ! » Nous devrons le dire, mais à bon escient et, comme en 1916 les ouvriers pétersbourgeois, nous pouvons méditer le conseil de Lénine : « Demandez-vous mille fois si vous êtes prêts, si vous êtes assez forts ; mesurez dix fois avant de couper. Organiser les soviets, c’est déclarer la lutte suprême, c’est déclarer à la bourgeoisie la guerre civile, c’est commencer la révolution ouvrière ». Nous n’en sommes pas encore à mesurer nos forces ; constituons-les avec d’autant plus d’ardeur et patiemment, jour par jour, transformant et la mentalité des membres du Parti et celle de la majorité des travailleurs ; faisons, par notre effort continu, de chaque usine, de chaque atelier, lieux actuels d’exploitation, les forteresses futures du prolétariat.
Aucun doute sur l’urgence, pour nous, de modifier nos méthodes, de les adapter au but, au rôle du Parti Communiste, et cela principalement par la propagande et l’action au sein du prolétariat, dans les usines.
Nous devons dire, à présent par quels moyens nous organiserons ce travail nouveau : sera-t-il l’œuvre des camarades isolés. Non, car la propagande à l’usine est chose féconde mais délicate ; elle sera dirigée à tout instant par un organisme particulier à chaque usine, nouvelle base du Parti, par la cellule.
Pour les cellules d’usine, comme pour toutes formes d’organisation, le tout n’est pas de créer, mais de faire vivre c’est pourquoi, avant de créer de nombreuses cellules, nous devons former les camarades qui les constitueront, discuter et expliquer en détail ce travail nouveau.
Nous avons établi que la cellule n’est pas un simple instrument de propagande dans l’usine, mais la base organique du Parti ; en un mot, nous transportons l’activité du Parti sur un terrain nouveau, et la cellule doit accomplir toutes les tâches du Parti, dans son usine comme le groupe local le fait dans la localité.
La cellule est constituée par tous les membres du Parti travaillant dans la même usine : ces camarades se retrouvent un jour à la sortie pour tenir une réunion de constitution. Si nous voulons que la cellule soit un lien vivant entre tous les communistes de l’usine, nous devons fixer rigoureusement un jour de réunion (une réunion par semaine est indispensable). De nombreux problèmes pratiques se posent alors (salle, temps, etc…), mais on peut les résoudre avec un peu d’initiative. Dans la région parisienne, il est, en général, assez facile de se réunir pendant une demi-heure, à la sortie du soir ; dans le Nord, par contre, il est plus commode de se réunir pendant le temps du déjeuner de midi : ils prennent leur repas ensemble en discutant.
La cellule doit avoir un secrétaire responsable du travail qui maintient la liaison entre tous les membres de la cellule, coordonne leurs efforts, convoque les réunions et les prépare.
Enfin, les membres de la cellule doivent se diviser le travail, s’assigner chacun une partie de la besogne et la faire. Chaque membre de la cellule doit, individuellement, participer à tous les travaux, faire la propagande sous tous ses aspects ; mais, pour certaines choses, comme la documentation, il est indispensable de la séparer en plusieurs tranches : l’un s’occupera des salaires, le second de la discipline, le troisième de l’hygiène et de la protection des machines, ou bien chacun aura à charge de s’occuper de son atelier.
A propos de la constitution de la cellule se pose la question de sympathisants ; notre attitude doit être fort nette à cet égard. Aux réunions ordinaires de la cellule, où est discutée la propagande, où l’on prend ensuite les décisions, doivent assister seulement les membres du Parti. Les sympathisants sûrs, que peuvent connaître les camarades de la cellule, sont naturellement utilisés pour le travail matériel de la propagande ; nous devons nous tenir en liaison constante avec eux, faire des réunions spéciales de sympathisants, les faire adhérer au Parti ; mais, le principe constitutif de notre cellule est formel : les membres du Parti travaillant dans l’usine.
A chaque réunion de la cellule, les camarades discuteront des résultats obtenus dans le courant de la semaine ou depuis leur dernière assemblée, de la propagande à faire : mais là ne se borne pas tout l’ordre du jour. Dans les réunions des cellules, il ne faut pas omettre une tâche très importante : l’éducation.
Dans nos groupes locaux actuels, l’éducation est donnée par conférences ou causeries, en réunions plénières ou en groupe d’études, portant sur un point de doctrine ou une question d’actualité. Il faut une autre conception de l’éducation pour la cellule. La réunion de la cellule est courte : pas de longs débats. Quelle éducation allons-nous donner alors ?
