Les Chansons de geste d’après Joseph Bédier
La vieille épopée française du moyen âge devra aux livres de M. Joseph Bédier la grâce d’une jeunesse nouvelle. On trouve dans les deux volumes qu’il a fait paraître au cours de l’année dernière, et dont les lecteurs de la Revue connaissent quelques chapitres[2], le dessin d’une explication très originale des chansons de geste. L’auteur n’a cependant formulé aucune théorie : il s’est contenté, après de minutieuses études, de proposer des faits aussi nombreux et aussi probans que possible ; il n’a pas encore conclu, un peu par coquetterie, beaucoup par honnêteté. Mais la critique, elle, n’avait pas les mêmes raisons d’attendre. En tous pays où les études médiévales sont honorées, elle s’est tout de suite intéressée à la solution nouvelle donnée par M. Bédier à un problème qui touche en même temps l’histoire littéraire et l’histoire des mœurs. « Un souffle d’air frais, écrit avec enthousiasme un philologue étranger, passe sur les antiques broussailles des chansons de geste[3], » et, de son côté, le Journal des Savans[4]déclare que les Recherches sur la formation des légendes épiques sont « d’une originalité exquise. » Les livres de M. J. Bédier méritent cette attention et ces éloges : ils représentent un effort personnel et vigoureux pour mieux comprendre le passé, une belle œuvre de science exacte et parfois de poésie.
Celui qui aurait prédit à Gaston Paris, il y a une dizaine d’années, que son disciple et son successeur au Collège de France ébranlerait, avec autant de respect que de force, le vénérable édifice des théories sur l’épopée française, lui aurait causé un étonnement profond. Le grand historien n’aurait pas repoussé dès l’abord cette hypothèse hardie, car il savait les possibilités indéfinies des travaux critiques, et, mieux que personne, il connaissait tout ce qu’on pouvait espérer d’un chercheur et d’un écrivain tel que M. Bédier. Mais il aurait accueilli la prophétie avec quelque scepticisme. Les théories de l’épopée française étaient en effet solidement établies et généralement acceptées. L’épopée, disait-on, a été toute spontanée à ses origines ; elle est sortie des événemens ; elle a traduit les sentimens de générations naturellement héroïques. Quel a été le caractère des chants primitifs ? Ont-ils été lyriques ou épiques ? On en disputait. Mais on se réconciliait aussitôt pour affirmer qu’ils avaient existé dès le VIIIe siècle. Le Français, qui depuis a pris sa revanche, avait alors la tête si facilement épique que la réalité présente devenait elle-même matière d’épopée. Aventures, combats, exploits héroïques, voilà ce que les aèdes chantaient sous l’influence de l’histoire, conférant aux faits leur signification idéale, immortalisant les impressions d’un peuple entier. Toute la vie des guerriers, écrivait Gaston Paris qui a exposé cette thèse avec précision et magnificence, était enveloppée de poésie vivante ; ils se sentaient eux-mêmes des personnages épiques ; ils entendaient d’avance, « au milieu des coups de lance et d’épée, la chanson glorieuse ou insultante que l’on ferait sur eux. » Où est née l’épopée de Roland, celle de Raoul, celle de Girard ? Sur le champ de bataille. En ce temps-là, ceux qui se livraient aux combats savaient aussi composer des chansons. « Préparée depuis Chlodovech, commençant vraiment avec Charles Martel, à son apogée sous Charlemagne, renouvelée puissamment sous Charles le Chauve et ses premiers successeurs, la fermentation épique, si l’on peut dire, d’où devait sortir l’épopée s’arrête au moment où la nation est définitivement constituée et a revêtu pour plusieurs siècles la forme féodale. Avec l’avènement de la troisième race, la période de production épique spontanée est close. » Ainsi, depuis la date fatidique de 987, il n’y a plus eu d’épopée. Mais, par un malheur insigne, de la grande époque de floraison légendaire, il ne reste absolument rien. Nous avons des textes qui sont de simples arrangemens, composés presque toujours au XIIe ou au XIIIe siècle. Un destin jaloux a voulu que les trésors poétiques des origines fussent éternellement mystérieux. Les chansons qui nous sont parvenues sont des remaniemens tardifs, des survivances. Lorsque parut la plus ancienne, la plus illustre de nos légendes, la Chanson de Roland, il y avait cent ans déjà que la véritable épopée avait péri.
Telle est la théorie qui a cours depuis un demi-siècle et qui, malgré les difficultés qu’elle pouvait soulever ; était acceptée par tous, faute d’une autre qui fût plus satisfaisante. M. Joseph Bédier la proposait lui-même dans un article ancien de la Revue des Deux Mondes[5]qu’il juge désormais, avec une modestie malicieuse, un peu lyrique et déclamatoire. C’est qu’aujourd’hui il a révisé personnellement les idées qu’il avait reçues jadis toutes formées ; il a, durant six années, poursuivi sévèrement cette étude ; et il est désabusé. Il ne croit plus qu’il y ait eu dès le VIIIe siècle des chants épiques spontanés ; il ne croit plus que les poèmes aient raconté sur l’heure des événemens authentiques ; il ne croit plus que les manuscrits du XIIe siècle aient été rédigés, alors que l’épopée était morte, pour des auditoires d’élite et des Mécènes désœuvrés. Des faits nouveaux qu’il a recueillis sans les chercher et vérifiés impartialement, il voit surgir une explication toute différente. Pour lui, les chansons de geste ont été composées après les événemens qu’elles sont censées raconter ; elles n’ont presque rien d’historique ; elles ont été créées au plus tôt au XIe siècle par des poètes et par des moines pour célébrer les héros de sanctuaires illustres, pour divertir le public des marchés et des foires, pour édifier et convaincre ces foules bigarrées de pèlerins qui, durant le moyen âge, cheminaient sur les grandes routes venant du Nord et allaient de stations pieuses en stations pieuses jusqu’aux villes sacrées de Rome et de Compostelle.
C’est là une sorte de révolution historique qui ne sera pas acceptée sans de retentissantes discussions. Déjà les revues spéciales examinent les faits allégués par M. J. Bédier et on peut prévoir de grandes batailles d’érudits. Pour se permettre d’y participer, il faudrait être un érudit soi-même, posséder une compétence de romaniste, entrer aussi dans des détails dont le public par humilité et par goût préfère ne pas trop se mêler. Mais ce n’est pas manquer de la réserve convenable aux profanes que de s’enquérir des résultats obtenus par les savans et d’en dire son impression. Les investigations des philologues perdraient quelque chose de leur prix si elles devaient rester indéfiniment le secret des initiés, et si la foule des lecteurs étrangère aux procédés d’une science hermétique ne devait au moins de temps en temps recueillir des conclusions. Les pages qui suivent n’ont d’autre objet que de faire connaître des travaux d’histoire littéraire qui intéressent l’Europe lettrée, et quand déjà la découverte de M. Joseph Bédier est étudiée à Rome, à Vienne et à Berlin, elles tendent simplement à nous renseigner d’une manière plus complète.
Il faut voir M. J. Bédier à l’œuvre et le suivre dans sa recherche. La méthode ici se confond avec l’invention. M. J. Bédier d’ailleurs nous invite lui-même à refaire en sa compagnie le chemin qu’il a parcouru. Ce n’est point par le raisonnement, c’est par l’expérience qu’il entend nous persuader. Nul homme n’est moins dogmatique, et l’on peut l’en croire quand il dit qu’il n’a pas eu d’idée préconçue. Mais il n’est personne non plus qui, devant une vérité nouvelle, soit mieux disposé à lui faire accueil, si elle lui paraît s’imposer. Il y a en lui un savoureux mélange de réserve et d’audace, de simplicité et d’enthousiasme, de rigueur critique et de délicatesse intellectuelle. On risque de le méconnaître si l’on ne se souvient qu’il est l’auteur d’un savant ouvrage sur les Fabliaux et qu’il a composé aussi, à l’aide des romans anciens, un texte poétique de la légende de Tristan et Yseult. C’est dire tout ce qu’il a pu mettre de sévérité, d’intelligence et de goût dans ses études sur les légendes épiques. Lorsqu’il les a entreprises, il y a plusieurs années, il ne soupçonnait guère où elles devaient le conduire. Il lisait alors en grammairien les chansons qui composent le cycle de Guillaume d’Orange. Il songeait à éditer l’une d’elles, et, comme il avait pris plaisir à cette lecture, il projetait de consacrer à ce sujet une année de son cours au Collège de France. Mais il lui fallait auparavant faire une recension méthodique des textes, examiner les diverses chansons du cycle, rechercher quels sont les personnages et les événemens auxquels il est fait allusion. Ces études étaient toutes nouvelles pour lui. Il les entreprenait d’un esprit libre et ardent : elles lui réservaient bien des surprises.
