Les Chansons des trains et des gares/Confidences

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Édition de la Revue blanche (p. 65-67).


CONFIDENCES


La dame a dit à la préposée de la gare :
Les miens sont sur le boulevard ;
Sans le moindre soupçon de basse concurrence,
Je dirai donc ce que je pense :
Chez moi, l’on peut prendre son temps,
Et mes clients ont le loisir
D’y demeurer, autant, autant
Que ça peut leur faire plaisir ;
Mais chez vous, c’est une autre affaire ;
Si du moins vous preniez la peine de les faire,
Ainsi qu’au buffet, prévenir,
Ils sauraient à quoi s’en tenir.

L’employé du chemin de fer
Passerait en criant : On part dans deux minutes !
En leur for intérieur, ils murmureraient : Flûte !
Mais ils verraient ce qu’il leur reste à faire,
Et pourraient s’efforcer à de suprêmes luttes…
Mais non, vous êtes sans pitié ;
Ils connaîtront les angoisses, les affres,
De courir, rouges, débraillés,
Raillés
Des voyageurs, des employés,
Arrachant leurs boutons, ou la dernière agrafe,
(Parfois, d’ailleurs, ayant payé,
Et c’est ainsi qu’ils se rattrapent,
Avec une pièce du pape…)

Voulez-vous me permettre encore une remarque ?
De bonnes mœurs prenant prétexte,
Les règlements policiers parquent
Chaque client suivant son sexe :
Les « dames seules » ont leur place,
(Et les « fumeurs » alors, pourquoi pas — enfin, passe.)
Donc, ne craignez-vous pas que les Messieurs se vexent

Pour un inégal traitement !
Vous mettez HOMMES, simplement,
Alors que vous avez mis DAMES :
Mettez FEMMES, —
Ou bien mettez MESSIEURS et DAMES !
Ce n’est que de la courtoisie élémentaire… —

Mais l’autre ayant soudain lâché
Son crochet :
— Ah ! ma bonne Madame ma chère !…
Moi, appeler ça des Messieurs :
C’est des monstres qu’il faudrait dire, —
Si vous aviez souffert par eux
Tout ce qu’il m’a fallu souffrir !…

Mon père était baron, et préfet de l’Empire ! —

Et la première lui réplique :
— Il y faut apporter plus de philosophie ;
Que voulez-vous, c’est la vie, — mon mari,
Il était préfet, lui aussi, —
Mais c’était de la République.