La meilleure étude qui puisse être faite de la conception marxiste, communiste, du mouvement ouvrier, est celle qui s’appuie sur l’exemple vivant de l’usine ; or, nous avons dans la cellule tous les matériaux à pied d’œuvre : l’usine et la doctrine. Soumettons-les à l’épreuve réciproque et de cet examen sortira la compréhension très claire de notre rôle et de nos possibilités.
La force du Parti Communiste sera d’avoir des militants qui observent, qui sachent voir et entendre et qui discernent la mentalité et les aspirations de leurs camarades de travail, non au travers d’une ou deux conversations mais par l’esprit général d un atelier ou d’une usine.
Combien avons-nous entendu de camarades dire : « Ah ! Il n’y a rien à faire ! Ils sont trop contents comme ça. Tout à l’heure encore, j’ai causé avec un… » Et, malheureusement, on se forge souvent une idée générale avec quelques bribes de cette espèce et quand on a causé avec « un », on dit « ils ».
Chaque membre du Parti doit acquérir la « psychologie » qui permet de discerner la tendance d’un ensemble de travailleurs ; autrement, comment allons-nous à la bataille contre le patronat ? Avec quelles perspectives engageons-nous notre propagande ? Par quels moyens sentons-nous l’ardeur de la lutte ou le flottement intérieur dans une foule de grévistes ? Nous allons à tâtons, à l’aveuglette, au petit bonheur, alors que nous devons toujours partir avec un certain nombre de certitudes.
L’éducation dans la cellule peut réaliser cela : tous les jours, dans l’usine, on peut glaner cinq ou six faits frappants qui, disséqués, expliqués, donnent une démonstration claire de la valeur et de l’exactitude des idées et de l’action communistes. N’est-ce pas à la porte de l’usine, au moment où on se libère des huit ou neuf heures d’exploitation, rançon quotidienne au patronat, qu’on peut le mieux éclaircir les différentes parties de notre programme ? La lutte des classes, que d’exemples multiples ! La collaboration de classes, que d’échecs et d’humiliations ! La valeur des réformes ? (les huit heures, les accidents du travail, la protection des machines, l’hygiène). La vie quotidienne toujours aggravée (salaires, impôts, situation politique générale). Enfin, n’est-ce pas sur place que nos camarades peuvent, dès maintenant, préparer des modes de contrôle de la production, de gestion ouvrière des usines ? Voilà un aspect déjà de l’éducation de la cellule dont l’avantage est de prendre un fait que chacun peut observer chaque jour, de remonter à l’aide de ce fait jusqu’à la théorie et en confirmer l’exactitude.
Il y a un travail plus simple encore et non moins important : nous engageons une campagne à laquelle nous assignons deux ou trois buts précis. La cellule doit étudier à fond la valeur de cette campagne. Le militant, dans l’usine, n’a pas fini son œuvre lorsqu’il a distribué ses tracts et collé ses papillons. Si son rôle se borne là et s’il s’en montre satisfait, il n’est qu’un simple agent d’exécution. Il doit être autre chose et beaucoup plus.
La cellule lit le tract, en discute l’argumentation et la rédaction : s’il est obscur, la remarque en est faite a l’organisme central ; en tout cas, lorsque le tract est distribué par la suite, chacun des militants qui le donne le connaît bien, peut en commenter le fond et la forme. Il peut se rendre compte de la portée exacte de notre propagande grâce aux échanges de vue, aux réflexions, aux exclamations suscitées par chacun de nos manifestes. La cellule centralise ces échos, peut ainsi suivre pas à pas le développement de notre propagande, en mesurer les effets, la progression ou l’incompréhension.
Dans les débuts, la cellule pourra ainsi contrôler la valeur de notre propagande, mais si elle comprend bien son rôle elle devra bientôt la diriger et c’est d’après les rapports des cellules en contact direct avec la masse que le centre sera guidé et pourra marcher ferme.
Cela exige une grande transformation dans l’esprit et les méthodes de travail de tous les membres du Parti : c’est la tâche d’éducation de la cellule d’y aider et de l’accélérer.