C’est un guerrier très merveilleux que Guillaume d’Orange, l’un des sept fils d’Aymeri de Narbonne et le héros d’un des plus riches cycles épiques du moyen âge. Vingt-quatre poèmes célèbrent les exploits de sa famille et les siens, mais comme il n’est pas homme à rester au second plan, sur ce nombre huit lui sont personnellement consacrés. Dès son départ de la ville paternelle, Guillaume tout jeune bataille contre les Sarrasins. Armé chevalier par Charlemagne lui-même, il reçoit bientôt de ses mains l’épée illustre entre toutes, Joyeuse, l’épée des rois de France. C’est que l’Empereur vieilli pressent l’indignité de son fils et la loyauté du jeune chevalier : il laisse sa couronne à Louis et son épée à Guillaume. Toute la vie du fidèle serviteur sera vouée à la défense de son souverain et de la chrétienté. Charlemagne disparu, c’est Guillaume qui prend Louis sous sa protection, combat les barons révoltés, raffermit en tous lieux sa puissance. Mais le Roi est ingrat et il oublie son défenseur dans la distribution de ses fiefs. Alors Guillaume irrité veut quittera cour. Il se souvient que, revenant un jour du pèlerinage de Saint-Gilles, il a vu la contrée toute couverte de païens ; et il demande à son roi la permission d’aller conquérir sur les infidèles le fief d’Orange. Il part donc de Paris avec ses compagnons, la fleur de la baronie de France, il traverse le Berry et l’Auvergne, il entre à Nîmes, puis à Orange. Quels furent pendant des années ses prouesses dans la région, les poèmes le disent, et font voir le héros combattant pour son roi partout et jusque dans Rome. Enfin devenu vieux, chargé de gloire, il se retire au monastère d’Aniane et un peu après à l’ermitage du Désert. Son œuvre n’est pas finie cependant. A l’appel de Louis, il sait retrouver son cheval et ses armes, et vaincre encore ses ennemis. Mais quand il revient, c’est pour toujours : il dépose son bouclier en ex voto sur l’autel de Saint-Julien de Brioude, et achève si saintement sa vie que l’Eglise l’a placé parmi les élus.
Comme les poètes, les moines ont gardé le souvenir d’un si pieux personnage. L’ermitage où Guillaume se retira se trouve très exactement situé comme les chansons le disent. Saint-Guilhem-du-Désert est aujourd’hui un village entre Montpellier et Lodève, à quelques kilomètres d’Aniane. Dans l’église, dont les assises datent de l’époque carolingienne, on montrait jadis le tombeau du saint, et l’on vénère encore quelques reliques. De ce qui fut l’ermitage, la « maison » du héros, il ne reste rien. Mais l’église paroissiale est environnée des ruines d’une abbaye, et l’on sait que, du IXe au XVIIIe siècle il y eut dans la région des Bénédictins. Deux monastères très anciens et voisins, celui d’Aniane, fondé par saint Benoît, le réformateur de l’ordre, et celui de Gellone ou de Saint-Guilhem, fondé par Guillaume, tous deux riches en documens, nous ont laissé des renseignemens curieux sur la personne du guerrier devenu moine que célèbrent les poèmes épiques. L’auteur de la Vie de saint Benoit[6]raconte qu’un personnage illustre entre tous à la cour de l’Empereur, le comte Guillaume, s’attacha à saint Benoît d’une amitié si forte que, prenant en mépris les dignités mondaines, il choisit son ami pour le guider dans la route salutaire qui le conduirait au Christ. Revêtu de riches vêtemens, il vint rejoindre le vénérable Benoît, il fit tondre aussitôt sa chevelure, et le jour des apôtres Pierre et Paul, dépouillant ses habits tissés d’or, il prit avec joie la vêture des serviteurs du Christ. Or, ajoute le chroniqueur, à quatre milles environ du monastère habité par le bienheureux Benoît, s’étend une vallée nommée Gellone, et tellement séparée du monde, que celui qui l’habite, s’il aime la solitude, n’a rien à souhaiter. C’est là que le nouveau venu fit construire sa cella ; il y planta des vignes, disposa des jardins peuplés d’arbres très variés, et s’y abandonna au Christ, sans plus garder aucun vestige de sa grandeur mondaine. La Vie de saint Guillaume, composée au XIIe siècle par les moines de Gellone, contient un récit différent par le détail, mais analogue pour l’ensemble[7]. Elle rapporte en outre quelque chose des exploits accomplis par le héros. Le chroniqueur n’a pas voulu se contenter de la vie de Guillaume sous le froc ; il parle des guerres glorieuses célébrées par tout l’univers ; il a pris la peine de rédiger un petit résumé des expéditions contre les Sarrasins et des luttes autour d’Orange, celles-là mêmes que chantent les poèmes. « Lorsque Guillaume, dit-il, eut conquis Orange, il la garda pour lui, et en fit sa résidence principale ; et c’est pourquoi cette ville par la gloire d’un si grand guerrier est illustre aujourd’hui dans le monde entier. Quant à raconter les autres exploits de Guillaume et quelles grandes luttes il a soutenues contre les barbares d’outre-mer et les Sarrasins ses voisins, comment par la force de son épée et avec l’aide divine, il a sauvé le peuple et agrandi l’empire chrétien, je pourrais le raconter, mais ce serait la matière d’un grand volume. » Voilà certes un personnage dont la vie a été brillante et bien remplie. Sa gloire est célébrée par deux sortes d’apologistes bien différens, des religieux perdus dans une vallée sauvage du Midi, qui conservent la mémoire d’un saint ayant jadis habité parmi eux, et des poètes qui, comme on sait, écrivent en langue vulgaire et sont des gens du Nord. Et ces deux légendes du Nord et du Midi, des monastères et des chansons, sont d’accord, et elles sont grandioses.
Que dit l’histoire ? et n’est-elle pas, pour un héros qui semble avoir tenu tant de place en son siècle, riche en détails biographiques ? L’histoire, contrairement à ce qu’on attend, ne dit rien ou presque rien. Quand elle parle, elle parle autrement que la légende : elle sait ce que ni les poètes ni les religieux ne savent ; elle ignore souvent ce qu’ils racontent. Qu’on en juge : Guillaume, comte de Toulouse, qui est un personnage réel et qui a évidemment servi de modèle à l’épopée, était un Franc du Nord, fils du comte Thierry, et d’Aude, une des trois filles de Charles Martel, cousin germain par conséquent de Charlemagne. Il remplissait de hautes fonctions administratives, soumit les Gascons révoltés, et les gouverna ; puis il lutta sans grand succès contre les Sarrasins qui venaient de passer les Pyrénées ; il prit part dans la suite à une expédition contre Barcelone, et enfin, dans sa vieillesse, il se fit moine. C’est là tout ce que nous apprennent les chroniques et en vérité c’est peu ; mais c’en est assez pour que l’on s’aperçoive combien histoire et légende concordent mal l’une avec l’autre. Ni la parenté illustre du héros, ni ses fonctions, ni ses démêlés avec la Gascogne ne sont connus des poèmes : le comte de Toulouse accomplit des actes dont Guillaume d’Orange n’a pas la moindre idée, et Guillaume d’Orange a des aventures que le comte de Toulouse paraît avoir ignorées. Les deux personnages ne se ressemblent que parce qu’ils ont de plus général et de plus banal. Existe-t-il du moins dans l’histoire d’autres guerriers fameux de qui la légende ait pu s’inspirer ? Les critiques assuraient que oui, et M. J. Bédier n’en doutait pas avant d’avoir regardé lui-même. Dans son ouvrage classique sur les Epopées françaises, Léon Gautier explique comment, pour composer la légende de Guillaume, on a fondu entre elles les histoires de plusieurs personnages du même nom, comment à chacune on a emprunté plusieurs traits, comment on les a juxtaposées et mises finalement toutes sur le compte d’un héros central. Mais où sont tous ces Guillaumes, de Normandie, de Provence et du Nord, qui auraient eu chacun leur histoire d’abord, leur chanson ensuite, et dont les poèmes fusionnés auraient formé le cycle d’Orange ? M. J. Bédier est parti courageusement à leur recherche ; il en a rencontré seize sur la foi des critiques ; il a discuté leurs titres, il leur a demandé ce qu’ils avaient exactement fourni à la légende. Et un à un, les seize Guillaume se sont évanouis, comme autant de fantoches qui ne devaient leur importance qu’à l’ingéniosité systématique des érudits. Il existe un long poème, le Couronnement de Louis, où sont racontés les exploits de Guillaume défendant le faible roi, et payé d’ingratitude. Les savans croyaient y reconnaître le mélange de plusieurs poèmes et de plusieurs Guillaumes, tous profondément historiques à l’origine, et trouver la preuve de l’amalgame par où des événemens vrais s’étaient réunis pour former une fable. Or M. J. Bédier en a fait une analyse complète, et, à mesure qu’il examinait de plus près ces constructions, de loin si imposantes, il les a vues se dissiper en fumée comme des palais de rêve ; il a reconnu dans le Couronnement de Louis un vaste récit, où la vérité historique est nulle, mais où l’unité du personnage principal, la logique de la structure sont certaines et ne diffèrent pas beaucoup de celles de la Henriade ou de Salammbô. Tout le cycle de Guillaume d’Orange est composé comme si des poètes avaient emprunté seulement à la réalité le nom de leur héros, l’idée très générale de ses luttes contre les Sarrasins, et celle de sa retraite pieuse : le reste est imagination.
Alors, comment a pu se constituer la légende épique ? Si l’histoire de Guillaume n’est pas véridique, si elle n’a pas été célébrée par des contemporains au lendemain même de sa mort, il reste à expliquer pourquoi et comment deux ou trois siècles après que ce personnage eut disparu sans laisser de son passage sur terre une trace éclatante, des poètes ont eu tout à coup l’idée de le chanter. C’est sur ce problème que M. J. Bédier a dû longuement méditer : il venait de renverser l’échafaudage des hypothèses anciennes ; il lui fallait à son tour non point supposer, ni construire, mais trouver les faits qui lui livreraient le mot de l’énigme. Et c’est ici que se place l’une de ses découvertes les plus originales.