Quel travail peut faire la cellule communiste dans l’usine ? Nous devons sur ce point nous expliquer sans équivoque possible. Le fait que notre propagande s’exerce à l’usine même portera certainement beaucoup de camarades à consacrer tous les efforts de la cellule sur les revendications immédiates. Le rôle de la cellule n’est pas que cela. Toute la propagande, toute l’agitation du Parti sur toutes les questions à l’ordre au jour, doit être transportée devant tous les ouvriers par les soins de la cellule : lutte contre l’Etat bourgeois, campagnes antimilitaristes, propagande pour la révolution russe, etc… Reprenons en détail :
Revendications immédiates. — Point n’est besoin ici de rappeler pourquoi et comment nous soutenons les revendications immédiates de la classe ouvrière : on ne peut pas en ce moment entraîner les ouvriers à lutter pour une revendication dont la réalisation ne paraît pas possible dans un très court délai, pour la prise du pouvoir, par exemple. C’est donc pour la réalisation de buts plus rapprochés que nous devons entraîner les travailleurs.
A l’occasion de l’augmentation du prix de la vie, des impôts nouveaux, de l’effervescence générale, il est possible de déclencher des actions générales ; pour que ces mouvements englobent de grandes masses d’ouvriers, les cellules communistes doivent, chacune dans leur usine, faire la propagande et l’agitation nécessaires.
En plus même et à côté de ces mouvements généraux, la cellule doit aiguiller sans cesse l’esprit de combat des travailleurs : infractions aux conventions établies, manque d’hygiène, absence de chauffage ou aération insuffisante, revendications des jeunes, contestation de salaires, modification dans le mode de travail ou de paiement, application des huit heures, dérogations et congés, abus de discipline, à tout propos, mais pas hors de propos la cellule manifeste son activité par la lutte incessante contre ces manifestations du pouvoir patronal et pour l’amélioration incessante du sort de leurs camarades de travail.
Cela, non seulement pour arracher une concession minime au patronat, mais pour entretenir le prolétariat en état de lutte incessante et le rendre capable de marcher pour des revendications fondamentales.
Syndicalisme de masses. — Notre cellule doit avoir aussi une activité syndicale subordonnée aux instructions fournies par les commissions syndicales.
S’il y a une section syndicale dans l’usine, les membres de la cellule communiste se doivent d’être ses plus actifs militants et par là même font la propagande syndicale et du recrutement.
S’il n’y a pas de section syndicale, la cellule communiste tend à réaliser notre conception du syndicalisme de masse. Par la propagande en faveur des revendications immédiates nous aurons souventes fois l’occasion de montrer aux ouvriers la nécessité de l’organisation : avec l’agitation commencera en eux le développement de la conscience de classe ; notre devoir est de pousser ces camarades aux syndicats, de les y faire adhérer en grand nombre.
Notre activité syndicale à l’usine sera la plus belle réponse et la plus cinglante que nous puissions adresser aux « Don Quichotte » du syndicalisme pur et leurs vaines démonstrations perdront toute valeur quand le Parti communiste aura aussi nettement démontré ses capacités de recrutement et d’action pour les syndicats.
Activité « politique » . — La cellule doit faire connaître tout notre programme, l’exposer, l’opposer aux autres, le faire comprendre et adopter.
La lutte pour les revendications immédiates n’a de valeur révolutionnaire que dans la mesure où nous la dirigeons contre le système capitaliste tout entier. Sinon nous ferions du pur réformisme. Nous pouvons prendre l’actuelle campagne pour les 6 francs comme exemple. Ce qui fait la valeur révolutionnaire de cette campagne, c’est que nous expliquons les causes de l’augmentation du coût de la vie, de la dégringolade du franc, de l’avilissement des salaires payés avec du papier monnaie, aussi quand la classe ouvrière réclame les 6 francs elle marque en même temps son opposition à la politique de la Ruhr, aux impôts nouveaux, soutient le Parti communiste.
Ainsi, nous devons relier intimement toutes revendications ou souffrance matérielle des ouvriers à ses causes véritables dans le régime capitaliste. De même, la cellule communiste, devant les prochaines élections qui remuent tant déjà et trop encore le prolétariat, montrera la duperie et l’impuissance du parlementarisme, en dénonçant le même caractère « bourgeois » du « Bloc des gauches » et du « Bloc national » et en montrant que la seule manière de réunir les prolétaires contre la grande et moyenne bourgeoisie est de réaliser le « Bloc ouvrier et paysan ».
Notre doctrine antimilitariste basée sur l’analyse stricte de l’utilisation de l’armée par la bourgeoisie, de l’impossibilité et de l’illusion du désarmement, des nécessités de défense de l’Etat prolétarien, a besoin d’être connue et comprise et la cellule se consacrera sans réserve à ces campagnes.
Enfin, nous avons à tenir tête à nos adversaires et à en triompher. Nous avons à dénoncer sans cesse les réformistes, à répondre à toutes les attaques contre les soviets, contre la dictature du prolétariat et la révolution russe.
La politique intérieure et extérieure, le mouvement ouvrier international, le renversement nécessaire de la bourgeoisie, la dictature du prolétariat, voilà les thèmes sur lesquels la cellule communiste doit dire son mot, susciter les discussions et l’intérêt dont le résultat inéluctable est la sympathie accrue des travailleurs pour le Parti et l’Internationale Communiste.
Front unique. — Quand le Parti a offert le front unique à d’autres organisations, jusqu’ici seuls les membres de cette organisation et ceux de notre Parti l’ont su. Désormais, quand nous proposerons le front unique, une immense publicité sera donnée a notre geste, à la réponse qui lui sera faite et aux conséquences qui en découleront. La cellule communiste fera connaître à tous les ouvriers le texte de notre offre, le fera discuter et commenter, travaillera individuellement chaque adhèrent de l’organisation qui doit nous répondre. Ainsi par la base nous parviendrons à imposer le front unique aux dirigeants récalcitrants, et nous ferons juger les Partis en présence par le prolétariat au travail.
Nous sommes aussi, naturellement, d’actifs artisans de l’unité ouvrière sur les bases définies par la C. G. T. U. que nous contribuerons largement à faire adopter par les ouvriers adhérents aux syndicats réformistes grâce à notre propagande.
La question des Comités d’Usines est depuis longtemps déjà à l’ordre du jour, mais la préparation véritable n’est pas encore commencée. D’autre part, le réveil de la classe ouvrière a créé des conditions favorables à leur constitution.
Le Comité d’Usine est élu par tous les ouvriers de l’usine : les syndiqués, les non syndiqués, les syndiqués jaunes : par conséquent il n’est pas révolutionnaire par essence. Si les Comités sont constitués avec des éléments inconscients ou inexpérimentés, le mouvement sera vite dérivé par le patronat, n’oublions pas l’astuce des réformistes ni la tactique patronale qui essaieront de corrompre cette nouvelle tentative d’organisation révolutionnaire pour transformer les Comités en simples Commissions paritaires ou organismes de collaboration de classes, tolérés ou même suggérés par le patronat. L’exemple passé de délégués d’ateliers, système Albert Thomas, suffît à côté de nombreux établissements actuels où le patron, par un système de délégués élus pour un an, et des primes à la natalité, à la vieillesse, à la production, mettent les ouvriers dans leur poche, les éloignent des syndicats et les exploitent à leur gré.
Les Comités d’Usines seront donc utiles pour entraîner toute la classe ouvrière organisée ou non contre le capitalisme dans la mesure où ils seront animés par des éléments révolutionnaires.
Là encore la cellule communiste jouera un rôle des plus importants. Dès maintenant la classe ouvrière presque entière a entendu parler des Comités d’Usines et elle se tourne spontanément vers cette nouvelle forme d’organisation et de lutte, sans en connaître le sens exact ni le maniement. Les camarades communistes pensent faire profiter le prolétariat français de l’expérience acquise sur ce terrain par les autres pays : Allemagne, Italie, Russie. La première besogne est donc de préparation des esprits.
Nos camarades auront ensuite à tenir compte du milieu où ils ont à agir, beaucoup d’ouvriers sont organisés ou non. Et, pour guider leur action ils devront s’inspirer du principe suivant : il n’est pas indispensable, pour mener à bien la création d’un Comité d’Usine, que la majorité ou même la moitié des ouvriers soient organisés, mais il faut s’assurer avant de commencer l’action qu’il y ait un groupe d’organisés assez nombreux, assez actifs, pour guider toujours la masse des travailleurs.
Une fois tenu compte de ces précautions essentielles, la préparation du terrain est base solide : la besogne de la cellule communiste est toute tracée : pousser tous les ouvriers de l’usine au combat pour la constitution et la reconnaissance d’un Comité à la faveur d’une vague d’agitation.
Il faut déterminer si la cellule comme organisation communiste participera officiellement à la constitution du Comité d’Usine. Il y a une question préalable à poser : y a-t-il dans l’usine une section syndicale, si oui elle est toute désignée pour présider au travail, d’autant plus que les membres de la cellule communiste en seront les plus actifs militants. Sinon, c’est-à-dire s’il y a dans l’usine, d’autres syndiqués que les membres de la cellule communiste, il est clair qu’elle participera elle-même à la constitution et au fonctionnement
Après l’énoncé de la propagande à faire, passons aux modes pratiques de son organisation.