Une singularité l’avait frappé et lui paraissait importante, malgré le peu de cas qu’on en avait fait avant lui : c’est que la légende des poètes jongleurs du Nord était en parfaite harmonie avec celle des moines de la vallée sauvage des Cévennes. Les mêmes faits s’y trouvent rapportés de la même manière ; les descriptions y sont exactes ; des particularités curieuses, comme le passage du saint à Aniane avant la fondation de Gellone, comme la station pieuse à Saint-Julien de Brioude y sont pareillement notés ; bien plus, des exploits inventés se retrouvent dans l’une et dans l’autre, comme cette bataille d’Orange, qui n’a jamais eu lieu, contre le roi sarrasin Thibaut, qui n’a jamais existé. Il n’y a pas là des rencontres accidentelles, mais une concordance régulière ; il n’y a pas là une chance inouïe de Guillaume deux fois sauvé de l’oubli à la même date par des chansons, et par des chroniques monastiques ; il y a une volonté commune. Tout se passe comme si moines et jongleurs s’étaient fréquentés et avaient été d’accord. Mais comment l’auraient-ils pu, alors que tout dans leur existence, les lieux qu’ils habitaient, leur langue même, les séparaient ? M. J. Bédier se le demandait quand il eut un jour l’idée de jeter les yeux sur une carte de France et de repérer tous les lieux géographiques où les chansons conduisent Guillaume depuis Paris jusqu’au Désert, en passant par Brioude, l’Auvergne, Saint-Gilles, Nîmes. Il s’aperçut avec surprise que la ligne reliant tous ces points suivait exactement l’ancienne Via Tolosana, l’une des plus fréquentées du moyen âge, l’une de celles qui du Nord conduisaient les pèlerins en Espagne jusqu’au sanctuaire de Saint-Jacques de Compostelle.
Les voiles dès lors se déchiraient. Un Guide des pèlerins qui date du XIIe siècle nous apprend que les voyageurs allant en Galice pour prier sur le tombeau de l’apôtre Jacques étaient invités à s’arrêter à Gellone : pour les y encourager, on leur chantait les exploits du saint, fameux dans toute la région. Saint-Guilhem n’était pas un ermitage désolé, c’était une abbaye située près d’une grande route, et, comme elle possédait la tombe de Guillaume, elle recevait beaucoup de visites. Elle eut le désir bien naturel d’en recevoir toujours et de rendre éclatante la gloire du saint. Grâce aux chroniques et aux traditions monastiques, elle put aisément documenter ces jongleurs qui avaient coutume d’accompagner les pèlerins et qui, aux étapes, aux abords des monastères, des hospices, des chapelles et des sanctuaires, chantaient, pour récréer ou émouvoir les auditeurs, des histoires merveilleuses. Une fois fixés les traits principaux du personnage qu’ils célébraient, ses exploits du temps de Charlemagne contre les Sarrasins, et sa retraite pieuse à Gellone, les chanteurs pouvaient imaginer librement. Ils ne s’en privaient pas, mais ils utilisaient adroitement pour les faire rentrer dans leurs romans et pour y intéresser les voyageurs, les lieux notables qu’ils traversaient. Comme ils accompagnaient les pèlerins au moins sur une partie de la route, ils la connaissaient bien ; ils savaient où il y avait des stations, des abbayes, qui peu à peu comme Gellone s’intéressèrent à Guillaume, et ainsi les principaux épisodes du cycle de Guillaume se trouvent tous groupés autour de certaines étapes, sur des points du parcours que suivaient traditionnellement les pèlerins.
Il existe, dans l’une des chansons du cycle, un passage bien curieux et qui prouve les connaissances géographiques des jongleurs : c’est celui où Guillaume décrit lui-même l’itinéraire qu’il suivra en partant de Paris pour aller combattre les Sarrasins dans le Midi. Cet itinéraire, c’est tout le programme du voyage qu’entreprenaient les pèlerins, c’est celui-là même que recommande le Guide : Paris, Brioude, Le Puy, Nîmes, Saint-Gilles. Et si l’on considère non pas une seule chanson, mais l’ensemble du cycle, on s’aperçoit que, dans la plupart des villes du chemin, se place quelque épisode de la geste. On dirait que tout est combiné pour qu’à chaque point important du pieux voyage se retrouve le souvenir de Guillaume. À Paris, les pèlerins s’assemblent à l’hospice Saint-Jacques : or, c’est là même que se place la belle histoire insérée dans la chanson du Moniage Guillaume, celle de la lutte engagée par Guillaume déjà vieux contre le Sarrasin Isoré, à l’emplacement qui est aujourd’hui la rue de la Tombe-Issoire ; — les pèlerins passent ensuite au Puy, et l’on voit dans l’un des poèmes que Guillaume s’arrête en ce lieu pour faire ses dévotions à Notre-Dame du Puy ; — les pèlerins passaient à Brioude ; or, la collégiale de Saint-Julien de Brioude attirait beaucoup de monde, et dans l’une des chansons du cycle, le Charroi de Nîmes, Guillaume va honorer le saint, tandis que dans d’autres on voit que Brioude possède des reliques de Guillaume, anecdotes qui, faut-il l’ajouter ? n’ont rien d’historique ; — les pèlerins passaient à Nîmes, et saint Guillaume était honoré dans cette ville par une fête assez solennelle ; — les pèlerins passaient près d’Arles, ils allaient visiter la nécropole gallo-romaine des Aliscamps, le Campo Santo de la Provence, et les chansons de geste ont transformé ce cimetière en champ de bataille où périt le héros Vivien, en champ de sépulture où sont ensevelis, non loin des saints très vénérés dans le pays, Honorat et Trophime, quelques-uns des morts de Roncevaux. Toute la route[8]est pour ainsi dire jalonnée de souvenirs héroïques et pieux : les chansons du cycle de Guillaume semblent cheminer avec les pèlerins.
Ainsi s’explique la diversité des régions où nous mènent les chansons de Guillaume ; ainsi s’explique le mélange constant du langage, des poètes du Nord avec des survivances méridionales. On se demandait d’où venaient des noms comme « Naimeri » et « Vivian » de forme provençale ; on se demandait pourquoi les paysages sont si fréquemment parsemés d’oliviers et pourquoi la formule descriptive ainsi constituée est si habituelle que les poètes l’appliquaient à toutes les régions, même à Laon, même à Paris ; on, se demandait pourquoi le souvenir de Guillaume se retrouvait tantôt à Brioude, tantôt à Orange, tantôt à Martres-Tolosane, et selon quelles circonstances il se distribuait ; on se demandait pourquoi l’épopée française, œuvre des hommes du Nord, s’était passionnée pour le sort des villes de Provence et du Languedoc. Le petit sanctuaire de Gellone répond à ces mystères, et c’est parce qu’il a été l’asile du saint que, trois siècles après sa mort, les religieux eurent l’idée d’y attirer les pèlerins. « Si par maladie ou par accident, écrit M. Bédier, le comte Guillaume de Toulouse était mort vers l’an 803 avant d’avoir pu se rendre moine au monastère d’Aniane, et de fonder le monastère de Gellone, pas une des chansons de geste et pas une des légendes de notre cycle n’existerait. Et pas une de ces chansons ni de ces légendes n’existerait si par hasard, trois siècles ou plus après la mort de cet homme dans l’abbaye de Gellone, les moines de cette abbaye n’avaient eu le souci d’attirer vers ses reliques les pèlerins de Saint-Gilles de Provence et de Saint-Jacques de Compostelle. »
Ayant fait ces découvertes, M. J. Bédier s’est trouvé, comme ce personnage dont parle Stendhal, plus étonné qu’heureux. Il venait en effet d’établir qu’il y avait une exception très probable à la règle vénérable par où l’on avait coutume d’expliquer les chansons de geste. Lui-même avait cru, en commençant son étude, s’appuyer sur des théories généralement admises et rendre compte par elles des épopées qui lui plaisaient. Et voici que les faits ne confirmaient nullement ces théories ; voici même qu’ils les contredisaient. Il y avait heureusement un moyen de sortir d’embarras ; c’était d’examiner à leur tour les autres cycles. M. J. Bédier s’est mis à cette étude nouvelle avec curiosité, et sans fièvre : sa foi dans la théorie générale de Gaston Paris n’était pas ébranlée, et les conclusions auxquelles il avait abouti par la critique du cycle de Guillaume ne pouvaient pas encore lui paraître avoir une portée générale. Mais l’esprit critique est implacable : il a ses voies mystérieuses par où il mène les érudits à ses fins. M. J. Bédier s’étant mis en quête de faits confirmant la thèse ancienne ne trouva que des exceptions. A la première, il ne s’émut pas à l’excès, et pensa que ce second cycle devait aller rejoindre le cas singulier de Guillaume. A la seconde, il s’étonna ; à la dixième, son audace l’effraya. Au bout de cinq années de travail, il ne restait plus que des exceptions à la règle. M. Joseph Bédier a dit lui-même avec une modestie pleine d’humour comment il finit par s’habituer à sa propre témérité. Ces aveux où se mêlent la simplicité, la probité scientifique, et une verve un peu malicieuse, jettent, parmi d’austères travaux, comme un rayon léger. On y saisit sur le vif tout ce qui peut entrer de joie intellectuelle dans une investigation longue et difficile, mais librement conduite et animée par l’amour de l’auteur pour son sujet.