Nous avons d’abord l’arme habituelle dont la propagande à l’usine nous permettra détendre à une vaste échelle l’utilisation : le tract et le papillon collant. Ensuite notre presse quotidienne, l’Humanité, avec laquelle il est possible de faire plus qu’on croit. La rubrique des « Sales Boîtes » nous permet beaucoup. La cellule communiste note tous les faits intéressants et rédige un court filet qu’elle fait insérer. Cerclez de bleu ce passage et faites circuler le journal : il reviendra à votre place au bout d’une demi-journée, usé et crasseux et n’ayant pas seulement contribué au travail dans l’usine, mais encore au développement de notre organe.
Pour la province il est possible de faire mieux encore : à l’imprimerie on peut garder le plomb qui a servi dans le corps du journal régional et l’utiliser pour tirer à un prix de revient dérisoire de petits tracts.
Notre presse peut être aussi vendue dans tous les lieux où s’assemblent les ouvriers entre les heures de travail : pendant le repas de midi, lorsque les restaurants regorgent, un camarade vendant nos journaux en placera toujours un gros paquet.
Enfin, l’arme de propagande la plus puissante dont on ne peut pas même soupçonner la valeur lorsqu’on ne l’a jamais employée, c’est le journal d’usine. Il n’est pas besoin de l’imprimer, le tirer au duplicatum, et même à la polycopie est suffisant. Qu’y mettre ? Un petit article très court, sur le programme général du Parti, puis, deux ou trois filets relatifs à l’usine même. On le distribue à 100, 200, 500 exemplaires suivant les nécessités et chaque ouvrier le lit, s’y intéresse, s’y attache parce qu’on y parle de ses revendications bien à lui, de son usine, du milieu où il est chaque jour. Ces journaux d’usine donnent des résultats extraordinaires et pour les confectionner il suffit d’un peu d’initiative et d’activité.
Quelques mots sur les réunions d’usine. Elle a surtout une valeur d’agitation lorsque nous voulons exposer oralement devant tous les ouvriers d’une usine le sens de nos campagnes : il est difficile, sinon dangereux d’y faire des adhésions. C’est un outil excellent mais délicat : toute réunion d’usine doit être minutieusement étudiée (salle, heure, etc…), puis fort sérieusement préparée par tracts, affiches, journal.
Le patronat ne verra, certes pas, d’un œil bienveillant, le Parti Communiste installer dans les usines un foyer de propagande et d’agitation permanent et, à notre action concertée pour la création de cellules, il répondra par une action concertée de répression. Il y a donc des précautions à prendre, mais nous ne devons pas non plus être timorés. Lorsque la cellule communiste est créée, inutile de le faire connaître à son de trompe.
Tout d’abord, au lieu de nommer nos cellules du nom de l’entreprise, nous pouvons la désigner sous un numéro d’ordre. Il y a à étudier la nécessité de garder plusieurs camarades « tranquilles » qui ne commenceront à faire de la propagande que le jour où une première série aurait été mise à la porte.
Il arrivera certainement qu’à la suite d’actions importantes de grèves, tous les membres de la cellule soient jetés dehors par une centralisation habile, c’est à nous d’envoyer immédiatement à l’embauche pour les remplacer d’autres membres du Parti. La solidarité sera spontanée et beaucoup plus effective parce que tous seront exposés.
Il n’en faut pas conclure que la cellule doit être absolument terrée : notre propagande méthodique révélera fatalement qu’il y a une organisation pour la diriger, les sympathisants serviront à élargir notre cercle d’influence sans dévoiler trop ouvertement les principaux militants.
Voici résumés brièvement les travaux principaux et les méthodes de propagande de la cellule d’usine. Il nous reste à conclure en étudiant la marche pour la création de cellules dans les principales régions industrielles de France ainsi que les relations à établir entre les cellules, nouvel organisme naissant et le groupe local où jusqu’ici ont été concentrées toutes les habitudes et toute l’activité des membres du Parti.
Quand nous critiquons le groupe local, notre intention n’est pas de le détruire : à côté de l’organisation reposant sur le lieu d’exploitation : l’usine, nous aurons toujours besoin d’une organisation reposant sur le lieu d’habitation, soit sous la forme du groupe local, soit sous la forme de cellules de rue.