Après l’analyse des chansons de Guillaume, la méthode de M. J. Bédier est suffisamment connue du lecteur. Pour les autres cas, ce sera désormais assez d’indiquer les conclusions. L’idée générale de toutes ces recherches est que chaque légende carolingienne, si elle a quelque fondement historique, si elle n’est pas un pur roman, est en relation avec un pèlerinage ou un monastère. « Il y a, écrit M. Bédier, des relations entre la chanson de Gormond et Isembard et l’abbaye et la foire de Saint-Riquier ; — entre le roman de Raoul de Cambrai d’une part et l’église et la foire de Saint-Géri de Cambrai, les abbayes d’Homblières de Saint-Michel-en-Thiérache, de Waulsort d’autre part. Il y a des relations entre la légende d’Ogier le Danois et le monastère de Saint-Faron de Meaux ; entre la chanson du Pèlerinage de Charlemagne à Jérusalem et l’abbaye et la foire de Saint-Denis en France ; — entre la chanson de Fierabras et cette même abbaye. Il y a des relations entre certaines branches de la chanson des Lorrains et les foires de Champagne ; — entre la chanson des Saisnes et le pèlerinage d’Aix-la-Chapelle et de Cologne ; — entre la chanson de Renaud de Montauban et ce même pèlerinage prolongé jusqu’à Dortmund, etc. Il y a des relations entre bien d’autres légendes épiques et bien d’autres monastères que je sais et que je ne sais pas. Ces propositions expriment, non pas des hypothèses, mais des faits. »
Un des exemples les plus frappans est donné par la Chanson d’Aquin. C’est une légende qui nous est parvenue sous la forme d’un poème copié au XVe siècle d’après un chant composé trois cents ans plus tôt. Elle raconte une grande expédition conduite en Bretagne contre les Sarrasins par Charlemagne et par l’archevêque de Dol. Tout est imaginaire dans ce récit : il n’y a jamais eu de Sarrasins en Bretagne, et Charlemagne n’y a jamais conduit d’armée. Mais si l’histoire est gravement en défaut dans cette légende, la géographie y est d’une singulière précision. Presque toute l’action se passe dans la petite presqu’île de Pou-Alet, qui est très exactement décrite ; l’itinéraire d’Avranches au Mont Saint-Michel et à Dol est minutieusement tracé ; l’auteur connaissait évidemment très bien la région. On ne comprendrait rien à cette chanson si l’on ne savait qu’à la fin du XIIe siècle l’église de Dol était en conflit avec l’archevêché de Tours ; elle prétendait relever directement de Rome et, après de longues querelles, se trouvait en assez mauvaise posture. La Chanson d’Aquin a pour objet d’améliorer sa cause. C’est une œuvre d’actualité, destinée à prouver la précellence de l’église de Dol. Dans un temps où les informations historiques étaient difficiles à établir et où l’usage des documens faux était courant, quel argument précieux c’était de montrer l’évêque de Dol en relations personnelles avec Charlemagne, se couvrant de gloire à ses côtés, déjà, puissant et triomphant à une époque où les églises, les monastères, plus tard en rébellion contre lui, étaient soumis et débiles ! La Chanson d’Aquin n’est donc pas un jeu littéraire : elle a été composée évidemment sous l’inspiration des religieux de Dol ; c’est un écrit de propagande, un pamphlet hardi combiné avec finesse et mêlant spirituellement des histoires imaginaires à des descriptions authentiques. Mais, si nous n’avions pas la clef du mystère, à quelles hypothèses ingénieuses les savans ne seraient-ils pas réduits pour expliquer la campagne héroïque de Charles, dans cette Bretagne lointaine où il n’est jamais allé ?
C’est là un cas extrême, particulièrement instructif, par ce qu’il a d’excessif : il nous renseigne à la façon de ces phénomènes pathologiques d’où les psychologues d’aujourd’hui tirent d’utiles indications pour les connaissances des facultés normales. L’histoire des autres chansons sans être aussi simple n’est pas moins caractéristique. Voici l’un des plus beaux et des plus émouvans poèmes du moyen âge, celui de Raoul de Cambrai. Il raconte comment le jeune Raoul, malgré les supplications, les malédictions même de sa mère Aalais, combat les fils de Herbert de Vermandois et meurt victime de ses orgueilleux exploits. Gaston Paris le considérait comme le reflet de cette épopée féodale, dégagée spontanément au IXe siècle dans le tumulte où s’est constitué le moyen âge, comme l’image immédiate de la vie d’alors, comme l’une des productions les plus originales de l’ancienne France. Dans sa pensée, si au lieu de connaître une copie remaniée du XIIe siècle, nous avions eu le poème original, nous aurions possédé un document historique d’une valeur indiscutable. Or, en y regardant de près, M. J. Bédier s’est aperçu que le poème ne traduit pas du tout les mœurs du Xe siècle, que les données n’en conviennent pas plus à ce siècle-là qu’au XIIe siècle, que les personnages sont tout mélodramatiques et romanesques, qu’ils n’ont pu avoir dans la réalité, ni l’âge, ni le nom, ni la parenté attribués par le poème. On dirait simplement qu’un lecteur qui ne savait rien de l’histoire a recueilli dans des annales quelques signes fournissant les traits essentiels du roman. La légende s’est formée autour de l’église Saint-Geri de Cambrai, près du sanctuaire de ce saint souvent invoqué dans le poème, près de la colline avoisinant la ville, théâtre des exploits imaginés par les jongleurs. Les chanoines du chapitre de Saint-Geri conservaient pieusement la tombe de deux nobles personnages nommés Raoul ; ils avaient dans leurs archives des chartes attestant que la comtesse Aalais leur donnait ses biens à condition qu’ils prieraient pour son fils. Peut-être n’en savaient-ils pas plus, quand l’un d’eux découvrit dans les Annales de Flodoard, ou dans quelque document d’église, qu’un certain Raoul avait envahi le Vermandois et péri tragiquement. À tort ou à raison ils ont reconnu dans ce guerrier le héros dont ils possédaient la tombe et un commencement de légende a pu se constituer. Bientôt d’autres abbayes du voisinage, celles d’Origny et d’Homblières, s’apercevant qu’elles avaient elles-mêmes des liens avec Raoul, contribuèrent sans doute à embellir le roman. Quant aux jongleurs, ils durent se prêter d’autant plus volontiers à écouter les renseignemens donnés par les religieux, qu’une fête célèbre des environs de Cambrai attirait tous les ans beaucoup de monde : ils avaient dans ces solennités un rôle profitable et traditionnel, et ils prospéraient puisqu’on sait qu’ils étaient réunis en une confrérie riche et puissante. Légende d’abbaye et légende de poète ne font qu’une, et Raoul n’aurait pas été chanté si l’abbaye de Saint-Geri n’avait conservé sa mémoire.
Mêmes raisonnemens et mêmes explications pour la légende d’Ogier de Danemark. La révolte d’Ogier contre Charlemagne est le sujet d’un beau poème composé au début du XIIe siècle ; c’est un superbe conte de vendetta où l’on voit Ogier chercher à se venger de Charlemagne parce que Charlot, fils de l’Empereur, a tué le fils d’Ogier. Rien n’est historique de cette aventure, si ce n’est l’existence d’un guerrier nommé Autcharius, vassal de Carloman, qui combattit avec le roi des Lombards contre Charlemagne en 773. Mais une antique abbaye bénédictine des environs de Meaux qui honorait saint Faron comme son fondateur possédait la tombe d’un guerrier nommé Ogier, qui selon une chronique latine se serait retiré à l’abbaye de Saint-Faron et aurait demandé à Charlemagne d’y faire une donation. L’Ogier enterré à Meaux n’avait très probablement rien de commun avec l’Ogier de la guerre de Lombardie, si ce n’est le nom. Sous l’influence de chants des pèlerins d’Italie ou de leur propre mouvement, les religieux de l’abbaye de Saint-Faron embellirent la vie de leur héros, lui composèrent une légende fabuleuse et l’assimilèrent à l’Ogier ami du roi des Lombards : c’est ainsi que le culte obscur au Xe siècle du guerrier enseveli à Meaux devint si éclatant qu’au XIIe siècle nous retrouvons à la place de la tombe modeste d’Ogier un mausolée important entourée de statues représentant Roland, la belle Aude et Turpin ! Dans ce mausolée, M. Bédier voit le symbole matériel de l’alliance des moines et des jongleurs, la preuve qu’ils avaient formé un public pour le culte nouveau qu’ils proposaient d’un commun accord, et qu’ils durent maintenir pendant plusieurs siècles. Au temps de Montaigne qui visita l’abbaye, il semble bien que le sanctuaire fût en décadence ; on savait encore le nom d’Ogier, mais une inscription latine le traitait déjà de héros inconnu.
Mêmes raisonnemens encore et mêmes explications pour cet illustre et puissant Girard de Roussillon dont l’histoire ne sait rien si ce n’est qu’il vécut sous un souverain nommé Charles, que sa femme s’appelait Berthe, et qu’ensemble ils fondèrent l’abbaye de Vézelay. Sa légende, dit M. Bédier, vient, comme le chant XI de Mireille, comme la chanson populaire des Atours de Madeleine, de ce que vers l’an 1040 l’abbé de Vézelay, Geoffroi, eut la pieuse pensée de se procurer les reliques de sainte Marie-Madeleine. Pour expliquer leur provenance, les moines songèrent à Girard et à Berthe qui avaient fondé et enrichi de reliques précieuses l’abbaye de Vézelay, et dont la tombe se trouvait dans l’abbaye voisine de Pothières ; ils imaginèrent une faveur particulière accordée par Charlemagne à deux grands pécheurs repentis ; les jongleurs donnèrent à cette légende religieuse sa forme héroïque : d’un récit de moines ils firent ces grands récits d’aventures et de guerre pour séduire les pèlerins qui allaient à Vézelay honorer sainte Marie-Madeleine de Béthanie et les inviter à voir les tombeaux de Girard et de Berthe dans l’abbaye de Pothières. Mêmes explications encore pour les souvenirs d’Italie contenus dans les chansons de geste : M. Bédier leur a consacré l’un des chapitres les plus vigoureux de son second volume ; il montre par une analyse précise que tout ce que les jongleurs connaissent de l’Italie se rattache à des étapes du pèlerinage de Rome, à l’abbaye de Novalèse, au sanctuaire de Mortara, à Lucques, à Sutri, à Imola, à Gênes et Brindisi, lieux d’embarquement pour la Terre Sainte, et pas un épisode des légendes n’a pour théâtre une ville, un paysage qui ne pût être vu de leurs yeux par les pèlerins.
Et même raisonnement enfin pour la Chanson de Roland, qui mérite une explication un peu plus développée, étant la plus connue de nos épopées. Elle fera l’objet du troisième volume de M. Bédier, mais elle a été étudiée par lui dans le cours qu’il professe au Collège de France. Tout le monde connaît le poème du début du XIe siècle, dont le texte nous est parvenu. Charlemagne venait de battre les Sarrasins en Espagne, et il avait passé les Pyrénées quand son arrière-garde commandée par Roland fut attaquée dans les défilés de Roncevaux et, après une héroïque défense, tout entière massacrée. Sous l’impression immédiate de cet événement tragique, des chants populaires seraient nés, que les générations se seraient transmis, et la floraison dernière de ce travail poétique aurait été la Chanson de Roland. Les chants les plus anciens auraient été composés, d’après Gaston Paris, dans l’armée même de Charlemagne, par un témoin, et l’un des historiens les plus récens et les plus remarquables de l’épopée française, M. Pio Rajna, n’est pas au fond d’un autre avis quand il écrit que l’épopée a dû naître immédiatement sous une forme plus brève au lendemain du désastre[9]. Cette explication traditionnelle laissait certains points obscurs : c’est ainsi que les chroniques carolingiennes mentionnent un combat d’arrière-garde livré le 15 août 778 par Charlemagne qui revenait de Saragosse, contre les Basques et non contre les Sarrasins ; c’est ainsi encore qu’en 778 Charlemagne avait trente-cinq ans et n’était pas l’Empereur vénérable à la barbe fleurie que la chanson nous fait admirer ; c’est aussi enfin que ce fait d’armes, si frappant, dit-on, pour l’imagination populaire, si national, si célèbre, n’est signalé par aucun autre texte, ni au IXe siècle, ni au Xe, ni au XIe. Ces difficultés et bien d’autres ont invité M. Bédier à un examen nouveau de la question, et l’ont conduit à une conception nouvelle : la voici.
Une légende ancienne veut que Charlemagne ayant fait un songe soit parti, guidé par les étoiles que saint Jacques avait semées dans les cieux et se soit acheminé avec ses pairs au-delà des Pyrénées vers de prodigieuses aventures de guerre et de chevalerie. La voie lactée porte en bien des régions le nom de voie de Saint-Jacques, et Charlemagne est célèbre au moyen âge comme le premier pèlerin de Compostelle. C’est cependant vers l’année 830, quinze ans après la mort de Charles, que des gens d’Amea dans le diocèse d’Iria Flavia, en Galice, découvrirent sous des broussailles, dans un bois, un tombeau de marbre blanc qui était celui d’un riche Romain. Bien que l’apôtre saint Jacques, fils de Zébédée et frère de saint Jean l’Évangéliste, ne fût pas allé en Espagne, les gens d’Amea pensèrent que la tombe par eux découverte était celle du saint, et, on ne sait comment, firent partager cette opinion. Le culte galicien fut d’abord très modeste, car les Sarrasins étaient maîtres du pays, et il n’y avait aucune sécurité sur les routes. Mais, par la suite, le pèlerinage de Galice se développa rapidement : les chemins devinrent meilleurs, des ponts furent construits, de nombreux hospices s’élevèrent sur le trajet ; un homme volontaire et ambitieux, Diego Gelmirez, évêque de Compostelle, donna au culte de saint Jacques toute son ampleur. Il l’organisa ; il le répandit ; il attira les pèlerins en foule. Devenu puissant, il obtint que l’évêché de Compostelle dépendît de Rome directement, puis qu’il fût transformé en archevêché ; il leva des troupes ; il construisit, dans Compostelle une basilique splendide. Grâce à ses efforts, le pèlerinage de saint Jacques devint, dès le XIIe siècle, l’un des trois pèlerinages majeurs : Rome, Jérusalem, Compostelle, c’étaient là les lieux saints « par devant les autres en révérence, » dit une vieille chronique, et le succès de Diego Gelmirez est attesté par bien des faits. C’est à cette époque que paraissent des Guides de pèlerins, habilement rédigés pour la propagande ; que se crée l’ordre de Saint-Jacques de l’Épée, dont la mission était de défendre à main armée les pèlerins ; que se fondent en France des multitudes de confréries de Saint-Jacques ; et que s’élèvent enfin sur les routes un nombre incroyable d’auberges, d’asiles et de refuges.
Il y a, d’après le Guide des Pèlerins, quatre routes qui, traversant la France, se réunissent en une seule près de Pampelune à Puente la Reina. L’une partant de Paris passe par Brioude, Arles, Saint-Gilles, Toulouse, et nous avons vu s’y former la légende de Guillaume ; l’autre passe par Notre-Dame du Puy, Saint-Foy de Conques, Saint-Pierre de Moissac ; la troisième par Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay, Saint-Léonard et Périgueux ; la dernière par Saint-Martin de Tours, Saint-Hilaire de Poitiers, Saint-Eutrope de Saintes, Blaye et Bordeaux. C’étaient là des sortes de voies sacrées, le long desquelles se dressaient les sanctuaires de France, et toutes conduisaient au grand sanctuaire de Galice. La première route traversait les Pyrénées au col d’Aspe ; les trois autres à Ostabat dans les Basses-Pyrénées, et toutes quatre se réunissaient près de Pampelune sur la grande voie romaine qui, par Burgos et Léon, conduisait au tombeau de l’apôtre. Or à mesure que le pèlerinage se répandait, les fondations religieuses se multipliaient et favorisaient les récits légendaires. De bonne heure on retrouve le nom de Charlemagne sur cette route qu’il passait pour avoir parcourue jadis, premier pèlerin de Compostelle, premier fidèle appelé par saint Jacques.
Dès l’année 1007, la chapelle d’Ibañeta, située à deux kilomètres de Roncevaux, prend le nom de Chapelle de Charlemagne que lui donnent les pèlerins. Au point culminant du Col de Cise, là où commençait la descente des pèlerins vers Roncevaux, se dressait la Croix de Charles. Peu à peu, et sans doute à une époque assez tardive, au commencement du XIIe siècle, se forme la légende d’une expédition de Charlemagne pour aller délivrer le sanctuaire et d’une bataille dans les Pyrénées. Roncevaux offrait d’ailleurs au pèlerin un spectacle impressionnant : après une plaine encadrée de verdure, le chemin se resserre, devient âpre, raviné, et évoque de lui-même une idée d’embuscade. Peut-être est-ce là ce qui a suggéré l’idée du combat, car l’histoire ne dit pas que Charlemagne ait passé précisément par ce défilé, et la géographie montre qu’en revenant de Pampelune il avait une autre route aussi avantageuse, aussi praticable. Il y a une chance sur deux pour que Charlemagne ait réellement passé à Roncevaux. Mais, dès le XIIe siècle, la tradition veut qu’il y ait en effet passé. À cette époque, il y avait à Roncevaux une abbaye fondée par Sanche de la Rosa, qui subsiste encore (la Real Casa de Roncesvalles). Les religieux appartenaient à l’ordre puissant de Saint-Augustin, et un poème latin nous apprend qu’ils avaient une demeure hospitalière et magnifique, des chambres remplies d’amandes, de grenades, de fruits de tous les pays. Plus tard, sous l’influence des pèlerinages, ils élevèrent une chapelle aux victimes de Roncevaux ; ils montrèrent même des reliques. Bien avant eux, les clercs de Saint-Romain de Blaye faisaient voir la tombe, réelle ou supposée, de Roland. Dans un travail qui est un modèle de lucidité, M. Camille Jullian, professeur au Collège de France, a jadis été le premier à montrer que Blaye était autrefois l’importante station où pèlerins, marchands et soldats prenaient les barques qui les transportaient à Bordeaux, l’étape qui reliait le Nord et l’Espagne, le point d’arrêt où les voyageurs avaient besoin d’être récréés. Blaye eut ses sanctuaires et, tandis que Bordeaux s’enorgueillissait de posséder le cor de Roland, elle gardait avec fierté des tombes qu’elle disait être celles de Roland, d’Olivier et de la Belle Aude. Peut-être même a-t-elle été le vrai centre de formation de la légende.