La cellule devient la base organique du Parti, c’est-à-dire que tous les communistes travaillant plusieurs dans la même entreprise doivent s’y grouper, se réunir régulièrement, y prendre leur carte, y cotiser, y discuter et voter sur les questions à l’ordre du jour du Parti.
Le groupe local subsistera longtemps encore sous sa forme actuelle, fera toute la propagande dont l’utilité subsiste sur le terrain du lieu d’habitation, mais peu à peu il se transformera. La section du Parti ne sera plus composée par les adhérents habitant l’arrondissement ou la localité, mais par l’ensemble des cellules d’usines.
Dans les régions rurales, la question ne se posera pas, le groupement sur la base locale étant le seul possible.
Dans les petites villes industrielles, la structure ne sera pas soumise à un remaniement trop déconcertant, car l’aspect des réunions subsistera, les camarades habitant près du lieu de travail et assistant comme membres des cellules en même temps que comme membre habitant la localité.
La transformation sera plus profonde et plus difficile dans les grands centres, comptant des centaines d’usines où des milliers de travailleurs habitent à des kilomètres de l’atelier. Là, nous conserverons longtemps la double base de la cellule d’usine et du groupe local, mais nous devrons, au fur et à mesure de la création des cellules, les relier intimement à la section locale, afin que ces deux organismes, ces deux formes de propagande ne s’ignorent pas mais travaillent, au contraire, parallèlement.
Dans là création des cellules, nous rencontrerons des cas particulièrement intéressants pour lesquels nous devons tout de suife poser quelques idées directrices
Toutes les usines importantes se composent de plusieurs ateliers et pour notre action une cellule générale ne suffit pas : une action particulière à chaque atelier s’impose, ainsi que la création d’une sous-cellule par atelier. Cette forme d’organisation nécessaire dans les usines importantes de province devient indispensable dans les grandes usines parisiennes qui comprennent de 10 à 60 ateliers.
Ce travail de multiplication des cellules prend un aspect plus curieux encore lorsque des ateliers représentent des étapes différentes de la production et le problème se pose, comme le montre l’exemple de la création de cellules de jeunes à Chaligny {Meurthe-et-Moselle).
- — Laminoir : cellule formée.
- — Haut fourneau : cellule formée.
- — Machinerie : cellule formée.
- — Service électrique : cellule non formée.
- — Atelier des hauts fourneaux : cellule non formée.
- — Atelier central : cellule formée.
- — Fonderie : cellule non formée.
- — Port des houilles : cellule non formée.
- — Charpentes : cellule non formée.
- — Aciérie : cellule formée.
- — Briqueterie : cellule formée.
La nécessité des sous-cellules est bien illustrée par ce cas où la cellule générale d’usine englobe des catégories tout à fait différentes des travailleurs. Dans d’autres cas, notre cellule pourra réunir toutes les branches de production de l’usine, depuis la fonte du métal jusqu’au bureau d’études techniques, des fondeurs jusqu’aux dessinateurs, et il n’est pas besoin d’insister sur l’importance et le profit que nous pouvons retirer d’un tel mode d’organisation.
Un autre cas se présentera : dans les grandes régions industrielles, les mêmes sociétés ont sept ou huit usines dans des localités voisines. Ex. : Thomson, dans la région parisienne. Nous devons profiter de la création d’une cellule dans une de ces usines pour porter la propagande dans les autres et tenter aussi de créer des cellules un peu partout et au petit bonheur, mais méthodiquement.
De même, le Parti, tout en tenant compte des éléments dont il dispose, a intérêt à porter son effort sur les industries principales de chaque région : dans la région parisienne, métallurgie ; textile, mines, dans le Nord ; mines dans le Pas-de-Calais.
La récente circulaire de l’Internationale Communiste a mis à l’ordre du jour des discussions du Parti : « Les cellules communistes d’usines ». Il importe que tous y prennent une part active, car c’est de la clarté et de la compréhension nette de leur rôle et de leur fonctionnement que sortiront des cellules vivantes.
La seule base du groupe local est définitivement condamnée, mais il faut avant de la rejeter au second plan, affermir solidement notre nouvelle organisation. Dans la discussion, bien des objections seront formulées ; nous devrons tenir compte de celles qui seront justes, mais celles qui seront le fait d’une tradition périmée, de vieilles habitudes routinières, devront être écartées sans merci.
La transformation profonde qui fera de notre Parti l’organisme capable de guider le prolétariat nécessite un renouvellement sans retour de chacun de nous.
Georges Dangon, Imprimeur.