Comme la légende de Guillaume s’était développée sur la Via Tolosana, celle de Roland est née sur la route de Bordeaux à Compostelle. Les clercs et les jongleurs se sont ici comme ailleurs ingéniés à mettre en valeur tout ce qui donnait du lustre à leurs maisons et à leurs fêtes. Tous les faits s’enchaînent et la seule hypothèse qui demande quelque effort, c’est qu’un moine lisant la Vita Caroli d’Einhard ait fait un sort au personnage de Roland. Légende de saint Jacques, passage de Charlemagne dans les Pyrénées, fondations d’abbayes, pèlerinages, tout se tient, et là est l’essentiel de la Chanson. La collaboration des clercs se manifeste d’ailleurs par le grand rôle que joue Turpin dans la légende. Cet authentique archevêque de Reims occupe une place que les historiens ont été bien embarrassés d’expliquer, et sa présence dans le poème semble plus singulière encore, quand on réfléchit que l’épitaphe de Turpin où sont louées toutes ses vertus ne dit rien de ses exploits. Une histoire de l’archevêque de Reims écrite au Xe siècle est silencieuse aussi sur sa participation à la grande bataille des Pyrénées. En réalité, le rôle de Turpin a été créé en même temps que la Chanson, et l’armée légendaire de Charlemagne a été peuplée, à l’exemple des grandes troupes de pèlerinage, d’évêques et d’abbés. L’imagination ici encore a fait plus que l’histoire ; la géographie est elle-même fantaisiste toutes les fois qu’elle s’écarte de l’itinéraire traditionnel, et de l’Espagne comme de l’Italie, les poètes ne connaissent exactement que ce qu’ils ont vu sur la route des pèlerins. Avec tous les critiques, M. J. Bédier admet bien que la Chanson de Roland est un poème remanié d’après un texte plus ancien, mais sans fixer de date, il ne le croit pas antérieur au temps où le sanctuaire de Galice était dans toute sa gloire, et il pense que, s’il n’y avait pas eu de tombe sacrée à Compostelle, il n’y aurait pas eu de Chanson de Roland.
On est bien tenté, après l’examen successif de ces légendes isolées, de les rapprocher et d’en tirer une théorie générale. M. J. Bédier, obéissant à un scrupule de méthode, remet l’heure de conclure. Son explication d’ensemble ne sera, dit-il, que la somme des vérités particulières acquises par des recherches indépendantes entre elles, et dont seuls les résultats sont solidaires. Mais en attendant qu’il l’expose, il la suggère. Il a beau nous prémunir contre des formules trop simples et dérisoires : les profanes ont des intrépidités que s’interdisent les savans.
Une idée neuve illumine les livres de M. Joseph Bédier : il restaure les droits du poète à créer des fictions. La critique présentait les chansons de geste comme des récits d’histoire. M. J. Bédier y voit une invention de jongleurs, où l’histoire n’a fourni que le cadre. A force de réalisme, il retrouve les conditions où a pu se développer la fantaisie des hommes, et c’est au nom de l’expérience qu’il fait sa part à la poésie. Par un contraste piquant, les théories tout imprégnées de romantisme du XIXe siècle refusaient à l’épopée son caractère imaginatif ; la science de M. J. Bédier le lui rend. On avait tout admis en effet, dans les explications anciennes, sauf que les auteurs d’épopée eussent pu inventer quelque chose. On avait admis qu’il avait existé de beaux poèmes dont il ne restait absolument rien ; on avait admis que, dans les temps carolingiens, les guerriers illustres avaient chacun à leurs côtés une sorte de reporter épique, capable d’improviser sur-le-champ un poème de deuil, ou de victoire, ce qui ne laissait pas d’être un peu extraordinaire[10] ; on avait admis que, après cette génération de poètes au-dessus du commun, leurs successeurs avaient été au contraire insignes par leur ignorance, leur faculté de confondre tous les héros, et de mêler toutes les chansons ; on avait admis que les vieux chroniqueurs, aussi insoucians que les maladroits remanieurs, avaient pu consacrer une seule ligne à Roland, cinq à Ogier, cinq à Raoul, oubliant ainsi des héros que l’on nous présentait comme ayant impressionné pour plusieurs siècles l’esprit du peuple. M. J. Bédier montre l’erreur de ces hypothèses. Il n’y a pas plus d’histoire dans les légendes épiques qu’il n’y en a dans les Trois Mousquetaires ; il y en a même beaucoup moins encore. Les chansons de geste, selon un mot de Ferdinand Brunetière qui avait été frappé de leur caractère imaginatif, sont de l’histoire fabuleuse, de l’histoire « héroïsée. » L’invention n’y est pas très riche ; elle ne se renouvelle guère d’une chanson à l’autre, et par-là elle porte bien la marque du temps. Il est rare que l’écrivain du moyen âge mette beaucoup de lui-même dans ses œuvres : malgré des beautés de détail, souvent très émouvantes, la littérature de cette époque a quelque chose d’uniforme ; l’homme semble n’y penser et n’y sentir qu’en groupe, et c’est ce caractère de généralité qui avait dû encourager les critiques à y voir l’œuvre collective d’une foule héroïque. Dans cette littérature cependant, si peu individuelle qu’elle soit encore, M. J. Bédier reconnaît non pas une transcription de la réalité contemporaine, mais le travail de l’esprit à propos d’événemens anciens, parés déjà du prestige du passé, la faculté de développer un thème, le don d’imaginer.
En même temps, il précise les circonstances où ce don a pu se manifester, il fait revivre les conditions où l’imagination a fleuri : après nous avoir rendu la poésie, il nous rend les poètes. La théorie traditionnelle faisait évanouir à la fois les œuvres et les hommes : elle contemplait au-delà de ces ombres qui étaient les poèmes et les remanieurs une magnifique humanité dont elle ne savait rien. À ces ombres exsangues comme celles qui habitent les séjours virgiliens des morts, M. J. Bédier rend la forme et la couleur. S’il croit que les poètes inventent, il sait aussi que ce sont des hommes, influencés par leur époque, et travaillant pour elle : ils peuvent ne pas traiter de sujets historiques, mais eux ils ont une histoire. Ainsi la position prise par M. J. Bédier se trouve opposée à celles des critiques ses prédécesseurs. Ceux-ci voulaient tout savoir de ce que racontaient les chansons, mais tenaient la naissance même de ces chants pour mystérieuse. Au contraire, M. J. Bédier consent que les poèmes soient fictifs, mais il fait rentrer dans l’histoire les circonstances où cette fiction est née. Les critiques disaient : « Certainement Ogier a combattu Charlemagne, certainement Roland est mort à Roncevaux ; des poètes dont nous ne savons rien ont chanté ces événemens qui sont vrais. » Et M. J. Bédier réplique : « C’est un fait qu’il a existé des sanctuaires, des routes, des pèlerins, et que les poètes y parlaient d’Ogier et de Roland : des événemens dont nous ne savons pas grand’chose, mais dont ces vieux poètes ne savaient pas davantage, ont été célébrés non parce qu’ils étaient vrais, mais parce qu’ils étaient beaux. » par-là M. J. Bédier s’écarte délibérément des idées romantiques qui avaient cours sur la naissance des légendes épiques. On la disait très obscure, et on l’en admirait presque davantage ; on l’environnait d’une brume lointaine ; on attribuait à une génération ce que l’on ne pouvait attribuer aux individus ; on invoquait la « tradition populaire » et l’« âme des foules. »
Ernest Renan a écrit dans ses Cahiers de Jeunesse quelques pages qui ont paru à M. Bédier un précieux témoignage de l’état d’esprit des critiques : « Il y a deux espèces de littérature, écrivait Renan en 1845 au sortir d’un cours-de M. Gérusez : l’une toute belle, toute spontanée, naïve expression de tout ce qu’il y a de poétique dans l’humanité… L’épopée, ajoute-t-il, existe avant d’être faite. On ne songe pas assez qu’en tout cela l’homme est peu de chose, l’humanité est tout. C’est l’esprit de la nation, son génie si l’on veut, qui est le véritable auteur : le poète n’est que l’écho harmonieux, je dirai presque le scribe qui écrit sous la dictée du peuple qui lui raconte de toutes parts ses beaux rêves[11]. » Voilà le fond de la théorie romantique avec laquelle on expliquait indifféremment Ossian, le Mahabarata, les Nibelungen, les poèmes homériques ; et voilà comment on expliquait aussi nos chansons de geste. L’humanité est tout, et l’homme est peu de chose ! Ainsi parlait Renan, après avoir entendu M. Gérusez ; mais M. J. Bédier ne peut plus penser de même. La personne du poète n’est pas si indifférente. On peut même saisir par quelques exemples quelle part appartient à ces chanteurs tard venus, que la critique confond avec mépris sous le nom de remanieurs. Quelques-uns ont été les véritables créateurs d’une légende. C’est ainsi que dans une ancienne chanson, le jeune Vivien, neveu de Guillaume, combat en héros aux Aliscans, se confesse et meurt. Mais le même épisode dans une autre chanson s’est enrichi d’une donnée pathétique. Vivien a fait vœu jadis de ne jamais fuir en bataille ; blessé, affolé aux Aliscans, il oublie un seul instant sa promesse, revient aussitôt se battre, mais tombe mortellement blessé, et la confession, banale dans la première version, tire toute sa grandeur de l’aveu qu’il fait de son parjure et de son remords. De même, la forme primitive de la Chanson de Roland[12]nous fait voir le héros attaqué, se défendant bien, et sonnant du cor à la fin pour appeler Charlemagne : ce n’était qu’un récit de bataille. Mais plus tard, un poète se demanda pourquoi Roland sonnait si tard de son cor ; il imagina l’orgueil, la desmesure du héros, et par-là il transformait toute la légende, faisant dépendre le drame du caractère de Roland, et transportant l’action « du monde déterminé des faits dans le monde libre des volontés. » Parfois, on croit apercevoir un plus grand travail encore ; on croit discerner un thème primitif des chansons, qui aurait été par la suite développé et complété : l’idée première n’aurait-elle pas été la légende de Charlemagne, et la mort des douze pairs ? Pour continuer la fable après cette catastrophe, ne fallait-il pas chanter les sept fils de cet Aymeri qui, au retour de Roncevaux, s’était distingué en prenant Narbonne sur la demande de l’Empereur ? Ne fallait-il pas, après la mort de Charlemagne, montrer son fils Louis défendu par Guillaume ? Il y a entre toutes ces chansons des liens manifestes, et si l’on ne peut supposer qu’un seul poète en ait conçu le plan tout entier, il semble bien que les thèmes élémentaires sous l’action de différons chanteurs aient évolué et se soient harmonisés. Qui saura, conclut M. Bédier, répondre un jour à ces obscures questions ? En tout cas, les légendes ne sont pas sorties d’on ne sait quel pays magique : elles ont été créées par des hommes et pour des hommes.
C’est dans un décor très réel et d’ailleurs très beau que M. J. Bédier replace leur naissance. Ces voyageurs qui sur les grandes routes, dans les fêtes locales célébrées aux beaux jours du printemps et de l’été, venaient entendre les chansons dites selon l’usage par des jongleurs, n’étaient pas des passans frivoles et insensibles. C’étaient des pèlerins passionnés. Véritables rois de la route, ils animaient de leur cortège les antiques voies romaines où leur souvenir effaçait celui des ambassadeurs, des marchands et des soldats[13] ; ils suscitaient sur leur passage hospices, hôtelleries, monastères ; ils faisaient la gloire et la richesse des sanctuaires qu’ils visitaient ; ils déterminaient enfin les chants des jongleurs. De ces belles histoires débitées par fragmens, découpées comme de grands romans-feuilletons, l’objet essentiel était d’émouvoir le pèlerin, de l’intéresser aux sites, aux monumens, aux ruines qu’il voyait sur sa route. On lui montrait des vestiges de châteaux et de villes, des tombeaux, des monastères ; on lui disait que ces ravages avaient été causas jadis par les infidèles, que ces sépultures étaient celles de grands guerriers, que ces monastères étaient des fondations vénérables, dues à d’illustres personnages. Ainsi l’art des jongleurs et des moines faisait communiquer le passé et le présent ; il donnait le paysage vrai pour décor à une antiquité à demi fabuleuse ; il évoquait les héros de la légende foulant le même sol que les voyageurs et gagnant par les mêmes étapes les mêmes sanctuaires. On devine quelle pouvait être l’excitation religieuse, poétique et guerrière de ces foules en marche vers le tombeau des apôtres. L’esprit de sacrifice et d’aventure était en elles : c’était l’époque des premières croisades et le mouvement des esprits qu’elles déterminaient inclinait à mieux comprendre les luttes d’autrefois contre les Sarrasins. Le livre de M. J. Bédier nous suggère ici des spectacles qui ont leur magnificence, et comme une découverte d’érudit n’acquiert toute sa valeur que par son rapport à l’histoire générale, il nous éclaire non pas seulement sur un fait d’ordre littéraire, mais sur la vie d’autrefois. Il nous fait entrevoir tout ce qu’il pouvait y avoir d’enthousiasme et de foi dans les offices liturgiques en l’honneur des saints athlètes de Dieu, dans les prières récitées en commun près des tombeaux illustres. Quel auditoire mieux préparé à entendre des chansons héroïques et saintes ?
L’influence monastique sensible dans la documentation des légendes ne l’est pas moins dans la qualité des élémens moraux qui forment les chansons. Toutes ces vieilles épopées de France sont à la vérité exemptes de développemens philosophiques et de prédications, mais elles ont toutes un sens, et ce qui n’y est pas d’ordre Imaginatif ou héroïque témoigne d’une réflexion chrétienne. Elles semblent nées d’une méditation sur une tombe. Les personnages qui reposaient dans les sanctuaires avaient été des grands du monde. Ils s’étaient appelés Guillaume, Raoul, Girard, Berthe, Aalais ; ils avaient eu des vies éclatantes et troublées ; ils avaient été batailleurs, orgueilleux, violens ; à la fin de leur existence, ils avaient sacrifié des richesses et fondé une abbaye. Leurs destinées tragiques s’étaient achevées par le repentir. Quelques-uns parmi eux avaient même été de très grands pécheurs. Un fol orgueil inspire au chevalier Ogier sa révolte contre son roi ; la violence dicte à Girard ses détestables projets. Lorsque Bossuet racontera plus tard la vie des princes pour en tirer un enseignement, il y mettra sans doute plus d’art, une connaissance plus profonde du cœur, un sens plus humain des passions, une science plus délicate du remords. Mais la leçon demeure sensiblement la même. Dieu, qui voit les erreurs et les injustices, les tolère d’abord pour en mieux faire éclater plus tard les suites, et pour mieux convertir le pécheur. Dans les chansons, comme dans les sermons qui feront cinq siècles après la gloire des orateurs sacrés, il commence par imposer des épreuves à ceux qu’il veut avertir ; si elles ne suffisent pas, il frappe encore leur esprit par des miracles et des malédictions ; il les courbe enfin sous sa main jusqu’au jour où, les voyant meurtris et repentans, il leur accorde sa clémence. Il faut la mort d’un ami cher pour que, dans le poème de Raoul de Cambrai, le comte Ybert, héros orgueilleux, découvre la voie du salut[14] ; alors seulement il fait de Dieu son héritier et fonde sept églises en souvenir de ses sept châteaux forts. De même Girard dressera les abbayes de Pothières et de Vézelay dans les plaines même où s’est exercée sa puissance, et le paysage ravagé par ses violences sera sanctifié par son repentir, et sa piété. L’idée, qui est morale, a aussi sa poésie. Elle n’est nulle part exprimée, mais elle est l’âme secrète de ces romans, et peut-être était-elle tellement familière aux foules du moyen âge qu’il n’était pas nécessaire de la développer. C’était le thème essentiel de tout enseignement ; les chansons nous montrent toutes des héros qui s’agitent et que Dieu ramène à lui. Ainsi découronnées de leur passé lointain, de leurs origines spontanées et populaires, les chansons de geste perdent un prestige conventionnel ; en revanche, elles gagnent à l’explication réaliste qui en est donnée plus d’humanité et par suite plus de pathétique. Il n’y a pas eu peut-être de bataille de Roncevaux. Mais il y a eu l’admirable fiction de l’orgueil de Roland et de l’héroïque combat des douze pairs. Et ce que les hommes n’ont pas accompli, ils ont eu la noblesse de le concevoir.
Cette création poétique cependant demeure un mystère. M. J. Bédier n’explique pas tout. Sa théorie, qui renouvelle sur bien des points l’histoire des chansons de geste, prête encore à une grande objection. D’où est venue l’idée de ces poèmes, comment s’est constituée la matière épique dont ils sont composés, qui a trouvé la forme qu’ils revêtent ? M. J. Bédier nous apporte tous les élémens qui ont pu servir à bâtir le monument de l’épopée : voici les sanctuaires, les personnages dont ils conservent les souvenirs, les religieux qui les gardent, les pèlerins qui les visitent, les jongleurs qui les célèbrent. Qui a été l’architecte, et d’où lui est venue l’inspiration créatrice ? S’il n’y avait pas eu d’abbaye de Gellone, dit M. Bédier, il n’existerait pas de cycle de Guillaume ; s’il n’y avait pas eu de pèlerinage de Compostelle, nous n’aurions pas de Chanson de Roland. Soit : mais ni l’abbaye de Gellone, ni le pèlerinage de Compostelle ne déterminaient nécessairement cette forme spéciale de réclame pieuse, ou de distraction qu’est une chanson de geste. Au terme d’une analyse perspicace et brillante, il reste un fait irréductible, et il faut admettre qu’il y a eu un jour en France un homme de génie qui a su créer un poème.
Peut-être sa tâche s’est-elle trouvée facilitée par des traditions populaires. Non que l’art soit incapable à lui seul de faire revivre un personnage historique oublié ou d’imaginer un type légendaire : en notre temps Cyrano et Tartarin sont là pour attester la puissance des écrivains. Mais la fiction est plus explicable encore, plus généralement accueillie si elle est préparée par des souvenirs épars, par des récits de village ou de monastère. Le grand philologue allemand à qui M. Joseph Bédier a dédié son ouvrage, M. Hermann Suchier, reconnaît toute l’originalité et l’importance des études de son collègue français. Il se demande toutefois comment les souvenirs historiques fournis par les moines ont pu se transposer en de vastes poèmes, si déjà une tradition ne les conservait pas. Sans ressusciter les cantilènes primitives qui semblent désormais évanouies, il est possible que les légendes aient eu déjà quelque existence rudimentaire parmi les hommes instruits, habitués à lire la Vie des saints et les chronologies de monastère, et aussi parmi le peuple vivant autour des abbayes. M. Bédier reconnaît quelque part que certains poèmes font allusion à des légendes anciennes obscures pour nous. L’homme qui le premier a composé une chanson n’a pas probablement tout inventé ; il a pu utiliser et renouveler ce qui existait avant lui ; il a pu, comme a dit plus tard un grand écrivain, prendre son bien où il le trouvait, et sa création n’en est pas diminuée. Elle a consisté surtout dans l’invention de la forme épique. Nous ne parlons pas ici de l’antique et incertaine question des origines du vers français. En dehors du rythme et de la prosodie, il y a dans l’épopée une construction poétique dont nous ignorons la provenance. Elle a été inspirée peut-être par l’exemple des légendes hagiographiques et des poèmes latins qui se composaient dans les abbayes : elle demeure le secret merveilleux des anciens âges.
Il vient un moment où l’esprit critique le plus alerte et le plus ingénieux s’arrête. Quand on a bien défini et bien vérifié, quand on a dissocié les ensembles les plus complexes en un éparpillement de phénomènes séparés et intelligibles, il reste encore à dire pourquoi les choses qu’on étudie ont existé, et pourquoi la vie s’est manifestée. Pourquoi y a-t-il des poètes ? Pour répondre, M. Bédier pourrait emprunter la parole fameuse : « Ainsi Nature nous dispose. » Ce n’est pas la première fois que l’histoire littéraire nous rend compte de tout, sauf du fait initial d’où le reste a procédé, et décrit le développement à condition que nous acceptions le principe. Il y avait en Grèce un usage qui était d’honorer les vainqueurs des grands jeux et de célébrer leur gloire dans leur ville. Mais qui le premier chanta ces phrases rythmées dont l’ensemble un jour forma l’ode pindarique ? Nous savons que le théâtre antique est sorti des cérémonies en l’honneur de Bacchus. Mais qui le premier et quel jour eut l’idée de s’élancer au-devant de l’autel, de répondre au chœur et de fonder ainsi le dialogue ? Nous savons de même qu’il y eut des moines recueillant des légendes et des pèlerins se plaisant aux belles histoires. Mais qui le premier eut l’idée de faire un poème avec les aventures des guerriers illustres ? L’effort des historiens a pour objet de nous faire entrer aussi avant que possible dans le détail des opérations ; il s’arrête devant les manifestations libres de l’activité humaine : la science les décrit, mais elle ne les explique pas.
Par là les travaux de M. Joseph Bédier s’inspirent d’une méthode très moderne. La critique d’aujourd’hui est tout à fait rigoureuse ; elle pratique l’observation, et l’expérimentation. Mais elle compte parmi les données de l’expérience celle vérité qu’il y a des hommes ayant leur esprit, leur logique, leurs passions et même leurs fantaisies : c’est la part du dieu inconnu. La critique d’autrefois faisait moins attention aux individus el, parlant de l’humanité en général, elle était plus ambitieuse peut-être dans ses recherches ; elle prétendait retrouver le secret de toutes choses, et il lui arrivait de faire sans s’en douter le roman du déterminisme. Les historiens sont devenus plus précis, et par conséquent plus modestes. Ils ne prétendent pas, quand il s’agit de ce phénomène changeant et imprévu qu’est l’activité de l’homme, l’analyser comme une mécanique ; ils savent que les faits littéraires en particulier ne livrent pas à l’enquête la plus sagace tout leur mystère. Qu’on relise les pages où, s’inspirant du bel ouvrage de M. Vidal de la Blache, M. Bédier montre la France faisant communiquer la Méditerranée et l’Océan par les vallées du Rhône, de la Saône et de la Seine, décrit le passage des pèlerins, et groupe les légendes sur les vieilles voies romaines : il y a loin de ces considérations exactes aux charmantes impressions que notait Renan étudiant. Mais qu’on relise ensuite les pages où M. Bédier revendique pour les poètes le droit d’avoir eu de l’imagination, et l’on sentira comment il faut dans les études littéraires apporter avec les plus sévères méthodes un sentiment très humain des conditions de l’art et joindre l’esprit de finesse à l’esprit de géométrie. Voilà nos vieilles chansons de geste bien rajeunies. Déjà M. Michel Bréal étudiant Homère nous avait invités à ne pas trop croire à la naissance magique des poèmes et, à travers les travaux des philologues, il nous faisait entrevoir de nouveau la figure légendaire d’un auteur de l’Iliade. A son tour, M. Joseph Bédier fait paraître dans une lumière nouvelle un passé qui lui est cher : par les images qu’il trace des sanctuaires, des moines, des pèlerins et des jongleurs, il recompose le paysage réel de l’épopée, et, de la foule des aèdes romantiques, il fait surgir des poètes de chair et de sang ayant rêvé et travaillé comme font leurs semblables, « depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent. »
ANDRE CHAUMEIX.
- ↑ Les Légendes épiques. Recherches sur la formation des chansons de geste, par M. Joseph Bédier, professeur au Collège de France, 2 vol. ; II. Champion.
- ↑ Voyez, dans la Revue des 15 mars et 1er avril 1907, les Légendes de Girard de Roussillon, par M. J. Bédier.
- ↑ Litteraturblatt für germanische und romanische Philologie, 1908, no 6, art. de M. Ph. Aug. Becker.
- ↑ Mars 1909 (article de M. J. Flach).
- ↑ Voyez, dans la Revue du 15 février 1894, La Société des anciens textes français.
- ↑ La Vie de saint Benoit d’Aniane a été composée en 823 par un de ses disciples Ardon. Le passage relatif à Guillaume a été, comme le fait remarquer M. Bédier, ajouté plus tard, probablement au XIe siècle, à l’époque où les moines d’Aniane s’occupaient de prouver qu’ils étaient plus anciens que ceux de Gellone. Tout l’art était de montrer, même à l’aide de documens faux selon l’usage du temps, que Gellone était une dépendance d’Aniane. C’est à quoi les moines de Gellone répondirent par la Vie de saint Guillaume.
- ↑ La Vie de saint Guillaume réplique au document d’Aniane ci-dessus indiqué en faisant le même récit, mais en supprimant tout ce qui peut montrer Guillaume comme dépendant d’Aniane. De là son importance. Il est remarquable que, dans un récit d’un très grand sérieux, puisqu’il s’agissait de leur suprématie, les moines aient pris à leur compte et authentiqué les récits de bataille, d’ailleurs imaginaires, faits par des chansons de geste.
- ↑ L’un des plus curieux exemples cités par M. Bédier est celui de Martres-Tolosane, bourg de l’arrondissement de Muret, qui se trouve sur la voie romaine suivant la vallée de la Garonne et menant de Toulouse vers les ports des Pyrénées-Orientales. M. Antoine Thomas a raconté dans une remarquable étude comment cette bourgade célébrait encore, en 1885, la fête de son patron saint Vidian. Les jeunes gens figuraient un tournoi entre Sarrasins et chevaliers, et une procession solennelle avait lieu en l’honneur du protecteur de la cité : or, la légende de saint Vidian n’est autre que celle du Vivien des chansons de geste. D’après les textes, on peut croire que, déjà au XIIe siècle, l’église de Martres-Tolosane gardait le corps de saint Vidian. « Il me semble probable, dit M. Bédier, que le Vivien épique 0a commencé d’être honoré à Martres dans le même temps où d’autres sanctuaires se mirent à vénérer d’anciens héros narbonnais. » Et la vieille fête de Martres-Tolosane serait un souvenir des légendes répandues au temps où les pèlerins passaient par la ville.
- ↑ La différence entre la thèse de Gaston Paris et celle de M. Pio Rajna ne pourrait être précisée sans entrer dans certains développemens qui n’auraient pas leur place ici. Qu’il nous suffise d’indiquer que, pour Gaston Paris, les chants primitifs étaient ce qu’il appelle des Chants lyrico-épiques ; M. Pio Rajna pense que ces chants composés au lendemain de la bataille étaient déjà des épopées.
- ↑ M. J. Bédier cite à ce sujet un spirituel passage de M. le professeur Becker qui avait déjà noté cette invraisemblance : « Quatre comtes à la tête d’un détachement font-ils une incursion en pays ennemi ? Vite un chant qui les célèbre. En Corse, un autre comte tombe-t-il dans une bataille contre les Maures ? Vite un chant de deuil. Et ces chants se conservent, sont remaniés, s’amalgament entre eux ; ils ont une histoire longue et importante, et pourtant, de ces chants épiques, de leur remaniemens, rien n’a subsisté, rien jusqu’au XIIe siècle qui le premier eut l’heur d’en conserver les derniers renouvellemens. Le croie qui veut ! Le croie qui peut ! »
- ↑ Cahiers de Jeunesse, 1845-46, p. 117-118-121-124. — Renan continue en remarquant combien tous ces poèmes primitifs se ressemblent, et à ce sujet il cite « le chant des Escualdunac sur leur victoire à Roncevaux. » À ce sujet, on lira avec intérêt cette note de M. Bédier : « Les Escualdunac sont les Basques, et Renan fait allusion au chant d’Altabiscar, poème en langue basque, qui célèbre la défaite infligée par les Basques, en 778, à Charlemagne. On a cru longtemps à l’authenticité de ce poème, qui était censé avoir été composé peu après 778. Il a servi à étayer les idées de Wolf et de Herder sur la « poésie primitive » et Victor Hugo y a pris plusieurs traits d’Aymerillot. Par malheur, ce chant d’Altabiscar est une mystification de l’époque romantique, de la même espèce que les faux de Mérimée et de Hersart de la Villemarqué. L’auteur du chant des Escualdunac était Garay de Monglave, qui le composa en 1828. La supercherie fut démontrée en 1866 par J. -F. Bladé. »
- ↑ Le pseudo-Turpin, si du moins, ajoute M. Bédier, il faut admettre le classement des versions de la légende proposé par Gaston Paris.
- ↑ La vieille route romaine de Pampelune à Compostelle garde encore par endroits le nom de camino frances. On trouve encore, dans des récits, les noms de Strata publica peregrinorum, caminus peregrinus, caminus romevus sancti Jacobi appliqués à diverses parties des routes.
- ↑ C’est du moins là l’une des versions de la légende de Raoul de Cambrai, celle de la Chronique de Waulsort qui résume sans doute une chanson de geste française, perdue pour nous.